Comment gérer sa colère au travail ?

Si ressentir certaines émotions fait simplement de nous des humains, un trop-plein peut être mal perçu au travail et facilement gâcher la vie : la vôtre, mais également celle de vos collaborateurs. La preuve, 83 % des salariés affirment avoir déjà pleuré au bureau d’après une enquête Monster.com, et la moitié d’entre eux affirment que c’était à cause d’un responsable ou d’un collègue.
Qu’est-ce qui nous fait vriller au travail ? Selon plusieurs études, ce serait principalement le stress, les conflits interpersonnels, les inégalités salariales, le harcèlement et des conditions de travail défavorables. Vous n’êtes pas responsable de tous les dysfonctionnements d’une entreprise, c’est pourquoi il est nécessaire parfois, d’accepter sa colère, ou de l’exprimer différemment. Vous seriez étonné de l’impact d’un sourire (même forcé) au bureau !
Pour Julie Dubrac, hypnothérapeute, « le plus important, c’est de prendre le temps d’accueillir son émotion et d’en comprendre les origines ». Selon cette spécialiste en gestion des émotions, « dans la majorité des cas c’est le rapport à l’autre qui pose problème ». Trop souvent à deux doigts de l’explosion (voire plus à deux doigts du tout) ? Cette experte partage trois exercices de pro pour calmer ses ardeurs à plus ou moins court terme.
Trois exercices pour mieux canaliser sa colère au travail
1- Niveau débutant (3 minutes) : la “crise de calme”.
C’est un exercice individuel basé sur la respiration, efficace en trois minutes seulement et à réaliser seul ou à l’aide d’une application de méditation comme Petit Bambou.
– On commence par s’installer confortablement, les jambes décroisées et les pieds à plat sur le sol.
– On pose une main sur le ventre
– On ferme les yeux, et on effectue 3 respirations ventrales : on expire l’air pour vider ses poumons, sans forcer. On inspire par le nez en douceur et on bloque quelques secondes. On laisse l’air s’échapper des poumons en expirant par la bouche. Je recommande de s’octroyer quelques secondes et d’observer ce qu’il se passe dans le corps. On peut terminer l’exercice sur une pensée agréable (un endroit, un objet ou une personne), et on reprend son activité.
2- Niveau expert (quelques séances) : une thérapie brève
Savoir canaliser sa colère passe d’abord par en comprendre les origines. Un accompagnement thérapeutique (de l’hypnose, de l’harmonisation émotionnelle…) peut aider à trouver la racine du problème. Une thérapie dite “brève” dure en moyenne 3 séances selon l’objectif défini. Toutes les ressources de la personne sont mobilisées afin qu’elle puisse effectuer elle-même les changements désirés. Le thérapeute pourra aider à créer un “auto-ancrage” déclencheur d’une émotion positive (comme la joie ou la détente), un petit exercice qui pourra être réutilisé n’importe où, à n’importe quel moment.
3- Niveau maître (quelques mois) : l’auto-hypnose
L’auto-hypnose, c’est un peu comme un voyage au cœur de nous-même, en état modifié de conscience. Cette pratique thérapeutique autonome soigne autant le corps que l’esprit : elle permet notamment d’améliorer la qualité du sommeil, de calmer l’anxiété, d’augmenter la confiance en soi, de changer des comportements compulsifs et même de se préparer à un examen ou une compétition sportive. À condition bien sûr, qu’elle soit pratiquée de façon régulière et assidue, car c’est en améliorant ses capacités de concentration et d’auto-suggestions que l’on pourra ensuite communiquer plus facilement avec l’inconscient. Pour les néophytes, il est conseillé de pratiquer l’auto-hypnose après quelques séances avec un professionnel qui saura vous guider.
Un très bon exercice pour calmer sa colère au travail ? La création d’un “lieu refuge”.
– On se remémore un endroit qui nous inspire le calme et la sérénité dans
lequel on se sent bien (réel ou imaginaire, dans la nature par exemple).
– On y ajoute ensuite un maximum de détails (couleurs, sons, odeurs,
température…) et on s’imprègne des sensations agréables et positives que ce
lieu idéal nous procure.
Avec un peu d’entraînement, ce voyage introspectif fait redescendre la pression en
quelques minutes seulement – au bureau, comme à la maison !

Et maintenant le « Conscience Quitting »

La tendance du « Conscience Quitting » est liée à la prise de conscience des enjeux sociaux, environnementaux et éthiques, ainsi qu’à l’importance accrue accordée aux valeurs personnelles dans les choix de carrière. Le phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années, en particulier chez les jeunes générations qui sont de plus en plus sensibles aux entreprises à impact ou au recrutement inclusif. Dan Guez, co-fondateur du groupe OpenSourcing a analysé le phénomène.
De quoi le « Conscience Quitting » est-il le nom ?
Il peut être considéré comme une manifestation de l’engagement croissant des salariés à agir pour un monde meilleur. Au Royaume Uni ou aux Etats-Unis c’est près de 30 % de salariés qui ont déjà succombé au « Conscience Quitting ». C’est un nouveau défi auquel les entreprises doivent faire face à qui la génération Z ou les millénials imposent de plus en plus leur propre vision du monde professionnel. Les raisons qui poussent les employés à quitter leur emploi peuvent être diverses. Certains sont en désaccord avec les pratiques écologiques ou sociales de leur entreprise, tandis que d’autres rejettent les politiques de diversité de leur entreprise. Les cas de harcèlement ou de discrimination sont également des raisons fréquentes de départ. Les travailleurs peuvent également être confrontés à des situations de conflit entre leurs valeurs personnelles et les valeurs de l’entreprise.
Le « Conscience Quitting » est-il le signe que l’entreprise et les travailleurs évoluent ?
Oui et il a des conséquences positives. Pour les uns, cela peut être une opportunité de trouver un emploi en phase avec leurs valeurs personnelles et de trouver une plus grande satisfaction au travail. Pour les autres, cela peut les inciter à travailler leur image employeur en repensant leurs pratiques environnementales et sociales et en prenant en compte les préoccupations de leurs employés actuels ou futurs en matière d’éthique et de diversité. Cependant le « Conscience Quitting » représente un coût non négligeable pour les employés, sensibles à ce phénomène, qui renoncent à leur salaire. D’après certaines études américaines, de nombreux salariés ont accepté une rémunération moins importante pour évoluer dans un cadre professionnel en ligne avec leurs valeurs personnelles. Le « Conscience Quitting » est une tendance qui illustre l’importance croissante accordée aux valeurs personnelles dans les choix de carrière. Cela peut être bénéfique pour les travailleurs et les entreprises, mais peut également présenter des défis. Les entreprises ont tout intérêt à prendre en compte les préoccupations de leurs employés en matière d’éthique et de responsabilité sociale afin de maintenir leur engagement et leur loyauté. Les employés, quant à eux, doivent prendre en compte les conséquences financières et professionnelles de leur décision de quitter leur emploi pour des raisons éthiques.
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Pascal Demurger, le précurseur

À la tête de la Maif depuis treize ans, vous dites qu’au début votre management était classique. Et cela a « coincé ». Pourquoi ? Oui, mon expérience précédente s’était déroulée dans l’administration publique, à la direction du budget de Bercy. Je voyais les choses de façon assez traditionnelle, et cela a posé un sujet d’intégration au sein de la Maif. Je ne comprenais pas très bien les particularités de la société, et, en même temps, l’entreprise était dubitative car c’était la première fois qu’un dirigeant, qui plus est un énarque, venait de l’extérieur. Avec tous ces facteurs, il y avait des suspicions et des doutes à mon égard. Cela s’est confirmé lorsque j’ai mené des réorganisations : les négociations ont été assez âpres, jusqu’à ce que l’entreprise m’oppose une vraie résistance. Heureusement, cette période n’a pas duré, et la situation a évolué aux alentours de 2010, grâce à plusieurs facteurs. J’ai d’abord été marqué par une remarque d’une personne qui travaillait avec moi. Elle m’a fait prendre conscience de l’impact de mes décisions sur l’épanouissement et l’équilibre psychologique de mes équipes. J’ai su que je pouvais insuffler une culture bienveillante et attentive, ou, au contraire, faire naître une politique plus dure et concurrentielle. Un autre tournant a été de me rendre compte que les considérations éthiques, au cœur de la MAIF, de chaque réunion de travail, étaient toujours vécues en opposition à la performance. J’ai considéré au contraire que l’éthique ne devait pas être vécu comme un frein à notre activité : elle devait être susceptible de l’enrichir. Enfin, le dernier facteur  était personnel : à cette époque, j’ai eu de longues conversations avec mes enfants, qui m’ont fait prendre conscience des enjeux écologiques et sociaux qui les préoccupaient.  Je me suis donc donné comme objectif de construire une stratégie qui mêle engagement et performance. Cela a été le point de départ des initiatives menées à partir de 2013.

 

Vous parlez de vos débuts chahutés avec beaucoup d’honnêteté. Craignez-vous, parfois, d’être trop transparent ?

J’en ai eu peur pendant longtemps. Mais aujourd’hui je n’ai plus d’appréhension à être transparent : n’ayant rien à cacher ni à masquer, je me sens totalement aligné avec mes engagements. Je n’ai pas honte de mon parcours, beaucoup d’autres personnes ont vécu un chemin similaire. Une autre raison susceptible d’expliquer cette transparence réside dans l’image que je veux imprimer dans l’esprit de celles et ceux que je rencontre. Je veux laisser sous-entendre que, peu importe l’endroit où nous sommes, il ne faut pas avoir peur d’évoluer et de progresser. D’une certaine manière, le dire sans fard et sans orgueil autorise tout le monde à emprunter cette même voie.

 

La Maif vous a fait évoluer, dites-vous, et elle continuera d’exister après vous. Le leader est-il également un passeur ?

Je suis totalement en adéquation avec la double dimension de passage et de service. La conscience de sa responsabilité passe aussi par le fait de savoir que nous sommes présents pour un moment donné. Cela conduit à vouloir léguer un héritage à la hauteur de ce que l’on a reçu. Je crois en la notion de servant leader, car j’ai pleinement conscience que tout se fait en dehors de moi. Ma mission est de faire en sorte que les conditions des 9 000 collaborateurs de l’entreprise soient les meilleures possible. J’entends par là, un épanouissement personnel qui anime à la fois leur motivation et leur engagement. Pour résumer, les salariés doivent se sentir dans une communauté solide. De ce fait, mon rôle est ainsi d’offrir un confort psychologique pour que chacun donne le meilleur de lui-même.

