Croissance verte : nécessaire mais insuffisante

Tout d’abord, peut-on définir, en quelques mots, les vrais enjeux climatiques et environnementaux en question ?

La crise de la biodiversité, à court terme, est plus aiguë que celle du climat même si les deux se combinent. Mais on se concentre beaucoup sur ce dernier, pour deux raisons : le climat nous affecte plus directement et il est lié aux questions d’énergies. On ne peut plus faire de l’énergie sans faire de climat (le charbon est moins cher mais trop polluant !), mais on peut faire du climat sans énergie (l’adaptation, par exemple). L’énergie est un enjeu que l’on peut opérationnaliser, maîtriser plus ou moins bien, mesurer avec des critères objectifs, alors que la crise de la biodiversité, on ne sait pas trop comment faire pour l’endiguer : comment, concrètement, participer à la restauration d’une espèce, d’un milieu ? 

 

Au niveau de l’entreprise et de sa gouvernance, la considération pour le climat était une option autrefois. C’est une évidence aujourd’hui. À quel moment avez-vous observé ce changement de paradigme ? 

C’est à partir de 2012-2015 que j’ai constaté un changement, avec des entreprises qui souhaitaient s’engager et prendre en compte le facteur humain. Des entrepreneurs avaient également un désir d’innovation. Avant, les services RSE étaient directement associés aux services communication, mais ensuite, ils ont pris de l’importance en matière de budget, de RH et de pouvoir d’influence. Certaines entreprises ont su qu’il fallait agir sur la gouvernance, les fournisseurs, voire, les clients. Cette transition est en partie forcée par la réglementation mais aussi par la concurrence mais aussi consentie et désirée pour des raisons écologiques. Comme me l’ont dit certains chefs d’entreprises : «J’ai des enfants et l’avenir fait peur». Mais même lorsque les changements sont désirés, il peut y avoir des freins internes, liés justement à la gouvernance et au management déjà en place.   Par exemple, pour rentrer dans une démarche de transition, il faut avoir une culture de l’innovation avec une condition essentielle dans les collectivités territoriales, comme dans les entreprises : le droit à l’erreur. Si à chaque fois que l’on tente d’expérimenter et qu’on échoue on se fait mal évaluer par la hiérarchie, on arrête d’innover.

 

Comment la lutte contre le réchauffement climatique conditionne-t-elle l’activité même de l’entreprise ?  

Si on est opérateur d’énergie, les impacts du changement climatique sur la montée des eaux ou le contraire, l’assèchement des rivières et les canicules auront des impacts sur la distribution et sur la production. C’est la même chose pour la production agricole. Mais pour le tourisme, c’est plus varié : le nombre de nuitées en mer diminue au profit d’une augmentation de nuitées en montagne, par exemple. C’est toute la question de la capacité d’adaptation de ces acteurs aux nouvelles conditions évolutives qui est soulevée. Et c’est -très complexe. 

 

Qui peut imposer des contraintes aux entreprises privées ? 

L’Union européenne a un effet structurant, encadrant qui est très important mais il ne faut pas oublier les autres entreprises, concurrentes ! Une multinationale qui impose à tous ces fournisseurs quelques conditions environnementales a un impact fort. En tant que fournisseur, pour ne pas perdre une multinationale comme client, on s’aligne avec ses exigences. Mais cette pression qui entraîne la capacité à imposer des conditions n’est pas assez utilisée. Et pourtant c’est un vrai levier.  

 

Peut-on parler de « sobriété économique », de « sobriété écologique » ? 

J’ai beaucoup de problèmes avec ce mot parce qu’on l’utilise n’importe comment. La quasi-totalité des acteurs ne réalisent pas ce qu’ils demandent en matière de charge cognitive, de poids mental, de ce que cela fait sur le quotidien que de devoir s’observer, changer ses pratiques, se pardonner quand on échoue et.. recommencer ! La sobriété est au minimum un changement de comportement et idéalement un changement de mode de vie. Qui veut devenir végétarien, qui veut réduire son espace de vie, sa consommation quotidienne ? La sobriété a un poids. Une grande partie de mes recherches tourne autour de cette question. Que veut dire la sobriété pour des entreprises, pour des familles, pour des ménages ou pour des collectivités territoriales ? Quand j’ai vu le gouvernement français dire que l’on avait atteint la sobriété cette année, en fait, il ne parlait pas de sobriété, il parlait de diminution de la consommation d’énergie, et ce n’est vraiment pas pareil. Si je fais des travaux de rénovation énergétique chez moi, je diminue ma consommation d’énergie, certes. Mais la sobriété, c’est changer ma façon de manger, de me déplacer, c’est acheter moins de vêtements, moins de gadgets. Ce qui m’inquiète, c’est que, ces prochaines années, on va devoir apprendre la sobriété de la consommation de l’eau. Avec les sécheresses, la diminution de la pluviométrie, il faudra nécessairement penser l’eau différemment. Ce qui ajoute une pression supplémentaire à celle déjà ressentie par tous. λ

UpCoop : des salariés-sociétaires

En quoi l’organisation d’une Scop diffère-t-elle de celle des entreprises de l’économie traditionnelle ? 

Le fonctionnement d’une coopérative de salariés est régi sur le principe d’une personne égale une voix, ce qui fait que la coopérative est une entreprise qui privilégie le capital humain au capital financier. À partir de ce principe, trois éléments nous différencient fortement d’une entreprise classique. Le premier c’est une gouvernance démocratique. Nous avons un mode de gouvernance qui est basé sur le fait que ce sont les salariés-sociétaires qui élisent parmi leurs pairs les membres du conseil d’administration. Ceci nous impose de la transparence et de la communication et nous implique de rendre compte, non pas à des actionnaires privés extérieurs, mais aux salariés sociétaires qui nous ont fait confiance. Le deuxième élément c’est la question de la répartition du fruit du travail. Le partage de la valeur, nous le pratiquons de façon égalitaire, puisque les résultats de l’entreprise sont répartis de manière équitable entre l’ensemble des salariés. Et le troisième élément, qui est un élément historique, c’est la place du dialogue social. Nous avons été créés par des partenaires sociaux et nous savons que dans chaque entreprise la réalisation des objectifs ne peut se faire qu’en coopérant pour faire adhérer l’ensemble des salariés à un projet stratégique, et cela passe par un dialogue social respectueux et constructif. 

Ces trois éléments jouent-ils dans l’engagement des collaborateurs ?

En rejoignant la coopérative, le salarié va devenir sociétaire. Il entre avec un contrat de travail, mais il s’engage ensuite en tant que personne qui a été cooptée par ses pairs, qui lui proposent de partager l’aventure offerte par la coopérative. Chacun est impliqué, est un acteur de l’évolution de l’entreprise. Salariés-sociétaires, nous sommes tous entrepreneurs, donc force de proposition, voire force d’action, pour permettre à l’entreprise de se développer. Cet élément-là est très important dans la notion d’engagement, et ça va même plus loin que l’engagement. C’est très responsabilisant !  Le salarié n’est pas qu’un salarié : c’est un sociétaire, donc un citoyen qui est acteur de la démocratie en entreprise. 

UpCoop a récemment pris deux décisions fortes : séparer les fonctions de Président et de Directeur Général et devenir une entreprise à mission. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ces choix ?

La dissociation des mandats est une orientation que j’avais défendue lorsque j’ai pris mes fonctions de PDG. Après 60 ans d’existence, notre coopérative fédère autour d’elle 60 entreprises dans 23 pays. Nous sommes confrontés tous les jours à des problématiques entre faire vivre l’esprit coopérative et gérer un groupe de 3 200 personnes. Ma conviction a été de bien dissocier les rôles.

Et de ce fait là, j’ai donc engagé et accéléré le processus nous amenant à devenir une entreprise à mission parce que je pensais que le fait d’être une Scop ne suffit plus pour épouser tous les sujets auxquels une entreprise doit répondre. J’ai considéré qu’en rajoutant aux statuts de la coopérative les statuts d’une entreprise à mission, cela nous obligeait à intégrer quelle est notre contribution sociétale aujourd’hui, et quelle est notre contribution environnementale. 

Comment travaillez-vous avec toutes les parties prenantes pour réduire l’empreinte carbone de vos activités ? 

Nous considérons les salariés et les collaborateurs du groupe comme des citoyens, et la question de la formation à ces sujets-là nous paraît normale. Aussi, nous les invitons tous à travailler sur la Fresque du climat, à mettre en place des actions de sensibilisation autour du gaspillage alimentaire, des économies d’énergie, d’une consommation plus responsable. Le deuxième point c’est comment nous accompagnons nos partenaires, les collectivités locales, pour mettre en place des dispositifs et des actions qui permettent d’améliorer l’impact environnemental. Nous avons été les premiers à accompagner certaines associations sur des dispositifs de type chèque alimentation durable, ou les collectivités sur le chèque énergie pour faciliter le financement de dispositifs permettant de faire des économies d’énergie dans les familles. Nous sommes aussi partie prenante pour développer le commerce de proximité. 

Comment aidez-vous les collaborateurs à avoir un impact social et environnemental positif à travers leur mode de consommation ? 

Il est fondamental que nous puissions, grâce à la digitalisation et aux nouvelles technologies, faciliter des modes de consommation responsables. On peut imaginer que les personnes qui détiennent nos titres restaurants UpDéjeuner ou des titres cadeau puissent être sensibilisés à les orienter plutôt vers des commerçants et partenaires qui ont pris la décision d’avoir des comportements vertueux en proposant des produits qui sont les moins consommateurs en matière environnementale. Avec le programme Up+, c’est déjà possible. Nos produits doivent avoir pour ambition première d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés et des citoyens, mais ce sont aussi des produits qui, avec l’évolution de la société, les nouvelles problématiques qui se posent et la digitalisation qui est un atout, peuvent contribuer à une meilleure consommation, une consommation plus vertueuse et meilleure en matière d’impact environnemental. 

Les pros de la vape à la pointe

Gaia Trend : la vape au service du sevrage tabagique

L’entreprise familiale est née d’une double intuition paternelle. Didier Martzel souhaitait détourner ses enfants de la cigarette, non pas en leur interdisant de fumer mais en leur proposant une alternative. Celle qui deviendrait, du même coup, une solution de santé publique pour lutter contre le tabagisme. 

« En 2005, mon papa-ingénieur s’est lancé dans la création d’un substitut et a déposé le brevet d’une cigarette électronique nommée Alfacig », raconte Olivier Martzel, fils ainé et fumeur repenti qui rejoint vite l’aventure familiale. En 2009, « la matière première est vite devenue un problème, se souvient-il, tous les e-liquides vendus dans le monde provenaient essentiellement de Chine. Mon frère, Xavier, s’est donc lancé dans des études d’aromatiques pour créer nos propres e-liquides. » Installée à Rohrbach-lès-Bitche (Moselle), Gaïa Trend s’inscrit  dans une logique de progression sociale et environnementale : « Nous attachons une volonté particulière au respect de la nature et de l’environnement, insiste Olivier Martzel, sans cela, nous ne sommes rien. Nous valorisons donc nos déchets, via des filières de recyclage et des associations partenaires comme “Du papier pour l’enfance” ou “Une pile Un don- Téléthon”. Gaïa Trend met également en œuvre une politique visant à limiter son empreinte carbone : employés, prestataires et fournisseurs locaux, maîtrise de la consommation d’énergie, « chaque collaborateur est sensibilisé aux consignes de chauffage, de climatisation et de consommation électrique ». Enfin, la société du Grand Est apporte une attention particulière au bien-être de ses collaborateurs avec un cadre de travail attractif, des postes de travail ergonomiques, une communication interne très régulière. L’entreprise a d’ailleurs obtenu le label « Employeur engagé » pour son éco-système de travail vertueux.

Swoke : des paroles et des actes 

Le fabricant et distributeur d’e-liquides, implanté à Andrésy (Yvelines), est porté par les convictions fortes de son équipe, à commencer par son fondateur, Aurélien Durand : « À titre personnel, j’ai pris conscience de l’urgence climatique il y a quatre ans, en suivant les conférences de l’astrophysicien Aurélien Barrault. C’est à l’occasion de l’une de ses interventions sur l’écologie que j’ai commencé à vraiment m’intéresser à l’étendue du problème et à le comprendre. »  Ce choc a précédé une action de fond : « Notre réaction s’est articulée autour de deux axes : compensation et réparation de l’impact de notre activité. Puis modifications structurelles.» Swoke se décide à nouer deux partenariats avec Reforest’Action, dédiée à la préservation de forêts, et avec Les Ailes de l’océan, association militante pour la dépollution des espaces marins. « En 2021, nous avons consacré plus de 2 % du CA au financement de ces partenariats que nous étendons, détaille Aurélien Durand, avec les Ailes de l’océan, par exemple, diverses opérations ponctuelles complémentaires ont été menées, comme la campagne où nous finançons “1m2 de plage dépolluée par fiole d’e-liquide vendue”. » S’agissant des modifications structurelles, Swoke a à cœur de collaborer avec  des fournisseurs alignés avec ses valeurs : « Nous ne travaillons plus qu’avec des arômes français, explique son fondateur, de même, nous utilisons des matières recyclées, provenant de sources éco-gérées et de fournisseurs français. Ainsi, nous avons initié la création de fioles entièrement recyclées et produites en France, distribuées sous la marque Ozone, et intégrant des mécanismes de contribution positive.» Au total, l’entreprise a contribué à capturer plus de 1 500 tonnes de CO2, à replanter 10 000 arbres et à nettoyer 90 000 m2 de plages depuis sa création.

