Peut-on avoir une culture d’entreprise numérique ?

La culture d’entreprise est l’ensemble des croyances, valeurs, comportements et pratiques qui englobent l’identité d’une organisation et la manière dont elle fonctionne. Dans un contexte numérique, cette culture repose sur l’utilisation des technologies pour favoriser la collaboration, l’innovation, et l’adhésion aux valeurs organisationnelles.

La culture d’entreprise numérique est non seulement possible, mais elle est devenue essentielle.

La clé réside dans l’équilibre : utiliser les outils numériques pour améliorer la communication et la collaboration, tout en veillant à préserver l’humanité et l’engagement des employés. Les piliers d’une culture d’entreprise numérique

1. Collaboration et connectivité

Dans une entreprise numérique, la collaboration à distance est centrale. L’utilisation d’outils collaboratifs permet aux équipes de travailler ensemble, peu importer leur localisation. Cette connectivité va au-delà des simples réunions en ligne ; il s’agit d’intégrer des solutions permettant le partage de connaissances, de documents transmis en temps réel. Imaginons la collaboration dématérialisée comme des forums de discussion internes ou des espaces de travail virtuels. Une bonne culture d’entreprise numérique encourage la participation active de tous, même à distance. Pour créer du lien et favoriser la convivialité, certaines entreprises mettent en place des « cafés virtuels » ou des séances de brainstorming en ligne.

2. Transparence et communication ouverte

Dans un environnement numérique, la communication doit être transparente et claire. Cela passe par une documentation accessible, des canaux de communication ouverts.

3. Engagement et inclusion

Le sentiment d’appartenance est un élément crucial de toute culture d’entreprise, qui plus est numérique. Dans un environnement digital, il est essentiel d’utiliser des outils et des pratiques qui permettent de maintenir cet engagement. Par exemple, certaines entreprises adoptent des cérémonies virtuelles, des onboarding en visio… L’inclusion joue également un rôle majeur. Il s’agit de s’assurer que tous les employés, où qu’ils soient, bénéficiant des mêmes opportunités d’interagir, de contribuer et d’être reconnus. Les entreprises peuvent organiser des formations spécifiques pour sensibiliser les équipes aux enjeux de diversité et d’inclusion dans un cadre numérique, ou encore adapter leurs outils pour répondre aux besoins des employés handicapés.

4. Innovation et agilité

Une culture d’entreprise numérique doit être tournée vers l’ innovation . Les outils numériques facilitent la mise en place de méthodes de travail comme l’ approche agile.

5. Soutien au bien-être numérique

Une culture numérique doit aussi prendre en compte le bien-être des employés pour lutter contre le burn-out numérique, fléau bien réel. Des initiatives comme des pauses régulières, des mises en place de politique de déconnexion, des ressources mises à disposition pour la gestion du stress sont autant de bonnes pratiques intéressantes.

Le Grand Entretien : Clarisse Magnin, DG de McKinsey France

J’ai beaucoup lu et écouté sur McKinsey et sur vous-même. Mais j’avais le sentiment que ces deux entités n’étaient pas liées. Entre McKinsey, la tour d’ivoire, éminence grise décrite dans la presse, et Clarisse, produit de la méritocratie, brillante, sincère… Peut-on réconcilier les choses ?

Certains ne valorisent pas notre profession de conseil parce qu’ils ne la comprennent pas. Pour ceux qui la connaissent, ils vont l’associer uniquement à l’intelligence analytique, la rigueur intellectuelle, les diplômes des grandes écoles, le raisonnement.

Mais je pense qu’il y a de multiples types d’intelligence, dont beaucoup sont nécessaires dans ce métier. La vie est plus compliquée qu’une équation à résoudre et quand on intervient auprès des clients, il faut aussi savoir faire preuve de beaucoup d’intelligence émotionnelle.