 

Seriez-vous le même patron à la tête d’une entreprise cotée ? De toute évidence, je n’aurais pas la même marge de manœuvre parce que je devrais rendre des comptes tous les trimestres avec des contraintes de valorisation de dividendes. Par exemple, au début du confinement, en mars 2020, nous avons pris la décision de rembourser nos assurés de leurs primes d’assurance automobile correspondant à la période du confinement, puisque les voitures ne circulaient plus. Cette mesure aurait été difficile à mettre en oeuvre dans une autre compagnie, d’autant plus dans un fonctionnement traditionnel. 

 

On vous dit souvent que le modèle d’entreprise responsable est facilement applicable quand on n’a ni actionnaires ni concurrence… Comprenez-vous cette opposition ?

La MAIF est enserrée dans les contraintes de la concurrence qui vient en partie d’entreprises internationales et est donc soumise aux mêmes exigences de performance et d’efficacité opérationnelle. Et, avec le temps, j’ai aujourd’hui la certitude que l’engagement crée de la valeur, y compris de la valeur économique, pour l’entreprise. Surtout, les dirigeants n’ont plus le choix : ils doivent s’engager, la pression est forte au sein des entreprises, au niveau de la réglementation et de la part des consommateurs. Même si un patron n’est pas sensible aux problèmes écologiques et sociaux, il peut recevoir suffisamment de signaux pour prendre conscience de cette urgence. Là où la question peut paraître désuète, c’est quand on observeles résultats extrêmement positifs que nous pouvons avoir en mettant les choses dans le bon ordre. Il y a une dizaine d’années, j’avais organisé un séminaire pour les managers afin de leur présenter le management par la confiance et les inciter à s’y lancer. Je me souviens leur avoir dit que le seul objectif à avoir, en tant que manager, n’était pas l’efficacité opérationnelle, les résultats quantitatifs ni la productivité, mais bien l’épanouissement des collaborateurs. Évidemment, ce sujet étonnait tant il semblait contre-intuitif. Mais quand vous le faites de manière sincère, vous obtenez un alignement total entre les aspirations individuelles de chacun et la stratégie de l’entreprise. Cela se manifeste notamment par le niveau de motivation des collaborateurs. Nous l’avons mesuré en dix-huit mois avec une baisse de 25 % de l’absentéisme. Les personnes travaillant à nos côtés peuvent éprouver un certain attachement à l’entreprise et peuvent devenir, au fur et à mesure, de véritables ambassadeurs.

 

Vous êtes coprésident d’un mouvement d’entrepreneurs et de dirigeants engagés dans la transition écologique et sociale, Impact France. Cette décision est le fruit d’un cheminement. Pendant une dizaine d’années, je me suis focalisé sur la Maif. Avec une logique d’impact et de contribution, considérant que cela en valait la peine. J’avais deux objectifs : gagner en performance et en attractivité et, en parallèle, avoir un impact sociétal fort. Après diverses sollicitations dans mon environnement professionnel, je me suis rendu compte que mon engagement devait aller plus loin. J’ai donc écrit, en 2019, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus. J’explorais dans ce livre ce cheminement incontournable que doit avoir un dirigeant. À la suite de cette publication, j’ai eu une visibilité plus importante. J’ai été amené à témoigner et à diffuser mes idées dans des événements ou dans d’autres entreprises. Malheureusement, les prises de conscience évoluent assez lentement. Je devais passer à l’étape suivante : toucher les pouvoirs publics, pour faire évoluer le cadre réglementaire et fiscal pour qu’il incite les entreprises à s’engager.  A titre personnel, j’ai publié, en 2022, un rapport à la Fondation Jean-Jaurès allant dans ce sens. Ensuite, j’ai été sollicité par les coprésidents sortants d’Impact France  pour prendre la tête du  mouvement avec Julia Faure et j’ai compris que c’était une occasion unique d’amplifier l’impact que l’on peut avoir. 

 

Vous proposez d’intégrer des entreprises plus classiques telles que SNCF ou Doctolib. Cela a été mal vécu par certains. Comment l’expliquez-vous ?

Cela a été mal vécu par une poignée de personnes ayant un écart idéologique important et considérant qu’elles ne peuvent se regrouper qu’avec des entreprises complètement pures dans leurs engagements. Les entreprises en phase de transition qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques sont encore trop éloignées de ce que ces personnes recherchent. Je considère que l’objectif est d’avancer le plus vite possible, pour faire face à l’urgence et, à terme, transformer l’économie française. Pour cela, il faut embarquer des entreprises plus importantes à condition qu’elles soient dans une transition sincère. C’est ce projet qui a été validé par près de 90% des adhérents du mouvement.

 

Aujourd’hui, vous êtes écouté, les médias vous invitent, le grand public apprécie votre militantisme. Vous avez pris position pour une autre forme de redistribution des bénéfices, plaidant pour limiter les superprofits en période de crise. Est-ce que vous vous êtes fait des contradicteurs ou des ennemis parmi vos homologues ?

J’ai eu des contradicteurs bien sûr, mais en nombre réduit. En réalité, ceux qui n’entendent pas ce discours sont ceux qui ont intérêt à y résister.  et qui ne comprennent pas que le XXIe siècle est basé sur l’engagement. L’irruption de patrons d’un nouveau genre peut les interroger. Finalement qui sommes-nous ? Des militants ou des patrons ? Le fait de croiser ces deux catégories dérange les acteurs qui s’accommodent des oppositions cristallisées. Mais l’immense majorité des dirigeantes et dirigeants que je rencontre ont pleinement conscience de la nécessité de s’engager. 

 

Cet engagement vertueux qui est le vôtre est totalement aligné avec celui de la Maif et même au-delà. Comment imaginez-vous votre avenir ? Dans la sphère politique ?

L’après, pour ma part, c’est mon implication auprès d’Impact France. Mais, vous savez, ce que nous abordons depuis le début de cette interview est politique. Pour moi, l’entreprise devient un objet politique au sens où on ne la conçoit plus comme une entité isolée du reste du monde. Si elle a des impacts, positifs comme négatifs, elle a une responsabilité qui est d’ordre politique sur la cité. La question qui se pose alors est : comment mettre en œuvre cette conviction ? Est-ce que c’est en démontrant que nous pouvons transformer le modèle de l’entreprise en pratique ? Est-ce que c’est en prenant la tête d’un mouvement d’entreprises qui se veut puissant et influent ? Ou d’un ministère ? Pour ma part, j’ai choisi les deux premières solutions. Au fil des années, il y a eu une relation particulière et extrêmement forte qui s’est nouée entre la Maif et moi. Cette relation est si stimulante que je ne veux surtout pas m’en priver. Et cet engagement, je le poursuis pleinement avec Impact France…

UpCoop : des salariés-sociétaires

En quoi l’organisation d’une Scop diffère-t-elle de celle des entreprises de l’économie traditionnelle ? 

Le fonctionnement d’une coopérative de salariés est régi sur le principe d’une personne égale une voix, ce qui fait que la coopérative est une entreprise qui privilégie le capital humain au capital financier. À partir de ce principe, trois éléments nous différencient fortement d’une entreprise classique. Le premier c’est une gouvernance démocratique. Nous avons un mode de gouvernance qui est basé sur le fait que ce sont les salariés-sociétaires qui élisent parmi leurs pairs les membres du conseil d’administration. Ceci nous impose de la transparence et de la communication et nous implique de rendre compte, non pas à des actionnaires privés extérieurs, mais aux salariés sociétaires qui nous ont fait confiance. Le deuxième élément c’est la question de la répartition du fruit du travail. Le partage de la valeur, nous le pratiquons de façon égalitaire, puisque les résultats de l’entreprise sont répartis de manière équitable entre l’ensemble des salariés. Et le troisième élément, qui est un élément historique, c’est la place du dialogue social. Nous avons été créés par des partenaires sociaux et nous savons que dans chaque entreprise la réalisation des objectifs ne peut se faire qu’en coopérant pour faire adhérer l’ensemble des salariés à un projet stratégique, et cela passe par un dialogue social respectueux et constructif. 

Ces trois éléments jouent-ils dans l’engagement des collaborateurs ?

En rejoignant la coopérative, le salarié va devenir sociétaire. Il entre avec un contrat de travail, mais il s’engage ensuite en tant que personne qui a été cooptée par ses pairs, qui lui proposent de partager l’aventure offerte par la coopérative. Chacun est impliqué, est un acteur de l’évolution de l’entreprise. Salariés-sociétaires, nous sommes tous entrepreneurs, donc force de proposition, voire force d’action, pour permettre à l’entreprise de se développer. Cet élément-là est très important dans la notion d’engagement, et ça va même plus loin que l’engagement. C’est très responsabilisant !  Le salarié n’est pas qu’un salarié : c’est un sociétaire, donc un citoyen qui est acteur de la démocratie en entreprise. 

UpCoop a récemment pris deux décisions fortes : séparer les fonctions de Président et de Directeur Général et devenir une entreprise à mission. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ces choix ?

La dissociation des mandats est une orientation que j’avais défendue lorsque j’ai pris mes fonctions de PDG. Après 60 ans d’existence, notre coopérative fédère autour d’elle 60 entreprises dans 23 pays. Nous sommes confrontés tous les jours à des problématiques entre faire vivre l’esprit coopérative et gérer un groupe de 3 200 personnes. Ma conviction a été de bien dissocier les rôles.

Et de ce fait là, j’ai donc engagé et accéléré le processus nous amenant à devenir une entreprise à mission parce que je pensais que le fait d’être une Scop ne suffit plus pour épouser tous les sujets auxquels une entreprise doit répondre. J’ai considéré qu’en rajoutant aux statuts de la coopérative les statuts d’une entreprise à mission, cela nous obligeait à intégrer quelle est notre contribution sociétale aujourd’hui, et quelle est notre contribution environnementale. 

Comment travaillez-vous avec toutes les parties prenantes pour réduire l’empreinte carbone de vos activités ? 

Nous considérons les salariés et les collaborateurs du groupe comme des citoyens, et la question de la formation à ces sujets-là nous paraît normale. Aussi, nous les invitons tous à travailler sur la Fresque du climat, à mettre en place des actions de sensibilisation autour du gaspillage alimentaire, des économies d’énergie, d’une consommation plus responsable. Le deuxième point c’est comment nous accompagnons nos partenaires, les collectivités locales, pour mettre en place des dispositifs et des actions qui permettent d’améliorer l’impact environnemental. Nous avons été les premiers à accompagner certaines associations sur des dispositifs de type chèque alimentation durable, ou les collectivités sur le chèque énergie pour faciliter le financement de dispositifs permettant de faire des économies d’énergie dans les familles. Nous sommes aussi partie prenante pour développer le commerce de proximité. 

