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Deux salariés français sur trois seraient heureux dans leur travail
SD Worx, spécialiste européen de la paie et des RH, a voulu connaître à travers son enquête « A Worker’s Journey »[1], l’état d’esprit des salariés vis-à-vis de leur travail en ce début d’année 2022. « Blue Monday » ou pas, les salariés français semblent généralement heureux au travail, 59% en seraient fiers et plus de la moitié (52%) le considère comme une passion.
Le « Blue Monday », le jour le plus déprimant de l’année, tombera le 17 janvier prochain. Pour la plupart des gens, il représente à la fois le premier jour de la semaine et une période qui fait suite aux fêtes de fin d’année et parfois aux vacances. Et même si les bonnes résolutions ont été prises (et parfois déjà abandonnées), le temps est morose et les prochaines vacances au soleil sont encore loin.
Pourtant, au travail, les choses ne se passent pas si mal et de nombreux employeurs parviennent encore à maintenir le niveau de satisfaction et d’engagement de leurs employés. L’enquête SD Worx « A Worker’s Journey », révèle qu’environ 59 % des salariés français apprécient leur travail. Ils sont 79 % aux Pays-Bas, 66 % en Belgique, et enfin 64 % en Allemagne. C’est au Royaume-Uni qu’ils sont les moins enthousiastes avec seulement 53 %.
D’après Patrick Barazzoni, Directeur Général chez SD Worx France : « Seuls 2,4 % des salariés européens ne prendraient pas de plaisir au travail. La fréquence varie évidemment d’un pays à l’autre, mais pour la majorité des collaborateurs, travailler reste quelque chose de plaisant. Ce constat est particulièrement positif, et montre à de nombreux employeurs qu’il est possible d’offrir à leurs employés un travail stimulant et varié dans un environnement agréable. »
61% des salariés français trouvent leur travail utile
Non seulement les salariés ont à cœur que leur travail soit agréable, mais aussi qu’il soit utile. Ce serait d’ailleurs le cas pour 61 % des salariés français (et 68 % en Europe). Aux Pays-Bas, pas moins de 8 salariés sur 10 considèrent leur travail comme utile au moins une fois par semaine, contre 71 % en Belgique, 69 % en Allemagne et seulement 58 % au Royaume Uni.
Le fait d’être passionné ou fier de son travail est également un axe intéressant à étudier quand on veut en savoir plus sur le degré de satisfaction des salariés. Au total, 68 % des Européens actifs (et 60 % des actifs français) sont fiers de leur travail chaque semaine, et cette tendance est à peu près la même dans l’ensemble des pays qui figurent dans l’étude. Ce pourcentage dépasse 60 % dans tous les pays. Une fois de plus, les Pays-Bas obtiennent le meilleur score avec 77 %.
Patrick Barazzoni poursuit : « très majoritairement, les salariés français sont passionnés par leur travail, et sont par conséquent particulièrement engagés dans leurs tâches du quotidien ».
Mêmes s’ils sont engagés, les Français sont 34 % à penser que leur travail est mentalement stressant
De façon générale, plus d’un salarié sur trois ressent une trop grande pression mentale dans son travail au moins une fois par semaine. Par ailleurs, ils sont presque 20 % à éprouver ce sentiment au moins plusieurs fois par semaine en France. Ce pourcentage est plus élevé sur le marché du travail belge (41 %), contrairement au Royaume-Uni (36 %), à l’Allemagne (35 %), et aux Pays-Bas qui se situent tous aux alentours de la moyenne européenne (36 %).
Un salarié sur 4 subit également des contraintes physiques liées à son travail une ou plusieurs fois par semaine. En France, c’est le cas pour 3 salariés sur 10. Vient ensuite le Royaume-Uni avec 28% des salariés, puis la Belgique avec 27%. Ce chiffre est légèrement inférieur en Allemagne et aux Pays-Bas (22%).
« Bien que la plupart des résultats de l’enquête semblent traduire un certain degré de satisfaction professionnelle chez les salariés européens, le travail reste encore stressant et difficile pour un bon nombre de collaborateurs. Dans ce contexte actuel si particulier, le bien-être des employés devrait figurer en tête des priorités pour les entreprises. Une autre enquête menée par SD Worx avait déjà souligné qu’il s’agira de l’un des principaux défis auxquels seront confrontés les responsables RH dans les années à venir », conclut Patrick Barazzoni.