Le Petit Vapoteur : le succès en partage 

En 2010, deux amis cherbourgeois découvrent le potentiel de la cigarette électronique. Ils créent un site de vente en ligne entièrement consacré à ce produit alors méconnu. LePetitVapoteur.com est aujourd’hui le leader européen du secteur. « Nous avons souhaité partager ce succès en développant des actions solidaires », souligne Tanguy Gréard. Conjointement au succès grandissant de l’e-cigarette, Le Petit Vapoteur a connu une croissance fulgurante. « Ce qui n’a fait qu’amplifier et nous donner les moyens de nos ambitions RSE, ajoute le fondateur. L’une de nos opérations majeures est  l’organisation annuelle du Black Fairday, un contre-pied au Black Friday. » Objectif : redistribuer la totalité du chiffre d’affaires d’une journée à des associations. L’entreprise alloue également une enveloppe aux structures normandes dédiées à la recherche médicale, la protection des animaux, la préservation de l’environnement et la lutte contre la précarité. 

S’agissant de l’impact environnemental de l’e-commerce, Tanguy Gréard s’interroge : « C’est compliqué, mais nous recherchons des solutions. Nos déchets sont recyclés, des points de collectes sont installés dans nos magasins, et toutes les recharges de liquides sont fabriquées en France. Mais le matériel électronique vient de Chine. Nous avons encore du chemin à parcourir. » Cette RSE questionnée et en évolution constante est un atout majeur pour la politique de recrutement du Petit Vapoteur : « Au-delà des compétences, nous recherchons des personnes capables de s’intégrer facilement à notre entreprise, via un partage de sens, de valeurs et de sympathie, insiste Tanguy Gréard. C’est pour cela que l’ambiance reste familiale au sein de nos 350 employés. »

Tribune : RSE et PME : même pas peur !

 Croire que la RSE se fera sans coût est illusoire. Aussi, protéger l’exploitation des PME est-il plus que jamais nécessaire.

Pourtant, la RSE n’est pas un choix mais une obligation, au fur et à mesure que l’accès au financement se conditionne à une trajectoire carbone.

. La RSE n’est pas une option, au fur et à mesure que ces critères prennent du poids dans les appels d’offres publics comme dans ceux des grands comptes privés. 

. La RSE ne doit pas rester à l’état de projet au moment où les collaborateurs, qui sont aussi des citoyens, poussent pour que l’entreprise prenne sa part dans ce défi. 

. Enfin, la RSE devient aussi prioritaire pour les clients qui, malgré des incohérences certaines, modifient peu à peu leur mode de consommation ou, tout au moins, leur rapport à celle-ci. Bref, cernées par les pressions des clients, des banquiers et des équipes, les PME portent davantage leur choix sur la méthode que sur la finalité. À ce poids des parties prenantes s’ajoute un accroissement significatif de la pression réglementaire (celle de la directive européenne CSRD, notamment, sur le reporting de durabilité des sociétés).

Voici ce que nous observons du côté du label HumaCap, qui aide les organisations à associer leurs collaborateurs à la démarche RSE. Pour nous, cela prend la forme de trois étapes clés :

1. Former. Se former à la RSE pour en comprendre les enjeux multiples, cela suppose un véritable effort pour partir d’une ligne de départ commune. L’année 2023 aura été marquée par le déploiement large des Fresques. « Fresquer » est le néologisme à la mode.

2. Consulter. Engager dans l’action les collaborateurs en sollicitant leur avis (éclairé par la formation), en écoutant leurs priorités et en prenant celles-ci en compte pour modifier la démarche RSE.

3. Rallier. Les faire adhérer à la démarche pour qu’ils en deviennent les agents actifs et les ambassadeurs, à la fois internes et externes. Cette dernière étape suppose un alignement des objectifs – et notamment des indicateurs clés de performance, distribués aux équipes, qui doivent prendre en compte l’enjeu RSE en plus de la dimension financière (part de marché, taux de service…).

In fine, plutôt que d’hésiter, concernant l’engagement RSE des PME, entre accélération ou pause, il me semble crucial de continuer à avancer pour apprendre pas à pas et infléchir notre trajectoire actuelle. La restructuration est complexe et nous demandera du temps. Là où la transition digitale était impulsée par le top management et source de productivité, la transition RSE est impulsée par les parties prenantes et remet en cause nos modèles d’affaires. Ne perdons pas de temps pour nous y préparer ! λ

L’IÉSEG et RSE : causes communes

«C’est une école où la dimension humaine, sociale et sociétale est super-poussée », nous déclare Bernard Coulaty, DRH pendant une trentane d’années et aujourd’hui reconverti dans le consulting et l’enseignement, pour nous expliquer son choix de rejoindre l’IÉSEG en 2020. « Mais ce n’est pas seulement pour la prise en compte des enjeux RH et RSE, c’est aussi parce que le statut associatif et non lucratif de l’école lui confère des valeurs particulières, et les deux sont liés. La stratégie RSE de l’école vient des dirigeants et de leurs convictions personnelles, elle est ancrée depuis longtemps. Les stratégies RSE sont plus effectives dans les organisations ayant une vision à long terme avec de vraies valeurs de responsabilité et d’engagement, c’est beaucoup plus facile à implémenter dans ces ce type de culture. Concernant l’IÉSEG, il y a un écosystème culturel autour de l’école qui montre que c’est assez authentique et sincère. »

La stratégie RSE de l’IÉSEG s’articule autour de deux points principaux : « Il y a à la fois l’établissement IÉSEG, qui réunit le personnel enseignant et administratif, sur deux campus à Lille et à Paris, où beaucoup de choses sont faites. Et puis il y a le cursus académique en tant que tel et donc les cours dispensés aux étudiants :  les enseignements RSE sont incessants sur les cinq années du cursus, dans une approche interdisciplinaire, on ne lâche pas un instant nos étudiants sur le sujet et ils savent que nous formons des changemakers ! » Ainsi, dans le cadre du Plan Transition 2026, 100 % du personnel de l’IESEG est formé pendant dix-huit mois aux enjeux de la RSE, à travers différents modules. Et tous participent à la construction de cette stratégie, à travers des groupes de travail : « J’ai été très impressionné de voir cela dans une grande école, je ne m’y attendais pas. Cela donne une ambiance, une coloration et un engagement des collaborateurs que je trouve assez exceptionnels. »

La formation des étudiants à la RSE est également devenue un pilier de l’école, qui attire de nombreux candidats : « C’est rare qu’ils ne citent pas cet aspect changemaker quand ils postulent. Cela commence au niveau du Bachelor et se poursuit jusqu’au niveau du Mastère. Pendant cinq ans, il n’y a pas une année sans focus sur ces enjeux sociétaux. » La RSE occupe aussi une place importante dans le nouveau Mastère spécialisé « Direction Transformation et Développement Humain », que Bernard Coulaty dirige depuis la rentrée, et où ses participants, au profil expérimenté, collaborent avec des étudiants du Programme Grande École sur divers ateliers intergénérationnels : « La RSE n’est pas un sujet laissé aux jeunes, c’est un sujet intergénérationnel : il faut aussi créer du lien à travers cet enjeu. »

Tribune : Travail hybride : un outil puissant de transition écologique

Ces avantages sont encore plus facilement atteints par des innovations technologiques qui optimisent les déplacements et l’occupation des bureaux tout en mesurant les bénéfices de façon continue.

Cependant, le télétravail et l’usage de ces solutions accroissent très fortement l’utilisation des technologies digitales connectées, ce qui n’est pas neutre du point de vue environnemental. Les data centers, le cloud, indispensables à la fourniture de services Internet, sont de grands consommateurs d’énergie, et les équipements nécessaires au télétravail (ordinateurs, smartphones, casques, écrans) génèrent des déchets électroniques de plus en plus importants.

La happytech intègre une conscience écologique dans l’amélioration de l’expérience collaborateur. Les entreprises peuvent promouvoir l’utilisation de matériel éco-conçu et encourager une utilisation plus rationnelle de ces équipements.

Prenons le cas de Datakiss, une start-up proposant non seulement une IA de haute qualité, mais aussi une utilisation des équipements plus rationnelle et respectueuse de l’environnement. En rationalisant les scénarios de cycle de vente avec la sectorisation des commerciaux tout en prenant en compte la réalité opérationnelle, elle réduit les déplacements inutiles, ce qui a un impact direct sur l’empreinte carbone de l’entreprise cliente.

À travers son écosystème, le « mouvement happytech » veut démontrer qu’il est possible d’améliorer l’expérience collaborateur en promouvant un environnement de travail plus vert. En plus d’offrir aux employés des outils numériques écoresponsables, elle peut encourager des pratiques durables et des comportements écologiques, renforçant ainsi le sentiment d’engagement et de responsabilité des employés envers notre planète.

Un exemple serait Humoon, une plateforme qui accompagne les actifs dans leur carrière et favorise le bien-être au travail. Humoon propose des modules pour sensibiliser les employés aux questions environnementales et promouvoir des comportements durables au travail.

En vérité, si nous voulons faire du travail hybride un outil puissant de transition vers une économie verte, nous devons intégrer la perspective environnementale dans notre approche du travail. Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer en adoptant ces technologies et en créant une culture de travail durable et respectueuse de l’environnement.

Essec : la RSE incubée

Quelles sont les principales missions du Laboratoire ?

Elles concernent, pour la majeure partie d’entre elles, des travaux de recherche-action avec des partenaires, des organisations qui ont envie de comprendre leur impact social et souhaitent le mesurer. Notre vision, c’est que l’évaluation de l’impact social doit se faire à l’aide d’un outil de pilotage, tout comme une organisation tient sa comptabilité. Nous accompagnons nos partenaires dans la mise en place d’une démarche d’évaluation d’impact social, mais aussi dans l’« acculturation » de leurs collaborateurs pour que ceux-ci trouvent des outils de gestion de cet impact compatibles avec leur stratégie et leurs process internes. Notre deuxième activité consiste à créer de la connaissance, à travers l’écriture d’articles scientifiques et de rapports, avec la production de publications. Et la troisième activité concerne la diffusion de cette connaissance et la mise en place d’un certain nombre de formations.

Que mesure-t-on quand on parle d’impact social ?

Il faut garder en tête que lorsqu’on mesure un impact social on mesure un changement. Pour la partie qualitative, on ne parlera pas d’indicateurs mais de grands changements qui ont pu toucher les personnes, des changements ayant fait l’objet d’une stratégie qui visait à avoir des effets sociaux positifs sur un certain nombre d’entre elles. Pour la partie quantitative, si on pense au retour à l’emploi par exemple, nous allons essayer de compter le nombre de personnes qui, deux ou trois ans après l’accompagnement, se sont maintenues dans un emploi durable. Mais, si on veut mesurer l’impact plus largement, on va considérer les retombées qu’il y a pu y avoir sur la stabilité de ces personnes, leur santé physique et psychique, leur pouvoir d’achat, le logement…

En quoi l’acculturation des collaborateurs à cette démarche est-elle importante ?

Nous réalisons beaucoup d’entretiens avec les collaborateurs et nous constatons cette envie de comprendre l’impact de leur travail.

L’une des conditions d’appropriation d’une démarche d’évaluation d’impact social par les équipes est clairement la conduite du changement. L’évaluation d’impact social repose sur une collecte de données inhabituelle, qui n’existe pas dans les organisations, et cette dynamique peut rencontrer pas mal de résistances, notamment en raison de la crainte de la part des collaborateurs d’être évalués sur leurs performances plutôt que sur l’efficacité de l’action mise en place dans la stratégie de l’organisation. Alors nous les accompagnons pour mettre en place ces démarches sans qu’elles soient menaçantes, pour qu’ils adoptent des postures de praticiens chercheurs. Il s’agit vraiment d’une conduite du changement qui doit se faire avec bienveillance et avec des ressources qui représentent un investissement à long terme pour que les équipes se les approprient en interne et en autonomie. λ

Chartes, promesses, valeurs : les illusions perdues

« Nous vivons dans un monde où les funérailles sont plus importantes que la mort, le mariage est plus important que l’amour, l’apparence est plus importante que l’âme. Nous vivons dans une culture de l’emballage qui méprise le contenu », disait l’écrivain Eduardo Galeano.