Une entreprise, c’est une organisation humaine avec une utilité sociale, des objectifs. Dans le conseil aux dirigeants et pour transformer une organisation, si on n’est pas capable de comprendre les enjeux, de faire preuve d’écoute, d’empathie et de conviction, et d’élargir le périmètre des solutions à considérer, la réponse analytique pure n’aura pas l’impact escompté.

C’est pour cela que parmi les profils des collaborateurs McKinsey, il est si important pour nous d’avoir plusieurs types d’intelligences complémentaires. Nous proposons certes une expertise, mais aussi un accompagnement. Pour qu’un dirigeant accepte d’être accompagné par un consultant, il faut qu’il ait envie de passer un moment avec lui ou elle. La finalité d’une mission, ce n’est jamais la remise d’un rapport : selon les cas, c’est une transformation engagée, un grand projet mis sur des rails, un cap stratégique défini…Et, de notre part, c’est à chaque une contribution intellectuelle et humaine. C’est ce que je trouve passionnant dans ce métier, nous conseillons des hommes et des femmes avec leurs convictions, leurs inquiétudes… Sans conscience de cela, on peut voir le conseil comme une activité froide et vidée de son sens. Ce qui fait un bon consultant c’est cette aspiration à trouver une réponse, des solutions, qui permettent à l’entreprise d’être plus forte et résiliente après notre accompagnement.

 

Vos collaborateurs sont-ils formés dans ces différentes dimensions ?

Nous recrutons beaucoup de jeunes et, effectivement, ils sont formés sur la structuration des problèmes, les aspects analytiques mais aussi sur la prise de parole, la façon d’interagir, la qualité d’écoute et de compréhension d’une organisation. Cerveau droit et cerveau gauche.

 

McKinsey France a 60 ans. Vous aimez dire qu’un consultant, c’est un docteur d’entreprise. On n’irait pas jusqu’à dire que les entreprises sont malades ?

Il y a la médecine d’urgence et la médecine préventive… Certaines entreprises font appel à nous car elles traversent des difficultés. Dans un monde complexe et imprévisible avec de multiples dimensions (géopolitiques, environnementales), je ne connais pas de dirigeants qui n’ont pas des doutes quotidiens. Et les meilleurs d’entre eux sont souvent ceux qui doutent le plus.

Nous accompagnons beaucoup de ces entreprises « en questionnement », dans la prévention, la préparation et la transition. Parfois sur des sujets de stratégie, d’ajustement de leur organisation, sur leurs opérations commerciales ou industrielles, sur des sujets de risque ou d’acquisition. Le périmètre est large.

Mais nous accompagnons aussi, et dans une proportion très large, des entreprises en excellente santé et qui ambitionnent de l’être plus encore. Beaucoup de nos interventions portent sur des stratégies de croissance, d’expansion internationale, de développement ou de modernisation des actifs industriels en Europe, de création d’activité nouvelles, et en particulier des activités nativement peu polluantes.

 

Pouvez-vous nous résumer la fiche d’intervention d’un consultant ?

Il y a l’expertise et l’expérience. L’expertise est technique, l’expérience, c’est le fait pour un expert d’avoir rencontré un problème donné peut-être 20 fois à titre individuel et 300 fois à titre institutionnel, et d’être capable d’exploiter cette expérience au profit du besoin spécifique d’un client. L’alliage des deux nous permet d’apporter des connaissances et du support pour accompagner le dirigeant et son équipe.

Il faut aussi avoir beaucoup de courage et d’indépendance car il arrive parfois qu’on contredise complètement la conviction initiale du dirigeant sur ce qu’il convenait de faire. La plupart du temps, cette indépendance est valorisée. Il arrive que l’intervention du consultant soit confirmatoire, mais parfois aussi contradictoire.

 

 

Et après le conseil ? Y a-t-il une sorte de « service après-vente » ?