Comment aidez-vous les collaborateurs à avoir un impact social et environnemental positif à travers leur mode de consommation ? 

Il est fondamental que nous puissions, grâce à la digitalisation et aux nouvelles technologies, faciliter des modes de consommation responsables. On peut imaginer que les personnes qui détiennent nos titres restaurants UpDéjeuner ou des titres cadeau puissent être sensibilisés à les orienter plutôt vers des commerçants et partenaires qui ont pris la décision d’avoir des comportements vertueux en proposant des produits qui sont les moins consommateurs en matière environnementale. Avec le programme Up+, c’est déjà possible. Nos produits doivent avoir pour ambition première d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés et des citoyens, mais ce sont aussi des produits qui, avec l’évolution de la société, les nouvelles problématiques qui se posent et la digitalisation qui est un atout, peuvent contribuer à une meilleure consommation, une consommation plus vertueuse et meilleure en matière d’impact environnemental. 

Les pros de la vape à la pointe

Gaia Trend : la vape au service du sevrage tabagique

L’entreprise familiale est née d’une double intuition paternelle. Didier Martzel souhaitait détourner ses enfants de la cigarette, non pas en leur interdisant de fumer mais en leur proposant une alternative. Celle qui deviendrait, du même coup, une solution de santé publique pour lutter contre le tabagisme. 

« En 2005, mon papa-ingénieur s’est lancé dans la création d’un substitut et a déposé le brevet d’une cigarette électronique nommée Alfacig », raconte Olivier Martzel, fils ainé et fumeur repenti qui rejoint vite l’aventure familiale. En 2009, « la matière première est vite devenue un problème, se souvient-il, tous les e-liquides vendus dans le monde provenaient essentiellement de Chine. Mon frère, Xavier, s’est donc lancé dans des études d’aromatiques pour créer nos propres e-liquides. » Installée à Rohrbach-lès-Bitche (Moselle), Gaïa Trend s’inscrit  dans une logique de progression sociale et environnementale : « Nous attachons une volonté particulière au respect de la nature et de l’environnement, insiste Olivier Martzel, sans cela, nous ne sommes rien. Nous valorisons donc nos déchets, via des filières de recyclage et des associations partenaires comme “Du papier pour l’enfance” ou “Une pile Un don- Téléthon”. Gaïa Trend met également en œuvre une politique visant à limiter son empreinte carbone : employés, prestataires et fournisseurs locaux, maîtrise de la consommation d’énergie, « chaque collaborateur est sensibilisé aux consignes de chauffage, de climatisation et de consommation électrique ». Enfin, la société du Grand Est apporte une attention particulière au bien-être de ses collaborateurs avec un cadre de travail attractif, des postes de travail ergonomiques, une communication interne très régulière. L’entreprise a d’ailleurs obtenu le label « Employeur engagé » pour son éco-système de travail vertueux.

Swoke : des paroles et des actes 

Le fabricant et distributeur d’e-liquides, implanté à Andrésy (Yvelines), est porté par les convictions fortes de son équipe, à commencer par son fondateur, Aurélien Durand : « À titre personnel, j’ai pris conscience de l’urgence climatique il y a quatre ans, en suivant les conférences de l’astrophysicien Aurélien Barrault. C’est à l’occasion de l’une de ses interventions sur l’écologie que j’ai commencé à vraiment m’intéresser à l’étendue du problème et à le comprendre. »  Ce choc a précédé une action de fond : « Notre réaction s’est articulée autour de deux axes : compensation et réparation de l’impact de notre activité. Puis modifications structurelles.» Swoke se décide à nouer deux partenariats avec Reforest’Action, dédiée à la préservation de forêts, et avec Les Ailes de l’océan, association militante pour la dépollution des espaces marins. « En 2021, nous avons consacré plus de 2 % du CA au financement de ces partenariats que nous étendons, détaille Aurélien Durand, avec les Ailes de l’océan, par exemple, diverses opérations ponctuelles complémentaires ont été menées, comme la campagne où nous finançons “1m2 de plage dépolluée par fiole d’e-liquide vendue”. » S’agissant des modifications structurelles, Swoke a à cœur de collaborer avec  des fournisseurs alignés avec ses valeurs : « Nous ne travaillons plus qu’avec des arômes français, explique son fondateur, de même, nous utilisons des matières recyclées, provenant de sources éco-gérées et de fournisseurs français. Ainsi, nous avons initié la création de fioles entièrement recyclées et produites en France, distribuées sous la marque Ozone, et intégrant des mécanismes de contribution positive.» Au total, l’entreprise a contribué à capturer plus de 1 500 tonnes de CO2, à replanter 10 000 arbres et à nettoyer 90 000 m2 de plages depuis sa création.

Le Petit Vapoteur : le succès en partage 

En 2010, deux amis cherbourgeois découvrent le potentiel de la cigarette électronique. Ils créent un site de vente en ligne entièrement consacré à ce produit alors méconnu. LePetitVapoteur.com est aujourd’hui le leader européen du secteur. « Nous avons souhaité partager ce succès en développant des actions solidaires », souligne Tanguy Gréard. Conjointement au succès grandissant de l’e-cigarette, Le Petit Vapoteur a connu une croissance fulgurante. « Ce qui n’a fait qu’amplifier et nous donner les moyens de nos ambitions RSE, ajoute le fondateur. L’une de nos opérations majeures est  l’organisation annuelle du Black Fairday, un contre-pied au Black Friday. » Objectif : redistribuer la totalité du chiffre d’affaires d’une journée à des associations. L’entreprise alloue également une enveloppe aux structures normandes dédiées à la recherche médicale, la protection des animaux, la préservation de l’environnement et la lutte contre la précarité. 

S’agissant de l’impact environnemental de l’e-commerce, Tanguy Gréard s’interroge : « C’est compliqué, mais nous recherchons des solutions. Nos déchets sont recyclés, des points de collectes sont installés dans nos magasins, et toutes les recharges de liquides sont fabriquées en France. Mais le matériel électronique vient de Chine. Nous avons encore du chemin à parcourir. » Cette RSE questionnée et en évolution constante est un atout majeur pour la politique de recrutement du Petit Vapoteur : « Au-delà des compétences, nous recherchons des personnes capables de s’intégrer facilement à notre entreprise, via un partage de sens, de valeurs et de sympathie, insiste Tanguy Gréard. C’est pour cela que l’ambiance reste familiale au sein de nos 350 employés. »

Tribune : RSE et PME : même pas peur !

 Croire que la RSE se fera sans coût est illusoire. Aussi, protéger l’exploitation des PME est-il plus que jamais nécessaire.

Pourtant, la RSE n’est pas un choix mais une obligation, au fur et à mesure que l’accès au financement se conditionne à une trajectoire carbone.

. La RSE n’est pas une option, au fur et à mesure que ces critères prennent du poids dans les appels d’offres publics comme dans ceux des grands comptes privés. 

. La RSE ne doit pas rester à l’état de projet au moment où les collaborateurs, qui sont aussi des citoyens, poussent pour que l’entreprise prenne sa part dans ce défi. 

. Enfin, la RSE devient aussi prioritaire pour les clients qui, malgré des incohérences certaines, modifient peu à peu leur mode de consommation ou, tout au moins, leur rapport à celle-ci. Bref, cernées par les pressions des clients, des banquiers et des équipes, les PME portent davantage leur choix sur la méthode que sur la finalité. À ce poids des parties prenantes s’ajoute un accroissement significatif de la pression réglementaire (celle de la directive européenne CSRD, notamment, sur le reporting de durabilité des sociétés).

Voici ce que nous observons du côté du label HumaCap, qui aide les organisations à associer leurs collaborateurs à la démarche RSE. Pour nous, cela prend la forme de trois étapes clés :

1. Former. Se former à la RSE pour en comprendre les enjeux multiples, cela suppose un véritable effort pour partir d’une ligne de départ commune. L’année 2023 aura été marquée par le déploiement large des Fresques. « Fresquer » est le néologisme à la mode.

2. Consulter. Engager dans l’action les collaborateurs en sollicitant leur avis (éclairé par la formation), en écoutant leurs priorités et en prenant celles-ci en compte pour modifier la démarche RSE.

3. Rallier. Les faire adhérer à la démarche pour qu’ils en deviennent les agents actifs et les ambassadeurs, à la fois internes et externes. Cette dernière étape suppose un alignement des objectifs – et notamment des indicateurs clés de performance, distribués aux équipes, qui doivent prendre en compte l’enjeu RSE en plus de la dimension financière (part de marché, taux de service…).

In fine, plutôt que d’hésiter, concernant l’engagement RSE des PME, entre accélération ou pause, il me semble crucial de continuer à avancer pour apprendre pas à pas et infléchir notre trajectoire actuelle. La restructuration est complexe et nous demandera du temps. Là où la transition digitale était impulsée par le top management et source de productivité, la transition RSE est impulsée par les parties prenantes et remet en cause nos modèles d’affaires. Ne perdons pas de temps pour nous y préparer ! λ

Essec : la RSE incubée

Quelles sont les principales missions du Laboratoire ?

Elles concernent, pour la majeure partie d’entre elles, des travaux de recherche-action avec des partenaires, des organisations qui ont envie de comprendre leur impact social et souhaitent le mesurer. Notre vision, c’est que l’évaluation de l’impact social doit se faire à l’aide d’un outil de pilotage, tout comme une organisation tient sa comptabilité. Nous accompagnons nos partenaires dans la mise en place d’une démarche d’évaluation d’impact social, mais aussi dans l’« acculturation » de leurs collaborateurs pour que ceux-ci trouvent des outils de gestion de cet impact compatibles avec leur stratégie et leurs process internes. Notre deuxième activité consiste à créer de la connaissance, à travers l’écriture d’articles scientifiques et de rapports, avec la production de publications. Et la troisième activité concerne la diffusion de cette connaissance et la mise en place d’un certain nombre de formations.

Que mesure-t-on quand on parle d’impact social ?

Il faut garder en tête que lorsqu’on mesure un impact social on mesure un changement. Pour la partie qualitative, on ne parlera pas d’indicateurs mais de grands changements qui ont pu toucher les personnes, des changements ayant fait l’objet d’une stratégie qui visait à avoir des effets sociaux positifs sur un certain nombre d’entre elles. Pour la partie quantitative, si on pense au retour à l’emploi par exemple, nous allons essayer de compter le nombre de personnes qui, deux ou trois ans après l’accompagnement, se sont maintenues dans un emploi durable. Mais, si on veut mesurer l’impact plus largement, on va considérer les retombées qu’il y a pu y avoir sur la stabilité de ces personnes, leur santé physique et psychique, leur pouvoir d’achat, le logement…

En quoi l’acculturation des collaborateurs à cette démarche est-elle importante ?