De ce monde des apparences, le monde de l’entreprise n’est hélas pas exclu, et les jeunes et moins jeunes, diplômés ou non, n’en veulent plus. Peut-on leur donner tort ?

Le désengagement touche aujourd’hui de plein fouet les entreprises de toutes tailles, de tout secteur d’activité. Pis, nombre d’entre elles – consciemment ou inconsciemment – sont passées maîtres dans l’art des apparences, des chartes aux promesses trompeuses et aux valeurs non incarnées. Car même si le baby-foot trône à l’entrée, si un mur végétal orne le hall et que la machine à café côtoie un assortiment de boissons bio, tous ces artifices ne sont souvent là que pour donner l’illusion que l’entreprise porte attention au bien-être au travail de son personnel. Alors qu’en fait il n’en est souvent rien. Entre cette attrayante marque employeur, bâtie à grand renfort de marketing, et la réalité vécue sur le terrain par les salariés, l’écart peut être d’une telle ampleur qu’il se traduit souvent dans ce qui s’appelle communément aujourd’hui de la souffrance au travail. Pour éviter cette situation extrême, un certain nombre de salariés, dont des cadres dirigeants, seront tentés par une démission. Et, à ce rythme-là, l’entreprise désertée n’aura d’autre choix, à terme, que de disparaître « faute de combattants » !

Les promesses de sécurité et de rémunération ne suffisent aujourd’hui plus à motiver l’engagement des salariés. C’est sur la capacité de l’entreprise à respecter ses promesses faites sur le court terme qu’un collaborateur va se forger une perception de la confiance qu’il peut avoir en son employeur. Si cette perception est bonne, il acceptera plus facilement de s’engager dans une relation durable. Mais, en cas de non-respect des promesses, la confiance est trahie, ce qui engendre une déception, et souvent par la suite une souffrance. Les talents prennent alors la fuite.

Jeunes diplômés ou seniors, nouvelles recrues ou managers confirmés, de plus en plus de collaborateurs attendent davantage de leur vie professionnelle qu’un simple statut assorti d’une rémunération. Pour s’impliquer au sein d’une entreprise, et tout particulièrement au sein d’un grand groupe – aussi renommé soit-il –, non seulement ils doivent s’y sentir en confiance, mais, pour bon nombre d’entre eux, leur mission doit faire écho aux différentes crises environnementales qu’ils traversent. 

Capter des talents signifie donc pour les sociétés être en mesure d’ajuster leur proposition au marché de l’emploi, par une remise en question profonde de leur existence et de la légitimité de leur business. Les entreprises qui y parviennent sont celles qui réfléchissent sur leur raison d’être et sur leurs valeurs, fondements de cette raison d’être. Ces valeurs sont celles pour lesquelles leurs salariés seront fiers de travailler, leurs clients et fournisseurs seront ravis de collaborer avec elle. 

Au centre de l’engagement des collaborateurs, les valeurs sont plus que jamais le porte-étendard de la culture d’entreprise et le socle de la marque employeur : du management par les valeurs, en passant par la démarche RSE, l’équilibre vie pro-vie perso… Les entreprises où il fait bon travailler sont celles dont les valeurs affichées sont aussi réellement incarnées, et ce au plus haut niveau de la hiérarchie, et qui se retrouvent aussi dans leur façon de travailler avec leurs collaborateurs et leurs autres parties prenantes (fournisseurs, partenaires et clients).

À l’inverse, les entreprises au sein desquelles les valeurs affichées ne sont que des vœux pieux – ou qui revêtent une forme de slogan publicitaire, jouant sur les mots et les apparences – se voient désertées par leurs collaborateurs. Car, entre les valeurs annoncées et la réalité dans les faits, l’écart est tel que les salariés qui souhaitaient s’engager dans une relation durable avec l’entreprise vont découvrir que celle-ci est basée sur de fausses « promesses » et qu’elle est, de surcroît, la plupart du temps, en décalage complet avec leurs valeurs personnelles. Ils n’aspireront plus qu’à une chose : la quitter.

Mais alors, que doivent faire ces entreprises pour retrouver le chemin de l’attractivité des talents ? Tout simplement, redécouvrir l’authenticité. Comment ? 

Pour passer de l’illusion à l’authenticité, elles devront s’engager dans un réel changement de culture d’entreprise. Car seule la culture de l’authenticité peut transformer l’entreprise en une véritable force d’attractivité des talents sur le long terme.

PUBLICIS : un engagement horizontal

Comment pourriez-­vous qualifier la politique environnementale de Publicis ?

Comme une politique de précurseurs dans le domaine de la communication. Cela fait plus de quinze ans que nous avons mis en place un département RSE au niveau du groupe. Publicis travaillait alors de manière globale sans impliquer vraiment les agences. Dès 2013, devant cette transformation aujourd’hui incontournable mais à l’époque à peine frémissante, je suis allée voir notre CEO pour le convaincre de faire descendre cet enjeu RSE au niveau des entités. Mon projet a abouti un an plus tard, a pris beaucoup d’ampleur, et aujourd’hui je suis directrice RSE Publicis France. Quant à notre politique RSE, elle est structurée autour de trois grands axes : diversité, équité, inclusion et justice sociale ; marketing responsable et business éthique ; et lutte contre le réchauffement climatique.

Comment suivez-vous votre impact en continu ?

Cela fait déjà quinze ans que nous calculons le bilan carbone du groupe : scope 1 et scope 2 puis, depuis plus de cinq ans, scope 3. Nos objectifs, en alignement avec les accords de Paris et validés par l’initiative Science Based Target (SBTi), sont de réduire pour 2030 de 50 % et pour 2040 de 90 % nos scopes 1 + 2 + 3 par rapport à 2019. Comme nous sommes une entreprise de services, nos impacts scopes 1 et 2 sont en nombre plutôt limités : déplacements, énergie consommée, matières premières achetées bureaux et déchets engendrés. Concernant notre scope 3, nous prenons en compte l’intégralité de notre chaîne de valeur, ce qui veut dire certains impacts de nos clients et de nos fournisseurs. Pour ces derniers, nous avons mis en place un outil gratuit nommé Pass, qui leur permet de faire une autoévaluation de leur politique RSE autour d’environ 80 questions ESG. Ainsi, tous nos fournisseurs, au fur et à mesure, quelle que soit leur taille, leur lieu géographique, vont prendre connaissance de leurs impacts ESG, voir où ils sont bons, quels sont les leviers sur lesquels ils doivent progresser… On les suit dans le temps, on les accompagne s’ils le souhaitent et, si on se rend compte qu’ils ne progressent pas, on peut décider d’arrêter de travailler avec eux.

Côté clients, nous innovons aussi régulièrement pour les aider à diminuer leur impact environnemental. Deux exemples français : Razorfish, notre principale agence digitale, a créé, en partenariat avec le collectif Green It, le Razoscan, un outil pour évaluer l’empreinte environnementale des sites Internet de nos clients et mettre en place des solutions pour diminuer celle-ci. Autre exemple : Renault, pour lequel nous avons imaginé un nouveau service, Plug Inn (l’Airbnb des bornes de recharge électrique…) – un des premiers freins d’achat d’une voiture électrique étant le manque de bornes sur le territoire. Le concept initial comme le développement de l’application ont été faits chez Publicis.

Comment les collaborateurs sont-ils devenus des parties prenantes convaincues ?

C’était une priorité de commencer par eux et de travailler avec eux : il était hors de question de faire du « descendant » : le collaboratif a toujours été au cœur de notre stratégie RSE. Un process qui se fait aussi main dans la main avec les RH. Parallèlement, nous avons monté une communauté d’une soixantaine d’ambassadeurs RSE : dans chacune des entités Publicis, il y a un à trois collaborateurs qui travaillent la RSE de leurs propres entités. Et enfin, pour compléter, nous avons lancé il y a un an et demi un vaste programme de (trans)formation de tous nos métiers auprès des 4 500 collaborateurs en France pour accompagner la transition écologique et sociétale. Tous nos collaborateurs sont désormais exposés dune manière ou une autre à notre politique RSE !

Quel est l’avenir de la RSE ?

Je vais être honnête avec vous : je pense que nous aurons réussi quand des fonctions comme la mienne n’existeront plus, que la RSE sera intégrée dans tous les profils de l’entreprise et pas seulement incarnée par un département.

À suivre… λ

RSE et marque employeur : pourquoi choisir ?

Certains avancent que le RSE est au service de la marque employeur. D’autres, qu’elle en est un levier et même une partie intégrante. Ces approches sont inexactes. Les deux sphères s’interpénètrent sur de nombreux sujets, et l’on peut fréquemment s’appuyer sur l’une pour soutenir l’autre. L’égalité femmes-hommes, l’emploi des séniors, le recrutement sans discrimination en sont des exemples. Cependant, là où la RSE s’attache à équilibrer l’environnemental, l’économique et le social, la marque employeur répond à un besoin lié au marché de l’emploi, centré sur le social, avec un impact bénéfique essentiellement pour l’entreprise. En revanche, les actions RSE visent à satisfaire les attentes de la société dans son ensemble et prennent en compte des évolutions à grande échelle. Si les deux domaines ont ainsi des implications politiques, leurs champs d’action et leurs préoccupations se recoupent… avec des finalités sensiblement différentes.

Avant tout, les deux concepts n’ont pas la même vie, pas le même rythme. Les termes de RSE et de marque employeur sont apparus à quarante-trois ans d’intervalle. La Corporate Social Responsability a été imaginée en 1953 par l’économiste américain Howard Bowen. La marque employeur est apparue en 1996 grâce aux Britanniques Simon Barrow et Tim Ambler.

La marque employeur a donc un « retard » chronologique par rapport à la RSE. Les entreprises n’ont pas toujours rencontré les difficultés d’attractivité et de fidélisation que nous connaissons.

De plus, la société s’est vue fondamentalement transformée en quelques décennies, sous l’effet de la mondialisation, de la transformation digitale et des crises successives.

Le décalage temporel RSE-marque employeur est forcément à l’origine d’une différence d’appropriation de ces concepts par les entreprises. Celles-ci ont accepté la RSE bien avant la marque employeur, mais le progrès reste en marche. Nous l’avons particulièrement remarqué lors de l’après-Covid.

Dans les années 1970, l’économiste Milton Friedman avance l’idée que la responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter leurs profits. Selon lui, « il y a une et une seule responsabilité des affaires : utiliser ses ressources financières et engager des activités désignées à accroître ses profits ».

Bien que la RSE ne puisse être aujourd’hui résumée à cet aspect, il existe encore trop d’entreprises qui n’en ont pas pris acte et estiment que la communication se suffit à elle-même : le greenwashing reste courant. Or, les conséquences néfastes de ce type de politique ne sont plus à prouver. Les attentes sociétales sont de plus en plus réelles et affirmées au fil des générations. L’engagement public et la déclinaison du discours en action sont au centre de toutes les attentions. L’appareil législatif évolue aussi et, à terme, toutes les entreprises devront rendre compte de leurs impacts sur la société et l’environnement.

Heureusement, de plus en plus d’organisations sont impliquées dans la démarche avec innovation et proactivité, et se déclarent « entreprises à mission » de façon à formaliser leur politique RSE de façon statutaire.

Pour la marque employeur, un chemin similaire se dessine peu à peu. Si le sujet était à l’origine traité par les agences de communication, il est majoritairement passé aux mains des services RH. On comprend aisément pourquoi : attirer et fidéliser les talents est bien l’une de leurs fonctions de plus en plus prégnante. Mais on constate aussi, parfois, les mêmes travers que pour la RSE. De nombreuses entreprises cherchent à « tricher », à afficher une image qui n’est pas la leur. Le discours n’y est qu’un vernis. Or, je l’ai toujours dit, il devrait être authentique et refléter la réalité pour porter ses fruits.

Néanmoins, pour le concrétiser, il est nécessaire de mettre en place de véritables stratégies et de se tourner vers des modèles de finance durable. En effet, dans un contexte où l’économie sociale et solidaire se développe, les entreprises ne peuvent plus ignorer leur rôle sociétal. Les services financiers doivent désormais prendre en compte les critères « extra-financiers ».

De fait, le reporting RSE devient peu à peu obligatoire pour toutes les entreprises et tend de plus en plus à se rapprocher du reporting financier. Bientôt il n’y aura plus de frontière entre les deux, et les rôles économiques et sociétaux des organisations seront pleinement solidarisés. Cette réalité est déjà très forte pour de nombreuses sociétés. D’après une récente étude de PwC, 73 % des directions financières prévoient de faire évoluer leur modèle de pilotage à l’horizon 2026, afin d’intégrer les dimensions RSE.

La fonction économique de l’entreprise reste bien évidemment au cœur de ses activités, mais elle doit aussi évoluer. Elle ne peut plus se cacher derrière un simple discours. Pour la RSE comme pour la marque employeur, la communication reste la partie visible de l’iceberg. Le plus gros travail à effectuer est sur la partie immergée et nécessite une implication de tous. L’action humaine, à chaque niveau de l’entreprise, permettra de réinventer le travail de demain. λ

La RSE : un grand bluff managérial ?