Les vertiges de l’(in)utile
Nous faisons tous un travail pour une raison. Par habitude, par nécessité, par hasard, parce que la vie nous a poussés là, parce qu’on a suivi ce qu’on nous a dit… Cette réalité fait partie de notre vie, et nous avons à l’habiter du mieux possible. La clé pour cela est toujours le sens, le sens que l’on donne à ce travail qui occupe tant de notre vie. Si ce sens est toujours très personnel, il est alimenté par plusieurs sources, et la société n’est pas d’une moindre influence. Après-guerre, le sens donné au travail était de faire repartir l’économie du pays. Dans les années 1980, c’était de gagner de l’argent. Aujourd’hui le but, et parfois même l’injonction, c’est que le travail ait du sens.
Ce qui introduit une question : qu’est-ce qui dit que cela a un sens ou non ? Quels sont les critères du sens ? Avec le Covid, où presque toute l’activité s’est arrêtée, cela nous a démontré et fait vivre dans notre quotidien que certaines choses étaient utiles, vraiment utiles, et d’autres pas, voire pas du tout. Cela nous a confrontés à cette réalité : tout travail ne produit pas nécessairement quelque chose d’utile. Il y a encore deux cents ans, si avoir un métier inutile était rare, la société d’hyperconsommation orientée sur les loisirs en est truffée. Et cela peut donner le vertige. Car les critères de sens pris « à l’extérieur » ne tiennent plus, n’ont plus la même cohérence et n’assurent plus à l’être le même soutien.
Où chercher ce soutien ? Ce sens (re)trouvé dans son travail qui en fait une source de satisfaction, car il est une expression de soi ?
La réponse est à l’intérieur. Quand l’extérieur ne donne plus de réponse parce qu’il bouge trop, c’est une occasion en or d’aller chercher de la stabilité en soi. De nous poser la question de nos piliers intérieurs conscients et non conscients sur lesquels nous nous sommes construits.
Ce qu’est le travail pour soi part toujours du cadre de référence dans lequel on a grandi. Qu’on le veuille ou non, quand nous apprenons à parler, nous prenons par mimétisme l’accent de nos parents, de notre entourage. Il en est de même pour ce qui est pour nous un « bon travail » ou un « mauvais travail ». Cette vision du monde est présente en chacun de nous, par construction, et on ne peut échapper à cette situation de départ. Pour autant il est possible d’en faire évoluer le cadre, de l’ajuster en fonction de soi aujourd’hui, et ce, en prenant conscience de la conception du travail avec et dans laquelle on a grandi. Quels étaient les métiers autorisés dans la famille, et ceux dévalorisés ou dont on ne parlait pas ? Quelles ont été les injonctions reçues, de manière non verbale, non explicite ? De quoi ne parlait-on pas ? Dans certaines familles, faire des études supérieures n’est jamais envisagé, dans d’autres, ne pas faire d’études supérieures n’est pas une possibilité. Et cela n’a rien à voir avec le bonheur dans le travail, cela a à voir avec les stratégies mises en place et valorisées de manière consciente et inconsciente dans notre famille pour être heureux.
Cette notion d’utilité du travail est aussi largement influencée par notre cadre de référence familial. Pour certaines familles, un travail utile est un travail qui aide les gens, pour d’autres, ce sera celui qui fera tourner l’économie, et pour d’autres encore, ce sera un travail manuel parce qu’à la fin de la journée « quelque chose a été produit ». Aucune de ces manières de voir n’est parole d’Évangile, et chacune est vraie à un certain niveau. La question est d’identifier celles dont vous avez hérité. Les sources de cet « héritage » sont nombreuses : la famille bien sûr, les études, et aussi les rencontres, le milieu professionnel dans lequel on évolue, etc. Le travail est un formidable lieu d’expression de qui l’on est, et cela, indépendamment du contenu. Ainsi on peut très bien être gestionnaire dans un métier dit créatif et créatif dans un métier dit de gestion.
Je ne suis pas mon travail, pourtant mon travail c’est moi
Même si un jardin ressemble toujours à son jardinier, le jardinier n’est pas le jardin. Ni le jardinage. Quand je regarde mon travail, mon jardin, je vois alors l’expression de qui je suis aujourd’hui. Ce travail que je fais, visible et extérieur à moi, me donne l’occasion de voir en miroir qui je suis, et me confronte aussi aux choix que je fais pour nourrir qui je suis.