Après la phase de stratégie et de conseil au dirigeant, vient la phase de structuration des équipes, de l’organisation, des compétences et de la technologie pour y arriver. Et ensuite, il faut assurer les conditions de la mise en oeuvre. En France, nous avons monté une filiale de mise en œuvre opérationnelle des transformations. Son objectif est d’accompagner les équipes dans la durée, jusqu’à la fin de la phase projet de l’entreprise. De plus en plus, notamment en France, nous restons mobilisés jusqu’à la fin, jusqu’au « bout du geste » de la décision qui a été prise.

 

Quelle est votre valeur ajoutée en tant que cabinet ?

Il faut savoir que les entreprises les plus performantes au monde sont celles qui sont le plus consommatrices de conseils. En France, nous accompagnons près de 90 % des entreprises du CAC 40, 60 % des entreprises du SBF 120. Nous conseillons la plupart de nos clients depuis plus de 5 ans.

Notre métier repose sur notre capital humain. Nous n’avons pas d’usines, pas de camions. Notre véritable actif, ce sont nos consultants. Il nous est donc essentiel de détecter et recruter les talents, puis de les développer. Nous constituons ensuite des équipes en fonction des caractéristiques et expertises de chacun pour répondre sur mesure aux besoins de notre client.

En fonction de leurs compétences et appétences, nos consultants multiplient les projets dans des secteurs variés. Cela leur permet d’engendrer une expérience solide, tant analytique qu’organisationnelle et humaine.

 

Tous les grands groupes font appel à des conseils en stratégie. Pourquoi n’a-t-on pas encore inventé un conseil en stratégie interne ?

C’est une excellente question. Les entreprises disposent bien souvent de services internes en stratégie, que nous sommes d’ailleurs souvent amenés à compléter et avec lesquels nous travaillons par ailleurs régulièrement.

Mais notre position d’externe comprend également des avantages : le recul, l’indépendance et l’expérience.

Il est difficile pour des équipes en interne, aussi compétentes soient-elles, de prendre du recul sur les problématiques qu’elles vivent au quotidien. Nous arrivons avec la distance qui permet de faire des analyses objectives, sans être influencés par les dynamiques internes.

La diversité des secteurs et des problématiques auxquelles nos consultants font face d’un projet à l’autre renforce également notre capacité à proposer des solutions innovantes et adaptées à chaque situation.

 

Vous êtes entrée en stage chez McKinsey et y avez fait toute votre carrière. Comment peut-on conseiller une entreprise sans en avoir l’expérience ?

C’est ce qui est incroyable dans notre secteur : un nouvel arrivant sort de l’école avec une tête bien faite, des qualités interpersonnelles certaines, mais il ne connaît pas encore la vie de l’entreprise.

Pour la connaître et la comprendre, il a besoin d’entrainement. J’aime faire la comparaison avec le sport. Les talents qui arrivent chez McKinsey ont un entraîneur personnel, une formation intensive qui leur permet très vite, au bout de six mois, d’avoir les bons réflexes. Ils atteignent alors un plateau de performance et une capacité à être productif, à faire des analyses de mise en pratique et à savoir utiliser toutes les ressources de notre cabinet. Notre savoir-faire, c’est de développer la connaissance et la compétence dans des temps très raccourcis.

Par ailleurs, en 2024, la moitié de nos recrutements concernent des profils expérimentés qui connaissent déjà le monde de l’entreprise.

 

Ces jeunes talents restent-ils chez vous ?

Ils sont évidemment très demandés. Mais McKinsey est un sésame, comme un diplôme supplémentaire. Notre cabinet porte un modèle de développement et d’apprentissage loué par les grandes entreprises ou les licornes. McKinsey est une école du leadership qui apprend à tous ses talents avant tout à générer de l’impact pour aider les dirigeants à résoudre leurs grands enjeux. Cette valeur ajoutée fait qu’ils sont très demandés. Ce n’est pas un problème pour nous mais plutôt une fierté. Nous             avons un réseau d’alumni qui reste très soudé et continuons à former les prochains !