En 2021, l’éviction du PDG charismatique de Danone, Emmanuel Faber, sous la pression de fonds d’investissement, n’était pas juste un fait divers économique, une nouvelle conjoncturelle, une illustration des péripéties, des tribulations du jeune statut d’entreprise à mission. C’était une illustration parfaite des limites de la bonne volonté en entreprise, « instrument » qui se révèle insuffisant face à un réel de plus en plus complexe et inhospitalier pour les vœux pieux. Ce que j’ai alors nommé « l’effet Faber » ou les limites de la bonne volonté pour transformer les organisations, ne peut trouver meilleur terreau que la responsabilité sociétale des entreprises (RSE).

Est-il possible d’être responsable dans un management de marché ?

Tout choix managérial pleinement efficace a pour objectif de satisfaire les exigences du marché économique. De sa satisfaction découlent la rentabilité et la pérennité des entreprises. C’est un truisme de le dire.

Dès lors, les choix managériaux sont le fruit de combinaisons permettant à l’organisation de produire le modèle qui satisfait le marché économique à un instant T par le truchement de biens et/ou de services donnés. Ce modèle managérial n’a donc pas comme objectif premier d’être « responsable » mais d’être pleinement efficace pour satisfaire un besoin économique donné.

Sauf exception, dans les associations ou dans certains services publics, le choix managérial, loin d’être neutre, est dicté, volens nolens, par la décision de satisfaire le marché. Malgré l’offre exponentielle de modèles managériaux auréolés d’humanisme et de responsabilité, il serait bien naïf de penser que les choix de gouvernance sont dictés par la providence ou par la recherche du bien commun qui transcenderait toute considération autre.

Manager une entreprise est un acte politique !

Le management est donc loin d’être neutre comme nous aimons à le penser, car manager, c’est travailler le divers, lequel n’a jamais été aussi complexe : efficacité à court terme vs soutenabilité, citoyen vs consommateur, cœur vs raison, intuition vs pensée, préservation de l’environnement vs croissance…

Manager, c’est agir politiquement : le manager doit chercher à « préserver le sens des ensembles » pour satisfaire des objectifs de différentes natures, souvent contradictoires dans un commerce temporel donné : se situer hic et nunc, en se projetant à partir du passé tout en donnant des gages au futur.

Ainsi, un management absolument efficace d’une entreprise est antinomique avec une responsabilité sociale. Le maximum d’efficacité justifie le minimum de responsabilité et même le minimum de liberté, comme l’avait bien vu Bernard Charbonneau, comparse de Jacques Ellul et écologiste avant l’heure. La RSE met en exergue la tension entre toute velléité de responsabilisation et le prix qui va avec. La responsabilité a toujours un prix. Il est illusoire de penser qu’on puisse être responsable à peu de frais, c’est une vue de l’esprit.

Ainsi, on peut diriger efficacement, à partir de choix, d’actions efficaces qui produisent l’effet et les résultats attendus, sans pour autant le faire convenablement – c’est-à-dire d’une manière soutenable qui convienne aux personnes et à la société.

L’effet Faber est-il inéluctable ?

Pour éviter de « bricoler dans l’incurable » et d’être pris dans cet effet Faber, il est nécessaire de comprendre qu’agir avec responsabilité et humanité ne se décrète pas dans une organisation : la finalité d’une organisation n’est ni le vrai, ni le beau, ni le bien, mais la capacité à exécuter efficacement l’ordre reçu. Autrement dit, il n’y a pas de sagesse spontanée dans une organisation qui serait la traduction d’une force irrésistible de responsabilité ou d’humanité. La sagesse organisationnelle n’existe pas : seul un homme dont les idéaux surpassent les instincts (Paul Valery) et conscient des risques qu’il prend peut être sage, car il y a toujours un prix à payer.

En outre, il est nécessaire de sortir du mythe de la solution qui permettrait d’être « responsable ». On n’apporte une solution qu’à un problème technique ou mathématique. Seul un « arrangement » est de mise, c’est-à-dire toute action permettant un compromis acceptable eu égard aux données du « problème », qui respecte les parties prenantes et qui ne sacrifie pas le futur pour le présent. L’arrangement, c’est la concrétisation de l’éthique de la non-puissance dont parlait Jacques Ellul.

Enfin, la mise en pratique d’une éthique de la non-puissance nécessite un changement des représentations et une éducation sérieuse. Tant que dans les lieux de socialisation nous continuerons de faire comme si, disait Karl Kraus, Dieu avait d’abord créé le producteur, puis le consommateur, et après l’Homme, le management continuera d’être une technique de pouvoir, avec l’injonction de ne décider qu’en fonction des intérêts de ce dernier. Sans une hominisation des femmes et des hommes, nous continuerons de nourrir l’illusion qu’une solution technique (statut à mission, comptabilité inclusive, système de bonus-malus…), aussi pertinente et utile fût-elle, pourrait à elle seule permettre de répondre aux enjeux de responsabilisation sociale et environnementale des entreprises. λ

Quand le climat dessine sa fresque en entreprise

Lorsqu’il pense La Fresque du climat, en 2018, le Nantais Cédric Ringenbach, ingénieur, conférencier et enseignant spécialisé dans le changement climatique, se donne un objectif ambitieux : accélérer la compréhension des enjeux climatiques au niveau mondial pour contribuer à déclencher les bascules nécessaires à la préservation de la planète et du vivant. S’appuyant sur le postulat que « pour agir, il faut comprendre », il conçoit un jeu de cartes pédagogique, nourri d’informations scientifiques vulgarisées du Giec (Groupe international des experts pour le climat), pour inviter les « joueurs » à dessiner ensemble, durant trois heures, un cheminement graphique qui part du problème, expose ses causes et dégage des solutions et des pistes d’action générées de façon collective par les participants eux-mêmes. Cinq ans plus tard, 1 million de personnes, citoyens lambda, étudiants ou encore organisations et entreprises, ont participé à ce jeu climatique pédagogique et ludique colporté dans 130 pays. La part des entreprises représente à elle seule près de 35 % des participants.

« Une claque » fédératrice

« Dès ses débuts, La Fresque du climat a été sollicitée par les entreprises qui ont des stratégies de développement durable. Elle est perçue comme un outil de référence qui permet aux collaborateurs de s’approprier le défi de l’urgence climatique », expose Thomas Dayraud, directeur offres et programme au sein de l’association La Fresque du climat. Une sensibilisation « choc » qui fait l’effet « d’une claque » et qui a le don de provoquer l’effet recherché par les dirigeants. « Pour s’inscrire dans la transition, les entreprises ont besoin d’embarquer leur staff et leurs collaborateurs avec elles pour les informer des changements qu’elles vont mettre en place, mais aussi les impliquer. C’est une étape essentielle. » EDF, Decathlon, La Poste, Saint-Gobain, Airbus… Autant de groupes qui l’ont compris. Les deux premiers ont ainsi formé quelque 70 000 de leurs collaborateurs aux enjeux climatiques par le biais de La Fresque du climat, sur un rythme moyen d’une fresque animée par mois sur deux ans, en fonction de la taille de l’entreprise.

Des référents « fresqueurs » au sein de l’entreprise

Pour permettre un déploiement à grande échelle, l’association forme un collaborateur interne à l’entreprise qui devient l’animateur et le référent officiel Fresque du climat au sein de la structure. « Ces dynamiques permettent au jeu de pouvoir se déployer dans différents pays grâce aux branches internationales des groupes, comme Saint-Gobain, par exemple, qui a des équipes au Brésil », détaille Thomas Dayraud, précisant que 75 % des entreprises du CAC 40 ont aujourd’hui recours à cet outil pour impliquer leurs équipes dans la transition. « Chaque mois nous sommes sollicités par des centaines d’entreprises de toutes tailles, de plus en plus à l’international. En 2022, la proportion des demandes était de 90 % pour la France et de 10 % pour l’étranger. Cette année, on est à 80 % (20 % pour l’étranger). Dans les années à venir, la France ne sera plus qu’un pays parmi les autres », projette le responsable, dont l’association est aujourd’hui implantée en Suisse, au Royaume-Uni, en Espagne et en Belgique. Dans les mois et les années qui viennent, La Fresque du climat vise un déploiement massif de son dispositif dans d’autres pays (notamment aux États-Unis et au Canada), en renforçant l’outillage du jeu.

 

Trois questions à Emmanuel Delannoy, cocréateur de la Fresque de l’Économie régénératrice.

Comment l’idée de créer une Fresque autour de l’économie vous est-elle venue ?

L’idée était de concevoir une fresque tournée vers une économie qui inclue les grands principes de la permaculture. Soit une économie qui intègre les communs, c’est-à-dire tout ce dont l’entreprise bénéficie dans son fonctionnement mais qui ne lui appartient pas.

Quels sont les grands axes de cette fresque ?

Elle se déroule en quatre parties. La première vise à présenter les cycles de vie des produits et à démontrer que l’économie d’aujourd’hui n’est pas circulaire. La seconde, les systèmes dans lesquels l’entreprise s’insère, les communs sociaux et environnementaux. La troisième dresse un arbre des causes qui permet de soulever ce qui ne va pas dans l’économie actuelle et de mettre à jour le pourquoi. Enfin, la quatrième présente les piliers de l’économie régénératrice et ses intentions, ses référentiels et ses outils et méthodes, en se basant sur le principe du respect du vivant, en remettant les communs environnementaux, absents de l’économie actuelle, au centre.

Quel est l’objectif de cette fresque ?

Pour l’entreprise, elle est un premier pas vers la régénération. Le but est qu’elle lui donne l’envie de mettre en place ce type d’économie, alternative et complémentaire à l’économie capitalistique, dans son système de gouvernance et son modèle économique.

 

PERNOD RICARD : Du terroir au comptoir

La feuille de route RSE de Pernod Ricard à l’horizon 2030 s’articule autour de quatre piliers : la préservation des terroirs, la valorisation de l’humain, la production circulaire et la consommation responsable. Intitulée Good Times from a Good Place (préserver pour partager), elle intègre les objectifs de développement durable des Nations unies, ainsi que les attentes de ses parties prenantes et les principaux risques liés à sa chaîne de valeur.

 

Quatre ans après son lancement, plusieurs objectifs ambitieux ont d’ores et déjà été atteints

Pernod Ricard s’approvisionne dans près de 350 terroirs agricoles en produits de la vigne, blé, orge, canne à sucre ou encore fenouil. Cette empreinte représente environ 800 000 ha de terres agricoles. Dans le contexte du changement climatique, nous sommes convaincus du besoin d’accélérer la transition vers une agriculture régénératrice, qui privilégie la biodiversité, la rétention d’eau, la séquestration du carbone dans les sols et contribue à améliorer la vie de ceux qui travaillent nos terres. Pour cela, nous travaillons main dans la main avec nos équipes internes, agriculteurs et fournisseurs partenaires au déploiement de nouvelles pratiques agricoles.

 

Puisque nous voulons agir pour réduire notre empreinte environnementale sur l’ensemble de notre chaîne de valeur, du terroir au comptoir, nous avons également mis en place un premier pilote de distribution circulaire avec ecoSpirits, qui prévoit le transport et la distribution de nos marques en vrac à Singapour. Ce pilote permettra de réduire de 66 % les émissions de CO2 liées à la production et au transport des bouteilles en verre. Nous espérons par la suite déployer ce modèle à grande échelle et venons même de prendre une participation minoritaire au sein d’ecoSpirits pour en accélérer le déploiement.

 

Et enfin, nous poursuivons nos initiatives vers une convivialité toujours plus responsable. Dernier exemple emblématique : l’ensemble de nos bouteilles disposera d’une étiquette digitale afin d’accéder à des informations sur la santé et la consommation responsable d’ici à 2024. Ce dispositif, premier à être déployé à l’échelle mondiale dans le secteur, apporte une réponse concrète aux demandes des consommateurs orientées vers plus de transparence sur le contenu des produits et d’informations en matière de santé.

 

Les leviers pour l’engagement du collaborateur

Les salariés s’engagent aujourd’hui au sein d’une entreprise dont les actions sont cohérentes avec leurs valeurs et se disent de plus en prêts à quitter une entreprise qui ne le serait pas*. Nous sommes fiers de pouvoir compter sur 73 % de nos collaborateurs qui se disent engagés ou très engagés avec notre feuille de route RSE (I Say 2022). Dès leurs premiers jours, nos collaborateurs sont sensibilisés aux engagements du groupe à l’occasion d’une journée d’intégration, puis ils sont informés régulièrement sur les avancées et encouragés à suivre des formations sur le changement climatique, la biodiversité ou encore la circularité. Nous consacrons, pour la onzième année, une journée entière à notre feuille de route RSE pour embarquer tous nos collaborateurs dans le monde : c’est le Responsib’all Day. Plébiscitée par les salariés, cette initiative vise à nous impliquer, auprès de communautés ou d’associations locales, autour d’une thématique en lien avec notre feuille de route RSE. Pour véritablement associer nos collaborateurs à la croissance du groupe et les récompenser pour leur engagement au quotidien, nous avons lancé en 2019 notre premier programme d’actionnariat salarial, baptisé Accelerate. Un succès qui a été reconduit et élargi à sept nouveaux pays en 2022, pour atteindre 80 % de taux d’éligibilité sur l’ensemble de nos salariés.