De fait, le travail est un lieu privilégié d’expression de soi, de son identité. Cette identité est mouvante, et nous pouvons la choisir, l’alimenter de manière consciente. Si je suis gestionnaire, comment puis-je mettre plus de gestion dans mon activité ? Si je veux être utile, comment puis-je mettre plus d’utilité dans ma vie, que cela passe ou non par le travail rémunéré ?
Quand je mets de la conscience et de l’énergie à faire qu’il y ait plus de moi dans mon travail, alors je reçois un double cadeau : travailler devient à la fois un lieu d’expression de qui je suis, et source d’énergie et de satisfaction, car cela est en phase avec mon identité.
C’est cette rencontre, et cette attention à permettre, à nourrir cette rencontre qui va nous motiver, et nous donner l’élan de travailler. Parce que cet élan aura été regardé, choisi et alimenté. Quand le travail devient un lieu d’expression de mon identité, alors le faire n’est plus sujet au vertige d’une (in)utilité dictée par l’extérieur ou par notre héritage culturel.
Travailler devient un lieu d’expression de soi, de sa puissance. Notre job à chacun d’entre nous est non pas de trouver LE travail qui répond à toutes nos attentes, mais d’habiter et de choisir notre travail en conscience afin qu’il alimente qui nous avons envie d’être.
Flexibility made in Britain
Après avoir reçu les recommandations d’un groupe de travail tirant le bilan de la crise sanitaire sur l’organisation du travail, le gouvernement britannique souhaite inciter les entreprises à adopter après la crise des modes de travail hybrides et à favoriser la flexibilité, notamment à travers le télétravail, dont 71 % des entreprises admettent qu’il a dynamisé la productivité.
La principale décision serait de donner le droit à chaque employé, dès son entrée dans une société, de demander à organiser son travail de manière flexible, alors qu’il doit aujourd’hui avoir une ancienneté d’au moins six mois pour y prétendre.
Travailler en Ehpad au temps du Covid
Aides-soignants ou auxiliaires de vie, intervenant dans des établissements ou au domicile des personnes dépendantes : chez ces professionnels, la lassitude et la souffrance s’expriment quotidiennement, et les raisons en sont à la fois multiples et connues de tous.
« Les risques psycho-sociaux en Ehpad sont pratiquement inhérents à l’activité elle-même, résume une ancienne directrice d’établissement de soins qui n’a pas souhaité que son nom soit cité. Le travail est exigeant, les enjeux sont graves, le personnel est confronté en permanence à la maladie, à l’isolement et parfois au décès des résidents… Bien sûr beaucoup sont en souffrance, d’ailleurs le taux d’absentéisme est très élevé dans ces structures. »
Dans les établissements, c’est souvent le manque de temps et de personnel qualifié qui pèse le plus aux salariés, au point de compliquer l’accomplissement de la moindre tâche. « La distribution des médicaments, par exemple, est un casse-tête, poursuit l’ex-directrice. En théorie, la dose de chaque patient doit être préparée dans une salle à part, au calme. En pratique, la personne qui s’en charge est interrompue en permanence. Ensuite, certains patients ont du mal à prendre leurs médicaments, et en milieu de journée vous retrouvez des comprimés par terre… C’est une des nombreuses “situations-problèmes” que j’avais identifiées en m’appuyant sur les méthodologies développées par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il y en a, hélas, beaucoup d’autres. »
Quant aux professionnels qui interviennent au domicile des patients, environ 3 millions de salariés, leur sort n’est pas plus enviable. « Ces personnes, des femmes à 91 %, commencent leur journée à 6 h 30, détaille Lucas Fialaire, cofondateur en 2019 de la société Keradom, qui propose de digitaliser le recrutement et la formation des professionnels de l’aide aux personnes dépendantes. En milieu de matinée leur travail est terminé et il ne reprend que vers 16 heures, jusqu’à 20 heures. Mais, comme les salaires sont très bas (le smic pour une auxiliaire de vie) et qu’à peine un tiers d’entre elles sont défrayées de leurs kilomètres, elles ne rentrent pas chez elles, patientent sur des parkings de centres commerciaux… »
« Le métier ne fait pas rêver. Les salaires sont bas parce que les tarifs fixés par les départements sont faibles, et les perspectives d’évolution professionnelle, médiocres, développe Lucas Fialaire. Résultat : il manque aujourd’hui 200 000 personnes qualifiées, et le chiffre sera de 500 000 en 2040, tandis que les écoles sont vides. » Une étude menée en 2010, la dernière en date sur ces professions, relevait aussi que le métier d’auxiliaire de vie et d’aide à domicile comptait le plus fort taux d’arrêts de travail, devant le BTP.