C’est ce qui explique sans doute que notre attractivité auprès des jeunes ne se dément pas voire s’amplifie : nous avons déjà reçu plus de 16 000 candidatures en 2024 en France (15 000 en 2023, 11 000 en 2022 et 2021), et plus d’un million au niveau mondial.

McKinsey est une école du leadership qui apprend à tous ses talents, avant tout, à générer de l’impact pour aider les dirigeants à résoudre leurs grands enjeux.

Cela ne vous manque-t-il pas de ne pas diriger de manière exécutive les entreprises que vous conseillez ?

Beaucoup d’entre nous passent de l’autre côté, acceptent des fonctions dans des entreprises. D’ailleurs, beaucoup de jeunes se sont lancés dans la French Tech : 200 alumni de McKinsey France en font désormais partie. Beaucoup de dirigeants sont d’anciens de McKinsey.

Pour ma part, j’aime beaucoup mon métier.

Pour le challenge qu’il comporte : pour revenir sur la métaphore sportive, la marque du cabinet vous permet de jouer, vous qualifie pour les jeux, mais c’est ensuite à vous de performer sur la piste.

Mais également car il porte une grande part d’humilité : ce n’est pas vous qui êtes dans la lumière, c’est votre client.

Nous avons aussi l’opportunité de vivre des aventures extrêmement variées et de rencontrer des profils d’horizons différents. Car si les clients nous choisissent, nous les choisissons aussi. Il faut avoir envie d’aider. Pour ma part, j’ai choisi d’aider des entreprises qui portent une ambition sociale forte ou des dirigeants que je trouve inspirant par leurs engagements et leur leadership. D’une certaine façon je les choisis autant rationnellement qu’avec le cœur.

 

Avez-vous le sentiment d’exercer un métier qu’il faut encore expliquer, voire justifier ?

Je pense effectivement que c’est un métier qui n’est pas encore compris. Déjà car il existe énormément de types de conseils, peut-être une quinzaine, et je ne suis pas certaine que tout le monde fasse la distinction. Et c’est là que je reviens sur l’expérience et l’expertise : personne ne donne des conseils sur tout, seulement ce sur quoi il ou elle est légitime.

Il est clair que nous devons faire un travail de pédagogie, même si nous avons une nécessité de confidentialité.

 

Au-delà de l’incompréhension, il y a la méfiance. McKinsey a cristallisé une énorme défiance vis-à-vis des cabinets de conseils. Que pouvez-vous répondre à cela ?

Notre nom a malheureusement parfois été instrumentalisé durant la dernière campagne présidentielle. Les attaques ont été fortes, violentes et répétées dans un contexte très politique. Beaucoup d’inexactitudes, d’approximations et même de contre-vérités ont été propagées.

Nous avons été cités 500 fois dans un rapport du Sénat de 220 pages[i]. Nous avons lu ici et là que notre présence était tentaculaire auprès de l’État, ce qui n’était pas reflété dans les faits. Notre activité dans le secteur public n’était pas un enjeu économique pour nous en tant que cabinet en France, car représentant moins de 5% de notre chiffre d’affaires, sans évolution notable dans le temps. Et le rapport du Sénat montrait bien, dans son diagramme, que nous étions 20ème cabinet sur 22 avec une part de marché de l’ordre de 1%. Nous l’avons dit et redit mais l’attention médiatique est restée sur nous.

Ce fut un moment difficile pour tous de voir le nom de notre entreprise instrumentalisé et notre travail caricaturé. Aujourd’hui, l’essentiel c’est que nos clients nous font confiance et que les étudiants souhaitent toujours nous rejoindre.

 

La crise réputationnelle que vous avez eue est donc due, selon vous, à un manque de connaissance ?

Une incompréhension de qui nous sommes et de notre apport. Il est primordial que les cabinets, en lien avec le Syntec, veillent à expliquer simplement le rôle des cabinets de conseil, la réalité de notre métier et de nos missions.

