Comment gérer sa colère au travail ?

Si ressentir certaines émotions fait simplement de nous des humains, un trop-plein peut être mal perçu au travail et facilement gâcher la vie : la vôtre, mais également celle de vos collaborateurs. La preuve, 83 % des salariés affirment avoir déjà pleuré au bureau d’après une enquête Monster.com, et la moitié d’entre eux affirment que c’était à cause d’un responsable ou d’un collègue.
Qu’est-ce qui nous fait vriller au travail ? Selon plusieurs études, ce serait principalement le stress, les conflits interpersonnels, les inégalités salariales, le harcèlement et des conditions de travail défavorables. Vous n’êtes pas responsable de tous les dysfonctionnements d’une entreprise, c’est pourquoi il est nécessaire parfois, d’accepter sa colère, ou de l’exprimer différemment. Vous seriez étonné de l’impact d’un sourire (même forcé) au bureau !
Pour Julie Dubrac, hypnothérapeute, « le plus important, c’est de prendre le temps d’accueillir son émotion et d’en comprendre les origines ». Selon cette spécialiste en gestion des émotions, « dans la majorité des cas c’est le rapport à l’autre qui pose problème ». Trop souvent à deux doigts de l’explosion (voire plus à deux doigts du tout) ? Cette experte partage trois exercices de pro pour calmer ses ardeurs à plus ou moins court terme.
Trois exercices pour mieux canaliser sa colère au travail
1- Niveau débutant (3 minutes) : la “crise de calme”.
C’est un exercice individuel basé sur la respiration, efficace en trois minutes seulement et à réaliser seul ou à l’aide d’une application de méditation comme Petit Bambou.
– On commence par s’installer confortablement, les jambes décroisées et les pieds à plat sur le sol.
– On pose une main sur le ventre
– On ferme les yeux, et on effectue 3 respirations ventrales : on expire l’air pour vider ses poumons, sans forcer. On inspire par le nez en douceur et on bloque quelques secondes. On laisse l’air s’échapper des poumons en expirant par la bouche. Je recommande de s’octroyer quelques secondes et d’observer ce qu’il se passe dans le corps. On peut terminer l’exercice sur une pensée agréable (un endroit, un objet ou une personne), et on reprend son activité.
2- Niveau expert (quelques séances) : une thérapie brève
Savoir canaliser sa colère passe d’abord par en comprendre les origines. Un accompagnement thérapeutique (de l’hypnose, de l’harmonisation émotionnelle…) peut aider à trouver la racine du problème. Une thérapie dite “brève” dure en moyenne 3 séances selon l’objectif défini. Toutes les ressources de la personne sont mobilisées afin qu’elle puisse effectuer elle-même les changements désirés. Le thérapeute pourra aider à créer un “auto-ancrage” déclencheur d’une émotion positive (comme la joie ou la détente), un petit exercice qui pourra être réutilisé n’importe où, à n’importe quel moment.
3- Niveau maître (quelques mois) : l’auto-hypnose
L’auto-hypnose, c’est un peu comme un voyage au cœur de nous-même, en état modifié de conscience. Cette pratique thérapeutique autonome soigne autant le corps que l’esprit : elle permet notamment d’améliorer la qualité du sommeil, de calmer l’anxiété, d’augmenter la confiance en soi, de changer des comportements compulsifs et même de se préparer à un examen ou une compétition sportive. À condition bien sûr, qu’elle soit pratiquée de façon régulière et assidue, car c’est en améliorant ses capacités de concentration et d’auto-suggestions que l’on pourra ensuite communiquer plus facilement avec l’inconscient. Pour les néophytes, il est conseillé de pratiquer l’auto-hypnose après quelques séances avec un professionnel qui saura vous guider.
Un très bon exercice pour calmer sa colère au travail ? La création d’un “lieu refuge”.
– On se remémore un endroit qui nous inspire le calme et la sérénité dans
lequel on se sent bien (réel ou imaginaire, dans la nature par exemple).
– On y ajoute ensuite un maximum de détails (couleurs, sons, odeurs,
température…) et on s’imprègne des sensations agréables et positives que ce
lieu idéal nous procure.
Avec un peu d’entraînement, ce voyage introspectif fait redescendre la pression en
quelques minutes seulement – au bureau, comme à la maison !

Et maintenant le « Conscience Quitting »

La tendance du « Conscience Quitting » est liée à la prise de conscience des enjeux sociaux, environnementaux et éthiques, ainsi qu’à l’importance accrue accordée aux valeurs personnelles dans les choix de carrière. Le phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années, en particulier chez les jeunes générations qui sont de plus en plus sensibles aux entreprises à impact ou au recrutement inclusif. Dan Guez, co-fondateur du groupe OpenSourcing a analysé le phénomène.
De quoi le « Conscience Quitting » est-il le nom ?
Il peut être considéré comme une manifestation de l’engagement croissant des salariés à agir pour un monde meilleur. Au Royaume Uni ou aux Etats-Unis c’est près de 30 % de salariés qui ont déjà succombé au « Conscience Quitting ». C’est un nouveau défi auquel les entreprises doivent faire face à qui la génération Z ou les millénials imposent de plus en plus leur propre vision du monde professionnel. Les raisons qui poussent les employés à quitter leur emploi peuvent être diverses. Certains sont en désaccord avec les pratiques écologiques ou sociales de leur entreprise, tandis que d’autres rejettent les politiques de diversité de leur entreprise. Les cas de harcèlement ou de discrimination sont également des raisons fréquentes de départ. Les travailleurs peuvent également être confrontés à des situations de conflit entre leurs valeurs personnelles et les valeurs de l’entreprise.
Le « Conscience Quitting » est-il le signe que l’entreprise et les travailleurs évoluent ?
Oui et il a des conséquences positives. Pour les uns, cela peut être une opportunité de trouver un emploi en phase avec leurs valeurs personnelles et de trouver une plus grande satisfaction au travail. Pour les autres, cela peut les inciter à travailler leur image employeur en repensant leurs pratiques environnementales et sociales et en prenant en compte les préoccupations de leurs employés actuels ou futurs en matière d’éthique et de diversité. Cependant le « Conscience Quitting » représente un coût non négligeable pour les employés, sensibles à ce phénomène, qui renoncent à leur salaire. D’après certaines études américaines, de nombreux salariés ont accepté une rémunération moins importante pour évoluer dans un cadre professionnel en ligne avec leurs valeurs personnelles. Le « Conscience Quitting » est une tendance qui illustre l’importance croissante accordée aux valeurs personnelles dans les choix de carrière. Cela peut être bénéfique pour les travailleurs et les entreprises, mais peut également présenter des défis. Les entreprises ont tout intérêt à prendre en compte les préoccupations de leurs employés en matière d’éthique et de responsabilité sociale afin de maintenir leur engagement et leur loyauté. Les employés, quant à eux, doivent prendre en compte les conséquences financières et professionnelles de leur décision de quitter leur emploi pour des raisons éthiques.
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Pascal Demurger, le précurseur

À la tête de la Maif depuis treize ans, vous dites qu’au début votre management était classique. Et cela a « coincé ». Pourquoi ? Oui, mon expérience précédente s’était déroulée dans l’administration publique, à la direction du budget de Bercy. Je voyais les choses de façon assez traditionnelle, et cela a posé un sujet d’intégration au sein de la Maif. Je ne comprenais pas très bien les particularités de la société, et, en même temps, l’entreprise était dubitative car c’était la première fois qu’un dirigeant, qui plus est un énarque, venait de l’extérieur. Avec tous ces facteurs, il y avait des suspicions et des doutes à mon égard. Cela s’est confirmé lorsque j’ai mené des réorganisations : les négociations ont été assez âpres, jusqu’à ce que l’entreprise m’oppose une vraie résistance. Heureusement, cette période n’a pas duré, et la situation a évolué aux alentours de 2010, grâce à plusieurs facteurs. J’ai d’abord été marqué par une remarque d’une personne qui travaillait avec moi. Elle m’a fait prendre conscience de l’impact de mes décisions sur l’épanouissement et l’équilibre psychologique de mes équipes. J’ai su que je pouvais insuffler une culture bienveillante et attentive, ou, au contraire, faire naître une politique plus dure et concurrentielle. Un autre tournant a été de me rendre compte que les considérations éthiques, au cœur de la MAIF, de chaque réunion de travail, étaient toujours vécues en opposition à la performance. J’ai considéré au contraire que l’éthique ne devait pas être vécu comme un frein à notre activité : elle devait être susceptible de l’enrichir. Enfin, le dernier facteur  était personnel : à cette époque, j’ai eu de longues conversations avec mes enfants, qui m’ont fait prendre conscience des enjeux écologiques et sociaux qui les préoccupaient.  Je me suis donc donné comme objectif de construire une stratégie qui mêle engagement et performance. Cela a été le point de départ des initiatives menées à partir de 2013.

 

Vous parlez de vos débuts chahutés avec beaucoup d’honnêteté. Craignez-vous, parfois, d’être trop transparent ?

J’en ai eu peur pendant longtemps. Mais aujourd’hui je n’ai plus d’appréhension à être transparent : n’ayant rien à cacher ni à masquer, je me sens totalement aligné avec mes engagements. Je n’ai pas honte de mon parcours, beaucoup d’autres personnes ont vécu un chemin similaire. Une autre raison susceptible d’expliquer cette transparence réside dans l’image que je veux imprimer dans l’esprit de celles et ceux que je rencontre. Je veux laisser sous-entendre que, peu importe l’endroit où nous sommes, il ne faut pas avoir peur d’évoluer et de progresser. D’une certaine manière, le dire sans fard et sans orgueil autorise tout le monde à emprunter cette même voie.

 

La Maif vous a fait évoluer, dites-vous, et elle continuera d’exister après vous. Le leader est-il également un passeur ?

Je suis totalement en adéquation avec la double dimension de passage et de service. La conscience de sa responsabilité passe aussi par le fait de savoir que nous sommes présents pour un moment donné. Cela conduit à vouloir léguer un héritage à la hauteur de ce que l’on a reçu. Je crois en la notion de servant leader, car j’ai pleinement conscience que tout se fait en dehors de moi. Ma mission est de faire en sorte que les conditions des 9 000 collaborateurs de l’entreprise soient les meilleures possible. J’entends par là, un épanouissement personnel qui anime à la fois leur motivation et leur engagement. Pour résumer, les salariés doivent se sentir dans une communauté solide. De ce fait, mon rôle est ainsi d’offrir un confort psychologique pour que chacun donne le meilleur de lui-même.

 

Seriez-vous le même patron à la tête d’une entreprise cotée ? De toute évidence, je n’aurais pas la même marge de manœuvre parce que je devrais rendre des comptes tous les trimestres avec des contraintes de valorisation de dividendes. Par exemple, au début du confinement, en mars 2020, nous avons pris la décision de rembourser nos assurés de leurs primes d’assurance automobile correspondant à la période du confinement, puisque les voitures ne circulaient plus. Cette mesure aurait été difficile à mettre en oeuvre dans une autre compagnie, d’autant plus dans un fonctionnement traditionnel. 

 

On vous dit souvent que le modèle d’entreprise responsable est facilement applicable quand on n’a ni actionnaires ni concurrence… Comprenez-vous cette opposition ?

La MAIF est enserrée dans les contraintes de la concurrence qui vient en partie d’entreprises internationales et est donc soumise aux mêmes exigences de performance et d’efficacité opérationnelle. Et, avec le temps, j’ai aujourd’hui la certitude que l’engagement crée de la valeur, y compris de la valeur économique, pour l’entreprise. Surtout, les dirigeants n’ont plus le choix : ils doivent s’engager, la pression est forte au sein des entreprises, au niveau de la réglementation et de la part des consommateurs. Même si un patron n’est pas sensible aux problèmes écologiques et sociaux, il peut recevoir suffisamment de signaux pour prendre conscience de cette urgence. Là où la question peut paraître désuète, c’est quand on observeles résultats extrêmement positifs que nous pouvons avoir en mettant les choses dans le bon ordre. Il y a une dizaine d’années, j’avais organisé un séminaire pour les managers afin de leur présenter le management par la confiance et les inciter à s’y lancer. Je me souviens leur avoir dit que le seul objectif à avoir, en tant que manager, n’était pas l’efficacité opérationnelle, les résultats quantitatifs ni la productivité, mais bien l’épanouissement des collaborateurs. Évidemment, ce sujet étonnait tant il semblait contre-intuitif. Mais quand vous le faites de manière sincère, vous obtenez un alignement total entre les aspirations individuelles de chacun et la stratégie de l’entreprise. Cela se manifeste notamment par le niveau de motivation des collaborateurs. Nous l’avons mesuré en dix-huit mois avec une baisse de 25 % de l’absentéisme. Les personnes travaillant à nos côtés peuvent éprouver un certain attachement à l’entreprise et peuvent devenir, au fur et à mesure, de véritables ambassadeurs.

 

Vous êtes coprésident d’un mouvement d’entrepreneurs et de dirigeants engagés dans la transition écologique et sociale, Impact France. Cette décision est le fruit d’un cheminement. Pendant une dizaine d’années, je me suis focalisé sur la Maif. Avec une logique d’impact et de contribution, considérant que cela en valait la peine. J’avais deux objectifs : gagner en performance et en attractivité et, en parallèle, avoir un impact sociétal fort. Après diverses sollicitations dans mon environnement professionnel, je me suis rendu compte que mon engagement devait aller plus loin. J’ai donc écrit, en 2019, L’entreprise du XXIe siècle sera politique ou ne sera plus. J’explorais dans ce livre ce cheminement incontournable que doit avoir un dirigeant. À la suite de cette publication, j’ai eu une visibilité plus importante. J’ai été amené à témoigner et à diffuser mes idées dans des événements ou dans d’autres entreprises. Malheureusement, les prises de conscience évoluent assez lentement. Je devais passer à l’étape suivante : toucher les pouvoirs publics, pour faire évoluer le cadre réglementaire et fiscal pour qu’il incite les entreprises à s’engager.  A titre personnel, j’ai publié, en 2022, un rapport à la Fondation Jean-Jaurès allant dans ce sens. Ensuite, j’ai été sollicité par les coprésidents sortants d’Impact France  pour prendre la tête du  mouvement avec Julia Faure et j’ai compris que c’était une occasion unique d’amplifier l’impact que l’on peut avoir. 

 

Vous proposez d’intégrer des entreprises plus classiques telles que SNCF ou Doctolib. Cela a été mal vécu par certains. Comment l’expliquez-vous ?

Cela a été mal vécu par une poignée de personnes ayant un écart idéologique important et considérant qu’elles ne peuvent se regrouper qu’avec des entreprises complètement pures dans leurs engagements. Les entreprises en phase de transition qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques sont encore trop éloignées de ce que ces personnes recherchent. Je considère que l’objectif est d’avancer le plus vite possible, pour faire face à l’urgence et, à terme, transformer l’économie française. Pour cela, il faut embarquer des entreprises plus importantes à condition qu’elles soient dans une transition sincère. C’est ce projet qui a été validé par près de 90% des adhérents du mouvement.

 

Aujourd’hui, vous êtes écouté, les médias vous invitent, le grand public apprécie votre militantisme. Vous avez pris position pour une autre forme de redistribution des bénéfices, plaidant pour limiter les superprofits en période de crise. Est-ce que vous vous êtes fait des contradicteurs ou des ennemis parmi vos homologues ?

J’ai eu des contradicteurs bien sûr, mais en nombre réduit. En réalité, ceux qui n’entendent pas ce discours sont ceux qui ont intérêt à y résister.  et qui ne comprennent pas que le XXIe siècle est basé sur l’engagement. L’irruption de patrons d’un nouveau genre peut les interroger. Finalement qui sommes-nous ? Des militants ou des patrons ? Le fait de croiser ces deux catégories dérange les acteurs qui s’accommodent des oppositions cristallisées. Mais l’immense majorité des dirigeantes et dirigeants que je rencontre ont pleinement conscience de la nécessité de s’engager. 

 

Cet engagement vertueux qui est le vôtre est totalement aligné avec celui de la Maif et même au-delà. Comment imaginez-vous votre avenir ? Dans la sphère politique ?