Le tableau était donc déjà bien sombre lorsque la pandémie de Covid-19 a commencé à se répandre. Un virus dont on a découvert rapidement qu’il était particulièrement dangereux pour les personnes âgées ou à la santé déjà fragile – la fameuse notion, passée dans le langage courant, de « comorbidité ». De nouveau, les professionnels de l’aide aux personnes dépendantes se sont trouvés en première ligne, souvent dans des conditions déplorables. Dans les Ehpad, il a fallu organiser les visites des familles, isoler les éventuels patients positifs, gérer la situation de membres du personnel potentiellement exposés au virus lorsqu’ils quittaient l’établissement.
Pour le personnel effectuant des visites à domicile, il a d’abord fallu faire avec la pénurie généralisée de masques et de gants. Fallait-il prendre le risque de visiter les patients à risque malgré tout ? Tenir compte de l’avis des familles qui ne souhaitaient plus qu’une personne âgée ouvre sa porte ? Insister face aux personnes dépendantes réticentes, ou « oubliant » de signaler qu’elles étaient cas contact ?
Les premiers mois ont été difficiles. « Pour les personnels qui vont au domicile des patients, souligne Lucas Fialaire, la consigne a été de ne plus passer à l’agence qui les emploie pour éviter le “brassage.” Les gens se sont donc retrouvés seuls, ne pouvaient plus échanger avec leurs collègues ou leur hiérarchie, décompresser… » En Ehpad, des mesures drastiques et souvent inapplicables ont été annoncées à mesure que la pandémie progressait. La dernière salve date de novembre 2020, avec une liste de consignes rendues publiques par la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon : dépistage hebdomadaire systématique pour le personnel, visites des proches strictement encadrées, installation de « sas de déshabillage » à l’entrée, maintien en poste des salariés testés positifs mais asymptomatiques s’ils étaient jugés « non remplaçables »… Des mesures difficiles, alors que plus de 1 600 Ehpad, soit 1 sur 5, recensaient au moins un cas de Covid parmi ses pensionnaires.
Puis est arrivée la question de la vaccination, dont les personnes âgées sont censées bénéficier en priorité. « On demande aux structures de vacciner, de recueillir le consentement, de recruter du personnel pour des dates précises, et au final, souvent, les doses ne sont pas livrées le jour dit », résume Lucas Fialaire. Une tâche d’autant plus compliquée que, selon un sondage publié en février 2021 par l’entreprise Bluelinea, spécialisée dans la téléassistance pour les seniors, si 40 % des pensionnaires d’Ehpad veulent être vaccinés, 40 % n’ont pas fait leur choix, et 20 % refusent catégoriquement. Quant au personnel, qui est lui aussi censé être prioritaire, tous ne sont pas sur un pied d’égalité : si les soignants doivent effectivement bénéficier rapidement du vaccin, rien n’est prévu pour les auxiliaires de vie.
Et pourtant la pression est forte : le 9 février, un avocat parisien a annoncé pour la première fois le dépôt d’une plainte pour « homicide involontaire » contre un hôpital de la capitale, à la suite du décès d’un patient octogénaire admis pour une pneumopathie et dont la famille estime qu’il n’a pas reçu les soins adéquats.
Face à un tel tableau, parler de « qualité de vie au travail » relèverait presque de la provocation, et les recruteurs en sont conscients. L’âge moyen des professionnels du secteur est de 48 ans, et même de 51 ans en zone rurale. Départs à la retraite et reconversions aidant, ce sont 4 millions de postes qu’il faudra pourvoir d’ici à 2040, et les profils qualifiés n’existent pas en nombre suffisant. « Tout le monde le sait, c’est une vraie bombe à retardement. Aujourd’hui déjà, 20 % des demandes d’accompagnement déposées par les familles sont refusées, faute de personnel disponible », martèle Lucas Fialaire.