 

Une intime conviction quant au futur du travail, au recrutement et à la fidélisation des employés

En tant que « créateurs de convivialité », notre mission est de cultiver la magie des relations humaines en « préservant pour partager ». Nous faisons vivre cette convivialité au service de nos consommateurs, mais aussi de nos collaborateurs, et nous cherchons en permanence à développer une culture ouverte, bienveillante, qui permette à chacun de s’épanouir, professionnellement et personnellement. Nos enquêtes internes annuelles le prouvent, avec 76 % de taux d’engagement dans le monde en 2022 et 77 % de nos collaborateurs qui déclarent se sentir fiers d’appartenir à leur entité.

 

Pour favoriser la création d’un environnement de travail où chacun se sente reconnu, inclus et en sécurité, nous déployons une feuille de route en faveur de la santé, de la sécurité et du bien-être, ainsi que des actions en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, dans le but de permettre à nos talents de poursuivre la carrière à laquelle ils aspirent. Différents réseaux d’ambassadeurs internes ont été mis en place afin de créer des collectifs de réflexion et d’action, tels que le PR-ide, à Paris, qui aborde des questions importantes pour la communauté LGBTQ+, ou encore le Youth Action Council, créé dès 2014 pour porter la voix des jeunes générations de collaborateurs.

 

En juillet 2021, lorsque la France a étendu le congé paternité, nous sommes allés plus loin en offrant à nos salariés un mois de congé supplémentaire. Et pour faciliter l’organisation de chacun, nous avons aussi opté pour deux jours de travail occasionnels à distance par semaine, optionnels et totalement flexibles.

 

Bureau et environnement de travail : la RSE au quotidien

Notre nouveau siège parisien, The Island, installé en plein cœur de Paris, est la vitrine de ces nouveaux modes de travail et de cet engagement en faveur de la RSE. Les espaces ont été conçus pour que chacun s’y épanouisse et que les différents métiers se rencontrent, échangent. Ils ont également été pensés pour être le plus respectueux possible de l’environnement. The Island a ainsi obtenu la certification HQE Excellent pour son bâtiment ainsi que la certification NF HQE-Bâtiments tertiaires en exploitation, qui récompense les actions vis-à-vis du bien-être des collaborateurs.

Mais notre engagement va au-delà des bureaux, il s’étend à nos sites de production, car c’est de là que partent nos produits. Nous avons annoncé des investissements sur plusieurs sites de production en vue d’atteindre la neutralité carbone : chez Irish Distillers, producteur du whisky irlandais Jameson ; en Écosse, chez Chivas Brothers Limited ; ou encore dans le Kentucky, aux États-Unis. Autant d’actions qui prouvent la réalité des engagements du groupe pour l’environnement.

People at Work vous en dit plus sur l’affichage environnemental

Quelles seront exactement les obligations des entreprises en termes d’affichage ? Selon quel calendrier ?

 

Il est utile de préciser tout d’abord la distinction entre affichage environnemental, qui fait référence à des informations quantifiées et factuelles, souvent normées et publiées de manière obligatoire, et allégation environnementale, souvent qualitative et qui s’inscrit dans une démarche volontaire de l’entreprise afin de valoriser un produit considéré plus performant que la moyenne d’un point de vue environnemental.

En France, quelques informations relèvent déjà de l’affichage environnemental obligatoire sur certains produits, comme l’étiquette énergie ou l’indice de réparabilité. La loi Climat et résilience prévoit par ailleurs un dispositif d’affichage environnemental sur les produits textiles et alimentaires, pour l’instant expérimental, mais destiné à être rendu obligatoire. Il pourrait s’agir d’un affichage présent sur le produit ou dématérialisé informant le consommateur des impacts du produit, calculé sur l’ensemble de son cycle de vie. Prévue pour 2022, cette régulation a été repoussée et le calendrier n’est pas encore fixé. Les expérimentations touchent cependant à leur fin, ce qui laisse présager des publications proches.

Plusieurs projets de directives européennes sont également en train de voir le jour, principalement pour réguler les allégations environnementales. La dernière en date est la directive « Empowering consumers » [1], adoptée en mai, et qui interdit toute allégation environnementale insuffisamment fondée factuellement et scientifiquement. Son entrée en vigueur est immédiate, avec deux ans prévus pour la transposition par les Etats membres. Elle sera complétée par la directive « Green Claims »[2] qui devrait quant à elle être effective en 2027, et renforcera les exigences méthodologiques de l’affichage environnemental.

 

 

Quelles catégories de produits seront concernées par ces réglementations ?

 

En France, les catégories concernées pour l’instant sont principalement les secteurs agro-alimentaire et textile, ainsi que certains produits électriques et électroniques dans le cadre de l’indice de réparabilité. La liste des catégories concernées est amenée à évoluer pour inclure davantage de produits au fil des ajustements méthodologiques.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) prévoit également que les produits soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) comprennent des informations sur des caractéristiques environnementales précises, comme le pourcentage de contenu en recyclé ou la recyclabilité du produit. C’est le cas des emballages ménagers par exemple, mais aussi de certains produits d’ameublement, d’emballages, de jouets…

 

 

Quelle sera la méthodologie de calcul de l’impact d’un produit ?

 

Les méthodologies sont encore en cours de définition.

En France, l’ADEME a lancé pour expérimentation l’outil Ecobalyse[3], qui permet pour les secteurs textile et agro-alimentaire de calculer l’empreinte environnementale d’un produit. Une méthode de calcul définitive devrait ainsi voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

 

Au niveau européen, le projet de directive « Green claims » vise à formaliser la méthodologie de certification des allégations environnementales. Elle inclut des critères comme la prise en compte de l’intégralité du périmètre du cycle de vie du produit et de ses impacts environnementaux, ou le recours à des standards scientifiques reconnus. Elle prévoit l’interdiction de communiquer sur la neutralité carbone d’un produit ou d’une activité si celle-ci est fondée exclusivement sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre mais en compense une partie en plantant des arbres ne pourra pas « déduire » de son bilan carbone ces émissions, ni prétendre que son produit est « neutre en carbone » alors qu’il a bien émis du gaz à effet de serre lors de sa production.

Les sources de données à utiliser sont également précisées par le régulateur, qui indique de privilégier autant que possible les données « primaires », c’est-à-dire issues directement de l’entreprise ou les données des fournisseurs, et seulement si nécessaire des informations plus génériques telles que des données sectorielles ou des bases de données tierces.

 

 

Est-ce que cela va vraiment aider le consommateur à se repérer ?

 

L’objectif des évolutions réglementaires sur l’affichage environnemental et l’encadrement des allégations est bien de permettre aux consommateurs de faire des choix de consommation éclairés, tout en mettant fin aux pratiques commerciales trompeuses ! En supprimant les allégations trop génériques ou peu fiables (« vert », « responsable ») au profit d’un affichage environnemental factuel, il sera aussi plus facile d’identifier les produits effectivement plus performants.

Pour le régulateur français, il s’agit d’orienter les consommateurs vers les produits les plus performants au sein d’une même catégorie (par exemple, quel est le meilleur gel douche d’un point de vue environnemental ?), mais aussi – et surtout – d’orienter les choix de consommation vers les catégories à moindre impact sur la base de caractéristiques comparables (en comparant un savon liquide et un savon solide par exemple ou diverses sources de protéines entre elles). Dans les deux cas, cela implique d’avoir pour chaque produit des données suffisamment précises pour permettre la différentiation.

Pour informer correctement le consommateur, il faudra mettre à disposition plusieurs niveaux de résultats : un affichage simple sur le produit, l’emballage ou la page web, qui permet de guider le geste d’achat instantanément, par exemple via une notation A,B,C,D ou une note sur 100 ; des résultats plus détaillés accessibles de manière déportée (en ligne) pour les consommateurs qui voudraient plus de précisions.

 

Quels sont les risques de Greenwashing qui subsistent malgré ces nouvelles réglementations ?

 

Le but de la réglementation est justement de lutter contre le greenwashing et les allégations pouvant induire le consommateur en erreur. Définir une méthodologie de construction des allégations précise et claire permet en effet de réduire ces risques en garantissant la fiabilité des informations ainsi que la comparabilité entre produits différents. Le recours à des vérificateurs indépendants sur un large panel de produits peut représenter pour l’entreprise un coût important qui ne peut toujours être intégralement reporté sur les consommateurs. Une solution alternative consiste à encourager la vérification par les pairs, par exemple via des consortiums sectoriels, et de stimuler le rôle de vigies réalisé par des ONG ou association de consommateurs.

 

Comment transformer ces contraintes réglementaires en axe de différentiation par rapport aux concurrents ?

 

L’encadrement des allégations environnementales peut être un levier de différentiation pour les entreprises à plusieurs points de vue : tout d’abord en prenant les devants : anticiper ces réglementations pour faire partie des précurseurs de la communication environnementale est déjà un facteur différentiant en soi. Par ailleurs, les produits les plus performants d’un point de vue environnemental seront naturellement mis en valeur par l’affichage, leur conférant un avantage auprès des consommateurs. Alors que 76% des consommateurs se déclarent en faveur d’une consommation responsable[4], un affichage environnemental mettant en avant la performance d’un produit permettra de mieux s’aligner à ces exigences croissantes.

De plus la mise en place dans l’entreprise d’une mesure d’impact des produits est à l’origine d’un cercle vertueux en termes de réduction des impacts et d’innovation. En effet, l’affichage environnemental requiert une connaissance plus fine du cycle de vie de ses produits, ce qui conduit à mieux comprendre où sont les principaux impacts et à innover pour les réduire. Ce cercle vertueux a pu être observé dès 2011, lors du bilan sur l’affichage environnemental réalisé par EY pour le ministère de l’Environnement sur un panel de plus de 150 entreprises[5]. 70% des entreprises ayant participé avaient ainsi déclaré mieux connaître les points faibles et forts de leur produits suite à l’expérimentation.

 

Communiquer sur la durabilité de ses produits est un moyen de renforcer sa marque en intégrant la durabilité dans son positionnement global. Des messages crédibilisés par des données robustes issues de l’affichage environnemental sont à même de renforcer la confiance des consommateurs envers la marque.

 

 

Plus largement, quel sera le rôle de l’Etat et des institutions pour donner confiance aux consommateurs ?

 

L’Etat détient un rôle structurant indispensable ; fournir un cadre méthodologique et légal précis garantissant une information claire, utile, comparable et une concurrence loyale. C’est également à lui que revient la responsabilité de pousser les entreprises à fournir cette information, d’informer le consommateur de ce dispositif exigeant et de créer la confiance d’ensemble en mettant en place les garde-fous pour écarter tout greenwashing. Enfin, en cas de non-respect de la réglementation, il reviendra enfin à l’Etat de s’assurer que des sanctions dissuasives soient appliquées !

 

 

Qu’en est-il de la mise en place d’un affichage environnemental au niveau européen ?

 

Un écolabel européen officiel existe déjà depuis plus de 30 ans pour une trentaine de catégories de produits seulement, ce qui le rend anecdotique. Sa certification, basée sur une analyse de cycle de vie, est volontaire. Un projet de passeport produit (Digital Product Passeport) est en cours d’élaboration, qui devrait permettre un accès facilité via un QR code à des données telles que la composition, l’origine et la réparabilité d’un produit. Ce passeport numérique pourrait entrer en vigueur dès 2026 pour les premières industries concernées (textile, piles, électroménager).

Des expérimentations sont également en cours depuis une dizaine d’année afin d’établir une méthodologie commune pour l’affichage environnemental : le PEF, pour Product Environmental Footprint. Basé sur une analyse de cycle de vie et 16 impacts environnementaux, le PEF n’a finalement pas été retenu comme méthode privilégiée dans le cadre de la proposition de directive Green Claims (sortie en mars 2023), qui laisse plutôt la main aux Etats pour définir leurs propres méthodologies, mais il n’en reste pas moins un cadre de référence dont les entreprises peuvent et doivent s’inspirer en raison de son approche par le cycle de vie très intéressante.