L’après, pour ma part, c’est mon implication auprès d’Impact France. Mais, vous savez, ce que nous abordons depuis le début de cette interview est politique. Pour moi, l’entreprise devient un objet politique au sens où on ne la conçoit plus comme une entité isolée du reste du monde. Si elle a des impacts, positifs comme négatifs, elle a une responsabilité qui est d’ordre politique sur la cité. La question qui se pose alors est : comment mettre en œuvre cette conviction ? Est-ce que c’est en démontrant que nous pouvons transformer le modèle de l’entreprise en pratique ? Est-ce que c’est en prenant la tête d’un mouvement d’entreprises qui se veut puissant et influent ? Ou d’un ministère ? Pour ma part, j’ai choisi les deux premières solutions. Au fil des années, il y a eu une relation particulière et extrêmement forte qui s’est nouée entre la Maif et moi. Cette relation est si stimulante que je ne veux surtout pas m’en priver. Et cet engagement, je le poursuis pleinement avec Impact France…

Croissance verte : nécessaire mais insuffisante

Tout d’abord, peut-on définir, en quelques mots, les vrais enjeux climatiques et environnementaux en question ?

La crise de la biodiversité, à court terme, est plus aiguë que celle du climat même si les deux se combinent. Mais on se concentre beaucoup sur ce dernier, pour deux raisons : le climat nous affecte plus directement et il est lié aux questions d’énergies. On ne peut plus faire de l’énergie sans faire de climat (le charbon est moins cher mais trop polluant !), mais on peut faire du climat sans énergie (l’adaptation, par exemple). L’énergie est un enjeu que l’on peut opérationnaliser, maîtriser plus ou moins bien, mesurer avec des critères objectifs, alors que la crise de la biodiversité, on ne sait pas trop comment faire pour l’endiguer : comment, concrètement, participer à la restauration d’une espèce, d’un milieu ? 

 

Au niveau de l’entreprise et de sa gouvernance, la considération pour le climat était une option autrefois. C’est une évidence aujourd’hui. À quel moment avez-vous observé ce changement de paradigme ? 

C’est à partir de 2012-2015 que j’ai constaté un changement, avec des entreprises qui souhaitaient s’engager et prendre en compte le facteur humain. Des entrepreneurs avaient également un désir d’innovation. Avant, les services RSE étaient directement associés aux services communication, mais ensuite, ils ont pris de l’importance en matière de budget, de RH et de pouvoir d’influence. Certaines entreprises ont su qu’il fallait agir sur la gouvernance, les fournisseurs, voire, les clients. Cette transition est en partie forcée par la réglementation mais aussi par la concurrence mais aussi consentie et désirée pour des raisons écologiques. Comme me l’ont dit certains chefs d’entreprises : «J’ai des enfants et l’avenir fait peur». Mais même lorsque les changements sont désirés, il peut y avoir des freins internes, liés justement à la gouvernance et au management déjà en place.   Par exemple, pour rentrer dans une démarche de transition, il faut avoir une culture de l’innovation avec une condition essentielle dans les collectivités territoriales, comme dans les entreprises : le droit à l’erreur. Si à chaque fois que l’on tente d’expérimenter et qu’on échoue on se fait mal évaluer par la hiérarchie, on arrête d’innover.

 

Comment la lutte contre le réchauffement climatique conditionne-t-elle l’activité même de l’entreprise ?  

Si on est opérateur d’énergie, les impacts du changement climatique sur la montée des eaux ou le contraire, l’assèchement des rivières et les canicules auront des impacts sur la distribution et sur la production. C’est la même chose pour la production agricole. Mais pour le tourisme, c’est plus varié : le nombre de nuitées en mer diminue au profit d’une augmentation de nuitées en montagne, par exemple. C’est toute la question de la capacité d’adaptation de ces acteurs aux nouvelles conditions évolutives qui est soulevée. Et c’est -très complexe. 

 

Qui peut imposer des contraintes aux entreprises privées ? 

L’Union européenne a un effet structurant, encadrant qui est très important mais il ne faut pas oublier les autres entreprises, concurrentes ! Une multinationale qui impose à tous ces fournisseurs quelques conditions environnementales a un impact fort. En tant que fournisseur, pour ne pas perdre une multinationale comme client, on s’aligne avec ses exigences. Mais cette pression qui entraîne la capacité à imposer des conditions n’est pas assez utilisée. Et pourtant c’est un vrai levier.  

 

Peut-on parler de « sobriété économique », de « sobriété écologique » ? 

J’ai beaucoup de problèmes avec ce mot parce qu’on l’utilise n’importe comment. La quasi-totalité des acteurs ne réalisent pas ce qu’ils demandent en matière de charge cognitive, de poids mental, de ce que cela fait sur le quotidien que de devoir s’observer, changer ses pratiques, se pardonner quand on échoue et.. recommencer ! La sobriété est au minimum un changement de comportement et idéalement un changement de mode de vie. Qui veut devenir végétarien, qui veut réduire son espace de vie, sa consommation quotidienne ? La sobriété a un poids. Une grande partie de mes recherches tourne autour de cette question. Que veut dire la sobriété pour des entreprises, pour des familles, pour des ménages ou pour des collectivités territoriales ? Quand j’ai vu le gouvernement français dire que l’on avait atteint la sobriété cette année, en fait, il ne parlait pas de sobriété, il parlait de diminution de la consommation d’énergie, et ce n’est vraiment pas pareil. Si je fais des travaux de rénovation énergétique chez moi, je diminue ma consommation d’énergie, certes. Mais la sobriété, c’est changer ma façon de manger, de me déplacer, c’est acheter moins de vêtements, moins de gadgets. Ce qui m’inquiète, c’est que, ces prochaines années, on va devoir apprendre la sobriété de la consommation de l’eau. Avec les sécheresses, la diminution de la pluviométrie, il faudra nécessairement penser l’eau différemment. Ce qui ajoute une pression supplémentaire à celle déjà ressentie par tous. λ

Tribune : la fin est proche

 Le DRH est habitué à porter les mauvaises nouvelles de tous côtés. Aux candidats (« nous n’avons pas retenu votre candidature »), aux salariés (« nous allons devoir nous séparer »), aux dirigeants (« pour attirer les talents, faudra les payer plus que ça »). Il lui revient de les formuler le plus positivement possible, sans hypocrisie. Autant de compétences qui en font l’un des meilleurs ambassadeurs de la RSE dans l’entreprise.

La RSE est un sujet « people » par excellence. 

Elle est vectrice d’attractivité et de rétention. Elle s’incarne dans des projets individuels et collectifs. Elle soulève des questions de gestion des temps, de mobilité. Surtout, elle met en jeu la dialectique entre intérêt corporate, intérêt personnel et intérêt général, que l’on retrouve au cœur de la fonction RH.

Le DRH, agent de transformation culturelle

La responsabilité sociale et environnementale recouvre tout ce que l’entreprise peut faire en réponse aux malheurs de ce monde : précarité, pauvreté, réchauffement climatique…

L’environnement est le thème RSE sur lequel l’information, la prise de conscience, la culture partagée jouent le rôle le plus important. Mobilités douces, gestion des déchets, achats responsables, adaptation de l’offre, sobriété énergétique : l’efficacité de ces politiques dépend de leur appropriation par tous. La fonction RH est ici à l’œuvre via le recrutement, la marque employeur, l’intégration, le dialogue avec les salariés et le management sur ces questions.

Rappel : la guerre de Troie a bien eu lieu

Si l’entreprise veut projeter une image d’acteur sincère sur les questions RSE, elle doit s’engager et tenir ses promesses. Le DRH, souvent, joue un rôle difficile de VRP de l’image employeur, enthousiaste mais craignant d’être lâché par la troupe, trahi par la réalité de l’entreprise. Veut-il en plus se charger du rôle de prophète de malheur sur l’environnement ? J’ai envie de dire oui, n’ayez pas peur, allez-y. C’est le sens de l’Histoire.

Le DRH n’a rien à perdre à jouer les Cassandre de l’environnement. Car Cassandre, ne l’oublions pas, avait vu juste. Mais comme L’Iliade nous le rappelle, il ne suffit pas d’avoir raison… encore faut-il savoir convaincre. C’est là où le DRH doit être plus malin. Si Troie avait eu un bon DRH, l’histoire aurait sans doute été bien différente. λ

UpCoop : des salariés-sociétaires

En quoi l’organisation d’une Scop diffère-t-elle de celle des entreprises de l’économie traditionnelle ? 

Le fonctionnement d’une coopérative de salariés est régi sur le principe d’une personne égale une voix, ce qui fait que la coopérative est une entreprise qui privilégie le capital humain au capital financier. À partir de ce principe, trois éléments nous différencient fortement d’une entreprise classique. Le premier c’est une gouvernance démocratique. Nous avons un mode de gouvernance qui est basé sur le fait que ce sont les salariés-sociétaires qui élisent parmi leurs pairs les membres du conseil d’administration. Ceci nous impose de la transparence et de la communication et nous implique de rendre compte, non pas à des actionnaires privés extérieurs, mais aux salariés sociétaires qui nous ont fait confiance. Le deuxième élément c’est la question de la répartition du fruit du travail. Le partage de la valeur, nous le pratiquons de façon égalitaire, puisque les résultats de l’entreprise sont répartis de manière équitable entre l’ensemble des salariés. Et le troisième élément, qui est un élément historique, c’est la place du dialogue social. Nous avons été créés par des partenaires sociaux et nous savons que dans chaque entreprise la réalisation des objectifs ne peut se faire qu’en coopérant pour faire adhérer l’ensemble des salariés à un projet stratégique, et cela passe par un dialogue social respectueux et constructif. 

Ces trois éléments jouent-ils dans l’engagement des collaborateurs ?

En rejoignant la coopérative, le salarié va devenir sociétaire. Il entre avec un contrat de travail, mais il s’engage ensuite en tant que personne qui a été cooptée par ses pairs, qui lui proposent de partager l’aventure offerte par la coopérative. Chacun est impliqué, est un acteur de l’évolution de l’entreprise. Salariés-sociétaires, nous sommes tous entrepreneurs, donc force de proposition, voire force d’action, pour permettre à l’entreprise de se développer. Cet élément-là est très important dans la notion d’engagement, et ça va même plus loin que l’engagement. C’est très responsabilisant !  Le salarié n’est pas qu’un salarié : c’est un sociétaire, donc un citoyen qui est acteur de la démocratie en entreprise. 

UpCoop a récemment pris deux décisions fortes : séparer les fonctions de Président et de Directeur Général et devenir une entreprise à mission. Pouvez-vous nous expliquer les raisons de ces choix ?

La dissociation des mandats est une orientation que j’avais défendue lorsque j’ai pris mes fonctions de PDG. Après 60 ans d’existence, notre coopérative fédère autour d’elle 60 entreprises dans 23 pays. Nous sommes confrontés tous les jours à des problématiques entre faire vivre l’esprit coopérative et gérer un groupe de 3 200 personnes. Ma conviction a été de bien dissocier les rôles.

Et de ce fait là, j’ai donc engagé et accéléré le processus nous amenant à devenir une entreprise à mission parce que je pensais que le fait d’être une Scop ne suffit plus pour épouser tous les sujets auxquels une entreprise doit répondre. J’ai considéré qu’en rajoutant aux statuts de la coopérative les statuts d’une entreprise à mission, cela nous obligeait à intégrer quelle est notre contribution sociétale aujourd’hui, et quelle est notre contribution environnementale. 

Comment travaillez-vous avec toutes les parties prenantes pour réduire l’empreinte carbone de vos activités ? 

Nous considérons les salariés et les collaborateurs du groupe comme des citoyens, et la question de la formation à ces sujets-là nous paraît normale. Aussi, nous les invitons tous à travailler sur la Fresque du climat, à mettre en place des actions de sensibilisation autour du gaspillage alimentaire, des économies d’énergie, d’une consommation plus responsable. Le deuxième point c’est comment nous accompagnons nos partenaires, les collectivités locales, pour mettre en place des dispositifs et des actions qui permettent d’améliorer l’impact environnemental. Nous avons été les premiers à accompagner certaines associations sur des dispositifs de type chèque alimentation durable, ou les collectivités sur le chèque énergie pour faciliter le financement de dispositifs permettant de faire des économies d’énergie dans les familles. Nous sommes aussi partie prenante pour développer le commerce de proximité. 

Comment aidez-vous les collaborateurs à avoir un impact social et environnemental positif à travers leur mode de consommation ? 

Il est fondamental que nous puissions, grâce à la digitalisation et aux nouvelles technologies, faciliter des modes de consommation responsables. On peut imaginer que les personnes qui détiennent nos titres restaurants UpDéjeuner ou des titres cadeau puissent être sensibilisés à les orienter plutôt vers des commerçants et partenaires qui ont pris la décision d’avoir des comportements vertueux en proposant des produits qui sont les moins consommateurs en matière environnementale. Avec le programme Up+, c’est déjà possible. Nos produits doivent avoir pour ambition première d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés et des citoyens, mais ce sont aussi des produits qui, avec l’évolution de la société, les nouvelles problématiques qui se posent et la digitalisation qui est un atout, peuvent contribuer à une meilleure consommation, une consommation plus vertueuse et meilleure en matière d’impact environnemental. 

Les pros de la vape à la pointe

Gaia Trend : la vape au service du sevrage tabagique

L’entreprise familiale est née d’une double intuition paternelle. Didier Martzel souhaitait détourner ses enfants de la cigarette, non pas en leur interdisant de fumer mais en leur proposant une alternative. Celle qui deviendrait, du même coup, une solution de santé publique pour lutter contre le tabagisme. 

« En 2005, mon papa-ingénieur s’est lancé dans la création d’un substitut et a déposé le brevet d’une cigarette électronique nommée Alfacig », raconte Olivier Martzel, fils ainé et fumeur repenti qui rejoint vite l’aventure familiale. En 2009, « la matière première est vite devenue un problème, se souvient-il, tous les e-liquides vendus dans le monde provenaient essentiellement de Chine. Mon frère, Xavier, s’est donc lancé dans des études d’aromatiques pour créer nos propres e-liquides. » Installée à Rohrbach-lès-Bitche (Moselle), Gaïa Trend s’inscrit  dans une logique de progression sociale et environnementale : « Nous attachons une volonté particulière au respect de la nature et de l’environnement, insiste Olivier Martzel, sans cela, nous ne sommes rien. Nous valorisons donc nos déchets, via des filières de recyclage et des associations partenaires comme “Du papier pour l’enfance” ou “Une pile Un don- Téléthon”. Gaïa Trend met également en œuvre une politique visant à limiter son empreinte carbone : employés, prestataires et fournisseurs locaux, maîtrise de la consommation d’énergie, « chaque collaborateur est sensibilisé aux consignes de chauffage, de climatisation et de consommation électrique ». Enfin, la société du Grand Est apporte une attention particulière au bien-être de ses collaborateurs avec un cadre de travail attractif, des postes de travail ergonomiques, une communication interne très régulière. L’entreprise a d’ailleurs obtenu le label « Employeur engagé » pour son éco-système de travail vertueux.

 

Swoke : des paroles et des actes 

Le fabricant et distributeur d’e-liquides, implanté à Andrésy (Yvelines), est porté par les convictions fortes de son équipe, à commencer par son fondateur, Aurélien Durand : « À titre personnel, j’ai pris conscience de l’urgence climatique il y a quatre ans, en suivant les conférences de l’astrophysicien Aurélien Barrault. C’est à l’occasion de l’une de ses interventions sur l’écologie que j’ai commencé à vraiment m’intéresser à l’étendue du problème et à le comprendre. »  Ce choc a précédé une action de fond : « Notre réaction s’est articulée autour de deux axes : compensation et réparation de l’impact de notre activité. Puis modifications structurelles.» Swoke se décide à nouer deux partenariats avec Reforest’Action, dédiée à la préservation de forêts, et avec Les Ailes de l’océan, association militante pour la dépollution des espaces marins. « En 2021, nous avons consacré plus de 2 % du CA au financement de ces partenariats que nous étendons, détaille Aurélien Durand, avec les Ailes de l’océan, par exemple, diverses opérations ponctuelles complémentaires ont été menées, comme la campagne où nous finançons “1m2 de plage dépolluée par fiole d’e-liquide vendue”. » S’agissant des modifications structurelles, Swoke a à cœur de collaborer avec  des fournisseurs alignés avec ses valeurs : « Nous ne travaillons plus qu’avec des arômes français, explique son fondateur, de même, nous utilisons des matières recyclées, provenant de sources éco-gérées et de fournisseurs français. Ainsi, nous avons initié la création de fioles entièrement recyclées et produites en France, distribuées sous la marque Ozone, et intégrant des mécanismes de contribution positive.» Au total, l’entreprise a contribué à capturer plus de 1 500 tonnes de CO2, à replanter 10 000 arbres et à nettoyer 90 000 m2 de plages depuis sa création.