 

Est-ce justement pour cela que vous communiquez beaucoup : par nécessité, par goût aussi je présume ?

Un peu des deux. C’est un choix, car j’avais envie de montrer qu’une femme normale et simple peut faire ce métier sans arrogance et avec intégrité. Montrer qu’on peut réussir, être considérée, conseiller des dirigeants en étant une femme… J’ai d’ailleurs toujours considéré qu’être une femme est un avantage dans ma vie professionnelle, même si le milieu des affaires, en général, est très difficile pour les femmes. Le développement de ma carrière s’est toujours fait « avec » et jamais « contre » les hommes. Mon entourage personnel et professionnel, aussi composé d’hommes, a été d’un soutien très précieux pour m’affirmer en tant que leader.

Des progrès ont été faits mais restent mineurs, les biais demeurent. L’acceptation des femmes qui réussissent n’est pas évidente. Heureusement, les jeunes générations avancent tout de même sur ce sujet. Un exemple : les jeunes hommes parlent plus de parentalité que de maternité. Et quand ils sont interrogés sur leurs priorités de vie, 80 % d’entre eux avancent la parentalité comme une priorité. Passer du temps avec leurs enfants change leurs représentations, et même leur relation de couple est un peu différente. L’empathie vis-à-vis des femmes qui ont réussi est donc beaucoup plus forte.

Je crois qu’il est de la responsabilité de chaque entreprise de créer un environnement propice à l’avancement de carrière des femmes : développement de programmes de mentoring, lutte contre les biais inconscients, contestation des préjugés, des stéréotypes et de la discrimination… Il est indispensable d’embarquer les hommes sur l’ensemble de ces dimensions.

Mais à ces hommes, on ne leur pose pas encore cette question « marronnier » : comment faites-vous pour concilier votre vie de parent et votre vie professionnelle ?

J’ai pris de longs congés maternité pour mes quatre enfants car je le voulais et car mon entreprise me le permettait. Pour moi, personnellement, l’attachement avec mes enfants petits était très fort et cela a modifié ma façon de travailler. J’avais besoin d’être beaucoup plus efficace pour rentrer plus tôt et être auprès d’eux. J’ai dû m’organiser autrement, limiter les dîners et les déplacements, par choix et par nécessité. Malgré cela, quitter mes enfants chaque matin restait un vrai crève-cœur !

 

Cette culpabilité, bien souvent, intrinsèque des mamans : comment faire pour la dépasser ? Est-ce le rôle de la société, des entreprises ?

La question est : comment libère-t-on les énergies et permet-on à chacun d’exprimer tout son potentiel ? La parentalité est un passage. Ma fille de 18 ans vient de quitter la maison, cela nous a fait comprendre, à son papa et à moi-même, que nos enfants ne resteront pas toute leur vie avec nous. Nous aurons une vie après, en tant que couple et en tant que famille.

La culpabilité n’est pas toujours une mauvaise chose car c’est aussi un rappel aux fondamentaux. Ce qui est bon, c’est de repenser le rapport au travail et en cela, nous partageons le but de votre publication People at Work. La vie est longue, elle est séquencée en plusieurs moments.

Le problème pour les femmes, c’est qu’il faut tout donner autour de la quarantaine… S’est-on jamais posé cette question : certaines femmes ne seraient-elles pas au pic de leur performance à 50 ou 55 ans en étant déchargées de beaucoup de considérations, en sachant ce qu’elles veulent, sur le plan professionnel et personnel ? Il y a des moments dans la vie où l’on s’arrête, où l’on repart.

 

À votre poste d’observatrice, les services de ressources humaines sont-ils assez mûrs pour considérer la vie professionnelle nourrie de plusieurs trajectoires ?

C’est assez hétérogène. Les nombreuses réflexions à ce sujet sont rarement suivies des faits. Pourtant les entreprises qui investissent dans leur capital humain surperforment ! Nous avons consacré une recherche approfondie à ce sujet central. Celle-ci démontre que les entreprises qui parviennent, dans leur modèle d’organisation comme dans leur stratégie, à se focaliser à la fois sur l’humain et la performance enregistrent des réussites sans commune mesure avec celles de leurs homologues.