Nous réalisons beaucoup d’entretiens avec les collaborateurs et nous constatons cette envie de comprendre l’impact de leur travail.

L’une des conditions d’appropriation d’une démarche d’évaluation d’impact social par les équipes est clairement la conduite du changement. L’évaluation d’impact social repose sur une collecte de données inhabituelle, qui n’existe pas dans les organisations, et cette dynamique peut rencontrer pas mal de résistances, notamment en raison de la crainte de la part des collaborateurs d’être évalués sur leurs performances plutôt que sur l’efficacité de l’action mise en place dans la stratégie de l’organisation. Alors nous les accompagnons pour mettre en place ces démarches sans qu’elles soient menaçantes, pour qu’ils adoptent des postures de praticiens chercheurs. Il s’agit vraiment d’une conduite du changement qui doit se faire avec bienveillance et avec des ressources qui représentent un investissement à long terme pour que les équipes se les approprient en interne et en autonomie. λ

La RSE : un grand bluff managérial ?

En 2021, l’éviction du PDG charismatique de Danone, Emmanuel Faber, sous la pression de fonds d’investissement, n’était pas juste un fait divers économique, une nouvelle conjoncturelle, une illustration des péripéties, des tribulations du jeune statut d’entreprise à mission. C’était une illustration parfaite des limites de la bonne volonté en entreprise, « instrument » qui se révèle insuffisant face à un réel de plus en plus complexe et inhospitalier pour les vœux pieux. Ce que j’ai alors nommé « l’effet Faber » ou les limites de la bonne volonté pour transformer les organisations, ne peut trouver meilleur terreau que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Est-il possible d’être responsable dans un management de marché ?

Tout choix managérial pleinement efficace a pour objectif de satisfaire les exigences du marché économique. De sa satisfaction découlent la rentabilité et la pérennité des entreprises. C’est un truisme de le dire.

Dès lors, les choix managériaux sont le fruit de combinaisons permettant à l’organisation de produire le modèle qui satisfait le marché économique à un instant T par le truchement de biens et/ou de services donnés. Ce modèle managérial n’a donc pas comme objectif premier d’être « responsable » mais d’être pleinement efficace pour satisfaire un besoin économique donné.

Sauf exception, dans les associations ou dans certains services publics, le choix managérial, loin d’être neutre, est dicté, volens nolens, par la décision de satisfaire le marché. Malgré l’offre exponentielle de modèles managériaux auréolés d’humanisme et de responsabilité, il serait bien naïf de penser que les choix de gouvernance sont dictés par la providence ou par la recherche du bien commun qui transcenderait toute considération autre.

Manager une entreprise est un acte politique !

Le management est donc loin d’être neutre comme nous aimons à le penser, car manager, c’est travailler le divers, lequel n’a jamais été aussi complexe : efficacité à court terme vs soutenabilité, citoyen vs consommateur, cœur vs raison, intuition vs pensée, préservation de l’environnement vs croissance…

Manager, c’est agir politiquement : le manager doit chercher à « préserver le sens des ensembles » pour satisfaire des objectifs de différentes natures, souvent contradictoires dans un commerce temporel donné : se situer hic et nunc, en se projetant à partir du passé tout en donnant des gages au futur.

Ainsi, un management absolument efficace d’une entreprise est antinomique avec une responsabilité sociale. Le maximum d’efficacité justifie le minimum de responsabilité et même le minimum de liberté, comme l’avait bien vu Bernard Charbonneau, comparse de Jacques Ellul et écologiste avant l’heure. La RSE met en exergue la tension entre toute velléité de responsabilisation et le prix qui va avec. La responsabilité a toujours un prix. Il est illusoire de penser qu’on puisse être responsable à peu de frais, c’est une vue de l’esprit.

Ainsi, on peut diriger efficacement, à partir de choix, d’actions efficaces qui produisent l’effet et les résultats attendus, sans pour autant le faire convenablement – c’est-à-dire d’une manière soutenable qui convienne aux personnes et à la société.

L’effet Faber est-il inéluctable ?

Pour éviter de « bricoler dans l’incurable » et d’être pris dans cet effet Faber, il est nécessaire de comprendre qu’agir avec responsabilité et humanité ne se décrète pas dans une organisation : la finalité d’une organisation n’est ni le vrai, ni le beau, ni le bien, mais la capacité à exécuter efficacement l’ordre reçu. Autrement dit, il n’y a pas de sagesse spontanée dans une organisation qui serait la traduction d’une force irrésistible de responsabilité ou d’humanité. La sagesse organisationnelle n’existe pas : seul un homme dont les idéaux surpassent les instincts (Paul Valery) et conscient des risques qu’il prend peut être sage, car il y a toujours un prix à payer.

En outre, il est nécessaire de sortir du mythe de la solution qui permettrait d’être « responsable ». On n’apporte une solution qu’à un problème technique ou mathématique. Seul un « arrangement » est de mise, c’est-à-dire toute action permettant un compromis acceptable eu égard aux données du « problème », qui respecte les parties prenantes et qui ne sacrifie pas le futur pour le présent. L’arrangement, c’est la concrétisation de l’éthique de la non-puissance dont parlait Jacques Ellul.

Enfin, la mise en pratique d’une éthique de la non-puissance nécessite un changement des représentations et une éducation sérieuse. Tant que dans les lieux de socialisation nous continuerons de faire comme si, disait Karl Kraus, Dieu avait d’abord créé le producteur, puis le consommateur, et après l’Homme, le management continuera d’être une technique de pouvoir, avec l’injonction de ne décider qu’en fonction des intérêts de ce dernier. Sans une hominisation des femmes et des hommes, nous continuerons de nourrir l’illusion qu’une solution technique (statut à mission, comptabilité inclusive, système de bonus-malus…), aussi pertinente et utile fût-elle, pourrait à elle seule permettre de répondre aux enjeux de responsabilisation sociale et environnementale des entreprises. λ

Accompagnement et décarbonation : le combo gagnant

« La décarbonation de mon entreprise m’a tuer »

Une « économie de la mort », c’est avec cette indéniable liberté de ton que ces mots venaient d’être prononcés dans le vaste open space, suscitant l’approbation d’un certain nombre de collaborateurs. Puis d’autres exprimèrent que non, cela n’était pas juste, que tout ça n’était qu’une énième séquence de fake news, et puis qu’ils n’allaient pas « se faire avoir » avec du « green washing ». La majorité des collaborateurs restaient quant à eux silencieux. On aurait pu le dire ainsi : ils affichaient une forme d’indifférence. D’autres encore, plus cyniques, pince sans-rire et ambianceurs connus de l’espace de travail, profitèrent d’une pause pour écrire « La décarbonation de mon entreprise m’a tuer » sur le tableau Velleda mural de la cuisine, ce qui ne manqua pas de faire effectivement rigoler les uns – surtout eux, d’ailleurs –, d’en outrer d’autres et de recueillir l’impassibilité du plus grand nombre. Mais que se passait-il dans cette entreprise ? La nouvelle campagne de communication axée sur la politique RSE venait d’y être lancée, avec un focus particulier cette année sur la volonté de décarbonation des activités. On aurait pu dire qu’il s’agissait d’un « flop ». Enfin, on aurait surtout pu dire que le niveau d’engagement des collaborateurs envers la démarche était « normal », c’est-à-dire qu’il était différencié et suivait une courbe… normale. Est-ce qu’il n’y avait pas là des manques en matière d’accompagnement du changement ?

D’insuffisants premiers pas

Effectivement, il y avait là des manques. Et effectivement, force est d’admettre qu’il y a encore beaucoup de manques sur ces considérations au sein des entreprises françaises. Mais prenons un peu de hauteur, avec une mise en perspective sociétale. Actuellement, en France, face à des discours appelant à la mise en œuvre de la transition écologique, l’engagement des citoyens sur ce sujet est pour le moins inégal : si 70 % de la population se déclare inquiète, seuls 30 % agissent en conséquence[1]. Le constat est indéniable : la distance est encore de taille entre la conscience de l’urgence et sa traduction en actes.

Cela dit, les politiques gouvernementales engagent et obligent davantage les entreprises à agir concrètement[2]. Les résultats d’une étude CSA pour LinkedIn et l’Ademe[3] sont à cet égard pour le moins édifiants…

  • L’environnement est la deuxième préoccupation principale des salariés, et même la première pour les jeunes salariés de moins de 35 ans.
  • 88 % des salariés estiment que la transition écologique est un sujet important dans leur entreprise, et 36 % pensent qu’il est prioritaire.
  • 68 % des salariés veulent être formés aux enjeux de la transition écologique dans leur entreprise.

Supposons qu’une entreprise se dote d’une stratégie de décarbonation. Il faut reconnaître que c’est là un judicieux premier pas, mais également qu’elle n’aura fait qu’une faible partie du chemin. Pourquoi ? Pour une raison assez simple : une stratégie de décarbonation a de la valeur en soi, mais une part de cette valeur, comme dans toute stratégie, réside dans sa compréhension, son adoption et sa mise en œuvre par les femmes et les hommes qu’elle concerne. C’est ce qu’on appelle la part people-dependent du retour sur investissement (RSI). Autrement on risque de rester au niveau de l’intention, de l’incantatoire, sans passer à la concrétisation dans les gestes. C’est dans cette concrétisation, et ultimement dans l’institutionnalisation des pratiques – autrement dit, quand un comportement cible devient une norme – que se situe la valeur des stratégies et des politiques de transition écologique au sein des entreprises. Une transformation structurelle de cet ordre ne peut pas s’épargner d’être maillée avec des démarches d’accompagnement du changement vers des devenirs de représentation et de pratiques professionnelles différentes, ancrés dans les quotidiens de travail des collaborateurs. Comment ?

L’engagement du changement

Il est d’abord indispensable pour chaque entreprise d’élaborer un état des lieux des représentations et des pratiques de ses collaborateurs au regard de sa stratégie de décarbonation et des implications de celle-ci dans les quotidiens futurs des activités professionnelles. On peut parler ici d’une démarche d’explicitation. Démarche qu’on peut voir comme une façon de faire émerger le dictionnaire de significations et de pratiques propre à chaque entreprise au regard de la transition écologique, et plus précisément de la décarbonation.