 

Le Petit Vapoteur : le succès en partage 

En 2010, deux amis cherbourgeois découvrent le potentiel de la cigarette électronique. Ils créent un site de vente en ligne entièrement consacré à ce produit alors méconnu. LePetitVapoteur.com est aujourd’hui le leader européen du secteur. « Nous avons souhaité partager ce succès en développant des actions solidaires », souligne Tanguy Gréard. Conjointement au succès grandissant de l’e-cigarette, Le Petit Vapoteur a connu une croissance fulgurante. « Ce qui n’a fait qu’amplifier et nous donner les moyens de nos ambitions RSE, ajoute le fondateur. L’une de nos opérations majeures est  l’organisation annuelle du Black Fairday, un contre-pied au Black Friday. » Objectif : redistribuer la totalité du chiffre d’affaires d’une journée à des associations. L’entreprise alloue également une enveloppe aux structures normandes dédiées à la recherche médicale, la protection des animaux, la préservation de l’environnement et la lutte contre la précarité. 

S’agissant de l’impact environnemental de l’e-commerce, Tanguy Gréard s’interroge : « C’est compliqué, mais nous recherchons des solutions. Nos déchets sont recyclés, des points de collectes sont installés dans nos magasins, et toutes les recharges de liquides sont fabriquées en France. Mais le matériel électronique vient de Chine. Nous avons encore du chemin à parcourir. » Cette RSE questionnée et en évolution constante est un atout majeur pour la politique de recrutement du Petit Vapoteur : « Au-delà des compétences, nous recherchons des personnes capables de s’intégrer facilement à notre entreprise, via un partage de sens, de valeurs et de sympathie, insiste Tanguy Gréard. C’est pour cela que l’ambiance reste familiale au sein de nos 350 employés. »

Tribune : RSE et PME : même pas peur !

 Croire que la RSE se fera sans coût est illusoire. Aussi, protéger l’exploitation des PME est-il plus que jamais nécessaire.

Pourtant, la RSE n’est pas un choix mais une obligation, au fur et à mesure que l’accès au financement se conditionne à une trajectoire carbone.

. La RSE n’est pas une option, au fur et à mesure que ces critères prennent du poids dans les appels d’offres publics comme dans ceux des grands comptes privés. 

. La RSE ne doit pas rester à l’état de projet au moment où les collaborateurs, qui sont aussi des citoyens, poussent pour que l’entreprise prenne sa part dans ce défi. 

. Enfin, la RSE devient aussi prioritaire pour les clients qui, malgré des incohérences certaines, modifient peu à peu leur mode de consommation ou, tout au moins, leur rapport à celle-ci. Bref, cernées par les pressions des clients, des banquiers et des équipes, les PME portent davantage leur choix sur la méthode que sur la finalité. À ce poids des parties prenantes s’ajoute un accroissement significatif de la pression réglementaire (celle de la directive européenne CSRD, notamment, sur le reporting de durabilité des sociétés).

Voici ce que nous observons du côté du label HumaCap, qui aide les organisations à associer leurs collaborateurs à la démarche RSE. Pour nous, cela prend la forme de trois étapes clés :

1. Former. Se former à la RSE pour en comprendre les enjeux multiples, cela suppose un véritable effort pour partir d’une ligne de départ commune. L’année 2023 aura été marquée par le déploiement large des Fresques. « Fresquer » est le néologisme à la mode.

2. Consulter. Engager dans l’action les collaborateurs en sollicitant leur avis (éclairé par la formation), en écoutant leurs priorités et en prenant celles-ci en compte pour modifier la démarche RSE.

3. Rallier. Les faire adhérer à la démarche pour qu’ils en deviennent les agents actifs et les ambassadeurs, à la fois internes et externes. Cette dernière étape suppose un alignement des objectifs – et notamment des indicateurs clés de performance, distribués aux équipes, qui doivent prendre en compte l’enjeu RSE en plus de la dimension financière (part de marché, taux de service…).

In fine, plutôt que d’hésiter, concernant l’engagement RSE des PME, entre accélération ou pause, il me semble crucial de continuer à avancer pour apprendre pas à pas et infléchir notre trajectoire actuelle. La restructuration est complexe et nous demandera du temps. Là où la transition digitale était impulsée par le top management et source de productivité, la transition RSE est impulsée par les parties prenantes et remet en cause nos modèles d’affaires. Ne perdons pas de temps pour nous y préparer ! λ

L’IÉSEG et RSE : causes communes

«C’est une école où la dimension humaine, sociale et sociétale est super-poussée », nous déclare Bernard Coulaty, DRH pendant une trentane d’années et aujourd’hui reconverti dans le consulting et l’enseignement, pour nous expliquer son choix de rejoindre l’IÉSEG en 2020. « Mais ce n’est pas seulement pour la prise en compte des enjeux RH et RSE, c’est aussi parce que le statut associatif et non lucratif de l’école lui confère des valeurs particulières, et les deux sont liés. La stratégie RSE de l’école vient des dirigeants et de leurs convictions personnelles, elle est ancrée depuis longtemps. Les stratégies RSE sont plus effectives dans les organisations ayant une vision à long terme avec de vraies valeurs de responsabilité et d’engagement, c’est beaucoup plus facile à implémenter dans ces ce type de culture. Concernant l’IÉSEG, il y a un écosystème culturel autour de l’école qui montre que c’est assez authentique et sincère. »

La stratégie RSE de l’IÉSEG s’articule autour de deux points principaux : « Il y a à la fois l’établissement IÉSEG, qui réunit le personnel enseignant et administratif, sur deux campus à Lille et à Paris, où beaucoup de choses sont faites. Et puis il y a le cursus académique en tant que tel et donc les cours dispensés aux étudiants :  les enseignements RSE sont incessants sur les cinq années du cursus, dans une approche interdisciplinaire, on ne lâche pas un instant nos étudiants sur le sujet et ils savent que nous formons des changemakers ! » Ainsi, dans le cadre du Plan Transition 2026, 100 % du personnel de l’IESEG est formé pendant dix-huit mois aux enjeux de la RSE, à travers différents modules. Et tous participent à la construction de cette stratégie, à travers des groupes de travail : « J’ai été très impressionné de voir cela dans une grande école, je ne m’y attendais pas. Cela donne une ambiance, une coloration et un engagement des collaborateurs que je trouve assez exceptionnels. »

La formation des étudiants à la RSE est également devenue un pilier de l’école, qui attire de nombreux candidats : « C’est rare qu’ils ne citent pas cet aspect changemaker quand ils postulent. Cela commence au niveau du Bachelor et se poursuit jusqu’au niveau du Mastère. Pendant cinq ans, il n’y a pas une année sans focus sur ces enjeux sociétaux. » La RSE occupe aussi une place importante dans le nouveau Mastère spécialisé « Direction Transformation et Développement Humain », que Bernard Coulaty dirige depuis la rentrée, et où ses participants, au profil expérimenté, collaborent avec des étudiants du Programme Grande École sur divers ateliers intergénérationnels : « La RSE n’est pas un sujet laissé aux jeunes, c’est un sujet intergénérationnel : il faut aussi créer du lien à travers cet enjeu. »

Tribune : Travail hybride : un outil puissant de transition écologique

Ces avantages sont encore plus facilement atteints par des innovations technologiques qui optimisent les déplacements et l’occupation des bureaux tout en mesurant les bénéfices de façon continue.

Cependant, le télétravail et l’usage de ces solutions accroissent très fortement l’utilisation des technologies digitales connectées, ce qui n’est pas neutre du point de vue environnemental. Les data centers, le cloud, indispensables à la fourniture de services Internet, sont de grands consommateurs d’énergie, et les équipements nécessaires au télétravail (ordinateurs, smartphones, casques, écrans) génèrent des déchets électroniques de plus en plus importants.

La happytech intègre une conscience écologique dans l’amélioration de l’expérience collaborateur. Les entreprises peuvent promouvoir l’utilisation de matériel éco-conçu et encourager une utilisation plus rationnelle de ces équipements.

Prenons le cas de Datakiss, une start-up proposant non seulement une IA de haute qualité, mais aussi une utilisation des équipements plus rationnelle et respectueuse de l’environnement. En rationalisant les scénarios de cycle de vente avec la sectorisation des commerciaux tout en prenant en compte la réalité opérationnelle, elle réduit les déplacements inutiles, ce qui a un impact direct sur l’empreinte carbone de l’entreprise cliente.

À travers son écosystème, le « mouvement happytech » veut démontrer qu’il est possible d’améliorer l’expérience collaborateur en promouvant un environnement de travail plus vert. En plus d’offrir aux employés des outils numériques écoresponsables, elle peut encourager des pratiques durables et des comportements écologiques, renforçant ainsi le sentiment d’engagement et de responsabilité des employés envers notre planète.

Un exemple serait Humoon, une plateforme qui accompagne les actifs dans leur carrière et favorise le bien-être au travail. Humoon propose des modules pour sensibiliser les employés aux questions environnementales et promouvoir des comportements durables au travail.

En vérité, si nous voulons faire du travail hybride un outil puissant de transition vers une économie verte, nous devons intégrer la perspective environnementale dans notre approche du travail. Les entreprises ont un rôle essentiel à jouer en adoptant ces technologies et en créant une culture de travail durable et respectueuse de l’environnement.

Essec : la RSE incubée

Quelles sont les principales missions du Laboratoire ?

Elles concernent, pour la majeure partie d’entre elles, des travaux de recherche-action avec des partenaires, des organisations qui ont envie de comprendre leur impact social et souhaitent le mesurer. Notre vision, c’est que l’évaluation de l’impact social doit se faire à l’aide d’un outil de pilotage, tout comme une organisation tient sa comptabilité. Nous accompagnons nos partenaires dans la mise en place d’une démarche d’évaluation d’impact social, mais aussi dans l’« acculturation » de leurs collaborateurs pour que ceux-ci trouvent des outils de gestion de cet impact compatibles avec leur stratégie et leurs process internes. Notre deuxième activité consiste à créer de la connaissance, à travers l’écriture d’articles scientifiques et de rapports, avec la production de publications. Et la troisième activité concerne la diffusion de cette connaissance et la mise en place d’un certain nombre de formations.

Que mesure-t-on quand on parle d’impact social ?

Il faut garder en tête que lorsqu’on mesure un impact social on mesure un changement. Pour la partie qualitative, on ne parlera pas d’indicateurs mais de grands changements qui ont pu toucher les personnes, des changements ayant fait l’objet d’une stratégie qui visait à avoir des effets sociaux positifs sur un certain nombre d’entre elles. Pour la partie quantitative, si on pense au retour à l’emploi par exemple, nous allons essayer de compter le nombre de personnes qui, deux ou trois ans après l’accompagnement, se sont maintenues dans un emploi durable. Mais, si on veut mesurer l’impact plus largement, on va considérer les retombées qu’il y a pu y avoir sur la stabilité de ces personnes, leur santé physique et psychique, leur pouvoir d’achat, le logement…

En quoi l’acculturation des collaborateurs à cette démarche est-elle importante ?

Nous réalisons beaucoup d’entretiens avec les collaborateurs et nous constatons cette envie de comprendre l’impact de leur travail.

L’une des conditions d’appropriation d’une démarche d’évaluation d’impact social par les équipes est clairement la conduite du changement. L’évaluation d’impact social repose sur une collecte de données inhabituelle, qui n’existe pas dans les organisations, et cette dynamique peut rencontrer pas mal de résistances, notamment en raison de la crainte de la part des collaborateurs d’être évalués sur leurs performances plutôt que sur l’efficacité de l’action mise en place dans la stratégie de l’organisation. Alors nous les accompagnons pour mettre en place ces démarches sans qu’elles soient menaçantes, pour qu’ils adoptent des postures de praticiens chercheurs. Il s’agit vraiment d’une conduite du changement qui doit se faire avec bienveillance et avec des ressources qui représentent un investissement à long terme pour que les équipes se les approprient en interne et en autonomie. λ

Tribune : Pour une souveraineté stratégique : la raison d’être… d’un débat

En résumé : face à l’urgence planétaire et à la quête de sens, la politique a sommé les entreprises de manifester leur adoration de l’écosystème et de mettre en conformité leur marché avec cette injonction. Et ces dernières se sont oubliées dans une pratique mimétique. Chacun « agit pour accélérer la transition vers une économie neutre en carbone », « concilie performance économique et impact positif sur les personnes et la planète », « donne les clés d’un monde numérique responsable », « veille à une mobilité respectueuse »… Pour obtenir un tel résultat : des mois de travail, des codir spécifiques, l’interne interrogé participatif oblige, le tout pour une divine révélation souvent banale.

Ce sont les conditions matérielles et sociales de l’existence qui ont déterminé la conscience d’une entreprise et lui ont donné sa raison d’agir.

La pratique de la raison d’être aide à se situer dans la société, ce n’est pas rien… Mais l’expérience montre qu’elle ne permet pas d’intégrer une vision stratégique souveraine.

À l’étranger, cette pratique est intégrée dans un purpose la liant aux offres et aux actifs.

Les réactions : excellente surprise, un raz de marée de gens ravis de se libérer du dogme ; et d’autres, minoritaires heureusement, arguant qu’il n’y avait ni effet du temps ni injonction politique dans le fait d’avoir le titre de… directeur du pôle raison d’être, ou d’être à la tête d’entreprises nommées « raison d’être conseil ». Mais l’intégration du purpose en France, il y a vingt ans, n’a pas vu éclore de « directeur du purpose ». Le refus, dans la discussion, de voir le conflit d’intérêts est abyssal, comme la confusion entre l’existence (être) et la foi (croire).

Mais rien n’est plus passionnant que de confronter les écoles.

La finance durable fait l’objet de batailles et, jusqu’ici, a peu d’impact sur la valorisation des entreprises : on en pense quoi ?

Des actionnaires minoritaires s’opposent à des conseils d’administration que la raison d’être ne protège pas : on change quoi ?

Le terme « extra-financier » semble condamné à être différent de celui de « financier » : quelle stratégie donne une vision unifiée de l’action ?

À Reputation Age, nous avons assumé l’immense responsabilité de proposer au marché la « souveraineté stratégique », une urgence à l’heure où les entreprises s’épuisent à courir après des positionnements à la mode, des captations d’externalités insoutenables, les doxas durables. Le succès est étonnant et nous touche énormément. D’immenses entreprises armées pour vingt ans de stratégies professionnelles complètes, mais banales et non souveraines, nous ont demandé de travailler pour elles.

Ce débat est un signal faible de l’époque. De plus en plus de gens amoureux d’un futur durable, extérieurs au marketing, n’ayant été ni nourris à la micro-économie compétitive ni habitués génétiquement à lier la communication des entreprises aux demandes de vertu, s’emparent de celle-ci. C’est la version 2023 des communicants de 1990-2010.

Ce n’est pas grave, mais on perd du temps. La France n’est ni anti-économie ni pro-économie, elle demeure pour une partie… a-économie. λ

PUBLICIS : un engagement horizontal

Comment pourriez-­vous qualifier la politique environnementale de Publicis ?

Comme une politique de précurseurs dans le domaine de la communication. Cela fait plus de quinze ans que nous avons mis en place un département RSE au niveau du groupe. Publicis travaillait alors de manière globale sans impliquer vraiment les agences. Dès 2013, devant cette transformation aujourd’hui incontournable mais à l’époque à peine frémissante, je suis allée voir notre CEO pour le convaincre de faire descendre cet enjeu RSE au niveau des entités. Mon projet a abouti un an plus tard, a pris beaucoup d’ampleur, et aujourd’hui je suis directrice RSE Publicis France. Quant à notre politique RSE, elle est structurée autour de trois grands axes : diversité, équité, inclusion et justice sociale ; marketing responsable et business éthique ; et lutte contre le réchauffement climatique.

Comment suivez-vous votre impact en continu ?