Des solutions ? Dans les structures comme les Ehpad, on estime qu’il faut commencer par travailler sur le management. Comprendre les conditions de travail réelles du personnel, privilégier la discussion et les échanges de groupe, veiller à remplacer les salariés absents. Plus largement, c’est surtout la question de la revalorisation de ces professions qui se pose. Une revalorisation qui passe largement par la formation, afin de faire évoluer des professionnels qui débutent souvent tout en bas de l’échelle. Sans doute en recourant plus massivement à l’enseignement à distance et à l’e-learning.
« Le monde d’après » : pour les salariés aussi ?
Chance et YouGov ont réalisé une étude sur les motivations des salariés après le confinement du printemps.
63 % des sondés estiment que leur travail manque de sens. 75 % se déclarent motivés à l’idée de changer de travail s’ils
gagnent en équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.
Les raisons de se reconvertir sont : la diminution du stress (66 %), la volonté de changer de région (41 %), le besoin de reconnaissance (72 %) chez les femmes, 64 % chez les hommes) et l’envie de se lancer de nouveaux défis (75 %).
Parmi les freins à la reconversion : on trouve l’âge (39 % chez les femmes et 35 % chez les hommes), la crainte de ne pas avoir l’expérience nécessaire (31 %) et le changement de rythme de travail (27 %).
Osons l’optimisme !
Finalement, je m’y risque parce que c’est le sentiment qui m’a envahie quand j’ai découvert le contenu de ce magazine. Chaque jour, des salariés et des professionnels agissent avec la conviction qu’ils peuvent participer à leur contemporanéité et améliorer la société en améliorant leurs sociétés. Les mettre en avant dans un même magazine est formidable pour notre moral !
Plus que jamais le “vivre ensemble” est un sujet au cœur de toutes les préoccupations sociétales. Ainsi, la qualité de vie au travail se doit d’être envisagée par l’entreprise comme un devoir citoyen. Il n’est plus l’heure de se cacher derrière des “réglementations” et d’attendre des textes normalisant le “bien-être” au travail. Il y a urgence à agir pour le définir comme une colonne vertébrale de l’entreprise.
À l’heure de la distanciation sociale qui nous fait risquer une société en perte de liens, c’est aujourd’hui que l’entreprise doit se rappeler de sa puissance en tant que collectif. Une responsabilité citoyenne s’impose à chaque salarié qui se doit de veiller sur ses collègues, parfois isolés dans leur vie personnelle.
Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire peser une injonction de plus sur des managers ou des DRH eux-mêmes souvent en souffrance. L’entreprise doit simplement rappeler à chaque salarié qu’il a un rôle à jouer dans le bien commun. Une culture d’entreprise ne se décrète pas mais se crée ensemble. Hélas ! La cocréation s’apprend rarement à l’école, on y stimule plus la quête du “bon point” que l’écoute des autres.
Par ailleurs, la passivité vécue en classe se traduit à l’âge adulte par des collaborateurs “consommateurs” de leur entreprise plutôt que parties prenantes. Avouons que les managements pyramidaux infantilisants n’arrangent rien.
Si je suis optimiste, c’est que je suis convaincue que le moment que nous vivons va permettre aux salariés de se rendre compte de leur importance dans le collectif. Souvent, je m’interroge sur ce terme : “travail”. Je me rêve à penser qu’il suffirait de remplacer le mot “travailler” par le mot “œuvrer” pour que chacun prenne la mesure de sa mission et que le narratif du collectif soit réinventé. C’est sur cette question que je vous retrouverai dans le prochain numéro.
Voir aussi : Managers, prenez soin de vous !
Et si l’entreprise n’était plus un lieu physique ?
En raison de la crise sanitaire que nous sommes en train de traverser, le télétravail semble s’installer durablement dans les mœurs des entreprises. Certains se réjouissent de cette évolution en ce qu’elle consacre une évolution manifeste du management : ce qui compte, désormais, c’est ce que l’on fait et non le lieu où on le fait. Mais quel impact sur notre vision de l’entreprise ? Jusqu’à aujourd’hui, les locaux de l’entreprise étaient le lieu de cet échange “travail contre salaire”, qui a lieu entre le salarié et son entreprise.