Plusieurs méthodes d’écoute et d’analyse permettent de s’y livrer (entretiens d’écoute, focus groupe, enquêtes quantitatives, ateliers d’explicitation, immersions, analyse documentaire…), au croisement desquelles un portrait objectif de la réalité des pratiques, des perceptions, des leviers d’engagement et des impacts prévisionnels par population pourront notamment être établis. Cette phase permettra également d’identifier les collaborateurs sur lesquels il sera possible de s’appuyer, premiers pas vers la mise en place d’une communauté d’ambassadeurs.

Et puis, cela va de soi, l’occasion sera alors belle d’identifier – pour les accompagner et les dépasser – les résistances potentielles à la compréhension de la stratégie de décarbonation de l’entreprise ainsi qu’à l’adoption des changements de pratique associés. Ces résistances peuvent être multifactorielles…

  • Individuelles : personnalité, socio-démographiques, mécanismes de défense, manque de motivation, habitudes, peur de l’inconnu, incompréhension du changement…
  • Collectives ou socioculturelles : sentiment de perdre certains droits acquis, normes sociales, croyances, valeurs de l’organisation, rituels, mœurs…
  • Politiques : forces syndicales, perspectives de perdre une certaine influence…
  • Liées à la mise en œuvre du changement (cause majeure des échecs) : manque de préparation et d’organisation, absence de consultation et d’implication des collaborateurs impactés…
  • Liées au système organisationnel en place : organisation perçue comme inerte et peu adaptable, capacité de l’organisation à changer…
  • Liées au changement lui-même : changement complexe, peu légitimé, opposé aux valeurs, transformation trop radicale…

Fort de cet état des lieux, il importe de définir collectivement – en y associant une proportion représentative des collaborateurs – une cible comportementale et des éléments de mesure objectivants associés (KPI, ou indicateur clé de performance). Il y aura alors un point de départ (l’état des lieux) et un horizon fixant l’ambition (cible comportementale et KPI de mesure). Les écarts entre les deux seront alors objectivés et pourront dès lors être construits. Puis des plans d’accompagnement du changement – qui prendront notamment en compte les leviers d’engagement et les résistances potentielles identifiés dans la phase d’état des lieux – pourront être déployés. Le principe clé ici est le suivant : c’est en changeant les représentations que l’on change les comportements. Que veut-on dire par plans d’accompagnement ? On peut classer ces plans selon deux types complémentaires et nécessaires pour optimiser l’ancrage des changements souhaités…

  • Les leviers soft, qui concernent la communication, la formation et le coaching, dont voici quelques exemples :
    1. conférences interactives (Pitch Climat, MyCO2…) ;
    2. événements collectifs relayés par les entreprises (le challenge Mai à vélo pour promouvoir le vélo et les mobilités douces auprès des individus, le World Cleanup Day pour engager ses salariés dans une journée de nettoyage de la planète…) ;
    3. ateliers collectifs (L’Éveil vert : formation développée par Onepoint en partenariat avec Little Big Impact pour sensibiliser aux enjeux écologiques et identifier des pistes d’actions ; La Fresque du climat pour s’approprier le défi de l’urgence climatique ; l’Atelier 2tonnes pour découvrir les leviers individuels et collectifs de la transition bas carbone ; Nos vies bas carbone pour connaître les ordres de grandeur essentiels et imaginer des actions nécessaires et désirables pour le climat…) ;
    4. plateformes d’engagement (Eco Challenge, de Little Big Impact, pour sensibiliser ses collaborateurs aux écogestes et encourager le passage à l’action via la gamification ; Ma petite planète pour des défis écologiques à vivre au sein d’un collectif sur un temps court…).
  • Les leviers hard, qui transforment l’organisation, les processus et procédures, et les outils au sein de l’entreprise. On peut alors aussi parler de leviers « d’institutionnalisation ».

De plus, afin d’assurer l’ancrage des changements dans la durée, il est nécessaire de mettre en place des éléments de mesure de ces changements, des baromètres de compréhension et d’adoption des changements associés à des KPI, par exemple. Cela permettra de capitaliser sur les réussites et de les célébrer mais aussi d’apporter des actions correctives là où le changement peine à se concrétiser.

Enfin, des éléments complémentaires et transverses en matière d’approche se doivent ici d’être pris en compte car ils sont porteurs d’un impact transformatif particulièrement structurant. Le premier d’entre eux est celui du « mimétisme organisationnel », que l’on peut aussi traduire par « l’exemplarité managériale ». Pourquoi c’est important ? Car bien souvent on imite les gens « au-dessus » de nous car, s’ils y sont, c’est qu’ils doivent avoir eu les bons comportements. Autant dire que, si les managers ne respectent pas les comportements attendus en matière de décarbonation des activités, il y a un réel risque pour que leurs collaborateurs fassent de même. Le deuxième élément : faire en sorte que les engagements des collaborateurs en matière de décarbonation des activités soient réalisés lors de temps collectifs. Cela engage ainsi chacun par effet de régulation sociale. Troisième élément, sur ce sujet comme sur nombre d’autres, il est préférable de faire de petits pas, de pratiquer l’acquisition des attendus via des expérimentations à cycles courts. Et, enfin, dernier élément, la prise en compte de deux circuits composant notre cerveau, le circuit du plaisir (le circuit hédonique), qui nous donne envie de reproduire des choses qui nous font plaisir, et le circuit de la menace, celui qui fait que l’on se sent en déséquilibre, qu’on a peur de ne pas savoir faire, d’être ridicule, d’être en inconfort. Ce dernier est en général celui qui s’allume en premier ! L’enjeu dans le processus de changement est donc notamment d’inhiber le circuit de la menace pour se projeter dans celui du plaisir : rassurer, célébrer les victoires, capitaliser sur l’appartenance sociale, etc.

Faire d’une menace une opportunité

À l’heure où l’engagement écologique prend une part de plus en plus importante dans nos consciences de citoyens, cet engagement est également attendu à l’échelle de l’entreprise, notamment comme vecteur contribuant à l’attraction, à la fidélisation et à l’engagement des collaborateurs. À titre d’exemple : à offre égale, 78 % des salariés préfèrent rejoindre une entreprise engagée dans la transition écologique[4].

« La décarbonation de mon entreprise m’a tuer » ? Disons plutôt qu’elle m’a sauvé, car une démarche d’accompagnement du changement y a été mise en œuvre qui a permis d’atteindre les objectifs de transformation des représentations et des comportements des collaborateurs.

 

[1] Données de l’Observatoire international climat et opinions publiques, EDF et Ipsos, 2022 : https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2023-04/obscop22_e-book_planete-mobilisee_complet_20230427_planches.pdf.

[2] Citons notamment la loi de transition énergétique pour la croissance verte, qui impose aux entreprises d’inclure l’empreinte carbone de leurs activités dans leur rapport annuel de gestion, et le code de l’environnement, qui précise les modalités de l’obligation de bilan d’émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises de plus de 500 salariés.

[3] Étude réalisée par l’Institut CSA en 2021, mandaté par l’Ademe et Linkedin, https://csa.eu/news/les-salaries-et-la-transition-ecologique-dans-les-entreprises/.

[4] Étude réalisée par l’Institut CSA en 2021, mandaté par l’Ademe et LinkedIn : https://csa.eu/news/les-salaries-et-la-transition-ecologique-dans-les-entreprises/.

Danone Communities : projets à impacts multiples

Comment est né Danone Communities et en quoi cette entité est-elle en lien avec l’ADN social de Danone ?

Tout commence avec la rencontre en 2005 entre Franck Riboud, le PDG de Danone à l’époque, et Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, qui sera Prix Nobel de la paix l’année suivante. Lors de cette rencontre, tous deux décident de joindre leurs savoir-faire dans un projet original, Grameen Danone Food, pour produire des yaourts fortifiés au Bangladesh, de façon à avoir un impact tout au long de la chaîne de valeur : auprès des éleveurs laitiers, en leur assurant un revenu, en créant une usine en 2006 et donc des emplois ; et auprès de la population, car ce yaourt fortifié améliore la santé des enfants. À partir de là, Danone a voulu amplifier cette idée de soutenir des entreprises qui ont un impact social, et le fonds Danone Communities a été créé. Il est complètement inscrit dans ce qu’on appelle le double projet de Danone. Tout d’abord un projet économique et social ancré dans le discours qu’Antoine Riboud a prononcé à Marseille en 1972, où il défendait le fait qu’une entreprise était responsable de ses résultats économiques mais aussi de ses résultats sociaux. Et en même temps dans la mission de Danone, qui est d’apporter la santé au plus grand nombre à travers l’alimentation, notamment aux populations vulnérables.

Quelles sont les principales missions de Danone Communities et quels sont les domaines dans lesquels elle s’investit le plus ?

Danone Communities est là pour démontrer qu’il est possible d’avoir un impact social en s’appuyant sur des mécanismes économiques. Nous soutenons à la fois en financement et en compétences des entreprises qui ont été créées pour résoudre un problème social à travers un business économique, et nous nous focalisons uniquement sur deux secteurs : l’accès à l’eau potable et l’accès à une nutrition équilibrée, où les besoins sont énormes. Deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, et autant ne disposent pas de suffisamment de micronutriments pour bien grandir et se développer. Ce sont aussi deux secteurs dans lesquels Danone a des compétences.

À quel moment de l’existence des entreprises intervenez-vous ?

Ce sont des entreprises déjà dotées d’un modèle économique mais qui sont encore petites. Nous intervenons après l’incubation pour les aider à atteindre la rentabilité, ce qui est important pour assurer la pérennité de l’impact. Quand elles ont atteint la rentabilité depuis quelques années, nous en sortons et allons investir dans d’autres entreprises. Nous investissons entre 300 000 euros et 1 million d’euros, cela dépend des besoins. Nous sommes toujours actionnaires minoritaires, donc nous investissons avec des partenaires et demandons à avoir un siège au conseil d’administration. C’est important pour nous, parce que nous pensons pouvoir apporter de l’expertise dans le développement de ces entreprises.

Danone Communities soutient actuellement 18 entreprises dans 25 pays différents…

Au total, c’est plus de 11 millions de personnes qui, tous les jours, ont à présent accès soit à l’eau potable soit à une nutrition équilibrée. Nous avons des entreprises un peu partout dans le monde, de Haïti jusqu’au Vietnam, en passant par le continent africain.

Ces entreprises ont-elles aussi un fort impact environnemental ?