Cela fait déjà quinze ans que nous calculons le bilan carbone du groupe : scope 1 et scope 2 puis, depuis plus de cinq ans, scope 3. Nos objectifs, en alignement avec les accords de Paris et validés par l’initiative Science Based Target (SBTi), sont de réduire pour 2030 de 50 % et pour 2040 de 90 % nos scopes 1 + 2 + 3 par rapport à 2019. Comme nous sommes une entreprise de services, nos impacts scopes 1 et 2 sont en nombre plutôt limités : déplacements, énergie consommée, matières premières achetées bureaux et déchets engendrés. Concernant notre scope 3, nous prenons en compte l’intégralité de notre chaîne de valeur, ce qui veut dire certains impacts de nos clients et de nos fournisseurs. Pour ces derniers, nous avons mis en place un outil gratuit nommé Pass, qui leur permet de faire une autoévaluation de leur politique RSE autour d’environ 80 questions ESG. Ainsi, tous nos fournisseurs, au fur et à mesure, quelle que soit leur taille, leur lieu géographique, vont prendre connaissance de leurs impacts ESG, voir où ils sont bons, quels sont les leviers sur lesquels ils doivent progresser… On les suit dans le temps, on les accompagne s’ils le souhaitent et, si on se rend compte qu’ils ne progressent pas, on peut décider d’arrêter de travailler avec eux.

Côté clients, nous innovons aussi régulièrement pour les aider à diminuer leur impact environnemental. Deux exemples français : Razorfish, notre principale agence digitale, a créé, en partenariat avec le collectif Green It, le Razoscan, un outil pour évaluer l’empreinte environnementale des sites Internet de nos clients et mettre en place des solutions pour diminuer celle-ci. Autre exemple : Renault, pour lequel nous avons imaginé un nouveau service, Plug Inn (l’Airbnb des bornes de recharge électrique…) – un des premiers freins d’achat d’une voiture électrique étant le manque de bornes sur le territoire. Le concept initial comme le développement de l’application ont été faits chez Publicis.

Comment les collaborateurs sont-ils devenus des parties prenantes convaincues ?

C’était une priorité de commencer par eux et de travailler avec eux : il était hors de question de faire du « descendant » : le collaboratif a toujours été au cœur de notre stratégie RSE. Un process qui se fait aussi main dans la main avec les RH. Parallèlement, nous avons monté une communauté d’une soixantaine d’ambassadeurs RSE : dans chacune des entités Publicis, il y a un à trois collaborateurs qui travaillent la RSE de leurs propres entités. Et enfin, pour compléter, nous avons lancé il y a un an et demi un vaste programme de (trans)formation de tous nos métiers auprès des 4 500 collaborateurs en France pour accompagner la transition écologique et sociétale. Tous nos collaborateurs sont désormais exposés dune manière ou une autre à notre politique RSE !

Quel est l’avenir de la RSE ?

Je vais être honnête avec vous : je pense que nous aurons réussi quand des fonctions comme la mienne n’existeront plus, que la RSE sera intégrée dans tous les profils de l’entreprise et pas seulement incarnée par un département.

À suivre… λ

RSE et marque employeur : pourquoi choisir ?

Certains avancent que le RSE est au service de la marque employeur. D’autres, qu’elle en est un levier et même une partie intégrante. Ces approches sont inexactes. Les deux sphères s’interpénètrent sur de nombreux sujets, et l’on peut fréquemment s’appuyer sur l’une pour soutenir l’autre. L’égalité femmes-hommes, l’emploi des séniors, le recrutement sans discrimination en sont des exemples. Cependant, là où la RSE s’attache à équilibrer l’environnemental, l’économique et le social, la marque employeur répond à un besoin lié au marché de l’emploi, centré sur le social, avec un impact bénéfique essentiellement pour l’entreprise. En revanche, les actions RSE visent à satisfaire les attentes de la société dans son ensemble et prennent en compte des évolutions à grande échelle. Si les deux domaines ont ainsi des implications politiques, leurs champs d’action et leurs préoccupations se recoupent… avec des finalités sensiblement différentes.

Avant tout, les deux concepts n’ont pas la même vie, pas le même rythme. Les termes de RSE et de marque employeur sont apparus à quarante-trois ans d’intervalle. La Corporate Social Responsability a été imaginée en 1953 par l’économiste américain Howard Bowen. La marque employeur est apparue en 1996 grâce aux Britanniques Simon Barrow et Tim Ambler.

La marque employeur a donc un « retard » chronologique par rapport à la RSE. Les entreprises n’ont pas toujours rencontré les difficultés d’attractivité et de fidélisation que nous connaissons.

De plus, la société s’est vue fondamentalement transformée en quelques décennies, sous l’effet de la mondialisation, de la transformation digitale et des crises successives.

Le décalage temporel RSE-marque employeur est forcément à l’origine d’une différence d’appropriation de ces concepts par les entreprises. Celles-ci ont accepté la RSE bien avant la marque employeur, mais le progrès reste en marche. Nous l’avons particulièrement remarqué lors de l’après-Covid.

Dans les années 1970, l’économiste Milton Friedman avance l’idée que la responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter leurs profits. Selon lui, « il y a une et une seule responsabilité des affaires : utiliser ses ressources financières et engager des activités désignées à accroître ses profits ».

Bien que la RSE ne puisse être aujourd’hui résumée à cet aspect, il existe encore trop d’entreprises qui n’en ont pas pris acte et estiment que la communication se suffit à elle-même : le greenwashing reste courant. Or, les conséquences néfastes de ce type de politique ne sont plus à prouver. Les attentes sociétales sont de plus en plus réelles et affirmées au fil des générations. L’engagement public et la déclinaison du discours en action sont au centre de toutes les attentions. L’appareil législatif évolue aussi et, à terme, toutes les entreprises devront rendre compte de leurs impacts sur la société et l’environnement.

Heureusement, de plus en plus d’organisations sont impliquées dans la démarche avec innovation et proactivité, et se déclarent « entreprises à mission » de façon à formaliser leur politique RSE de façon statutaire.

Pour la marque employeur, un chemin similaire se dessine peu à peu. Si le sujet était à l’origine traité par les agences de communication, il est majoritairement passé aux mains des services RH. On comprend aisément pourquoi : attirer et fidéliser les talents est bien l’une de leurs fonctions de plus en plus prégnante. Mais on constate aussi, parfois, les mêmes travers que pour la RSE. De nombreuses entreprises cherchent à « tricher », à afficher une image qui n’est pas la leur. Le discours n’y est qu’un vernis. Or, je l’ai toujours dit, il devrait être authentique et refléter la réalité pour porter ses fruits.

Néanmoins, pour le concrétiser, il est nécessaire de mettre en place de véritables stratégies et de se tourner vers des modèles de finance durable. En effet, dans un contexte où l’économie sociale et solidaire se développe, les entreprises ne peuvent plus ignorer leur rôle sociétal. Les services financiers doivent désormais prendre en compte les critères « extra-financiers ».

De fait, le reporting RSE devient peu à peu obligatoire pour toutes les entreprises et tend de plus en plus à se rapprocher du reporting financier. Bientôt il n’y aura plus de frontière entre les deux, et les rôles économiques et sociétaux des organisations seront pleinement solidarisés. Cette réalité est déjà très forte pour de nombreuses sociétés. D’après une récente étude de PwC, 73 % des directions financières prévoient de faire évoluer leur modèle de pilotage à l’horizon 2026, afin d’intégrer les dimensions RSE.

La fonction économique de l’entreprise reste bien évidemment au cœur de ses activités, mais elle doit aussi évoluer. Elle ne peut plus se cacher derrière un simple discours. Pour la RSE comme pour la marque employeur, la communication reste la partie visible de l’iceberg. Le plus gros travail à effectuer est sur la partie immergée et nécessite une implication de tous. L’action humaine, à chaque niveau de l’entreprise, permettra de réinventer le travail de demain. λ

L’ère du « bottom up » : le cas Michelin

 Comment le collectif One Planet est-il né ? 

Hacer Us : One Planet est né de la fusion de plusieurs collectifs qui ont émergé dans différents départements du groupe (R&D, Services et solutions, programme interne Graduate…). Au cours des deux dernières années, un peu partout dans l’entreprise, des employés ont ressenti le besoin de s’emparer plus précisément des enjeux écologiques. La stratégie People, Profit, Planet – que vous connaissez bien – avait été partagée en 2018, des objectifs du groupe mis en place, l’analyse du cycle de vie du pneu lancée. Mais le temps de diffusion en interne était long, trop long, ce qui a fait naître notre besoin de passer à l’action. En effet, nous ressentions l’urgence d’agir. Et, de discussion en discussion, les premières personnes ont su créer des espaces de réflexion. Nous sommes aujourd’hui plus de 800 personnes sérieusement attachées à faire prendre en compte l’aspect « planète » à la hauteur des enjeux environnementaux qui sont notre vocation première. En mars, nous avons obtenu la reconnaissance officielle du groupe avec un sponsor – le responsable corporate du développement durable et de l’impact (RSE) – qui se dit aujourd’hui très fier de nous accompagner. Et le président du groupe qualifie notre démarche d’innovation sociale ! Nous avons acquis la reconnaissance et la légitimité d’agir. 

Quels sont les avantages et les objectifs d’une telle démarche à l’intérieur même d’une organisation ? 

Benoît Chéhère : Avec ce collectif, l’entreprise dispose également d’un interlocuteur qui peut faire remonter les préoccupations des salariés. L’avantage pour ceux qui s’investissent dans ce collectif est de trouver des collègues qui partagent les mêmes préoccupations pour agir. L’objectif de One Planet est d’accélérer, chez Michelin, la prise en compte de l’aspect « planète » à la hauteur des enjeux environnementaux. 

Le changement de l’intérieur apporte-t-il davantage d’efficience ? 

Soéli Mennuni : Avec ses centaines de membres, notre collectif regroupe des personnes qui occupent différents postes, à différents niveaux hiérarchiques, qui ont différents parcours. Cela nous permet d’avoir une bonne vision de ce qui se passe à l’intérieur du groupe afin de proposer les explorations les plus adéquates, pertinentes et efficaces, avec le meilleur impact positif possible. L’efficience réside dans la mise en réseau, le partage des connaissances et la coopération que nous voyons naître au sein du collectif. 

 Quels sont vos champs d’action ? 

Hacer Us : Nous contribuons aux déploiements de nombreux outils de sensibilisation tels que la Fresque du Climat, la Fresque du Numérique, l’Atelier 2tonnes, la Fresque du Facteur Humain – notamment en usine, où il est plus difficile de sensibiliser nos collègues qui sont sur les machines – ou le dispositif The Week, de Frédéric Laloux. Nous avons même organisé une Deep Time Walk avec les 100 dirigeants du groupe ! Nous organisons aussi des conférences et sommes très heureux d’avoir pu offrir à tous nos collègues un échange avec Marc-André Selosse, le Shift Projet ou Diego Landivar. Dans nos activités quotidiennes, une exploration a été lancée sur les déplacements professionnels, les marques d’attention plus responsables ou les goodies – qui ont été remplacés par des produits locaux, comme des pots de miel. Agir en collectif donne une tout autre force aux actions. Et nous avons la chance d’avoir des échanges directs avec nos dirigeants. Nous avons lancé les « Questions (im)pertinentes », un fichier où chaque membre peut proposer une question « qui pique » aux dirigeants. On se sent moins seul et on ose plus facilement s’exprimer quand on sait qu’on a potentiellement 800 personnes prêtes à liker ou à rebondir. Nous avons la chance d’être dans un groupe qui laisse la place aux initiatives. 

En quoi la sensibilité et l’action climatique d’une entreprise aussi emblématique sont-elles un levier de performance ? 

Soéli Mennuni : Notre objectif est de garantir la prise en compte de l’impact que notre entreprise peut avoir sur l’habitabilité de la Terre et d’accélérer la mise en place d’actions à tout niveau. Cela dit, nous voyons que l’émergence de ce collectif permet de renforcer la cohésion, le sentiment d’appartenance, l’engagement et la motivation des personnes qui trouvent un sens fort à agir au sein de Michelin. 

Selon vous, comment améliorer l’impact de la stratégie RSE du groupe ? 

Benoît Chéhère : La RSE a un vrai pouvoir pour faire bouger l’entreprise, à condition de ne pas uniquement rechercher la conformité à la réglementation. La RSE a aussi la possibilité de réinterroger les business models, à condition que l’entreprise lui en laisse la place. Ce qui est le cas chez Michelin Et c’est là qu’un collectif de salariés peut avoir de l’influence pour que la RSE soit considérée à sa juste valeur dans l’entreprise. Il ne faut pas oublier que la voix des salariés c’est aussi la voix des futures recrues, des talents que l’entreprise cherche à embaucher, et cette voix compte beaucoup auprès de la direction. Tant que la RSE se contente de viser la compliance, on n’atteindra jamais les objectifs. Si la RSE ose attaquer la question du business model, on a une chance d’avancer… 

De la peur à l’opportunité

 Quelques observations en préambule : 

Les faits sont là et indéniables : les ressources planétaires, humaines, sociétales sont appauvries, voire taries dans certains cas. Il ne s’agit pas d’un futur probable mais d’un présent avéré. En d’autres termes, l’urgence est documentée objectivement. 

Nous faisons face à une situation extrêmement complexe et systémique. Nous avons collectivement créé le problème et devons ensemble apporter des solutions. La bonne nouvelle, c’est que les réglementations progressent, notamment en matière d’environnement ; les technologies « réparatrices » existent et continueront à se développer. Les exemples incarnés d’activisme et de génération de ressources deviennent visibles et nous inspirent. La voie nous est montrée. En matière de prise de conscience des enjeux RSE, nous n’avons pas atteint le point de bascule sociologique où nous mettons nos énergies en commun pour nous adapter collectivement. Je veux citer ici le livre de Malcolm Gladwelln Le Point de bascule, qui donne trois clés à réunir pour atteindre celui-ci : la loi des petits nombres (environ 20 % de personnes suffisent à réaliser 80 % du travail) ; le facteur d’adhérence (une histoire mémorable et porteuse de sens, pas de peurs) ; un contexte favorable (notre environnement détermine pour partie nos comportements). 

Le cerveau humain est notre meilleur ami, mais aussi notre pire ennemi. Nous opérons la plupart du temps en mode automatique grâce à sa mémoire phénoménale. Face au changement, même infime, sa stratégie naturelle est le refus d’obstacles, la fuite, par peur de la perte, par incapacité à se projeter dans un avenir incertain. 

Alors, comment pouvons-nous sécuriser notre changement personnel et celui de ceux qu’on embarque avec nous en tant que leaders ? 

Tout d’abord, attaquons de front un certain nombre de croyances très limitantes pour aborder ce changement de manière sereine, concernant la performance, le bonheur, la place de l’homme et de la femme vis-à-vis de la nature. 

Performance : pour affronter la complexité, il faut de la complexité, c’est-à-dire une pensée diverse qui représente la voix de toutes les parties prenantes. Le « héros » visionnaire ne peut que proposer des réponses sous-optimales. Nous avons besoin de la puissance du groupe et d’intégrateurs-médiateurs. Cela ne signifie pas consensus à tout prix mais plutôt écoute de prérogatives parfois opposées puis décision courageuse. 

Bonheur : la surconsommation matérielle ne rend pas heureux, c’est mesuré. La reconnexion à soi, par une pratique créative ou spirituelle ; aux autres, par le don ; à la nature sont des alternatives bien plus probantes pour atteindre le bonheur que l’achat d’une nouvelle robe. 

L’humain dans la nature : nous sommes des vivants parmi le vivant. 

Ensuite, adopter une approche de petits pas. Nous sommes tous intéressés par des sujets différents. Le point d’entrée de l’activisme RSE est individuel – ce ne sont pas les problèmes qui manquent aujourd’hui. Commencez par vous sensibiliser à ce qui vous gratte le plus. Les rapports des Nations Unies sur les objectifs de développement durable sont une source pédagogique et activiste intarissable. Affrontez vos peurs, faites votre deuil du passé et rejoignez un collectif engagé près de chez vous ou devenez fer de lance sur les thèmes qui vous engagent émotionnellement. Par exemple la sensibilisation aux dérives de la pensée unique 

Enfin, en tant que leaders en entreprise, nous avons une responsabilité à développer et à accélérer les engagements RSE de celle-ci, en lien avec sa raison d’être et son modèle d’affaires. La période actuelle est propice à réinterroger la notion de valeur créée pour ses parties prenantes (vues au sens large) et les compromis que l’on fait entre celles-ci (c’est un exercice difficile car il existe des tensions opposées). Introduire une « triple bottom line » comptable est sur le chemin critique du point de bascule sociologique. Se montrer exemplaires au quotidien dans les décisions et les orientations opérationnelles pour rendre concrets ces engagements relève de la nécessité. Accompagner les équipes dans leur adaptation l’est également. 