[1] Directive 2022/0092

[2] Directive 2023/0085

[3] Ecobalyse – Ecobalyse (gitbook.io)

[4] ADEME, « Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? », baromètre Greenflex-ADEME, 2023, accessible en ligne : Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? – ADEME Infos

[5] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, de l’Energie, Affichage environnemental des produits de grande consommation, 2013, accessible en ligne : 134000775.pdf (vie-publique.fr)

RH : un terrain de jeu pour l’IA

Des fantasmes entourent l’intelligence artificielle. Le concept est très clivant : comment l’expliquez-vous ?

En fait, il faut se poser les bonnes questions : pourquoi l’IA se développe-t-elle aussi vite dans nos organisations ? L’une des raisons en est tout simplement qu’elle nous aide à dompter la complexité de notre environnement et qu’elle nous permet de nous adapter collectivement à un monde qui se transforme de plus en plus vite.

L’IA est à la croisée de multiples chemins : la reconnaissance de textes, de la voix, des visages, des émotions ; la capacité à extrapoler des données et d’en déduire des cheminements, d’être prédictifs sur certains domaines et, plus récemment encore de générer des textes, des images, des contenus. Forcément, quand on parle d’IA, il y a une myriade de possibles, et, forcément, dans l’imaginaire, cela ne se matérialise pas de la même façon. Dans ce domaine, chacun est tenté d’expérimenter des choses. La détection, par exemple dans les espaces publics, est l’un usage qui peut être assez effrayant et dont les dérives sont évidentes. Il est nécessaire cependant de distinguer la réalité du fantasme et, dans le domaine du réel, de porter toute notre attention sur ce qui est souhaitable, et pas seulement sur ce qui est possible. Entre les deux, il y a le cadre éthique, la réglementation et les limites managériales que l’on se fixe.

 

Ces limites restant floues, la « peur de perdre le contrôle » est donc bien légitime…

L’IA, déjà, c’est un algorithme ou un modèle mathématique conçu pour imiter la façon dont les humains pensent et résolvent des problèmes. Cet algorithme est entraîné sur la base de millions d’enregistrements de données pour produire les prédictions le plus précises possible. Plus on le « nourrit », plus on le « corrige », plus il apprend et devient conforme et précis. Donc ce n’est pas figé, c’est un produit qui, lui-même, est évolutif.

Il y a déjà une première inquiétude : qui va nourrir cet algorithme ? Ces données seront-elles le reflet de ce que l’on souhaite ou de ce que l’on a fait dans le passé ? Je vous donne un exemple concret : dans une entreprise où des cadres masculins étaient davantage recrutés que des femmes, si on alimente l’algorithme de l’IA avec ce type d’historique, celle-ci va considérer que le critère « être un homme » est plus favorable pour obtenir la position de manager. Le premier biais de l’IA est donc directement lié à l’historique des données. Deuxième réticence : une fois que cette IA s’est formée, elle produit des réponses, mais le raisonnement concernant celles-ci n’est pas analysable ni explicable. Cet effet black box a pendant très longtemps été l’un des freins majeurs, car la réponse était produite avec un taux de fiabilité, certes très bon, mais sans que l’on puisse dire pourquoi il l’était et selon quel critère. La troisième réticence est liée à l’impact que l’IA pourrait avoir sur notre travail, sur notre place d’être humain, sur notre collaboration possible dans un monde où elle travaillerait à nos côtés. C’est clairement la peur d’être cannibalisé par ce type de solutions, d’observer des dérives éthiques ou morales qui risqueraient de porter atteinte au socle de confiance que nous développons entre êtres humains.

Chez Oracle, nous avons réalisé une étude, avec Odoxa, pour discerner les usages acceptés ou non dans le domaine des RH. Nous avons détecté trois catégories d’usage de l’IA : dans le premier cas, ceux qui apportent une forme d’augmentation des capacités humaines sur les tâches répétitives et à faible valeur ajoutée. L’IA peut prendre en charge ces tâches qui nous semblent rébarbatives, et, dans ce cas, le taux d’acceptation est de l’ordre de 70 % des sondés. Le second domaine est celui du matching. Le matching, c’est quoi ? La mise en correspondance d’une offre avec une demande, avec un ratio d’adéquation plus ou moins élevé. Je viens avec une liste d’informations personnelles concernant mon profil, mes souhaits, et l’IA va me faire des suggestions de carrière ou de formation, par exemple. Dans notre étude, nous avons eu un retour mitigé sur ce type d’usage. Ce qui se joue, c’est le deal : est-ce que je suis prêt à me dévoiler davantage pour accéder plus rapidement à des suggestions qui me sembleraient pertinentes ? Nous ne sommes pas tous prêts à cela pour le moment. Troisième point : on laisse l’IA autonome, dans un certain périmètre, pour évaluer le niveau de performance d’un collaborateur ou pour prendre une décision RH importante. Et là, la majeure partie des personnes sondées expriment leur réticence et ne veulent pas être tributaires de l’IA dans un périmètre qui impacte directement les collaborateurs.

 

 

En quoi l’IA peut-elle permettre aux RH de se libérer de leurs tâches dites techniques pour se recentrer sur la dimension humaine du poste, voire pour réévaluer le périmètre RH ?

Nous évoluons dans un contexte où les candidats et les collaborateurs ne souhaitent plus seulement avoir un job, mais plutôt vivre une expérience professionnelle qui soit engageante, épanouissante, personnalisée.
De leur côté, les DRH n’ont jamais eu accès à autant d’informations personnelles, administratives, qualitatives liées à la performance, aux appétences, aux souhaits, à la rémunération des collaborateurs. Ces données sont malheureusement souvent disjointes et difficiles à réconcilier. L’enjeu est donc immense pour une direction RH qui, à effectifs constants, doit préserver l’équité, offrir cette flexibilité attendue par les collaborateurs, ou ce niveau de synthèse nécessaire aux managers pour prendre des décisions éclairées concernant leur équipe. On pourrait qualifier ce contexte de perfect storm pour l’IA. Si tant est qu’une organisation entreprenne les efforts suffisants pour normaliser ses référentiels de données RH, ce que l’on dénomme souvent le CoreHR (organisation, métiers, compétences, sites, hiérarchie, etc.), alors s’ouvre un champ immense d’usages de l’IA en soutien des RH, des managers et des employés. Les usages les plus évidents vont des suggestions de mise à jour des profils des collaborateurs à la détection de compétences, suggestions de formation ou de mentor. Du côté des managers, l’IA peut aider à accéder aux bonnes informations, consolidées lors d’étapes importantes, comme les promotions ou l’attribution d’augmentations salariales ou de bonus, afin de favoriser la rémunération de la performance, l’équité, l’inclusion, par exemple.

Du côté des RH, des usages comme l’automatisation ou l’accélération de la création des réponses aux demandes RH dans le centre de services partagés, l’accès à l’assistant digital pour consulter des compteurs de temps, de congés, ou la génération de reporting et des commentaires automatiques de ces reportings, ou encore l’analyse de textes (comme les raisons de départ des collaborateurs) sont autant d’outils qui améliorent la productivité et permettent de dégager du temps destiné à l’échange, à la stratégie et à la prise de décision.

 

 

Vous faites bien la différence entre « IA forte » et « IA faible »…

L’IA faible ne sait traiter que ce pour quoi elle a été conçue. L’IA forte est l’IA capable de s’adapter à des situations nouvelles, d’élaborer des solutions complexes. C’est l’IA telle que vous l’imaginez dans les films de science-fiction. C’est le fantasme absolu d’une machine qui se comporterait comme un être humain. L’IA forte n’en est qu’à ses balbutiements, notamment dans le domaine des jeux en ligne quand on affronte des « joueurs IA », mais aussi dans les robots ou les voitures autonomes, où de multiples sources d’information doivent être analysées dans des contextes renouvelés sans cesse. Ou encore dans des formes avancées de chat et de génération de texte, ChatGPT par exemple. Même si cette IA forte donne le sentiment d’approcher une forme de conscience, nous en sommes très loin, et il n’y a aucune IA forte qui concerne le domaine des RH aujourd’hui.

 

 

 

Qu’est-ce que l’IA peut apporter à l’expérience collaborateur ou à l’expérience candidat ?

Dans son rapport au collaborateur, devenant un client interne, le monde RH s’est de plus en plus inspiré des approches historiques du marketing. La notion de marketing RH est même assumée. La création du concept de marque employeur en est un autre exemple. L’employee experience s’impose, comme la customer experience (CX) avant elle. Les analogies sont évidentes. Les outils utilisés côté CX le sont côté RH désormais. Pour suivre l’analogie, et pour faire face à la pénurie de talents et à la difficulté à attirer les candidats, nous avançons désormais vers une notion de nurturing, qui consiste à « nourrir » le candidat, parfois encore passif, avec des informations ciblées qui vont l’aider à développer de l’intérêt pour l’entreprise. Ces approches RH sont en fait réalisées avec les mêmes outils que ceux utilisés en marketing pour alimenter des prospects qui deviendront de futurs clients et le vocabulaire peut être lui-même transposé : on parle de campagne, de pipe, de conversion, etc. L’IA, dans ce contexte, se révèle particulièrement utile et efficace pour automatiser la sélection et l’envoi des contenus vers les candidats, au bon moment pour eux.

Vous pouvez aussi imaginer que les outils qui permettent d’analyser les sentiments des consommateurs, qui scrutent leurs avis en texte libre, ceux utilisés par des marques pour cibler leurs acheteurs, par exemple, sont aujourd’hui utilisés dans le domaine RH pour exploiter les informations issues des entretiens annuels ou professionnels.

 

Les analogies entre les mondes RH et CX sont aussi visibles dans la gestion des compétences…

Pour la première fois dans les sondages, le sujet de l’identification des compétences est devenu la priorité #1 des RH, devant même la recherche de productivité et de performance. Or, depuis des années, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences se confrontent à l’obsolescence extrêmement rapide des référentiels de métiers et de compétences qui prennent des années à construire. Ce phénomène s’est accentué avec la réduction progressive de la durée de vie moyenne des compétences, aujourd’hui estimée à deux ans par l’OCDE. La plupart des projets de cartographie de compétences ont ainsi échoué face à l’ambition d’être exhaustif, ou lors des phases d’adoption et de déclaration des profils par de collaborateurs débordés par des listes infinies de compétences référencées. Cela crée un terrain de jeu intéressant pour l’IA, car elle répond à cet enjeu à deux niveaux : l’accélération de la création d’un référentiel de compétences et le matching. Chez Oracle, par exemple, nous avons compilé des millions d’enregistrements de données publiques, concernant des CV, des postes à pourvoir, des missions, des référentiels de compétences publiques et nous en avons déduit un référentiel de 130 000 compétences et de 16 000 postes déclinés en compétences requises. Sur cette base, le client peut personnaliser le référentiel pour l’adapter à sa culture propre, à ses métiers. Dans la seconde étape, le matching, on va consommer les contenus individuels des collaborateurs, des postes, des formations, et on va les faire correspondre avec les compétences identifiées. L’IA les soumet au collaborateur, et ce dernier décide s’il détient ou souhaite développer cette compétence, et déclare éventuellement son niveau. Cette approche permet d’obtenir le meilleur compromis entre la préservation de la culture de l’entreprise, la capacité du collaborateur à garder la main sur ce qu’il déclare, tout en bénéficiant de l’accélération et de l’évolutivité du référentiel offerte par l’IA.

 

Quelle place l’IA occupe-t-elle dans le domaine de la formation ?

La connexion que l’on peut faire avec le sujet des compétences, la mobilité et l’évolution de poste, là où l’IA peut vraiment apporter de l’aide, c’est tout ce travail de matching, de mise en relation d’un besoin reconnu et exprimé avec une ressource disponible, qu’elle soit matérielle ou autre. Dans la formation, l’une des grandes difficultés que l’on peut avoir côté RH, c’est de mettre à disposition des collaborateurs l’ensemble des formations du catalogue dans un format accessible. L’IA peut justement suggérer, parmi des milliers de sessions, de contenus, la dizaine de modules les plus pertinents par rapport à des objectifs de développement exprimés, et ce, même si l’information a été saisie en dehors du module formation, durant l’entretien de performance par exemple. L’IA peut aussi être utilisée pour analyser la progression d’un collaborateur dans l’assimilation de certaines connaissances afin de cadencer les bons contenus.

 

Pour reprendre l’exemple du marketing, il y a ce moment assez agaçant, où vous consultez en ligne votre magazine préféré et où surgit une suggestion d’achat qui correspond à une recherche effectuée quelques minutes plus tôt… C’est ce qui pourrait être irritant dans l’IA…

Cette notion d’« explicabilité », de lisibilité pour l’être humain de la raison pour laquelle l’IA me fait telle suggestion est capitale. Ainsi lorsqu’on suggère une compétence dans le profil d’un collaborateur, on indique en sous-titre : « parce que les collaborateurs ayant le même profil que vous déclarent cette compétence » ou « parce que vous avez actuellement tel poste »… Ces explications facilitent l’acceptation et ramènent l’IA à sa force de calcul et de synthèse des multiples sources de données, en limitant l’irritation liée au sentiment de perte de contrôle.