Toutes les entreprises d’accès à l’eau potable ont un impact intéressant sur l’environnement, sur deux aspects. Le premier concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, parce que les populations vont acheter de l’eau potable plutôt que de faire bouillir l’eau locale, ce qui limite aussi la déforestation et l’émission de CO2. D’ailleurs certaines entreprises du portefeuille sont éligibles à des crédits carbone, et c’est l’un de leurs moyens de financement. L’autre élément important est qu’elles vendent leur eau dans des jerricans de 20 litres, réutilisables et approximativement trois fois moins polluants au litre qu’une bouteille de 1,5 l. Cela a aussi un impact sur la santé : moins sujets aux diarrhées, les enfants vont pouvoir être plus assidus à l’école, notamment les petites filles, parce que ce sont souvent les femmes qui malheureusement sont chargées d’aller chercher de l’eau.

Avez-vous des exemples d’entreprises à nous donner ?

Je pense à deux entreprises. La première est Drinkwell, au Bangladesh, dont le modèle économique est celui d’un partenariat avec Daka Wasa, le Veolia local. Drinkwell s’est rendu compte qu’il n’allait pas dans les zones les plus défavorisées et s’est associé avec un entrepreneur, Minhaj Chowdhrury, qui a développé une technologie capable de filtrer l’arsenic, très présent dans l’eau au Bangladesh, rendant ainsi celle-ci potable. Dans ce partenariat public-privé, Dake Wasa donne l’accès aux points d’eau à Drinkwell, qui installe des kiosques à eau équipés de ces filtres. Une fois filtrée, l’eau rendue potable est vendue à très faible prix à la population locale. Aujourd’hui, ce sont 1 million de personnes qui ont accès à l’eau potable.

L’autre entreprise s’appelle Nazava, en Indonésie, et propose un système de filtres à eau à domicile. Et ce qui est intéressant, c’est qu’elle s’est associée avec les réseaux de microfinance pour pénétrer les zones rurales et vendre ses filtres à eau en échelonnant le prix d’achat. Cela permet aux populations concernées, grâce au microcrédit, d’avoir accès à des biens dont les prix sont élevés en premier achat. Et elles font des économies avec l’utilisation du filtre tout au long de l’année, dont la longévité est de trois ans.

Pouvez-vous nous décrire la manière dont Danone Communities promeut les bonnes pratiques à travers ses Learning Expeditions ?

C’est quelque chose d’extraordinaire que ces Learning Expeditions. On rassemble des acteurs de l’accès à l’eau potable – des entreprises dans lesquelles nous avons investi ou d’autres déjà présentes dans notre écosystème – pendant une semaine dans un pays où il y a un business d’accès à l’eau potable pour partager les bonnes pratiques. Nous avons dans notre portefeuille une dizaine d’entreprises du secteur, et cela fait plus de dix ans que nous les accompagnons, donc de nombreuses bonnes pratiques ont émergé et nous les avons formatées. Mais l’important est que ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui les portent, qui partagent avec les autres ce qu’ils ont appris. Nous les aidons à formaliser pour que ce soit pertinent et applicable par les autres, mais in fine c’est leur savoir-faire. Et puis on parle d’échec aussi, parce que c’est intéressant d’apprendre des échecs des autres. L’idée est de grandir plus vite, pour avoir encore plus d’impact.

Si l’idée de départ vient de la direction, Danone Communities a été adopté par les équipes de Danone, notamment à travers le mécénat de compétences, qui a déjà attiré plus de 2 000 collaborateurs. Pouvez-vous nous parler du programme Impact 3 ?

Danone Communities, au-delà de son impact social, a un impact sur les employés et sur leur engagement par rapport à Danone. Pour ces personnes, c’est une façon de vivre le double projet. Impact 3, c’est un programme qui a trois impacts. Le premier concerne l’entreprise du portefeuille de Danone Communities que l’employé va aider, en lui apportant sa compétence et en lui permettant de résoudre un problème à un moment donné. Pour les entrepreneurs du portefeuille c’est une valeur extraordinaire. Cela a aussi un impact sur le salarié, parce que cela le transforme : en mission, il se retrouve confronté à un environnement qu’il ne connaît pas, un environnement de start-up, dans des pays en voie de développement, avec très peu de moyens et des contextes extrêmement changeants, fragiles. Il sort de sa zone de confort et revient grandi de cette expérience. Enfin cela a un impact sur Danone, puisque cet employé va restituer ce qu’il a appris sur le terrain : un côté plus entrepreneurial, de l’agilité, et ça, il le redonne au jour le jour dans son job. Ce qui est intéressant, c’est que tous les employés de Danone se rendent compte de l’impact qu’ils peuvent avoir. Cela a une valeur énorme de se dire qu’on a un impact, en plus avec un enjeu social. Donc c’est très valorisant, réconfortant, c’est fort pour les employés. Cela fait un lien direct avec la mission de Danone et son ADN économique et social : il y a une vérité derrière la mission et l’ADN de Danone

Les collaborateurs de Danone détiennent aussi près de 40 % du fonds commun de placement de Danone Communities. Qu’attendent-ils de cet investissement ?

Effectivement, la spécificité de ce fonds est qu’il est ouvert aux salariés. Ils peuvent chaque année placer tout ou partie de leurs intéressements et participations – en France, puisque le placement dans le fonds n’est ouvert qu’aux salariés français –, et c’est vrai que chaque année de nombreux salariés font des placements. Aujourd’hui, j’ai l’habitude de dire que ce fonds appartient aux salariés, puisque in fine ils en sont les plus gros actionnaires.

Quand on discute avec eux, ils investissent d’abord « pour l’impact », en lien avec leur engagement sur des projets qui ont un impact social. Concernant le retour sur investissement, ils nous disent qu’au minimum ils ne veulent pas perdre d’argent, et que, s’ils peuvent faire 1 ou 2 %, c’est tant mieux… Pour certains salariés, c’est extrêmement important parce que c’est un placement qui a du sens, un placement de cœur, et que c’est leur contribution à ces projets. Ils représentent aujourd’hui près de 40 % du fonds, mais, mon rêve, c’est que ce soit plus de 50 %.

Jeunesse sentinelle

Que ce soit à HEC, à AgroParisTech ou à Polytechnique, les cérémonies de remise de diplômes offrent désormais des tribunes aux jeunes diplômés pour exprimer leur inquiétude face à l’urgence climatique, leur colère devant la lenteur de la transition écologique et leur refus de participer à des projets professionnels qu’ils jugent « écocides ». Conscients de la gravité de la situation environnementale et du pouvoir qu’ils ont entre leurs mains pour tenter de faire évoluer les pratiques, les mentalités et le système économique, de nombreux étudiants se sont regroupés en collectifs, depuis 2018 et les grandes marches pour le climat, afin de se faire entendre et d’exiger des institutions, des établissements d’enseignement supérieurs et des entreprises qu’ils opèrent des changements aussi radicaux qu’impérieux.

C’est le cas du collectif Pour un réveil écologique, un mouvement créé il y a cinq ans par des étudiants de diverses grandes écoles françaises et qui s’est fait connaître à travers un manifeste appelant à la mobilisation de « tous les acteurs de la société » pour réagir face à « une catastrophe environnementale et humaine » imminente. Signé par 34 000 étudiants à travers le pays, ce manifeste a été suivi de nombreuses initiatives de la part du collectif, qui n’a cessé depuis de se structurer et d’attirer de nouveaux adhérents, dont Benjamin Valette, membre du pôle enseignement, qui a rejoint le mouvement en septembre 2022. Étudiant en affaires publiques aux Mines de Paris après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur à l’ESPCI Paris-PSL, il est actuellement en stage de fin d’études à la Direction générale des entreprises au sein du ministère de l’Économie.

Une action de lobbying pour « changer de trajectoire »

Faisant le constat « d’une situation qui n’avance pas, qui se bloque », Benjamin Valette, à l’instar de ses compagnons, reste néanmoins convaincu que cet état de fait « n’est pas une fatalité ». « Il faut prendre notre avenir en main si on veut changer de cap, affirme-t-il. On est pour un changement radical de trajectoire si on veut avoir un avenir qui nous offre des perspectives les plus épanouissantes possible. » L’idée est certes de « se battre pour les enjeux environnementaux », mais « aussi d’essayer de sauver nos sociétés et de faire en sorte que les personnes qui vont être les plus touchées, c’est-à-dire les plus précaires, subissent le moins possible » les effets de la crise environnementale.

Pour cela, le collectif a fait le choix du lobbying actif auprès d’une « multiplicité d’acteurs à l’échelle nationale ». « Notre position, précise Benjamin Valette, c’est de faire avancer encore plus vite les choses, toujours demander plus que ce qui est fait, pour essayer d’atteindre au plus proche les attentes vis-à-vis de l’urgence climatique. » Un lobbying qui se veut complémentaire d’autres méthodes militantes : « Les manifestations et la désobéissance civile permettent à des actions comme les nôtres d’être beaucoup plus entendables. Cela nous permet d’avoir de la place dans le débat public et dans les médias. »

Le collectif Pour un réveil écologique n’a ainsi pas hésité à s’inviter dans le débat de la dernière élection présidentielle en publiant un plaidoyer général pour « proposer de mettre en œuvre des solutions concrètes, de lever les freins et de créer de vraies incitations, même si elles sont coercitives, pour faire bouger les choses au sujet du monde de l’entreprise et de l’emploi ». Au programme de ce plaidoyer : imposer une stratégie bas carbone plus stricte, évaluer l’impact environnemental des lois, obliger les entreprises à réaliser leur bilan carbone et à publier leurs rapports extra-financiers sur la biodiversité, indexer les rémunérations variables sur des critères environnementaux, ou encore faire davantage de prospective au niveau des emplois verts et être vigilant vis-à-vis de la reconversion de certains postes dans un monde idéalement bas carbone.

Faire pression sur les établissements d’enseignement supérieur

Mais c’est avant tout dans le domaine de l’enseignement supérieur que le collectif se fait le plus pressant. Il a notamment publié un autre plaidoyer qui propose dix mesures « ambitieuses et applicables directement, en moins d’un an », porté auprès de toutes les directions d’écoles et de toutes les présidences d’université. Articulé autour de trois chapitres (structurer l’ensemble de la gouvernance pour transformer, revoir la politique de formation et réduire les impacts socio-écologiques directs), ce programme se veut concret et exigeant pour permettre aux établissements d’enseignement supérieur de jouer pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique. Les principales demandes concernent « la mise en place d’une feuille de route aux objectifs clairs et quantifiables, qui soient renouvelés et évalués », la création d’un « tronc commun obligatoire, qui traite des sujets environnementaux à la fois sous ses aspects scientifiques mais aussi sociaux et historiques », ou encore l’application d’une « stratégie bas carbone ambitieuse » au sein des établissements.