L’avenir est devant nous, comme une page blanche. Il n’y a pas de raison de le subir. Nous avons une occasion unique de retrouver un esprit d’entreprendre, une dignité humaine par la contribution à quelque chose de plus grand que nous. 

Tribune : Vive la RSE… personnelle

 Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais nous n’agissons pas de la même manière en tant que citoyen qu’en tant que salarié. En tant que citoyen, nous avons conscience de notre impact individuel, ne serait-ce que par notre droit de vote, par le fait que l’on va rouler à vélo plutôt qu’en SUV ou par notre engagement pour telle ou telle association caritative. Alors qu’en tant que salarié nous nous en remettons pleinement à notre entreprise, inconditionnellement. Si l’entreprise est « vertueuse », tant mieux. Si elle ne l’est pas… 

Et c’est ainsi que nous attendons de notre entreprise qu’elle ait une politique RSE de qualité. Or si notre entreprise n’est pas « au top » de ce point de vue là, que pouvons-nous faire ? 

Je vous propose quelques gestes simples qui ne semblent pas grand-chose, mais qui, si nous nous y mettons toutes et tous, apporteront leur pierre à l’édifice. 

Éteignez votre ordinateur… et le reste 

Saviez-vous qu’un ordinateur en veille consommait entre 20 et 40 % de sa consommation en marche ? C’est moins qu’un photocopieur, qui, lui, est à 80 %, mais tout de même… Combien de fois fermons-nous notre ordinateur sans l’éteindre en fin de journée ? 

Videz vos boîtes e-mail 

Un e-mail stocké, c’est une trace carbone de 10 g par an (source : 

je réponds à tous, souvent à la surprise de mes interlocuteurs. 

Soyez disponibles 

Votre travail n’est pas plus important que celui de votre voisin. Nous pouvons parfois avoir tendance à générer notre propre stress en nous fixant des objectifs trop ambitieux, nous poussant à nous renfermer sur nous-même et à imaginer que nul autre que nous ne connaît une telle pression. 

Se rendre disponible, ce n’est pas être corvéable à merci. Au lieu de dire « non » de façon définitive à un collègue qui sollicite votre aide, vous pourriez juste répondre : « Non, désolé, je ne peux pas maintenant, mais ce sera avec plaisir dans une heure une fois que j’aurai fini ce que je suis en train de faire. » 

Alors oui, bien entendu, il y aurait mille autres petites choses que vous pourriez faire dans votre travail au quotidien, comme prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur de temps à autre, le métro ou le vélo plutôt que votre voiture, avoir une tasse plutôt que d’utiliser des gobelets en papier pour votre café matinal… Mais l’essentiel est de commencer. C’est l’action cumulée de toutes et de tous qui aura in fine un impact significatif 

Frédéric Mazzella : l’entrepreneuriat à coeur

 Captain Cause, c’est une solution qui permet aux entreprises de soutenir des projets à impact social et environnemental en impliquant leurs clients ou leurs collaborateurs, qui décident de l’allocation des fonds. Vous dites que cette création a du sens pour vous : vous en manquiez ? 

Je suis toujours à la recherche de sens, et si possible de « bon » sens ! Ce que permet d’offrir Captain Cause. On crée un pont entre entreprises et associations à impact social ou environnemental, ce qui développe une nouvelle relation qu’une entreprise peut avoir avec les personnes qui la font exister : ses collaborateurs et ses clients. Notre plateforme est très utilisée lors des cadeaux d’affaires de fin d’année : les clients, les partenaires ou les collaborateurs reçoivent en cadeau un don préfinancé à distribuer. Ils ont alors la responsabilité d’en faire le meilleur usage. Et cela marche : 150 entreprises se sont déjà engagées à nos côtés. Pour revenir à votre question, il est vrai que je me suis posé la question sur ma valeur ajoutée. En tant qu’entrepreneur, je voulais créer une plateforme utile. Captain Cause est un projet dont la mission me semble importante. Je crois à cet écosystème, car c’est du gagnant-gagnant-gagnant pour tous les acteurs : les entreprises, les associations et chacun d’entre nous individuellement. On permet aux entreprises de débloquer des fonds comme elles ne l’ont jamais fait, avec leurs parties prenantes : clients et employés. C’est une action collective dans laquelle on va utiliser une ressource puissante de l’entreprise – l’argent généré par son activité – pour aller financer des projets à impact. Et cela répond à une attente des parties prenantes, qui sont des humains. Je crois que l’humanité est naturellement portée par des projets positifs. Aujourd’hui, face aux enjeux de notre société, 93 % des gens disent vouloir agir mais ne savent pas comment, quand 90 % attendent que les entreprises et les marques s’engagent, notamment face au changement climatique. À grands problèmes, grands moyens, et cela amène naturellement chacun à penser que les entreprises sont à même d’agir, puisque ce sont des acteurs puissants. 

Vous donnez la chance à des entrepreneurs pourvoyeurs de solutions environnementales et sociales. C’est par eux que passera la transition ? 

En tout cas le statu quo n’est pas la solution ! C’est bien en faisant autrement que nous inverserons la tendance. Plus les structures sont petites, plus elles arrivent à évoluer vite : on y est créatif, on innove. Dans une grande structure, on optimise l’existant : ce n’est pas la même démarche, mais toutes les structures doivent évoluer. Captain Cause permet aujourd’hui d’aider les petits projets à impact, avec le soutien des clients et des collaborateurs, et cela crée un terrain propice à une transition des entreprises. Notre action n’est pas qu’un voeu pieux, nous nous sommes fixé un objectif chiffré : distribuer un milliard d’ici à cinq ans. 

Le patron doit communiquer sur l’impact de son organisation. Est-ce une responsabilité ou une contrainte ? 

Ni l’un ni l’autre, c’est un fait. Et nous n’avons plus le choix. Beaucoup d’entreprises, hélas, sont entraînées dans une forme d’inertie, de business as usual. Elles sont souvent lancées comme des paquebots, et c’est compliqué de les faire tourner. Les personnes emmenées sur ce paquebot demandent qu’on change de cap mais n’y parviennent pas, et elles sont entraînées par la machine… Les salariés ne voient pas comment leur temps de travail, de productivité, d’efficacité répond aux problèmes relayés tous les jours par les médias. Et cela crée forcément un inconfort. 

Cette dissonance cognitive est-elle également présente chez certains patrons ? 

Chez certains, bien sûr, mais ils sont dans la logique de servir l’actionnaire et doivent répondre à une feuille de route basée sur la croissance et la rentabilité. Tout en se posant ces questions, ils font ce qu’on leur demande de faire : leur devoir est de servir une entreprise à profits. Mais l’important réside dans l’alignement entre paroles et actes. Aujourd’hui, tout ce que l’entreprise fait va être rendu public, visible, à un moment ou à un autre. Et il est suicidaire d’avoir un discours qui ne corresponde pas à ses actes. Les entreprises ont une obligation d’alignement, une ligne à trouver entre transparence totale et confiance totale. 

BlaBlaCar vient de publier son premier rapport d’impact. Un audit détaillant ses contributions sociales et environnementales… 

Je souhaitais que BlaBlaCar associe technologie et mobilité verte, inclusive et accessible. Nous contribuons désormais à économiser plus de 1,5 million de tonnes de CO2 chaque année : grâce au covoiturage, le nombre de voitures nécessaires pour transporter le même nombre de personnes diminue. Et les trajets partagés facilitent les rencontres humaines. Notre communauté de voyageurs, pleine d’interactions bienveillantes, compte aujourd’hui plus de 100 millions de covoitureurs dans le monde. Enfin, dernier chiffre, ce rapport extra-financier évoque les 450 millions d’euros économisés par les conducteurs grâce au covoiturage. 

Président de BlaBlacar et de Captain Cause, vous êtes également coprésident de France Digitale, auteur du livre Mission BlaBlaCar et animateur de l’émission-podcast Les Pionniers, sur BFM Business. Quel est le lien entre toutes ces casquettes ? 

L’inspiration par l’action, autrement dit l’envie d’agir. Et c’est très large. Dans mon émission, j’ai reçu des personnalités très diverses, toutes passionnées et passionnantes : Rodolphe Delord, PDG du ZooParc de Beauval, Claudie Haigneré, spationaute, Marc Simoncini, créateur de Meetic et d’Angell, ou encore Marc Levy, l’écrivain, Bertrand Piccard, l’explorateur, et Messmer, l’hypnotiseur. Ils ont des esprits d’explorateur. Je voulais aller chercher cette diversité dans les manières d’explorer. L’autre valeur mise en avant dans Les Pionniers, c’est le travail : on constate à quel point rien ne se fait sans travail. C’est à l’opposé de la culture du paraître ou de la décorrélation entre travail et succès que l’on peut voir dans certaines téléréalités ou sur les réseaux sociaux. 

Lorsque l’on parle de scale-up comme la vôtre, on évoque des success stories. Cette réduction de langage évoquant une forme de facilité vous agace-t-elle ? 

C’est le résultat de raccourcis naturels : c’est plus simple d’imaginer un chemin direct et court derrière un succès que d’aller analyser les méandres et les obstacles surmontés pour arriver à bon port. BlaBlaCar est issu d’une expérience personnelle : lors d’un déplacement de fin d’année, je réalise un trajet en voiture de 500 kilomètres, faute de place disponible dans les trains. C’est le point de départ d’une réflexion pour trouver une solution qui permettrait de repérer les places vides dans des voitures qui réaliseraient le même trajet. On peut alors penser qu’une fois l’idée trouvée « l’intendance suivra », mais, pour l’entrepreneur, il n’en est rien : il doit tout construire brique par brique. Il ne faut pas chercher d’ascenseur, les entrepreneurs prennent toujours les escaliers ! Plus récemment, j’ai créé Captain Cause en voyant des jeunes de 20 ans défiler pour la Marche du climat avec des panneaux affichant : « Quand je serai grand, je voudrais être vivant ! » Je me suis dit que le moment était venu de lancer Captain Cause ! 

Rétablir l’équilibre

 Cela fait déjà de nombreuses années que les enjeux de RSE sont présents dans les organisations avec une intensité plus ou moins forte souvent liée aux réglementations administratives, aux problématiques politiques et aux malheureusement inévitables catastrophes climatiques ou environnementales, depuis Bhopal (1984) jusqu’à Fukushima (2011). En revanche, il est un domaine qui n’est pas toujours pris en considération à hauteur de l’enjeu, c’est l’impact social et économique de cette lutte contre un réchauffement climatique désormais avéré. En effet, l’activité même de l’entreprise est plus ou moins fortement impactée par ces politiques légitimes de protection de notre planète et des écosystèmes. Dans certains cas, les conséquences sociales et humaines semblent non pas oubliées mais un peu négligées sur le moyen long terme. Et pourtant, les engagements des entreprises s’inscrivent quasi toutes dans des politiques RSE ambitieuses et affirmées. 

On ne peut que constater un déséquilibre de fait – et par certains côtés, de droit – entre la responsabilité sociale et la responsabilité environnementale. Pour mémoire, la décision de bannir les véhicules à essence à l’horizon 2030 finalement repoussée semble vertueuse, mais son impact sur l’emploi est considérable. On peut l’accepter comme un mal nécessaire mais regretter dans le même temps qu’à cette décision politique au nom de la planète ne corresponde pas une autre décision politique au nom de l’humain. La question n’est en effet pas d’opposer, comme s’il existait une concurrence malsaine entre l’Homme et la Planète, mais au contraire de réconcilier les deux approches de manière beaucoup plus systématiques et en mesurant avec précision les deux impacts à égalité d’importance. Il en va non seulement de l’adhésion des populations à une nécessité de protection de notre environnement mais aussi de la cohésion sociale indispensable à tout changement de modèle durable. 

Ce constat peut se faire au niveau des États, mais tout autant au sein même des entreprises. Malgré une bonne volonté réelle, celles-ci développent des politiques sous l’impulsion des pouvoirs publics, mais également sous la pression de la société – avec parfois d’ailleurs des excès d’indignité dont on les accuse sans mesurer les fragilisations et même les destructions d’emploi que cela implique potentiellement. Certes toutes ne sont pas irréprochables, mais beaucoup tentent de trouver des solutions équilibrées. Les DRH ont leur responsabilité dans ce travail de réconciliation qui commence par mesurer les impacts humains des décisions avec un rôle d’anticipation sur les changements de métier, les nouvelles compétences à acquérir. C’est à cette fonction de porter aussi la communication des décisions RSE pour en démontrer l’équilibre entre enjeux environnementaux et enjeux sociaux. Le plus difficile est sans doute de faire admettre que ces engagements ne sont pas séparables, toujours au nom de la nécessaire cohésion sociale qui doit devenir le meilleur soutien aux politiques environnementales. C’est en cela d’ailleurs que les tenants d’une écologie culpabilisante et punitive se trompent lourdement dans leur approche. 

L’enjeu n’est donc pas de savoir si les politiques RSE relèvent ou non des RH – reprenant là un débat équivalent et sans fin sur la communication –, mais si elles sont co-construites entre la direction RSE et la direction RH. Dans certaines entreprises aujourd’hui, ces deux fonctions sont réunies, mais ce n’est pas une condition de réussite ni de cohérence. Il en va de même dans les enjeux de dialogue social pour que la stratégie de l’entreprise puisse être déclinée dans les instances dans ses quatre dimensions : économique, sociale, environnementale et financière. C’est par cette approche systémique et équilibrée que nous pourrons enfin avoir des politiques RSE ambitieuses, crédibles et respectueuses de l’humain comme de la planète, mais sans naïveté économique ou financière. Comme souvent, c’est une question d’équilibre, et il est certes positif de noter que nombre d’entreprises ont inscrit des enjeux RSE dans les bonus de leurs dirigeants, même si, à y regarder de plus près, ce sont quasiment toujours des critères environnementaux qui s’ajoutent à ceux plus classiques liés à la performance économique et financière. L’un des combats à mener pour la fonction RH est de faire admettre des critères de performance humaine et sociale à la même hauteur, d’abord pour elle-même, mais aussi pour tous les dirigeants. Cela existe un peu, mais c’est loin d’être suffisant face aux enjeux environnementaux et humains qui nous attendent ! 

Itinéraire d’un chercheur d’art

 Vous avez créé une véritable machine du rire. Quel a été votre moteur ? 

La sincérité. À 21 ans, j’ai créé mon premier festival pour aider mes amis humoristes à se faire connaître. Ils essayaient de percer mais ne connaissaient pas les décideurs. Ça a été le fruit d’une intuition sincère. J’ai également monté le premier festival de Montreux pour ces artistes qui avaient besoin d’exposition. Parti à la chasse aux talents, je n’avais pas accès aux têtes d’affiche Je me suis dit que plutôt que de convaincre la presse de venir, autant médiatiser notre show nous-même en filmant et en offrant les images à la télévision. Cela a permis d’accélérer le mouvement. Puis l’arrivée d’Internet et surtout celle des médias digitaux en 2005-2006 ont été la chance de ma vie : j’allais enfin maîtriser toute la chaîne de diffusion. 

Être sincère dans le domaine artistique est la clé du succès. Cela aurait-il fonctionné si vous aviez dirigé une « boîte industrielle » ? 

Difficile de répondre car je ne suis pas le patron d’une boîte industrielle… Pour être tout à fait honnête, je ne vois pas comment mener des équipes, quelles qu’elles soient, sans conviction. Je vois mal quelqu’un se dire : « Je vends un produit qui est pourri pour la santé des gens, mais je vais faire plein d’argent. » 

Cela existe ! 

Ces gens-là, s’ils existent, ne durent pas longtemps. Aujourd’hui, avec le problème d’employabilité, plus personne n’a envie de donner sa vie à un projet qui pollue ou détruit la planète. 

Clients et collaborateurs ne sont plus dupes ? 

C’est ça. J’ai la chance d’avoir autour de moi des enfants qui n’auront jamais l’idée de travailler dans une entreprise polluante. Ils préféreront ne pas avoir d’argent. Il faut écouter ce cri de la jeunesse, ce mouvement de fond, on doit l’entendre ! On m’a dit il y a vingt-cinq ans : « Si tu veux réussir dans les affaires, tu devras faire des choses que tu n’as pas envie de faire. » J’avais répondu que je préférais ne pas réussir. C’est fondamental pour moi. Je ne veux pas réussir pour réussir. Je veux être fier de moi en me disant que je n’ai fait de mal à personne. 