Elles surperforment sur toutes les dimensions de la santé et de la performance de l’entreprise : rentabilité, stabilité, résilience, fidélisation des talents… L’innovation est la clé : la considération des trajectoires de vie, la place des seniors, la gestion de la parentalité, la montée en compétences des jeunes… Je pense que toutes ces innovations sociales seront une source de différenciation.

 

En France, la retraite est considérée comme un Graal quand les gens sont malheureux au travail…


Nous observons une petite reprise du phénomène de « grande démission ». La première raison est le manque de perspective de développement professionnel. La question « comment je peux progresser, faire quelque chose de différent dans 5 ou 10 ans ? » est centrale. Le manque de perspective est parfois lié à un niveau d’études qui ne permet pas de progression ultérieure, mais aussi à une sorte de « marquage » quand on entre dans une entreprise ou une filière.

Ce manque de mobilité sociale est très prégnant en France. En matière de mobilité interne, les entreprises françaises ont tendance à mettre l’accent sur les savoirs techniques, attestés par des seuils exigeants de niveau d’étude, là où les entreprises d’autres régions du monde accordent davantage d’importance aux compétences sociales et à l’expérience pour sélectionner et promouvoir les managers.

Pour permettre l’ascenseur social, un autre moyen est de faire jouer la mobilité latérale en proposant aux collaborateurs de bénéficier de l’effet « motivant » d’une promotion, par exemple en permettant les changements de géographies ou de typologies de métiers. Cette mobilité interne, même sans passer par des mécanismes de promotions, permet d’encourager collaborateurs à l’initiative, d’accélérer leur développement en leur permettant d’acquérir de nouvelles expériences professionnelles.

Les entreprises peuvent également faire fructifier leur capital humain en investissant dans la formation ou le développement des pratiques managériales.  Ces orientations sont corrélées avec plusieurs dimensions de la performance économique, ainsi que des externalités positives pour les collaborateurs eux-mêmes. Pour en assurer toute l’efficacité, ces investissements doivent s’accompagner d’une transformation organisationnelle qui vise à tirer tous les avantages de l’enrichissement du capital humain, y compris en termes de productivité et d’innovation.

 

Notre dossier de couverture est consacré aux RPS, sous l’angle addiction : l’entreprise a-t-elle un rôle à jouer dans la santé mentale des travailleurs ?


Absolument. Les entreprises ont une grande responsabilité en matière de bien-être mental de leurs employés, surtout chez les jeunes générations. Ce que nous constatons dans nos études, c’est que le stress, l’anxiété et parfois même la dépression touchent de plus en plus de jeunes actifs. L’entreprise doit offrir un environnement de travail sain, avec un soutien psychologique disponible, des horaires de travail flexibles et une culture d’entreprise qui permet l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Les programmes de bien-être, tels que les séances de coaching, les moments de déconnexion ou encore la promotion d’une culture d’inclusion, sont des leviers essentiels. Le tabou autour de la santé mentale doit être levé, et l’entreprise a un rôle crucial à jouer dans ce changement.

 

L’inclusion sous toutes ses formes (ethnique, sexuelle, etc.) fait des progrès dans les entreprises. Comment définissez-vous la méritocratie, un concept qui vous est cher ?


La méritocratie, pour moi, signifie que chaque individu doit être évalué et récompensé en fonction de ses compétences, de ses efforts et de ses résultats, indépendamment de son origine, de son genre ou de toute autre caractéristique personnelle. C’est une valeur que je défends ardemment. Dans les entreprises, il est essentiel que tout le monde ait les mêmes opportunités de réussir et de progresser. Cela nécessite une culture d’équité, où les biais, y compris inconscients sont identifiés et éliminés. Il est également important de reconnaître que certaines personnes partent avec plus d’obstacles que d’autres, et qu’il faut parfois des mesures supplémentaires pour permettre à tous d’atteindre leur plein potentiel.