Selon Benjamin Valette, « quasiment tout le monde souhaite se verdir aujourd’hui, et la transition est un élément de langage qui est entré dans l’écosystème, mais il faut derrière les mots savoir démêler la vraie de la fausse volonté. Aujourd’hui les choses bougent, il y a des acteurs qui veulent faire avancer les choses, pour autant, il ne faut pas se bercer d’illusions. Pour le moment on n’est clairement pas à la hauteur des enjeux, que ce soit dans les universités ou dans les écoles ». Pour donner « une meilleure visibilité de l’écosystème » aux futurs étudiants et leur permettre de « choisir en toute connaissance de cause un établissement qui correspond à leurs attentes », le collectif travaille en collaboration avec des classements, comme ceux de L’Étudiant ou de Change Now, et des labels, tels que le label développement durable des établissements d’enseignement supérieur (DD&RS). « On a réalisé un sondage avec Harris qui montre que les étudiants sont en quête de sens, et les enjeux environnementaux, un sujet majeur pour eux. Et donc ça va forcément se répercuter sur le choix des écoles. »

C’est pourquoi, selon le membre du collectif, « il faut absolument que les étudiants et les jeunes diplômés se mobilisent. Il faut montrer à l’administration l’intérêt qu’on porte à ces sujets, à travers des événements, des actions. Les élèves sont beaucoup écoutés quand ils revendiquent, donc c’est vraiment important ». Le mouvement est d’ailleurs à l’origine, avec d’autres associations et institutions, telles que le Campus de la transition, d’une journée d’échanges avec les directions d’écoles organisée le 12 juillet. « L’idée est de mobiliser et d’accélérer la transition dans les établissements, en donnant des clés pour avancer plus vite. Il faut créer un écosystème qui soit le plus vertueux possible et qui se pousse vers le haut. »

Utiliser « le chantage à l’emploi » pour réveiller les entreprises

L’emploi est également un domaine d’action très important pour le collectif, qui donne aux jeunes diplômés des éléments d’information sur les réelles démarches mises en place dans les entreprises, en sondant les rapports annuels ou en allant directement discuter avec elles pour les challenger sur leurs stratégies RSE. « Il y a plusieurs questions à se poser quand on est en recherche d’emploi : quelle est l’utilité des activités de l’entreprise dans une société inscrite dans les limites planétaires ? Quel est son impact sur l’environnement (climat, biodiversité, pollution, exploitation des ressources, etc.) ? Quelle est l’implication des salariés au sein de l’entreprise sur le sujet ? Ce sont de questions qui peuvent être directement posées en entretien d’embauche. » Selon Benjamin Valette, « l’emploi est un réel levier d’action parce que la transition socioécologique concerne tous les métiers. Les entreprises avec lesquelles on discute identifient quasiment toutes des difficultés de recrutement. Le bassin d’emploi est quelque chose de très important pour elles, donc elles s’en préoccupent. Le ‘‘chantage à l’emploi’’, entre guillemets, change de sens ».

Aussi, le collectif Pour un réveil écologique entend débusquer le greenwashing, « le mal contre lequel il va falloir se battre dans les années qui viennent », une pratique « très pernicieuse, pas si simple que ça à déceler ». Sur son compte LinkedIn, suivi par plus de 150 000 personnes, le collectif dénonce les entreprises qui s’y adonnent, à travers un « panthéon » ou un « calendrier de l’avent » du greenwashing. « On dissimule de très mauvaises pratiques sous le couvert d’un vernis vert, et c’est ça c’est vraiment dangereux. »

Pour autant, les jeunes diplômés choisissent-ils délibérément leur entreprise en fonction de cet enjeu environnemental ? « C’est un critère qui émerge de plus en plus, mais ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. Les gros critères qui restent aujourd’hui indispensables pour accepter un emploi seront le salaire, les opportunités d’évolution professionnelle ou l’ambiance au travail. Alors on ne peut pas dire que l’ensemble des étudiants ne veut choisir que les entreprises qui intègrent les enjeux socio-écologiques, mais ça prend de plus en plus d’ampleur, et ça, on le ressent. » Le collectif vient d’ailleurs de présenter un nouveau projet, intitulé « Pour l’emploi de demain », qui identifie les activités et les compétences nécessaires pour accélérer la transition dans une quinzaine de secteurs professionnels.

BIOCOOP : entreprise responsable tournée vers l’avenir

L’agroalimentaire est l’une des activités les plus néfastes pour l’environnement. Le bio, excluant pesticides chimiques et OGM, et impliquant une agriculture raisonnée, est présenté comme une alternative salutaire depuis des décennies. Alors pourquoi ne s’est-il pas généralisé ?

La transition écologique, par une alimentation plus saine, a été introduite par les consommateurs. Il y a eu des aides et des accompagnements du monde agricole, mais on voit que quand le consommateur a un pouvoir d’achat amoindri le bio se vend moins et le projet stagne. En fait, ce qui coince, c’est autant la responsabilité de nos décideurs politiques que le monde agricole conventionnel, car le bio n’est qu’un segment de marché. Pour que cela se développe, il faut se questionner sur les impacts positifs de la biodiversité et d’une alimentation saine. Il faut en faire le cœur de la transition alimentaire, en mettant en place des moyens suffisants et en s’engageant dans une démarche qui prenne en compte les règles du marché et la durabilité. La biodiversité a toute sa place dans ces problématiques. Aujourd’hui, le bio plafonne autour de 5 à 10 % de l’alimentation. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour engager une transition.

Les valeurs de Biocoop sont axées autour de la consommation responsable. Ce mot est sur toutes les lèvres aujourd’hui : avons-nous été si irresponsables ?

Le but d’une entreprise est de s’enrichir pour le compte de ses actionnaires. Globalement, c’est l’objectif premier. Elle choisit des produits pour les vendre sur un marché. Son fonctionnement est centré autour d’une construction capitalistique. Après, nous pouvons choisir le modèle coopératif, mais les actionnaires sont les parties prenantes de la société. Tout l’enjeu de l’entreprise est qu’elle puisse rentrer dans une responsabilité vis-à-vis de l’environnement, mais aussi avec ses collaborateurs. Biocoop cherche ce sens-là. On construit un projet qui englobe ces problématiques avec de la création de valeur et de la richesse pour l’entreprise.

À l’heure où les entreprises se questionnent sur leur utilité écologique et sociale, comment parvenez-vous à faire face aux difficultés émergentes du marché, comme l’inflation ?

Économiquement, une entreprise n’a pas intérêt à s’engager dans une démarche écologique. Les réglementations génèrent des coûts supplémentaires. Dans l’alimentaire, mieux vaut vendre un paquet de raisin importé d’un pays lointain qu’un raisin français de saison. Cela sera moins cher et générera plus de marge. Un autre exemple : le jambon bio est beaucoup plus cher que le jambon conventionnel, car le porc est la production que l’on a le plus industrialisée. Pour Biocoop, l’ultratransformation se fait sans sel nitraté, ce qui amène le prix à 32 euros voire à 33 euros le kilo. On est au cœur de la problématique : comment engager des politiques et instaurer des règles de marché propices à l’émergence d’entreprises responsables ? Pour moi, l’entreprise est avant tout un acteur de réconciliation entre les ambitions individuelles, les consommateurs et la transition collective et politique.

Les candidats et les collaborateurs sont en effet plus engagés. Sentez-vous, dans vos recrutements, que quelque chose a changé ?

Chez Biocoop, on va plutôt avoir la problématique inverse, c’est-à-dire que les générations viennent avec leurs angoisses et leurs préoccupations. Je suis moi-même anxieux par rapport au manque de communication politique sur ces sujets environnementaux. Hormis l’activisme, on a très peu de moyens d’entreprendre. Il y a, de ce fait, un rejet des entreprises. Il y a la recherche, à travers son emploi, d’être utile et actif dans ce qui nous préoccupe. Du côté de Biocoop, nous essayons de savoir comment le sens recherché par les salariés se concrétise dans l’emploi du quotidien. C’est dans le management qu’on arrive à concrétiser ce sens-là.

Concernant l’énergie, vous êtes partenaires et cofondateur de longue date d’Enercoop, une coopérative qui développe des structures de collecte d’énergie verte un peu partout sur le territoire. La question des partenaires et fournisseurs est essentielle pour « prouver » une politique RSE vraie et qui a du sens…

L’entreprise est forcément dans un écosystème. Sur la question du carbone, certaines entreprises baissent le chauffage et éteignent les lumières, on demande aux fournisseurs de s’engager dans les accords de Paris. Pour moi, il est évident qu’on n’avancera pas comme ça. L’entreprise doit avoir la première responsabilité. Biocoop est dans la construction et l’accompagnement de cet écosystème avec les industriels et l’agriculture. Sans produits et sans acteurs forts de l’industrie bio, il faut collaborer main dans la main. Enercoop nous a très bien accompagnés, durant la période d’inflation énergétique, en maintenant le prix de l’électricité de l’entreprise. C’est le fruit de vingt ans de collaboration et d’interdépendance.

Quelles actions concrètes pouvez-vous mener demain et dans un avenir plus lointain ?

Les problématiques liées au carbone et à la biodiversité restent centrales. On va continuer à renforcer notre responsabilité sur nos produits : les produits laitiers, le café et le chocolat. On réduirait nos impacts carbone si tous nos chocolats étaient issus de l’agroforesterie. La question est de savoir comment on s’engage dans ces questionnements, des sujets passionnants et qui seront de plus en plus importants durant au moins une bonne dizaine d’années.

Interview : La grande impatience

Votre livre s’intitule La Grande Impatience (celle des collaborateurs) : quelle est la nature de cette impatience ?

Depuis plusieurs mois, les articles et les études se succèdent pour décrire une société française fatiguée et démoralisée. Dans l’entreprise aussi on observe une distance vis-à-vis du travail, et un certain fatalisme. Dans ce climat généralisé d’insécurité et d’individualisme, je pense qu’il y a aussi de la place pour de nouvelles formes d’engagement. L’impatience est partout, car il y a une forme de trop-plein, un besoin de changement. Un besoin de sentir qu’on ne subit pas tout. Qu’on peut soi-même être utile, qu’on n’est pas seul, qu’ensemble on est plus forts. Bref il y a un besoin de liens et de collectif. On le voit dans le repli de chacun vers sa famille, ses amis, son couple, sa communauté. Je voulais montrer qu’il me semblait facile de restaurer cela dans le monde de l’entreprise. Très souvent des solidarités existent au niveau des équipes. Mais, précisément parce que l’entreprise est cloisonnée, ces liens se limitent à une petite échelle.