Vous êtes diplômé en marketing. Vous a-t-on demandé, dans votre entourage, pourquoi vous aviez choisi un secteur si peu sérieux ? 

Oui, et je me suis souvent posé la question. Cela fait trente-cinq ans que j’ai mon business, et j’ai mis vingt ans à le construire – pendant lesquels je ne savais jamais si j’allais boucler l’année. j’ai failli baisser les bras et suis même allé chercher du travail ailleurs. Mais, chaque fois, une voix intérieure me disait : « Fais pas ça, tu vas être malheureux comme la mort. » Et j’ai trouvé la force en écoutant les signes de vie. Par exemple, la fois où j’ai été dévasté de ne pas avoir décroché un job, alors que je me sentais incapable d’entreprendre, de gérer un budget. Mais j’étais con, ce job n’était pas pour moi, c’est tout. 

Vous n’aviez pas eu d’injonctions à la réussite dans votre enfance ? 

Jamais, et je pense que c’est parce que mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent. Ma mère, employée, et mon père, commerçant, travaillaient dur pour vivre. On m’a toujours dit que l’argent n’était pas important. Bien sûr qu’il en faut, mais nous pouvons être heureux sans. Mes parents étaient heureux si on était ensemble, si nous faisions une bouffe le dimanche avec des pâtes carbonara, si on faisait une promenade qui ne coûte rien. 

Nombre de vos homologues auraient vécu l’arrivée d’Internet comme une épreuve. Vous, non. Optimisme, adaptation flexible au marché : ce sont des soft skills entrepreneuriaux… 

Je vois toujours les choses du bon côté. Et j’ai interdit à mes équipes de parler de bonnes ou de mauvaises nouvelles. J’enlève l’énergie négative, je crois énormément en l’opportunisme optimiste. Les opportunités, chaque jour, nous en avons dix. 

S’agissant du recrutement, éprouvez-vous des difficultés ou bénéficiez-vous du capital sympathie du secteur du spectacle ? 

On a une marque employeur très forte. Aujourd’hui, si nous ouvrons un poste, nous avons 300 à 400 personnes qui nous écrivent avec de très bons profils. Mais sur les 400 qui postulent, il y en a 390 qui oublient que c’est un job, avec beaucoup de contraintes. Tout le monde n’est pas fait pour ça. Dans l’entertainement, on crée notre vie tous les matins. La flexibilité, c’est la meilleure manière de faire, en étant capable d’abandonner rapidement un projet. 

Songez-vous à l’impact carbone de votre activité ? 

Cela peut être compensé par le streaming. Une salle avec 200 personnes à Paris peut être réservée avec 1 million de visionnages en stream. Digitaliser l’humour induit de nouvelles manières de consommer, dans l’air du temps. Lillarious, le nouveau festival que j’ai créé, possède un volet technologique. L’artiste doit sentir dans la salle ce qu’il se passe sur les plateformes. Le spectateur sent qu’il fait partie d’une communauté de gens qui sont avec lui à travers le monde et avec qui il peut communiquer. Et l’humour permet d’éviter la course au gigantisme. Par rapport aux revenus, ce qui est essentiel pour nous, dans la transparence et la sincérité, c’est d’accepter de mieux les partager. Une vidéo peut générer beaucoup d’argent. Ce qu’il faut, c’est arriver à tracer tout ça avec un tableau de bord résumant les revenus en automatisation avec les artistes pour créer de la valeur économique. C’est fondamental, car les seules plateformes qui partagent des vidéos comme celles-là sont américaines : YouTube, Facebook, etc. Mais nous savons qu’ils changent les algorithmes très souvent. Nous, nous essayons de rééquilibrer les choses. 

À la clé d’une renaissance verte : «l’ ingénierie produit »

 Peut-on parler de révolution industrielle verte ? 

Nous sommes dans ce que j’appelle un changement de paradigme. Nous étions dans une société de consommation de masse avec un outil de production qui répondait à ce besoin. On est en train de basculer vers une société qui n’a pas encore trouvé son nom, mais qui recherche à la fois une symbiose avec l’environnement et une souveraineté. Cette bascule de modèle de société entraînera celle de notre outil productif. En fait, elle est déjà bien avancée, peut-être plus que l’on n’en a déjà conscience dans les discours politiques. Je suis impressionné par la manière dont les entreprises et les territoires avancent. Tous les secteurs sont concernés. Par ailleurs, je n’aime pas le terme de « révolution », qui implique des divisions, je préfère celui de « renaissance ». 

Comment cette renaissance se traduit-elle concrètement ? 

Par un certain nombre de nouvelles exigences pour les entreprises : il faut décarboner la production, aller vers des produits qui utilisent de moins en moins d’énergie et qui soient de plus en plus écoresponsables, notamment en fin de vie. Il faut désormais penser aux cycles de vie, utiliser des matériaux qui, si possible, réduisent nos dépendances ou n’en créent pas de nouvelles, et qui puissent être réutilisés. Tout cela entraîne que la plupart des produits, des objets sont ou seront inévitablement repensés pour répondre aux attentes complètement nouvelles de la société, des consommateurs-citoyens, de la réglementation et du marché. 

Comment les groupes et les sociétés vont-ils s’adapter ? 

Le risque principal qu’ils courent est de se retrouver avec une dizaine de feuilles de route pour répondre à toutes ces nouvelles attentes : décarbonation, déchets, sécurité d’approvisionnement, foncier et biodiversité, réparabilité, réduction des dépendances, etc. Ce serait ingérable. Il n’y a qu’un seul moment dans la vie industrielle et dans la vie du produit où toutes ces exigences se rejoignent et peuvent être traitées globalement, y compris dans leurs contradictions, c’est celui de la conception. Cela va changer beaucoup de choses ! Nombre de spécialistes des produits qui oeuvrent dans leur bureau devront apprendre à travailler ensemble. Cela passe à mes yeux par une unité centrale : l’« ingénierie produit ». Tous les groupes et même les petites structures devront organiser cette fonction clé. 

Les grands groupes et les petites structures sont-ils armés de la même manière pour répondre à cette évolution ? 

Les grands groupes sont plus riches en ingénierie, ils peuvent recruter plus facilement des compétences. Mais ils sont parfois moins agiles, moins réactifs aux changements de culture. Pour une PMI, c’est moins évident en matière de ressources. Celles qui réussiront demain seront sans doute celles qui intégreront cette fonction d’ingénierie produit. La PMI classique sous-traitante d’un groupe qui, lui, conçoit et prescrit les sous-ensembles et en délègue la production risque de disparaître. Cela fait partie des dernières petites morts du modèle taylorien tel qu’on l’a mis en place en France sous les années fastes de De Gaulle et de Pompidou, avec la constitution de « fleurons » : surtout de grands groupes qui s’appuyaient sur une noria de PMI exécutantes et variables d’ajustement. 

Le risque d’une fracture existe-t-il entre les « gros » et les « plus petits » ? 

Le risque est là, mais j’observe aussi que ce n’est plus le plus gros qui mange le plus petit, mais le plus rapide qui mange le plus lent ! Aussi tout le monde a ses chances. On est dans une bascule qui va terriblement vite. Un grand groupe a des moyens, mais il est aussi engoncé dans une culture. C’est sa force, mais aussi quelque part sa faiblesse. Pas facile de faire évoluer une culture rapidement. Il n’est pas évident de dire quel sera le modèle gagnant. Sans doute un mélange des deux, mais avec d’autres ponts d’équilibre. 

Va-t-on vers un nouveau modèle économique ? 

C’est bien le sujet ! Et le moins défriché aujourd’hui. L’Europe veut aller plus vite que les États- Unis ou faire différemment de la Chine. Il y aura la tentation de la protection. Cependant la taxe carbone, qui semblait être une bonne idée, est moins évidente. La dernière étude de La Fabrique de l’industrie [laboratoire d’idées indépendant] révèle que cette taxe menace 150 000 emplois manufacturiers en France, soit 6 % de la population active de l’industrie. Des bonnes idées peuvent parfois se révéler contre-productives… 

Les nouvelles énergies sont cruciales dans cette renaissance. Comment la France est-elle armée ? 

Elle l’est à la fois très bien et elle a fait de grosses fautes. On se dirige vers une économie industrielle décarbonée ; on a un véritable atout avec l’électricité d’origine nucléaire ou renouvelable ; mais on s’est aussi tiré une balle dans le pied pendant plusieurs années en ne construisant pas de filières industrielles pour les équipements qui produisent d’ENR [énergies renouvelables], et aussi en mettant en sommeil notre filière nucléaire, qui nous a fait perdre de la compétence et de la capacité d’innovation. Il y a quelques années, la France était à la pointe sur tout ce qui se faisait dans ces technologies-là. Il est probable que la vitesse de notre réindustrialisation va être limitée par notre capacité à donner à notre industrie une énergie décarbonée, même s’il y a d’autres freins : des procédures administratives trop lentes ou encore le foncier qui n’est pas disponible, pas plus que les talents ne le sont. Nous devrions être capables de faire notre réindustrialisation en revalorisant les friches industrielles existantes. On a ce qu’il faut. Enfin, il y a la formation, qui devient un point bloquant. Si on remet l’industrie au coeur d’un projet collectif, d’un récit national, il faut être capable d’attirer à nouveau les gens vers ce secteur. On a créé 60 000 emplois industriels, mais on en a encore 60 000 de vacants. Il faut reconnecter l’industrie et son image. Il y a un décalage entre la perception et la réalité. Nous devons aussi faire renaître nos héros industriels. Auparavant, de grands capitaines d’industrie incarnaient cette réussite. Braquons les projecteurs sur les nouvelles générations. Mon dernier livre1 

1 Olivier Lluansi est l’auteur de plusieurs ouvrages. Il vient de publier Les Néo-industriels, l’événement de notre renaissance industrielle, aux éditions Les Déviations. sur les néo-industriels les met en avant, et j’espère qu’il donne envie de les suivre. Qui dit renaissance dit aussi nouveaux acteurs… 

La force de l’optimisme

 L’accélération du progrès et la société dans laquelle nous vivons ne sont plus en adéquation avec la mythologie négative associée au travail depuis plusieurs siècles. De plus en plus de voix s’élèvent pour remettre au centre du débat une définition plus large du travail, autour de la notion de dépense d’énergie en vue d’accomplir un objectif. 

Il s’agit aujourd’hui de repenser le travail à l’aune de tous les changements et bouleversements que nous traversons. Plus que jamais, nous avons conscience d’être dans une aventure collective dans laquelle nous avons tous un rôle à jouer. 

Ainsi, le travail peut devenir un espace de résonance, pour reprendre le concept du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa. La résonance, c’est le fait d’entrer dans une relation de réciprocité avec le monde. On peut changer de regard sur les évolutions du monde du travail, on peut changer de prisme, de charge sémantique. On peut changer notre rapport au travail, et c’est maintenant que cela a le plus de sens car nous sommes dans une époque charnière, principalement en raison du défi environnemental qui redéfinit tout. 

Chacun peut être acteur. Nous nous rendons compte à quel point chaque individu peut prendre sa place et faire évoluer les choses. C’est aussi cela que nous incarnons. On peut agir seul et collectivement. Travailler sur soi et au bénéfice de la communauté. 

Au sein des entreprises, chacun peut porter un message, une conviction, partager des ressources, influencer son environnement par des communications porteuses d’espoir et, bien sûr, avec optimisme ! 

Le monde du travail bouge. Nous cassons les codes pour en créer de nouveaux. Nous participons à ces transformations. Nous souhaitons être un modèle et surtout accompagner ces changements concrètement pour que rayonne un autre rapport au travail ! 

Pourquoi l’optimisme ? 

L’optimisme, c’est la possibilité d’entrevoir une situation de manière positive, la capacité à le faire. C’est percevoir le monde et l’univers avec confiance et enthousiasme. Pour parvenir à être optimiste dans un monde du travail toujours plus rude, il faut imaginer qu’une autre réalité collective est possible. C’est la première étape pour impulser le changement. Et c’est à l’organisation d’écouter ce besoin de renouvellement des perspectives et de le rendre possible. Décortiquer les nouveaux modèles qui le permettent, et partager la puissance de l’inspiration, pour retrouver de l’énergie et comprendre que c’est possible, c’est notre dada au sein du collectif Sowow. 

Ce qui nous rend optimistes pour l’avenir, c’est de voir que nous sommes loin d’être seules à oeuvrer. Nos idées sont partagées, des milliers de gens agissent, sont actifs, solidaires. Nous le voyons de manière concrète grâce à nos explorations. Jeanne a fait une saison de podcast sur la semaine de quatre jours pour comprendre ce nouveau modèle, Sophie réalise une saison sur l’impact positif, Delphine se plonge dans les nouveaux modes de leadership, Léa dans les choix des talents, et de mon côté je m’intéresse à l’écriture collective du nouveau récit du travail. 

Nous sommes aussi optimistes parce que nous sommes dans un monde du travail qui nous permet aujourd’hui de créer ce collectif : en matière d’ouverture d’esprit, d’outils, de forme juridique. Et nous avons besoin de ces élans pour avancer. 

Ensemble, résolument ! 

Le nouveau récit ne peut s’écrire que collectivement. Les mots « oeuvre » et « ouvrage » reprennent de la place, on parle d’artisanat dans le travail. À une époque où le virtuel semble occuper tout l’espace, ce sont pourtant des actions concrètes et des initiatives de préservation de nos liens qui font le socle de notre humanité et la maintiennent. 

Alors donnons de la force aux initiatives enthousiasmantes, aux explorations optimistes et à la force du collectif qui nous permettra de créer ce monde plus vertueux tant attendu ! l 

Accompagnement et décarbonation : le combo gagnant

« La décarbonation de mon entreprise m’a tuer »

Une « économie de la mort », c’est avec cette indéniable liberté de ton que ces mots venaient d’être prononcés dans le vaste open space, suscitant l’approbation d’un certain nombre de collaborateurs. Puis d’autres exprimèrent que non, cela n’était pas juste, que tout ça n’était qu’une énième séquence de fake news, et puis qu’ils n’allaient pas « se faire avoir » avec du « green washing ». La majorité des collaborateurs restaient quant à eux silencieux. On aurait pu le dire ainsi : ils affichaient une forme d’indifférence. D’autres encore, plus cyniques, pince sans-rire et ambianceurs connus de l’espace de travail, profitèrent d’une pause pour écrire « La décarbonation de mon entreprise m’a tuer » sur le tableau Velleda mural de la cuisine, ce qui ne manqua pas de faire effectivement rigoler les uns – surtout eux, d’ailleurs –, d’en outrer d’autres et de recueillir l’impassibilité du plus grand nombre. Mais que se passait-il dans cette entreprise ? La nouvelle campagne de communication axée sur la politique RSE venait d’y être lancée, avec un focus particulier cette année sur la volonté de décarbonation des activités. On aurait pu dire qu’il s’agissait d’un « flop ». Enfin, on aurait surtout pu dire que le niveau d’engagement des collaborateurs envers la démarche était « normal », c’est-à-dire qu’il était différencié et suivait une courbe… normale. Est-ce qu’il n’y avait pas là des manques en matière d’accompagnement du changement ?

 

D’insuffisants premiers pas

Effectivement, il y avait là des manques. Et effectivement, force est d’admettre qu’il y a encore beaucoup de manques sur ces considérations au sein des entreprises françaises. Mais prenons un peu de hauteur, avec une mise en perspective sociétale. Actuellement, en France, face à des discours appelant à la mise en œuvre de la transition écologique, l’engagement des citoyens sur ce sujet est pour le moins inégal : si 70 % de la population se déclare inquiète, seuls 30 % agissent en conséquence[1]. Le constat est indéniable : la distance est encore de taille entre la conscience de l’urgence et sa traduction en actes.

 

Cela dit, les politiques gouvernementales engagent et obligent davantage les entreprises à agir concrètement[2]. Les résultats d’une étude CSA pour LinkedIn et l’Ademe[3] sont à cet égard pour le moins édifiants…

  • L’environnement est la deuxième préoccupation principale des salariés, et même la première pour les jeunes salariés de moins de 35 ans.
  • 88 % des salariés estiment que la transition écologique est un sujet important dans leur entreprise, et 36 % pensent qu’il est prioritaire.
  • 68 % des salariés veulent être formés aux enjeux de la transition écologique dans leur entreprise.