 

 

Vous avez une belle histoire personnelle, une maman naturopathe, un papa professeur et une vocation humanitaire. Quelle est la cohérence dans ce parcours qui vous a menée à McKinsey ?


Je crois que le fil rouge de mon parcours est l’envie d’aider, d’apporter de la valeur là où je passe, que ce soit par l’humanitaire ou par le conseil en stratégie. Mes parents m’ont inculqué des valeurs d’écoute, de curiosité intellectuelle et de partage. Ces valeurs me suivent dans tout ce que je fais. Aujourd’hui, même si je ne suis plus directement engagée dans l’humanitaire, mon métier me permet d’accompagner des entreprises dans leur transformation, souvent en faveur d’une plus grande responsabilité sociale et environnementale. C’est une autre manière de contribuer à un changement positif dans la société.

[i]Dans la presse, « l’affaire McKinsey » est une polémique concernant les liens supposés entre le gouvernement de la République française et le cabinet de conseil américain McKinsey & Company depuis les élections présidentielles françaises de 2017, jusqu’à la gestion de la crise Covid de 2020-2021

Tribune : RSE et PME : même pas peur !

 Croire que la RSE se fera sans coût est illusoire. Aussi, protéger l’exploitation des PME est-il plus que jamais nécessaire.

Pourtant, la RSE n’est pas un choix mais une obligation, au fur et à mesure que l’accès au financement se conditionne à une trajectoire carbone.

. La RSE n’est pas une option, au fur et à mesure que ces critères prennent du poids dans les appels d’offres publics comme dans ceux des grands comptes privés. 

. La RSE ne doit pas rester à l’état de projet au moment où les collaborateurs, qui sont aussi des citoyens, poussent pour que l’entreprise prenne sa part dans ce défi. 

. Enfin, la RSE devient aussi prioritaire pour les clients qui, malgré des incohérences certaines, modifient peu à peu leur mode de consommation ou, tout au moins, leur rapport à celle-ci. Bref, cernées par les pressions des clients, des banquiers et des équipes, les PME portent davantage leur choix sur la méthode que sur la finalité. À ce poids des parties prenantes s’ajoute un accroissement significatif de la pression réglementaire (celle de la directive européenne CSRD, notamment, sur le reporting de durabilité des sociétés).

Voici ce que nous observons du côté du label HumaCap, qui aide les organisations à associer leurs collaborateurs à la démarche RSE. Pour nous, cela prend la forme de trois étapes clés :

1. Former. Se former à la RSE pour en comprendre les enjeux multiples, cela suppose un véritable effort pour partir d’une ligne de départ commune. L’année 2023 aura été marquée par le déploiement large des Fresques. « Fresquer » est le néologisme à la mode.

2. Consulter. Engager dans l’action les collaborateurs en sollicitant leur avis (éclairé par la formation), en écoutant leurs priorités et en prenant celles-ci en compte pour modifier la démarche RSE.

3. Rallier. Les faire adhérer à la démarche pour qu’ils en deviennent les agents actifs et les ambassadeurs, à la fois internes et externes. Cette dernière étape suppose un alignement des objectifs – et notamment des indicateurs clés de performance, distribués aux équipes, qui doivent prendre en compte l’enjeu RSE en plus de la dimension financière (part de marché, taux de service…).

In fine, plutôt que d’hésiter, concernant l’engagement RSE des PME, entre accélération ou pause, il me semble crucial de continuer à avancer pour apprendre pas à pas et infléchir notre trajectoire actuelle. La restructuration est complexe et nous demandera du temps. Là où la transition digitale était impulsée par le top management et source de productivité, la transition RSE est impulsée par les parties prenantes et remet en cause nos modèles d’affaires. Ne perdons pas de temps pour nous y préparer ! λ