Capitalisme, responsabilité des entreprises, impact, profits à tout prix… Les collaborateurs le savent : c’est la fin d’un modèle. Quand l’avez-vous perçu ? Et si les salariés et les parties prenantes ne « poussaient pas », certaines entreprises seraient-elles aujourd’hui quand même en situation de transition ?

Les grandes entreprises sont pointées du doigt par les ONG et les médias pour leur rôle dans la crise écologique. Certains jeunes diplômés de grandes écoles appellent à une désertion des grandes entreprises et plaident pour une « sobriété professionnelle » en travaillant moins et dans des structures alternatives, au service de l’environnement. La question que cela pose : si l’on se met à l’écart de la société, comment participer à la changer ? Les grandes entreprises peuvent avoir un impact positif puissant sur la transition écologique, mais elles auront besoin de talents engagés pour faire avancer leur œuvre collective dans le bon sens pour notre planète.

Vous dites que les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ?

La reprise en main des grandes entreprises par les actionnaires, depuis les années 1970, a incité leurs dirigeants à privilégier des stratégies rentables à court terme, fût-ce au détriment du bien commun et de l’environnement. La multiplication des mécanismes de contrôle des dirigeants ainsi que des cadres, des règles et des process écarte les collaborateurs du cœur de métier de l’entreprise. L’œuvre collective y perd son sens. Les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement, précisément parce qu’ils imposent un temps long.

On peut lire un joli passage sur les « bullshit jobs » : en quoi les responsables RSE et autres responsables Employee Experience peuvent-ils être préservés de cette critique ?

La crise liée au Covid a mis en lumière les métiers vraiment indispensables à la société, provoquant une quête de sens chez de nombreux salariés des grandes entreprises dont le métier et le rôle ne semblent pas toujours aussi essentiels pour nos vies. La question que cela pose : cette course au sens ne nous a-t-elle pas fait perdre la notion même de ce qu’est le sens au travail ? Participer à une œuvre collective plus grande que soi dans une entreprise, même si cette œuvre ne répond pas à une urgence vitale, devrait contribuer pleinement à donner du sens au travail.

Développement durable et responsabilité sociale et environnementale sont incontournables dans la communication et le fonctionnement d’une entreprise. Le message de l’urgence climatique n’est-il pas brouillé dans les autres sujets RSE : inclusion, égalité, solidarité, culture… ?

Non, on le voit bien avec les critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], qui prennent en compte par exemple le niveau de réduction des émissions de CO2 mais aussi le turnover ou le nombre de procès aux prud’hommes… Non seulement ces sujets sont liés, mais il faut maintenant unifier ces critères à l’échelle européenne et créer un impact score ESG des entreprises qui prendrait en compte le coût des externalités négatives sociales ou environnementales.

Vous écrivez une belle phrase : « La planète est un bien commun, l’entreprise aussi. » Comment associer les deux dans une mission vertueuse ? Selon vous, « l’idée de faire œuvre utile, de participer à quelque chose de plus grand que soi participe pleinement du sens au travail » ?

Les collectifs d’entreprise sont une belle illustration de mission vertueuse au service du bien commun : Ecowatt, en 2022, ou Le collectif pour une économie plus inclusive, depuis 2018, qui a permis d’améliorer rapidement les achats inclusifs, la production durable, l’insertion… L’entreprise est un espace qui a le pouvoir d’influer sur le cours des choses, sur les enjeux sociétaux et environnementaux. Pour cela il faut inscrire la compétitivité de l’entreprise dans le temps long. L’impératif de croissance perpétuelle ne répond plus aux enjeux qui sont devant nous. Au coût psychologique lié à la sobriété, il faut opposer les coûts engendrés par la dégradation de l’environnement : pollution, incendies, cancers… Le réengagement au travail passe aussi par la reconnaissance des efforts, le fait que chacun ait voix au chapitre, que la valeur soit partagée…

Les exigences de productivité, les process, la digitalisation et, maintenant, l’IA : tout cela ébranle le « concret » attendu par les salariés. Comment redonner du sens, voire ramener du calme dans tout cela ?

Si Milton Friedman était convaincu que le rôle de l’entreprise était de faire le plus d’argent possible pour ses actionnaires, on a compris depuis la crise de 2008 que la théorie a atteint ses limites. Un rééquilibrage est nécessaire, comme l’ont signifié Muhammad Yunus (Building Social Business) ou Jean Tirole (Économie du bien commun) il y a déjà plusieurs années. Mais si la volonté de manager par les valeurs est désormais affichée, on observe en effet un renforcement des contrôles et la multiplication des reportings. Plus les crises s’accumulent, plus on entretient l’illusion de maîtriser les risques. Ce triomphe de la « gouvernance par les nombres » se fait au détriment d’une dimension incalculable mais essentielle du travail : la créativité. Permettre à chaque salarié de comprendre comment il peut à sa manière augmenter son impact dans l’entreprise est une voie intéressante pour lui donner envie de participer efficacement au succès collectif. Reconnaître les singularités de chacun en est une autre. Encourager solidarité et partage entre les générations est aussi important dans cet univers de l’entreprise qui est un des rares lieux où coexistent quatre générations.

Un passage intéressant aussi concerne la langue managériale. « Elle a perdu pouvoir et crédibilité », selon vous. Que s’est -il passé ? La communication managériale sur l’entreprise respectueuse de l’environnement n’est pas tout le temps sincère… Comment faire la différence ?

On n’a jamais autant parlé de « raison d’être », mais si l’entreprise tient un discours qui ne s’incarne pas dans ses modes de management et de partage de la valeur, le fossé se creusera davantage entre les promesses et la réalité, jusqu’à laisser s’installer la défiance. Une défiance du type de celle que l’on observe vis-à-vis du monde politique. Les difficultés de recrutement, les formes de désengagement qui se multiplient nous interrogent et nous obligent. Les dirigeants d’entreprise comme les politiques se disent attentifs à la parité et à la diversité, mais, dans la pratique, la standardisation prime, les organisations sont de plus en plus normatives, et l’expression de toute créativité est de plus en plus limitée. Les paroles doivent être lisses, les doutes dissimulés, et les critiques avalées. Ma conviction, c’est que pour susciter de l’engagement l’entreprise doit redevenir un espace où la liberté et la confiance sont possibles. Cela passe aussi par un discours de vérité et de transparence.

La question de l’utilité du travail est au centre de la grande impatience que vous diagnostiquez. La RSE est-elle l’une des solutions ?

Avec le télétravail, la demande croissante de liberté et d’autonomie a conduit en 2021 à la création de 1 million d’entreprises, essentiellement des micro-entreprises, souvent des petits boulots qui traduisent une nouvelle forme de précarisation du travail, sans apporter de sécurité, et en favorisant le repli sur soi. Le télétravail a fait disparaître la dimension collective de la sphère professionnelle, les temps informels, l’entraide, la solidarité… Il a aussi généré un monde du travail à deux vitesses qui augmente les inégalités. La RSE est l’une des « solutions » parce qu’elle incarne un engagement collectif, mais on voit bien que la question de l’utilité passe par la compréhension de son impact individuel. Comprendre la finalité de ce que l’on fait, dans une perspective de temps long, avec la conviction de contribuer utilement à l’effort collectif, c’est essentiel.

Quel est le bon signal pour une entreprise : à quelle place la préoccupation climatique et la décarbonation doivent-elles être mises  ? Au niveau de la direction, du comité exécutif, des RH, des finances ?

Elle doit être à tous les niveaux dans l’organisation, mais les convictions du CEO et son engagement font la différence.

Comment faire pour que les collaborateurs refassent leurs la mission et la culture de leur entreprise ? D’ailleurs, l’attachement à l’entreprise n’est-elle pas une valeur dépassée ?

Je pense que pour que la société soit vivable la relation aux autres doit être au minimum satisfaisante, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Or depuis la pandémie, les priorités ont changé. Le point extrêmement positif, c’est que plus personne n’a envie de tout sacrifier, soit à son travail, soit à sa vie personnelle. L’équilibre entre les deux est devenu essentiel. Nous sommes dans cette période charnière qui voit la confiance devenir le point de bascule. La confiance dans sa valeur propre, dans son avenir, dans la reconnaissance que les autres peuvent vous témoigner. Je pense que la confiance passe par la proximité, l’entraide, l’écoute. Dans le monde du travail, elle passe aussi par la manière dont on comprend son rôle dans une organisation, et par la valorisation de ce rôle. C’est cela qui est au cœur de la question du sens au travail : la reconnaissance.

Les consommateurs, les salariés, les parties prenantes « poussent » pour que leur entreprise soit « responsable », défende des valeurs, se transforme en profondeur… Les « raisons d’être » et les statuts de « société à mission » sont-ils des bons indicateurs ? Sont-ils utiles, suffisants ou déjà dépassés ?

Pour l’entreprise, s’inscrire dans une action responsable est un enjeu d’attractivité, de crédibilité et même de survie. Pour le public, toutefois, l’engagement des entreprises reste largement insuffisant, encore souvent considéré comme l’instrument d’une posture au service de l’image employeur. En cause : la confusion entre « responsabilité sociale » et « réceptivité sociale », qui fait énoncer des raisons d’être en écho à des idéaux et qui se révèlent éloignées de l’objet de l’entreprise. Or la définition de la raison d’être constitue une opportunité unique de réinscrire le métier de l’entreprise dans son utilité pour la société. La valeur de l’œuvre collective s’en trouve alors éclairée sous un nouveau jour.

On parle beaucoup d’entreprise « résiliente », « régénérative » : qu’est-ce que cela vous évoque ?

L’idée que l’entreprise incarne un projet collectif et en porte la responsabilité, en participant au bien commun.

L’idée aussi que le local rassure : l’échelon local donne le sentiment que ses intérêts propres seront mieux pris en compte. C’est une échelle à laquelle il est plus facile d’avoir un impact mesurable.

L’entreprise est donc bien moteur d’un changement. Et les politiques, alors ?

Les jeunes, spécifiquement, veulent donner leur temps à des entreprises qui ont un impact positif sur l’environnement et la société  : ils se rendent compte que leurs entreprises tentent de faire moins mal, mais que ce n’est pas suffisant. D’où l’impatience. C’est à la fois un désenchantement mais aussi le sentiment d’être impuissant à pouvoir réellement faire évoluer le modèle économique. Le bruit ambiant dans lequel on évolue, celui des opinions et du déclinisme, prend le dessus sur le vivre-ensemble. Or le vivre-ensemble suppose d’arrêter d’attendre quelque chose des institutions, de ne pas se contenter d’un civisme ordinaire. La politique des petits pas est préférable à l’indifférence, dans l’entreprise comme à l’échelle de la société.