 

Supposons qu’une entreprise se dote d’une stratégie de décarbonation. Il faut reconnaître que c’est là un judicieux premier pas, mais également qu’elle n’aura fait qu’une faible partie du chemin. Pourquoi ? Pour une raison assez simple : une stratégie de décarbonation a de la valeur en soi, mais une part de cette valeur, comme dans toute stratégie, réside dans sa compréhension, son adoption et sa mise en œuvre par les femmes et les hommes qu’elle concerne. C’est ce qu’on appelle la part people-dependent du retour sur investissement (RSI). Autrement on risque de rester au niveau de l’intention, de l’incantatoire, sans passer à la concrétisation dans les gestes. C’est dans cette concrétisation, et ultimement dans l’institutionnalisation des pratiques – autrement dit, quand un comportement cible devient une norme – que se situe la valeur des stratégies et des politiques de transition écologique au sein des entreprises. Une transformation structurelle de cet ordre ne peut pas s’épargner d’être maillée avec des démarches d’accompagnement du changement vers des devenirs de représentation et de pratiques professionnelles différentes, ancrés dans les quotidiens de travail des collaborateurs. Comment ?

 

L’engagement du changement

Il est d’abord indispensable pour chaque entreprise d’élaborer un état des lieux des représentations et des pratiques de ses collaborateurs au regard de sa stratégie de décarbonation et des implications de celle-ci dans les quotidiens futurs des activités professionnelles. On peut parler ici d’une démarche d’explicitation. Démarche qu’on peut voir comme une façon de faire émerger le dictionnaire de significations et de pratiques propre à chaque entreprise au regard de la transition écologique, et plus précisément de la décarbonation.

 

Plusieurs méthodes d’écoute et d’analyse permettent de s’y livrer (entretiens d’écoute, focus groupe, enquêtes quantitatives, ateliers d’explicitation, immersions, analyse documentaire…), au croisement desquelles un portrait objectif de la réalité des pratiques, des perceptions, des leviers d’engagement et des impacts prévisionnels par population pourront notamment être établis. Cette phase permettra également d’identifier les collaborateurs sur lesquels il sera possible de s’appuyer, premiers pas vers la mise en place d’une communauté d’ambassadeurs.

 

Et puis, cela va de soi, l’occasion sera alors belle d’identifier – pour les accompagner et les dépasser – les résistances potentielles à la compréhension de la stratégie de décarbonation de l’entreprise ainsi qu’à l’adoption des changements de pratique associés. Ces résistances peuvent être multifactorielles…

  • Individuelles : personnalité, socio-démographiques, mécanismes de défense, manque de motivation, habitudes, peur de l’inconnu, incompréhension du changement…
  • Collectives ou socioculturelles : sentiment de perdre certains droits acquis, normes sociales, croyances, valeurs de l’organisation, rituels, mœurs…
  • Politiques : forces syndicales, perspectives de perdre une certaine influence…
  • Liées à la mise en œuvre du changement (cause majeure des échecs) : manque de préparation et d’organisation, absence de consultation et d’implication des collaborateurs impactés…
  • Liées au système organisationnel en place : organisation perçue comme inerte et peu adaptable, capacité de l’organisation à changer…
  • Liées au changement lui-même : changement complexe, peu légitimé, opposé aux valeurs, transformation trop radicale…

 

Fort de cet état des lieux, il importe de définir collectivement – en y associant une proportion représentative des collaborateurs – une cible comportementale et des éléments de mesure objectivants associés (KPI, ou indicateur clé de performance). Il y aura alors un point de départ (l’état des lieux) et un horizon fixant l’ambition (cible comportementale et KPI de mesure). Les écarts entre les deux seront alors objectivés et pourront dès lors être construits. Puis des plans d’accompagnement du changement – qui prendront notamment en compte les leviers d’engagement et les résistances potentielles identifiés dans la phase d’état des lieux – pourront être déployés. Le principe clé ici est le suivant : c’est en changeant les représentations que l’on change les comportements. Que veut-on dire par plans d’accompagnement ? On peut classer ces plans selon deux types complémentaires et nécessaires pour optimiser l’ancrage des changements souhaités…

  • Les leviers soft, qui concernent la communication, la formation et le coaching, dont voici quelques exemples :
    1. conférences interactives (Pitch Climat, MyCO2…) ;
    2. événements collectifs relayés par les entreprises (le challenge Mai à vélo pour promouvoir le vélo et les mobilités douces auprès des individus, le World Cleanup Day pour engager ses salariés dans une journée de nettoyage de la planète…) ;
    3. ateliers collectifs (L’Éveil vert : formation développée par Onepoint en partenariat avec Little Big Impact pour sensibiliser aux enjeux écologiques et identifier des pistes d’actions ; La Fresque du climat pour s’approprier le défi de l’urgence climatique ; l’Atelier 2tonnes pour découvrir les leviers individuels et collectifs de la transition bas carbone ; Nos vies bas carbone pour connaître les ordres de grandeur essentiels et imaginer des actions nécessaires et désirables pour le climat…) ;
    4. plateformes d’engagement (Eco Challenge, de Little Big Impact, pour sensibiliser ses collaborateurs aux écogestes et encourager le passage à l’action via la gamification ; Ma petite planète pour des défis écologiques à vivre au sein d’un collectif sur un temps court…).
  • Les leviers hard, qui transforment l’organisation, les processus et procédures, et les outils au sein de l’entreprise. On peut alors aussi parler de leviers « d’institutionnalisation ».

De plus, afin d’assurer l’ancrage des changements dans la durée, il est nécessaire de mettre en place des éléments de mesure de ces changements, des baromètres de compréhension et d’adoption des changements associés à des KPI, par exemple. Cela permettra de capitaliser sur les réussites et de les célébrer mais aussi d’apporter des actions correctives là où le changement peine à se concrétiser.

 

Enfin, des éléments complémentaires et transverses en matière d’approche se doivent ici d’être pris en compte car ils sont porteurs d’un impact transformatif particulièrement structurant. Le premier d’entre eux est celui du « mimétisme organisationnel », que l’on peut aussi traduire par « l’exemplarité managériale ». Pourquoi c’est important ? Car bien souvent on imite les gens « au-dessus » de nous car, s’ils y sont, c’est qu’ils doivent avoir eu les bons comportements. Autant dire que, si les managers ne respectent pas les comportements attendus en matière de décarbonation des activités, il y a un réel risque pour que leurs collaborateurs fassent de même. Le deuxième élément : faire en sorte que les engagements des collaborateurs en matière de décarbonation des activités soient réalisés lors de temps collectifs. Cela engage ainsi chacun par effet de régulation sociale. Troisième élément, sur ce sujet comme sur nombre d’autres, il est préférable de faire de petits pas, de pratiquer l’acquisition des attendus via des expérimentations à cycles courts. Et, enfin, dernier élément, la prise en compte de deux circuits composant notre cerveau, le circuit du plaisir (le circuit hédonique), qui nous donne envie de reproduire des choses qui nous font plaisir, et le circuit de la menace, celui qui fait que l’on se sent en déséquilibre, qu’on a peur de ne pas savoir faire, d’être ridicule, d’être en inconfort. Ce dernier est en général celui qui s’allume en premier ! L’enjeu dans le processus de changement est donc notamment d’inhiber le circuit de la menace pour se projeter dans celui du plaisir : rassurer, célébrer les victoires, capitaliser sur l’appartenance sociale, etc.

 

Faire d’une menace une opportunité

À l’heure où l’engagement écologique prend une part de plus en plus importante dans nos consciences de citoyens, cet engagement est également attendu à l’échelle de l’entreprise, notamment comme vecteur contribuant à l’attraction, à la fidélisation et à l’engagement des collaborateurs. À titre d’exemple : à offre égale, 78 % des salariés préfèrent rejoindre une entreprise engagée dans la transition écologique[4].

« La décarbonation de mon entreprise m’a tuer » ? Disons plutôt qu’elle m’a sauvé, car une démarche d’accompagnement du changement y a été mise en œuvre qui a permis d’atteindre les objectifs de transformation des représentations et des comportements des collaborateurs.

[1] Données de l’Observatoire international climat et opinions publiques, EDF et Ipsos, 2022 : https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2023-04/obscop22_e-book_planete-mobilisee_complet_20230427_planches.pdf.

[2] Citons notamment la loi de transition énergétique pour la croissance verte, qui impose aux entreprises d’inclure l’empreinte carbone de leurs activités dans leur rapport annuel de gestion, et le code de l’environnement, qui précise les modalités de l’obligation de bilan d’émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises de plus de 500 salariés.

[3] Étude réalisée par l’Institut CSA en 2021, mandaté par l’Ademe et Linkedin, https://csa.eu/news/les-salaries-et-la-transition-ecologique-dans-les-entreprises/.

[4] Étude réalisée par l’Institut CSA en 2021, mandaté par l’Ademe et LinkedIn : https://csa.eu/news/les-salaries-et-la-transition-ecologique-dans-les-entreprises/.

Danone Communities : projets à impacts multiples

Comment est né Danone Communities et en quoi cette entité est-elle en lien avec l’ADN social de Danone ?

Tout commence avec la rencontre en 2005 entre Franck Riboud, le PDG de Danone à l’époque, et Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, qui sera Prix Nobel de la paix l’année suivante. Lors de cette rencontre, tous deux décident de joindre leurs savoir-faire dans un projet original, Grameen Danone Food, pour produire des yaourts fortifiés au Bangladesh, de façon à avoir un impact tout au long de la chaîne de valeur : auprès des éleveurs laitiers, en leur assurant un revenu, en créant une usine en 2006 et donc des emplois ; et auprès de la population, car ce yaourt fortifié améliore la santé des enfants. À partir de là, Danone a voulu amplifier cette idée de soutenir des entreprises qui ont un impact social, et le fonds Danone Communities a été créé. Il est complètement inscrit dans ce qu’on appelle le double projet de Danone. Tout d’abord un projet économique et social ancré dans le discours qu’Antoine Riboud a prononcé à Marseille en 1972, où il défendait le fait qu’une entreprise était responsable de ses résultats économiques mais aussi de ses résultats sociaux. Et en même temps dans la mission de Danone, qui est d’apporter la santé au plus grand nombre à travers l’alimentation, notamment aux populations vulnérables.

 

Quelles sont les principales missions de Danone Communities et quels sont les domaines dans lesquels elle s’investit le plus ?

Danone Communities est là pour démontrer qu’il est possible d’avoir un impact social en s’appuyant sur des mécanismes économiques. Nous soutenons à la fois en financement et en compétences des entreprises qui ont été créées pour résoudre un problème social à travers un business économique, et nous nous focalisons uniquement sur deux secteurs : l’accès à l’eau potable et l’accès à une nutrition équilibrée, où les besoins sont énormes. Deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, et autant ne disposent pas de suffisamment de micronutriments pour bien grandir et se développer. Ce sont aussi deux secteurs dans lesquels Danone a des compétences.

 

À quel moment de l’existence des entreprises intervenez-vous ?

Ce sont des entreprises déjà dotées d’un modèle économique mais qui sont encore petites. Nous intervenons après l’incubation pour les aider à atteindre la rentabilité, ce qui est important pour assurer la pérennité de l’impact. Quand elles ont atteint la rentabilité depuis quelques années, nous en sortons et allons investir dans d’autres entreprises. Nous investissons entre 300 000 euros et 1 million d’euros, cela dépend des besoins. Nous sommes toujours actionnaires minoritaires, donc nous investissons avec des partenaires et demandons à avoir un siège au conseil d’administration. C’est important pour nous, parce que nous pensons pouvoir apporter de l’expertise dans le développement de ces entreprises.

 

Danone Communities soutient actuellement 18 entreprises dans 25 pays différents…

Au total, c’est plus de 11 millions de personnes qui, tous les jours, ont à présent accès soit à l’eau potable soit à une nutrition équilibrée. Nous avons des entreprises un peu partout dans le monde, de Haïti jusqu’au Vietnam, en passant par le continent africain.

 

Ces entreprises ont-elles aussi un fort impact environnemental ?

Toutes les entreprises d’accès à l’eau potable ont un impact intéressant sur l’environnement, sur deux aspects. Le premier concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, parce que les populations vont acheter de l’eau potable plutôt que de faire bouillir l’eau locale, ce qui limite aussi la déforestation et l’émission de CO2. D’ailleurs certaines entreprises du portefeuille sont éligibles à des crédits carbone, et c’est l’un de leurs moyens de financement. L’autre élément important est qu’elles vendent leur eau dans des jerricans de 20 litres, réutilisables et approximativement trois fois moins polluants au litre qu’une bouteille de 1,5 l. Cela a aussi un impact sur la santé : moins sujets aux diarrhées, les enfants vont pouvoir être plus assidus à l’école, notamment les petites filles, parce que ce sont souvent les femmes qui malheureusement sont chargées d’aller chercher de l’eau.

 

Avez-vous des exemples d’entreprises à nous donner ?

Je pense à deux entreprises. La première est Drinkwell, au Bangladesh, dont le modèle économique est celui d’un partenariat avec Daka Wasa, le Veolia local. Drinkwell s’est rendu compte qu’il n’allait pas dans les zones les plus défavorisées et s’est associé avec un entrepreneur, Minhaj Chowdhrury, qui a développé une technologie capable de filtrer l’arsenic, très présent dans l’eau au Bangladesh, rendant ainsi celle-ci potable. Dans ce partenariat public-privé, Dake Wasa donne l’accès aux points d’eau à Drinkwell, qui installe des kiosques à eau équipés de ces filtres. Une fois filtrée, l’eau rendue potable est vendue à très faible prix à la population locale. Aujourd’hui, ce sont 1 million de personnes qui ont accès à l’eau potable.

L’autre entreprise s’appelle Nazava, en Indonésie, et propose un système de filtres à eau à domicile. Et ce qui est intéressant, c’est qu’elle s’est associée avec les réseaux de microfinance pour pénétrer les zones rurales et vendre ses filtres à eau en échelonnant le prix d’achat. Cela permet aux populations concernées, grâce au microcrédit, d’avoir accès à des biens dont les prix sont élevés en premier achat. Et elles font des économies avec l’utilisation du filtre tout au long de l’année, dont la longévité est de trois ans.

 

Pouvez-vous nous décrire la manière dont Danone Comunities promeut les bonnes pratiques à travers ses Learning Expeditions ?

C’est quelque chose d’extraordinaire que ces Learning Expeditions. On rassemble des acteurs de l’accès à l’eau potable – des entreprises dans lesquelles nous avons investi ou d’autres déjà présentes dans notre écosystème – pendant une semaine dans un pays où il y a un business d’accès à l’eau potable pour partager les bonnes pratiques. Nous avons dans notre portefeuille une dizaine d’entreprises du secteur, et cela fait plus de dix ans que nous les accompagnons, donc de nombreuses bonnes pratiques ont émergé et nous les avons formatées. Mais l’important est que ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui les portent, qui partagent avec les autres ce qu’ils ont appris. Nous les aidons à formaliser pour que ce soit pertinent et applicable par les autres, mais in fine c’est leur savoir-faire. Et puis on parle d’échec aussi, parce que c’est intéressant d’apprendre des échecs des autres. L’idée est de grandir plus vite, pour avoir encore plus d’impact.

 

Si l’idée de départ vient de la direction, Danone Comunities a été adopté par les équipes de Danone, notamment à travers le mécénat de compétences, qui a déjà attiré plus de 2 000 collaborateurs. Pouvez-vous nous parler du programme Impact 3 ?

Danone Communities, au-delà de son impact social, a un impact sur les employés et sur leur engagement par rapport à Danone. Pour ces personnes, c’est une façon de vivre le double projet. Impact 3, c’est un programme qui a trois impacts. Le premier concerne l’entreprise du portefeuille de Danone Communities que l’employé va aider, en lui apportant sa compétence et en lui permettant de résoudre un problème à un moment donné. Pour les entrepreneurs du portefeuille c’est une valeur extraordinaire. Cela a aussi un impact sur le salarié, parce que cela le transforme : en mission, il se retrouve confronté à un environnement qu’il ne connaît pas, un environnement de start-up, dans des pays en voie de développement, avec très peu de moyens et des contextes extrêmement changeants, fragiles. Il sort de sa zone de confort et revient grandi de cette expérience. Enfin cela a un impact sur Danone, puisque cet employé va restituer ce qu’il a appris sur le terrain : un côté plus entrepreneurial, de l’agilité, et ça, il le redonne au jour le jour dans son job. Ce qui est intéressant, c’est que tous les employés de Danone se rendent compte de l’impact qu’ils peuvent avoir. Cela a une valeur énorme de se dire qu’on a un impact, en plus avec un enjeu social. Donc c’est très valorisant, réconfortant, c’est fort pour les employés. Cela fait un lien direct avec la mission de Danone et son ADN économique et social : il y a une vérité derrière la mission et l’ADN de Danone

 

Les collaborateurs de Danone détiennent aussi près de 40 % du fonds commun de placement de Danone Communities. Qu’attendent-ils de cet investissement ?