Désormais, le travail s’effectue de plus en plus en dehors de la zone de contrôle du manager de proximité qui représente l’entreprise pour le salarié. Est-ce à dire que les “adresses” des sièges sociaux d’entreprise vont bientôt devenir de simples boîtes aux lettres, des coquilles vides ? Quel impact sur le sens du travail et du collectif lorsque nous envisageons des “entreprises-cloud”, sans locaux ou presque ?
Certes, quand nous parlons d’“entreprise” comme “lieu du travail”, notre modèle de référence reste marqué par les représentations issues des épopées industrielles et entrepreneuriales de la première révolution industrielle. Celle-ci avait déjà profondément changé la nature du travail (de l’artisanat aux processus collectifs de production). Mais depuis le milieu des années 1990 et selon une constante accélération, la révolution numérique a progressivement transformé le visage tant du travail que de l’entreprise. Internet a contribué à transformer des chaînes de production et d’approvisionnement en réseaux complexes, à l’échelle du “monde-village”.
Les entreprises sont désormais partout où elles atteignent leurs clients. Et depuis quelque temps déjà, le “cloud” semble avoir ringardisé la notion de “lieu de travail”. Même si l’entreprise était de moins en moins un “lieu physique”, le bureau restait le premier lieu de son “incarnation”.
Mais dans un monde Covid, l’“espace virtuel”, réseau tissé de relations numériques, est en passe de se substituer de plus en plus au “lieu de travail et de collaboration physique” qu’était l’espace de bureau. Pourtant, l’espace et le temps sont des paramètres fondamentaux de l’action humaine. En partageant le même espace de travail, nous partageons un même environnement (exposition aux aléas de la climatisation, aux nuisances sonores, etc.) : nous sommes “dans le même bateau !”. Au contraire, à distance, nous le constatons tous, naissent les difficultés de “synchronisation” entre collègues, à être sur la même longueur d’onde, ainsi que la difficulté à créer de la valeur collectivement en coordonnant notre action.
Alors, nous affranchir de l’unité de lieu ne nous fait-il pas courir un risque ? Celui de nous affranchir par la même occasion de l’unité de temps et d’action, qui sont les deux autres piliers du récit dramatique selon Aristote ? Autrement dit : quelle histoire commune pourra encore se raconter si cette unité d’action et de temps ne s’inscrit plus dans une unité de lieu ? Quelle conscience pouvons-nous encore avoir de vivre une aventure commune ? Ou, dit de façon plus moderne : quel story telling est encore possible pour l’entreprise-cloud ?
Poser cette question, c’est dire combien cette transformation des usages ne va pas de soi : elle correspond à une transformation de la vision du travail ainsi que de notre façon de construire le collectif.
Si l’entreprise est une entité juridique, c’est aussi un collectif unifié par une aventure commune qui dépasse chacun de ses membres (d’ailleurs parfois uniquement “de passage”).
Paradoxalement, le télétravail impose donc à l’entreprise de prendre à bras le corps les sujets de collaboration si elle veut éviter son délitement progressif. Celle-ci gagnerait à définir ses “règles du jeu”, notamment pour garantir l’unité de temps et d’espace. Quand être disponible et connecté ? Comment les équipes se repèrent-elles et se situent-elles mutuellement dans ce nouvel “espace virtuel” ? Comment des rituels qui ponctuent le temps, par leur fréquence, pourraient-ils compenser l’éloignement spatial des salariés les uns des autres ? Que veut dire manager “en proximité” selon la culture propre de cette entreprise ?
Finalement, il s’agit d’inventer non seulement les outils de communication à distance, mais aussi les compétences humaines qui seront nécessaires pour garder le lien avec le collectif. De même, le télétravail devrait aller de pair, non pas avec une suppression, mais avec une redéfinition du sens de l’espace de l’entreprise. Celui-ci ne serait plus avant tout un espace de travail, un lieu englobant, structuré selon une opposition entre le “dedans” et le “dehors”, mais avant tout un lieu d’ancrage : le lieu de la reconnaissance d’une appartenance, le lieu du rituel dont le rôle est de ponctuer la monotonie du “business as usual” par les temps forts de la célébration, de la rencontre où se rend visible à tous l’appartenance à une même aventure collective.
Pour aller plus loin : Les vrais problèmes posés par le télétravail