Croissance verte : nécessaire mais insuffisante

Tout d’abord, peut-on définir, en quelques mots, les vrais enjeux climatiques et environnementaux en question ?

La crise de la biodiversité, à court terme, est plus aiguë que celle du climat même si les deux se combinent. Mais on se concentre beaucoup sur ce dernier, pour deux raisons : le climat nous affecte plus directement et il est lié aux questions d’énergies. On ne peut plus faire de l’énergie sans faire de climat (le charbon est moins cher mais trop polluant !), mais on peut faire du climat sans énergie (l’adaptation, par exemple). L’énergie est un enjeu que l’on peut opérationnaliser, maîtriser plus ou moins bien, mesurer avec des critères objectifs, alors que la crise de la biodiversité, on ne sait pas trop comment faire pour l’endiguer : comment, concrètement, participer à la restauration d’une espèce, d’un milieu ? 

 

Au niveau de l’entreprise et de sa gouvernance, la considération pour le climat était une option autrefois. C’est une évidence aujourd’hui. À quel moment avez-vous observé ce changement de paradigme ? 

C’est à partir de 2012-2015 que j’ai constaté un changement, avec des entreprises qui souhaitaient s’engager et prendre en compte le facteur humain. Des entrepreneurs avaient également un désir d’innovation. Avant, les services RSE étaient directement associés aux services communication, mais ensuite, ils ont pris de l’importance en matière de budget, de RH et de pouvoir d’influence. Certaines entreprises ont su qu’il fallait agir sur la gouvernance, les fournisseurs, voire, les clients. Cette transition est en partie forcée par la réglementation mais aussi par la concurrence mais aussi consentie et désirée pour des raisons écologiques. Comme me l’ont dit certains chefs d’entreprises : «J’ai des enfants et l’avenir fait peur». Mais même lorsque les changements sont désirés, il peut y avoir des freins internes, liés justement à la gouvernance et au management déjà en place.   Par exemple, pour rentrer dans une démarche de transition, il faut avoir une culture de l’innovation avec une condition essentielle dans les collectivités territoriales, comme dans les entreprises : le droit à l’erreur. Si à chaque fois que l’on tente d’expérimenter et qu’on échoue on se fait mal évaluer par la hiérarchie, on arrête d’innover.

 

Comment la lutte contre le réchauffement climatique conditionne-t-elle l’activité même de l’entreprise ?  

Si on est opérateur d’énergie, les impacts du changement climatique sur la montée des eaux ou le contraire, l’assèchement des rivières et les canicules auront des impacts sur la distribution et sur la production. C’est la même chose pour la production agricole. Mais pour le tourisme, c’est plus varié : le nombre de nuitées en mer diminue au profit d’une augmentation de nuitées en montagne, par exemple. C’est toute la question de la capacité d’adaptation de ces acteurs aux nouvelles conditions évolutives qui est soulevée. Et c’est -très complexe. 

 

Qui peut imposer des contraintes aux entreprises privées ? 

L’Union européenne a un effet structurant, encadrant qui est très important mais il ne faut pas oublier les autres entreprises, concurrentes ! Une multinationale qui impose à tous ces fournisseurs quelques conditions environnementales a un impact fort. En tant que fournisseur, pour ne pas perdre une multinationale comme client, on s’aligne avec ses exigences. Mais cette pression qui entraîne la capacité à imposer des conditions n’est pas assez utilisée. Et pourtant c’est un vrai levier.  

 

Peut-on parler de « sobriété économique », de « sobriété écologique » ? 

J’ai beaucoup de problèmes avec ce mot parce qu’on l’utilise n’importe comment. La quasi-totalité des acteurs ne réalisent pas ce qu’ils demandent en matière de charge cognitive, de poids mental, de ce que cela fait sur le quotidien que de devoir s’observer, changer ses pratiques, se pardonner quand on échoue et.. recommencer ! La sobriété est au minimum un changement de comportement et idéalement un changement de mode de vie. Qui veut devenir végétarien, qui veut réduire son espace de vie, sa consommation quotidienne ? La sobriété a un poids. Une grande partie de mes recherches tourne autour de cette question. Que veut dire la sobriété pour des entreprises, pour des familles, pour des ménages ou pour des collectivités territoriales ? Quand j’ai vu le gouvernement français dire que l’on avait atteint la sobriété cette année, en fait, il ne parlait pas de sobriété, il parlait de diminution de la consommation d’énergie, et ce n’est vraiment pas pareil. Si je fais des travaux de rénovation énergétique chez moi, je diminue ma consommation d’énergie, certes. Mais la sobriété, c’est changer ma façon de manger, de me déplacer, c’est acheter moins de vêtements, moins de gadgets. Ce qui m’inquiète, c’est que, ces prochaines années, on va devoir apprendre la sobriété de la consommation de l’eau. Avec les sécheresses, la diminution de la pluviométrie, il faudra nécessairement penser l’eau différemment. Ce qui ajoute une pression supplémentaire à celle déjà ressentie par tous. λ