 

 

Quels sont les travers que l’on peut imaginer ?

C’est clairement le côté normatif de l’IA, car elle fonctionne bien pour identifier des archétypes puis proposer des suggestions à un profil en fonction de son niveau de correspondance avec un archétype. Cela peut avoir un effet normatif en poussant des profils très divers vers des contenus devenus normés ou stéréotypés. L’IA vous ramènera souvent sur le chemin le plus emprunté. Or la richesse humaine, c’est aussi sa diversité, son originalité, sa créativité face des situations nouvelles. Pousser les collaborateurs vers des profils normés serait prendre le risque de vulgariser un mode de pensée convenu. Or l’IA n’est pas très efficace pour gérer des approches hétérogènes ou des profils atypiques.

Il faut donc être vigilant pour continuer à promouvoir les parcours atypiques, les croisements de compétences et d’expériences, l’esprit critique, et notre capacité à sortir des sentiers battus…

 

 

 

Quelles sont les applications avant-gardistes de l’IA appliquée aux RH ?

Les champs d’utilisation sont innovants dans la partie reconnaissance faciale, analyse des comportements, de l’état émotionnel, ou encore dans l’analyse automatique du niveau de langue des collaborateurs. J’imagine qu’à l’avenir ce qui se développera aussi ce sont les assistants digitaux, un peu plus experts que les chabots, qui ont des possibilités limitées. Vous pourrez probablement leur demander une multitude d’actions. Chaque collaborateur pourrait avoir son assistant pour écrire un e-mail, obtenir une information, réaliser une recherche, une analyse. Suivons de près les usages émergents autour de ChatGPT, la fameuse application de chat boostée à l’IA, ils seront certainement précurseurs de ce que nous verrons en entreprise.

 

 

Certains usages de l’IA sont prometteurs mais sont-ils tous souhaitables ?

L’IA augmente le potentiel des organisations humaines et leur vitesse d’exécution, de développement, de collaboration. Ses capacités et ses usages s’accroissent jour après jour. Mais l’IA nous met aussi devant nos responsabilités quant aux risques de dérive sur le plan éthique et moral. Il est donc de notre responsabilité collective d’établir un cadre réglementaire qui conditionne les usages, définisse les limites et les droits, avant que nous ne tombions dans une escalade portée par la seule recherche d’efficacité ou de compétitivité.

Ce n’est pas une tâche aisée, mais c’est le grand enjeu des organisations humaines du début du XXIe siècle.

 

 

Travailler depuis des lieux culturels, c’est possible !

On pourrait la qualifier de « visionnaire » tant elle avait anticipé les chamboulements du monde du travail. Tout commence il y a trois ans, lorsque Sandra Giovannetti prend part à une réunion dans la cafétéria de l’Opéra Garnier, à Paris, avec son équipe. « Travailler dans cet espace chargé d’histoire et de création nous avait complètement redynamisés, rendus plus productifs », se souvient-elle. Cette architecte de formation décide de transformer cette « révélation » en projet professionnel. C’est le début de la start-up Be My Space, qu’elle définit comme « un pont entre le monde des arts et celui de l’entreprise », avec l’objectif de proposer des espaces de travail inspirants et authentiques aux salariés.

 

Lieux « désirables »

 

« Ce sont des espaces qui nous racontent des histoires, des lieux où le temps n’existe pas. Ils sont proches de chez nous, proches de notre entreprise. Vous les connaissez peut-être de nom, vous en avez parfois rêvé… », peut-on lire sur le site Internet de la start-up, lauréate du premier incubateur estampillé « Patrimoine » du Centre des monuments nationaux.

 

Musées, ateliers d’artistes, châteaux du Moyen-Âge… Les salariés d’une entreprise peuvent désormais évoluer dans ce que la fondatrice appelle des « lieux désirables » : « L’être humain fonctionne au plaisir, et l’espace de travail peut aider à répondre à la question du bien-être », assure-t-elle. D’autant que la crise liée au Covid-19 a été un accélérateur sans précédent des mutations du travail dans l’entreprise. Selon une enquête publiée en juin 2020 par l’association des DRH et le Boston Consulting Group, 85 % des directeurs des ressources humaines souhaitent développer le télétravail au sein de leur entreprise de façon pérenne. L’étude indique toutefois que le futur de cette pratique sera hybride, mêlant présentiel et télétravail.

 

Sandra Giovannetti va plus loin. Pour cette passionnée d’arts et d’architecture, l’organisation du temps de travail pourrait désormais être répartie selon trois types de lieux : le siège, le domicile et un lieu « hybride ». « Les entreprises et les salariés ont passé un cap psychologique. On se dirige vers de nouveaux modèles, avec des budgets associés, explique-t-elle. Le travail en présentiel est indispensable, car c’est le moment où l’on se rencontre, où l’on échange. Mais rencontrer un collègue dans un bureau ou dans un lieu qui fait partie du patrimoine, qui a un vrai pouvoir de séduction et de satisfaction, c’est différent. Les individus auront déjà en commun le fait d’avoir choisi cet espace, ce qui créera deux fois plus de raisons de parvenir à dialoguer.»

 

Stratégie « gagnant-gagnant »

 

Pour choisir des lieux appropriés, Be My Space travaille en adéquation avec la raison d’être de l’entreprise. « J’établis d’abord une typologie des besoins avec les dirigeants et les DRH. Une fois qu’un premier tri a été effectué, les salariés peuvent aussi être questionnés. Le but est de proposer une offre sur mesure », précise l’entrepreneuse, qui mise avant tout sur des partenariats de longue durée plutôt que sur des événements ponctuels. Formations, réunions, séminaires… La start-up s’engage ainsi à proposer à l’entreprise, en lien avec son rythme et ses valeurs, un « parcours inspirant » dans des espaces hors des sentiers battus. « C’est également un moyen pour l’entreprise de se positionner en matière de RSE, de montrer qu’elle participe aussi au développement des industries culturelles », ajoute la fondatrice.

 

Une stratégie « gagnant-gagnant » qui permet aussi de faire la promotion de certains lieux culturels et de valoriser le potentiel du patrimoine, parfois oublié. Chaque mercredi matin, les élèves de Sciences Po peuvent désormais étudier à la Cité internationale des arts, dans le 4e arrondissement de Paris, qui reprend ses fonctions de galerie l’après-midi. Sandra Giovannetti a également installé des espaces de coworking éphémères dans l’orangerie de l’hôtel de Sully, siège du Centre des monuments nationaux, situé dans le quartier du Marais.

 

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Télétravail en coworking : est-ce possible ?

Pour retrouver le lien social qui manque tant, de plus en plus de télétravailleurs font le choix de se rendre dans des tiers lieux près de chez eux, une journée par semaine ou plus. D’abord utilisés par des freelancers et des startupers, ces espaces de coworking qui se multiplient depuis une dizaine d’années dans les centres urbains voient dans cet afflux de salariés exilés une belle perspective de croissance. Ils leur offrent un cadre agréable répondant aux normes sanitaires, ainsi qu’une atmosphère professionnelle, stimulante et conviviale où ils peuvent travailler en toute sérénité et où chaque discussion devant la machine à café avec des coworkers venus d’horizons différents est une occasion d’élargir leur réseau.

Les télétravailleurs y trouvent surtout un bureau ergonomique, privatif ou ouvert intégralement consacré à leurs tâches, ainsi que des salles de réunion et des phone boxes. Des services sont inclus dans l’abonnement, notamment la mise à disposition d’équipements bureautiques et d’une assistance technique. Grâce à cet espace hors de chez eux, les salariés peuvent renouer avec un rythme professionnel plus familier : la journée de travail y est plus productive qu’à la maison, et elle se termine par un trajet de retour qui offre un sas de décompression bienvenu avant de retrouver son foyer.

 

Bon compromis entre télétravail et ambiance d’entreprise, le coworking peut aussi être une option intéressante pour les sociétés, et ce quelle que soit leur taille. Alors que 60 % des organisations envisagent de renégocier leur bail en 3-6-9 et que 36 % comptent réduire leur surface, les espaces partagés et leurs offres flexibles pourraient être la clé de la transition vers un télétravail durable. Certes, leurs tarifs sont légèrement supérieurs à ceux de bureaux classiques, mais leurs services libèrent les entreprises de nombreuses contraintes.

Les tiers lieux ne représentent aujourd’hui que 2 % des surfaces de bureau du pays, mais ce pourcentage pourrait être décuplé dans les dix prochaines années. Leur essor permettra de redéfinir le bureau traditionnel comme un espace de collaboration et d’échange, où les salariés ne se rendraient que quelques jours par semaine, pour des activités bien précises. Le reste du temps, les espaces partagés leur permettront de travailler à distance dans de bonnes conditions et de briser la monotonie du homeworking.

 

 

Télétravail en coworking, est-ce légal ?

Rien ne permet à une entreprise de s’opposer à ce que l’un de ses employés en télétravail exerce son activité depuis un tiers lieu, à partir du moment où celui-ci répond aux normes sanitaires en vigueur. Comme à son domicile, le salarié peut bénéficier de la même prise en charge qu’en entreprise au niveau des accidents du travail, et il est couvert par son assurance responsabilité civile professionnelle pour les dommages qu’il pourrait causer à autrui. Une assurance multirisque professionnelle est conseillée pour protéger ses biens et matériels, mais elle n’est pas obligatoire.

Le Grand Entretien : Alexandre Ricard, président directeur général du groupe PERNOD RICARD

Il ne doit pas être simple, aujourd’hui, d’être le PDG d’un groupe mondial, producteur et distributeur de vins et spiritueux, à l’heure où les bars, hôtels, clubs et restaurants, les réunions familiales, bref les espaces de convivialité sont fragilisés. Comment allez-vous et comment se porte le groupe ?

Deux mots me viennent à l’esprit : résilience et agilité. Résilience tout d’abord : les êtres humains s’adaptent toujours à leur environnement et à ses bouleversements. Et agilité, parce que nous nous sommes adaptés, partout où nous sommes présents dans le monde, c’est-à- dire sur 86 marchés. Au-delà des chiffres et des résultats, nous avons en effet enregistré des gains de part de marché sur la quasi-totalité des pays dans lesquels nous opérons. Le chiffre d’affaires clos fin juin 2020 s’est élevé à 8,448 milliards d’euros.

Dans un contexte difficile, nous avons observé “une bonne résilience du Off-Trade”, la vente à emporter de nos produits, tout simplement parce que les consommateurs se sont tournés plus encore que d’ordinaire vers des marques de confiance.

Comment vous associez-vous au secteur bars et restaurants, l’un des plus durement touchés par la crise ?

Cet environnement est fortement impacté. Dès les premiers jours de cette crise sanitaire, nous avons décidé de soutenir le secteur. De manière concrète, en France, nous nous sommes associés à la plate-forme “J’aime mon bistrot”, qui vise à soulager la trésorerie de ces entreprises essentielles à la vie sociale que sont les cafés, bars et restaurants. Nous sommes partenaires de l’initiative “1 000 cafés”, projet qui s’est donné pour ambition de permettre la sauve- garde ou l’ouverture de 1 000 cafés dans des communes de moins de 3 500 habitants.

La contribution de Pernod Ricard prend la forme d’une dotation financière et se matérialise également par un accompagnement à l’installation des nouveaux cafetiers. Cet engagement passe par le partage d’outils de formation pour les futurs gérants afin de les former à une vente responsable des produits alcoolisés ou à la gestion durable de leur établissement. Sans oublier nos dons d’alcool pur au laboratoire Cooper pour lui permettre de fabriquer, dès le début de la crise, des millions de doses individuelles de gel hydroalcoolique.

La signature de Pernod Ricard, “créateur de convivialité”, est une belle promesse. Concrètement, comment comptez-vous créer de la convivialité aujourd’hui ?

Il y a des choses qui vivent et survivent au-delà des crises. Le besoin de partager des moments, de se retrouver ensemble, reste intact. Parfois, il faut des crises comme celle-ci pour que les individus prennent conscience de l’importance de la convivialité. Vous n’imaginez pas le nombre de témoignages que je reçois de la part d’hommes et de femmes qui se retrouvent complètement dépités à mesure que cette crise s’installe.

Le repli sur soi, le confinement sont contre nature. Prenons de la hauteur, et n’oublions pas que notre civilisation a surmonté bien des épreuves. Il faudra tirer les leçons de cette crise.

Terrasse de The Island
Terrasse de The Island, quartier Saint-Lazare, Paris © Myr Muratet

Allez-vous démontrer que vous-même, à l’échelle du groupe, avez tiré les leçons de cette crise, par une stratégie RSE plus ciblée par exemple ?

J’aime rappeler ce dicton anglais : “Ne jamais gaspiller l’opportunité offerte par une crise.” Indéniablement, les crises accélèrent les tendances en cours. Il est important pour les consommateurs de savoir quelles sont les entreprises derrière les marques qu’ils consomment et les actions qu’elles mènent pour préserver la planète. Et, lorsque je reçois des candidats, c’est une question qui les intéresse beaucoup.

La sensibilité sociale et sociétale de votre groupe vient de loin… Enfant, comme Paul Ricard avait une santé fragile, ses parents l’ont emmené au bord de la mer. C’est donc la nature qui lui a donné un second souffle.

Et il ne l’a jamais oublié. J’ajoute que toutes nos marques viennent de la terre : de la culture des vignes pour nos vins et champagnes, de l’orge pour nos whiskies, du blé d’hiver pour nos vodkas… Il nous faut être cohérents, avec notamment une politique RSE renforcée. Le groupe travaille sur 250 000 hectares, aux quatre coins du monde, d’où sortent 2,6 millions de tonnes de raisin, de canne à sucre, de céréales ou de grains de café…

Nous sommes fiers d’avoir rejoint l’alliance Business for Nature réunissant des entreprises et organisations qui se mobilisent autour de la protection de l’environnement. Il s’agit d’une avancée importante pour le groupe, qui continue à faire de la protection de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que de la préservation des écosystèmes naturels des priorités de sa feuille de route 2030. Notre futur dépend de l’aptitude de nos communautés mondiales à unir leurs forces pour assurer un avenir plus durable et plus solidaire.

À l’échelle du groupe Pernod Ricard, com- ment se traduit cette cohérence entre des marques qui puisent leur force dans la nature, les demandes des collaborateurs et les attentes des consommateurs ?

La cohérence vient des chiffres. Nous avons réduit de 33 % notre intensité carbone et de 23 % notre consommation d’eau par litre d’alcool. Le confinement a été l’occasion d’accélérer quelques objectifs : la fin des plastiques uniques utilisés en points de vente, comme les gobelets et les pailles, a été avancée de 2025 à 2021.

Vous le dites, cette crise accélère des tendances. À titre personnel, en tant qu’homme, y a-t-il des événements qui vous ont surpris ?

Oui. Et la leçon que je retiens m’a été donnée par les femmes et les hommes qui font partie du groupe Pernod Ricard. J’ai constaté, au travers des 19 000 collaborateurs à travers le monde, une résilience et un engagement incroyables. Tout le monde est resté sur le navire, chacun s’est demandé comment il pouvait être utile. Et certains n’ont même pas attendu de réponse : ils ont eu des idées. En témoignent les quatre millions de litres d’alcool pur ou le million de litres de gel que nous avons produits sur nos sites, pour nos communautés. Cela vient du terrain, de manière spontanée et sur différents marchés en Suède, en Irlande, en France.

Ce n’est pas quelque chose qui aurait été décrété au siège. Permettez-moi de vous le dire : ces actions sont remarquables. Pour la petite histoire, aujourd’hui, les policiers de New York se désinfectent les mains avec du gel provenant de nos distilleries de Bourbon dans le Kentucky. La crise a ceci d’intéressant : être sans cesse impressionné par ses propres équipes.

La crise vous donne donc l’occasion de tester votre modèle décentralisé…

C’est l’un des principaux enseignements à l’échelle du groupe. Nos managers, locale- ment, se sont d’eux-mêmes mobilisés et ont pris de bonnes décisions. Décentralisée, Pernod Ricard est une entité structurée pour être flexible et agile, je m’en rends compte chaque jour. Faire face à la crise ne nous fera pas dévier de notre stratégie sur le long terme. Nous poursuivons aussi notre transformation digitale, nous accélérons les investissements.

Vos mots sont rassurants et vos projections sereines. Dans le fonctionnement décentralisé de Pernod Ricard, une telle attitude est-elle partagée ?

Ce n’est pas notre première crise et, au risque de vous faire peur, il y en aura d’autres… Les bouleversements du monde doivent être utilisés comme des leviers. Nous avons commencé à le faire, et nous avons gagné des parts de marché. Nous restons très ambitieux. La crise a révélé la solidité de nos fondamentaux. Permettez-moi de faire un parallèle. Ricard a été créé en 1932. Au niveau du PIB, ce fut la pire année qu’on ait connue dans l’histoire de la France, hors période de guerre. Il en sera de même pour 2020, année que nous avons choisie pour fusionner les deux sociétés de distribution Pernod et Ricard, depuis le 1er juillet dernier.

Cet été, alors que les sociétés du monde se posaient la question du “comment” : “comment faire revenir les gens au travail ?”, “dans quel environnement aéré, sécurisé ?”, vos salariés rejoignaient le nouveau siège parisien… Ce lieu répond-il à de nombreuses questions que pouvaient se poser les collaborateurs de retour sur site ?

Quand on est une entreprise qui s’inscrit sur le long terme, centrée sur l’humain, on doit donner envie aux collaborateurs de venir et d’échanger dans un environnement sympathique, attractif et sans exubérance. Et un groupe mondial se doit d’être cohérent : si notre signature est “créateur de convivialité”, cette dernière doit être vécue, avant tout, par nos collaborateurs.

La convivialité se conjugue sur l’échange, le partage, la rencontre, elle ne peut pas être enfermée dans un agenda. Une réunion, une présentation, des décisions peuvent se vivre à distance ; la chaleur humaine, non. Nous souhaitons valoriser tous ces petits interstices qui se passent entre les humains, ces rencontres informelles qui se produisent sur le lieu de travail. Car c’est là que se génèrent les meilleures idées, la meilleure agilité et la meilleure collaboration.

Tout a été pensé en ce sens, pour créer cette disruption qui engage performance et rapidité. Au sein de ce nouveau siège, on est amené à croiser des gens que l’on ne connaissait que très peu jusqu’ici. L’absence de silos et de bureaux fermés incite les conversations à se libérer.

18 000 m2 et 7 étages, avec la réunion des sept sites de la région parisienne, au cœur même de Paris, votre démarche est contraire à celle de la plupart des grandes entreprises quittant le centre de la capitale…

Il est vrai que là où certains réduisent la taille de leurs bureaux, nous avons ici pour nos 900 collaborateurs quelque 2400 places, 600 postes de travail dits “normaux” (table, chaise…), le reste étant distribué en espaces collaboratifs. Tous les ordinateurs et téléphones sont portables, nous nous acheminons vers du “zéro papier”. Donc, oui, nous assumons être à contre-courant.

Même le PDG que vous êtes n’a pas de bureau attitré… Quels bénéfices retirez-vous de ce concept ?

Le premier bénéfice est déjà de vivre cet adage qui m’est cher : “L’exemple vient du haut.” Décloisonner ce que j’appellerais “le bureau à l’ancienne” permet à chacun de venir partager ma table, d’engager une discussion, de créer de nouvelles collaborations. Et chaque jour, je vois apparaître un peu plus de spontanéité dans les sujets que l’on me propose. Il faut cultiver cette simplicité. Cela me permet de voir ce qui se passe, de faire partie du flux de rencontres des personnes. Les valeurs, la culture d’entreprise est un ciment qui se fabrique au quotidien.

Lieu de convivialité THE ISLAND
Lieu de convivialité et de collaboration donnant, au fond, sur la game room. © Myr Muratet

Vous êtes PDG, vous êtes à la tête d’une hiérarchie pyramidale : on comprendrait que vous ne soyez pas abordable… Briser les murs : cela garantit vraiment votre proximité ?

Pour vous montrer que tout ceci n’est pas un discours corporate : on a travaillé le bâtiment sur deux flux de circulation. Horizontal tout d’abord : à chaque étage, un carrefour de rencontre a été créé. Il est matérialisé par un bar où chacun peut se servir un café ou un thé. Le second flux est vertical, grâce aux escaliers qui ont été complètement réintégrés dans le projet, redécorés de façon qu’on ait envie de croiser du monde.

Je crois savoir que vos collaborateurs vous “tutoient”. Et on le sent, on le voit ici, un esprit de start-up règne. Qu’est-ce que la “culture start-up”, qu’elle soit réelle ou fantasmée, peut amener aux grandes entreprises d’aujourd’hui ?

Ce qui définit cette “culture start-up”, c’est l’absence de formalisme et de procédures souvent bureaucratiques. L’idée est de prendre le meilleur des deux mondes, c’est- à-dire allier la puissance d’un grand groupe avec la capacité à générer des idées, des innovations, des créations, l’absence de silos qui caractérisent les start-up. Si on réussit cette alchimie, cela ne peut que fonctionner.

Votre expérience à l’international est conséquente : Royaume-Uni, États-Unis, Hong Kong, Irlande. Avez-vous apprécié des conceptions d’entreprises, des organisations, qui vous inspirent encore aujourd’hui ?

Nous avons plusieurs dizaines de nationalités représentées ici au siège, donc je ne suis qu’un “exemple international” parmi d’autres. Toutefois, ce qu’il me reste de mon expérience propre, c’est le côté direct, efficace et court d’une réunion à l’anglo-saxonne. Mais ce que j’apprécie aussi en France, c’est le côté convivial. Résultat, au sein de “The Island”, je fais beaucoup moins de réunions qu’auparavant, j’envoie et reçois moins de mails, parce que je croise beaucoup plus de gens. Tout se fait au fil de l’eau.

Vous me présentez ces interactions humaines comme novatrices et, pourtant, elles relèvent du bon sens…

Notre culture est une culture de bon sens. Nous la cultivons pour nos salariés, mais aussi pour nos consommateurs. Votre réflexion me fait penser à un engagement du groupe en leur direction. En tant que numéro 2 mondial des vins et spiritueux, nous souhaitions nous engager fortement pour la prévention et la lutte contre toute forme d’abus d’alcool. Il y a dix ans, Pernod Ricard a créé le programme Responsible Party, en partenariat avec le réseau Erasmus Student Network, dans l’objectif de sensibiliser les étudiants à une consommation responsable. La clef du succès, c’est que c’est un programme conçu et porté par des étudiants, pour des étudiants. Voilà un exemple très concret du bon sens en action.

La signature de notre magazine est “Être-bien en entreprise”, plutôt que “Bien-être”, notion qui ne nous semble pas adaptée au monde professionnel. Quelles sont pour vous les conditions les plus élémentaires pour que l’“Être”, justement, soit “bien” en entreprise aujourd’hui ?

Qu’il reçoive des communications claires et cohérentes. Aucune personne, aucune équipe ne vous suivra si vous ne faites pas coïncider votre vision et vos décisions.

Ce nouveau siège Pernod Ricard est baptisé “The Island” en référence aux îles Paul Ricard situées au large de Bandol et de Six-Fours, dans le Var. La fondation de l’entreprise, la réussite de votre grand-père, qu’il partagera avec son personnel, en lui distribuant des actions gratuites. La création de l’Institut océanographique, précurseur dans la protection de l’environnement, aux Embiez, l’île de Bendor, haut lieu de la création artistique, la création du circuit Paul Ricard…, l’histoire de Ricard est jalonnée d’étapes fortes. À quels moments songez-vous à cet héritage ?

Bien sûr, nos fondamentaux sont extraordinaires. Mon grand-père Paul Ricard souhaitait une politique d’entreprise centrée sur les ressources humaines. Vous avez évoqué l’intéressement et la participation, il avait aussi favorisé les vacances des salariés, organisait des lotos à Noël et les lauréats pouvaient gagner leur maison… Car il voulait que chaque salarié soit propriétaire, qu’il ait un toit.

Parce que quand on est propriétaire, on est responsabilisé, on est fier. Cet héritage est donc présent à chaque fois que l’on ouvre un nouveau chapitre, comme avec l’édification de ce nouveau siège, au centre de Paris. Ce déménagement physique est l’illustration de la transformation de nos méthodes de travail, totalement digitalisées. La pièce dans laquelle nous parlons est wireless. Moi-même, je n’ai plus qu’un casier. Nous stockons nos documents dans des librairies virtuelles. De même, nos transformations internes se reflètent à l’externe, dans nos relations avec le consommateur.

Depuis 2015, nous avons redessiné notre modèle avec une approche “consumer centric”. Aussi, je vois difficilement comment on peut se dire “obsédés par le consommateur” et être excentrés physiquement. Ce qui explique l’installation de notre siège au cœur du quartier Saint-Lazare. Cette transformation n’aurait pas été possible sans nous appuyer sur l’histoire, la transformation et les valeurs du groupe. Mon oncle et prédécesseur, Patrick Ricard, aimait à dire de notre groupe qu’il est “une synthèse du passé et un regard sur l’avenir”.

Entre le passé et l’avenir, il y a le présent. Quand on s’appelle Ricard, Monsieur Ricard, quand on est le “3e homme Ricard” à diriger le groupe, c’est un défi quotidien, une chance, une responsabilité, une opportunité ?

Mon père m’a toujours dit : “Dans la vie, fais ce que tu souhaites mais fais-le bien, et que cela te rende heureux.” La responsabilité qui est la mienne m’enthousiasme chaque matin.

 

Voir aussi : L’oeil de… Thierry Marx