Effectivement, la spécificité de ce fonds est qu’il est ouvert aux salariés. Ils peuvent chaque année placer tout ou partie de leurs intéressements et participations – en France, puisque le placement dans le fonds n’est ouvert qu’aux salariés français –, et c’est vrai que chaque année de nombreux salariés font des placements. Aujourd’hui, j’ai l’habitude de dire que ce fonds appartient aux salariés, puisque in fine ils en sont les plus gros actionnaires.

Quand on discute avec eux, ils investissent d’abord « pour l’impact », en lien avec leur engagement sur des projets qui ont un impact social. Concernant le retour sur investissement, ils nous disent qu’au minimum ils ne veulent pas perdre d’argent, et que, s’ils peuvent faire 1 ou 2 %, c’est tant mieux… Pour certains salariés, c’est extrêmement important parce que c’est un placement qui a du sens, un placement de cœur, et que c’est leur contribution à ces projets. Ils représentent aujourd’hui près de 40 % du fonds, mais, mon rêve, c’est que ce soit plus de 50 %.

Jeunesse sentinelle

Que ce soit à HEC, à AgroParisTech ou à Polytechnique, les cérémonies de remise de diplômes offrent désormais des tribunes aux jeunes diplômés pour exprimer leur inquiétude face à l’urgence climatique, leur colère devant la lenteur de la transition écologique et leur refus de participer à des projets professionnels qu’ils jugent « écocides ». Conscients de la gravité de la situation environnementale et du pouvoir qu’ils ont entre leurs mains pour tenter de faire évoluer les pratiques, les mentalités et le système économique, de nombreux étudiants se sont regroupés en collectifs, depuis 2018 et les grandes marches pour le climat, afin de se faire entendre et d’exiger des institutions, des établissements d’enseignement supérieurs et des entreprises qu’ils opèrent des changements aussi radicaux qu’impérieux.

C’est le cas du collectif Pour un réveil écologique, un mouvement créé il y a cinq ans par des étudiants de diverses grandes écoles françaises et qui s’est fait connaître à travers un manifeste appelant à la mobilisation de « tous les acteurs de la société » pour réagir face à « une catastrophe environnementale et humaine » imminente. Signé par 34 000 étudiants à travers le pays, ce manifeste a été suivi de nombreuses initiatives de la part du collectif, qui n’a cessé depuis de se structurer et d’attirer de nouveaux adhérents, dont Benjamin Valette, membre du pôle enseignement, qui a rejoint le mouvement en septembre 2022. Étudiant en affaires publiques aux Mines de Paris après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur à l’ESPCI Paris-PSL, il est actuellement en stage de fin d’études à la Direction générale des entreprises au sein du ministère de l’Économie.

 

Une action de lobbying pour « changer de trajectoire »

Faisant le constat « d’une situation qui n’avance pas, qui se bloque », Benjamin Valette, à l’instar de ses compagnons, reste néanmoins convaincu que cet état de fait « n’est pas une fatalité ». « Il faut prendre notre avenir en main si on veut changer de cap, affirme-t-il. On est pour un changement radical de trajectoire si on veut avoir un avenir qui nous offre des perspectives les plus épanouissantes possible. » L’idée est certes de « se battre pour les enjeux environnementaux », mais « aussi d’essayer de sauver nos sociétés et de faire en sorte que les personnes qui vont être les plus touchées, c’est-à-dire les plus précaires, subissent le moins possible » les effets de la crise environnementale.

Pour cela, le collectif a fait le choix du lobbying actif auprès d’une « multiplicité d’acteurs à l’échelle nationale ». « Notre position, précise Benjamin Valette, c’est de faire avancer encore plus vite les choses, toujours demander plus que ce qui est fait, pour essayer d’atteindre au plus proche les attentes vis-à-vis de l’urgence climatique. » Un lobbying qui se veut complémentaire d’autres méthodes militantes : « Les manifestations et la désobéissance civile permettent à des actions comme les nôtres d’être beaucoup plus entendables. Cela nous permet d’avoir de la place dans le débat public et dans les médias. »

Le collectif Pour un réveil écologique n’a ainsi pas hésité à s’inviter dans le débat de la dernière élection présidentielle en publiant un plaidoyer général pour « proposer de mettre en œuvre des solutions concrètes, de lever les freins et de créer de vraies incitations, même si elles sont coercitives, pour faire bouger les choses au sujet du monde de l’entreprise et de l’emploi ». Au programme de ce plaidoyer : imposer une stratégie bas carbone plus stricte, évaluer l’impact environnemental des lois, obliger les entreprises à réaliser leur bilan carbone et à publier leurs rapports extra-financiers sur la biodiversité, indexer les rémunérations variables sur des critères environnementaux, ou encore faire davantage de prospective au niveau des emplois verts et être vigilant vis-à-vis de la reconversion de certains postes dans un monde idéalement bas carbone.

 

Faire pression sur les établissements d’enseignement supérieur

Mais c’est avant tout dans le domaine de l’enseignement supérieur que le collectif se fait le plus pressant. Il a notamment publié un autre plaidoyer qui propose dix mesures « ambitieuses et applicables directement, en moins d’un an », porté auprès de toutes les directions d’écoles et de toutes les présidences d’université. Articulé autour de trois chapitres (structurer l’ensemble de la gouvernance pour transformer, revoir la politique de formation et réduire les impacts socio-écologiques directs), ce programme se veut concret et exigeant pour permettre aux établissements d’enseignement supérieur de jouer pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique. Les principales demandes concernent « la mise en place d’une feuille de route aux objectifs clairs et quantifiables, qui soient renouvelés et évalués », la création d’un « tronc commun obligatoire, qui traite des sujets environnementaux à la fois sous ses aspects scientifiques mais aussi sociaux et historiques », ou encore l’application d’une « stratégie bas carbone ambitieuse » au sein des établissements.

Selon Benjamin Valette, « quasiment tout le monde souhaite se verdir aujourd’hui, et la transition est un élément de langage qui est entré dans l’écosystème, mais il faut derrière les mots savoir démêler la vraie de la fausse volonté. Aujourd’hui les choses bougent, il y a des acteurs qui veulent faire avancer les choses, pour autant, il ne faut pas se bercer d’illusions. Pour le moment on n’est clairement pas à la hauteur des enjeux, que ce soit dans les universités ou dans les écoles ». Pour donner « une meilleure visibilité de l’écosystème » aux futurs étudiants et leur permettre de « choisir en toute connaissance de cause un établissement qui correspond à leurs attentes », le collectif travaille en collaboration avec des classements, comme ceux de L’Étudiant ou de Change Now, et des labels, tels que le label développement durable des établissements d’enseignement supérieur (DD&RS). « On a réalisé un sondage avec Harris qui montre que les étudiants sont en quête de sens, et les enjeux environnementaux, un sujet majeur pour eux. Et donc ça va forcément se répercuter sur le choix des écoles. »

C’est pourquoi, selon le membre du collectif, « il faut absolument que les étudiants et les jeunes diplômés se mobilisent. Il faut montrer à l’administration l’intérêt qu’on porte à ces sujets, à travers des événements, des actions. Les élèves sont beaucoup écoutés quand ils revendiquent, donc c’est vraiment important ». Le mouvement est d’ailleurs à l’origine, avec d’autres associations et institutions, telles que le Campus de la transition, d’une journée d’échanges avec les directions d’écoles organisée le 12 juillet. « L’idée est de mobiliser et d’accélérer la transition dans les établissements, en donnant des clés pour avancer plus vite. Il faut créer un écosystème qui soit le plus vertueux possible et qui se pousse vers le haut. »

 

Utiliser « le chantage à l’emploi » pour réveiller les entreprises

L’emploi est également un domaine d’action très important pour le collectif, qui donne aux jeunes diplômés des éléments d’information sur les réelles démarches mises en place dans les entreprises, en sondant les rapports annuels ou en allant directement discuter avec elles pour les challenger sur leurs stratégies RSE. « Il y a plusieurs questions à se poser quand on est en recherche d’emploi : quelle est l’utilité des activités de l’entreprise dans une société inscrite dans les limites planétaires ? Quel est son impact sur l’environnement (climat, biodiversité, pollution, exploitation des ressources, etc.) ? Quelle est l’implication des salariés au sein de l’entreprise sur le sujet ? Ce sont de questions qui peuvent être directement posées en entretien d’embauche. » Selon Benjamin Valette, « l’emploi est un réel levier d’action parce que la transition socioécologique concerne tous les métiers. Les entreprises avec lesquelles on discute identifient quasiment toutes des difficultés de recrutement. Le bassin d’emploi est quelque chose de très important pour elles, donc elles s’en préoccupent. Le ‘‘chantage à l’emploi’’, entre guillemets, change de sens ».

Aussi, le collectif Pour un réveil écologique entend débusquer le greenwashing, « le mal contre lequel il va falloir se battre dans les années qui viennent », une pratique « très pernicieuse, pas si simple que ça à déceler ». Sur son compte LinkedIn, suivi par plus de 150 000 personnes, le collectif dénonce les entreprises qui s’y adonnent, à travers un « panthéon » ou un « calendrier de l’avent » du greenwashing. « On dissimule de très mauvaises pratiques sous le couvert d’un vernis vert, et c’est ça c’est vraiment dangereux. »

Pour autant, les jeunes diplômés choisissent-ils délibérément leur entreprise en fonction de cet enjeu environnemental ? « C’est un critère qui émerge de plus en plus, mais ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. Les gros critères qui restent aujourd’hui indispensables pour accepter un emploi seront le salaire, les opportunités d’évolution professionnelle ou l’ambiance au travail. Alors on ne peut pas dire que l’ensemble des étudiants ne veut choisir que les entreprises qui intègrent les enjeux socio-écologiques, mais ça prend de plus en plus d’ampleur, et ça, on le ressent. » Le collectif vient d’ailleurs de présenter un nouveau projet, intitulé « Pour l’emploi de demain », qui identifie les activités et les compétences nécessaires pour accélérer la transition dans une quinzaine de secteurs professionnels.

BIOCOOP : entreprise responsable tournée vers l’avenir

L’agroalimentaire est l’une des activités les plus néfastes pour l’environnement. Le bio, excluant pesticides chimiques et OGM, et impliquant une agriculture raisonnée, est présenté comme une alternative salutaire depuis des décennies. Alors pourquoi ne s’est-il pas généralisé ?

La transition écologique, par une alimentation plus saine, a été introduite par les consommateurs. Il y a eu des aides et des accompagnements du monde agricole, mais on voit que quand le consommateur a un pouvoir d’achat amoindri le bio se vend moins et le projet stagne. En fait, ce qui coince, c’est autant la responsabilité de nos décideurs politiques que le monde agricole conventionnel, car le bio n’est qu’un segment de marché. Pour que cela se développe, il faut se questionner sur les impacts positifs de la biodiversité et d’une alimentation saine. Il faut en faire le cœur de la transition alimentaire, en mettant en place des moyens suffisants et en s’engageant dans une démarche qui prenne en compte les règles du marché et la durabilité. La biodiversité a toute sa place dans ces problématiques. Aujourd’hui, le bio plafonne autour de 5 à 10 % de l’alimentation. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour engager une transition.

Les valeurs de Biocoop sont axées autour de la consommation responsable. Ce mot est sur toutes les lèvres aujourd’hui : avons-nous été si irresponsables ?

Le but d’une entreprise est de s’enrichir pour le compte de ses actionnaires. Globalement, c’est l’objectif premier. Elle choisit des produits pour les vendre sur un marché. Son fonctionnement est centré autour d’une construction capitalistique. Après, nous pouvons choisir le modèle coopératif, mais les actionnaires sont les parties prenantes de la société. Tout l’enjeu de l’entreprise est qu’elle puisse rentrer dans une responsabilité vis-à-vis de l’environnement, mais aussi avec ses collaborateurs. Biocoop cherche ce sens-là. On construit un projet qui englobe ces problématiques avec de la création de valeur et de la richesse pour l’entreprise.

 

À l’heure où les entreprises se questionnent sur leur utilité écologique et sociale, comment parvenez-vous à faire face aux difficultés émergentes du marché, comme l’inflation ?

Économiquement, une entreprise n’a pas intérêt à s’engager dans une démarche écologique. Les réglementations génèrent des coûts supplémentaires. Dans l’alimentaire, mieux vaut vendre un paquet de raisin importé d’un pays lointain qu’un raisin français de saison. Cela sera moins cher et générera plus de marge. Un autre exemple : le jambon bio est beaucoup plus cher que le jambon conventionnel, car le porc est la production que l’on a le plus industrialisée. Pour Biocoop, l’ultratransformation se fait sans sel nitraté, ce qui amène le prix à 32 euros voire à 33 euros le kilo. On est au cœur de la problématique : comment engager des politiques et instaurer des règles de marché propices à l’émergence d’entreprises responsables ? Pour moi, l’entreprise est avant tout un acteur de réconciliation entre les ambitions individuelles, les consommateurs et la transition collective et politique.

Les candidats et les collaborateurs sont en effet plus engagés. Sentez-vous, dans vos recrutements, que quelque chose a changé ?

Chez Biocoop, on va plutôt avoir la problématique inverse, c’est-à-dire que les générations viennent avec leurs angoisses et leurs préoccupations. Je suis moi-même anxieux par rapport au manque de communication politique sur ces sujets environnementaux. Hormis l’activisme, on a très peu de moyens d’entreprendre. Il y a, de ce fait, un rejet des entreprises. Il y a la recherche, à travers son emploi, d’être utile et actif dans ce qui nous préoccupe. Du côté de Biocoop, nous essayons de savoir comment le sens recherché par les salariés se concrétise dans l’emploi du quotidien. C’est dans le management qu’on arrive à concrétiser ce sens-là.

 

Concernant l’énergie, vous êtes partenaires et cofondateur de longue date d’Enercoop, une coopérative qui développe des structures de collecte d’énergie verte un peu partout sur le territoire. La question des partenaires et fournisseurs est essentielle pour « prouver » une politique RSE vraie et qui a du sens…

L’entreprise est forcément dans un écosystème. Sur la question du carbone, certaines entreprises baissent le chauffage et éteignent les lumières, on demande aux fournisseurs de s’engager dans les accords de Paris. Pour moi, il est évident qu’on n’avancera pas comme ça. L’entreprise doit avoir la première responsabilité. Biocoop est dans la construction et l’accompagnement de cet écosystème avec les industriels et l’agriculture. Sans produits et sans acteurs forts de l’industrie bio, il faut collaborer main dans la main. Enercoop nous a très bien accompagnés, durant la période d’inflation énergétique, en maintenant le prix de l’électricité de l’entreprise. C’est le fruit de vingt ans de collaboration et d’interdépendance.

 

Quelles actions concrètes pouvez-vous mener demain et dans un avenir plus lointain ?

Les problématiques liées au carbone et à la biodiversité restent centrales. On va continuer à renforcer notre responsabilité sur nos produits : les produits laitiers, le café et le chocolat. On réduirait nos impacts carbone si tous nos chocolats étaient issus de l’agroforesterie. La question est de savoir comment on s’engage dans ces questionnements, des sujets passionnants et qui seront de plus en plus importants durant au moins une bonne dizaine d’années.

TRIBUNE : Comment faire face à la pollution numérique avec efficience

Pour mesurer, on collecte, on stocke des données. Pour réduire, on dématérialise, on automatise, on calcule. Pour anticiper on modélise, on scénarise, on simule. Pour engager, on consolide l’information et la diffuse sur de multiples canaux numériques.

L’industrie du numérique est la pierre angulaire de toute démarche RSE. En très forte expansion, elle fait certainement partie de la solution, mais aussi du problème. Consommatrice d’énergie, productrice de chaleur… Mathématiquement, son poids dans la grande équation de la planète va devenir de plus en plus important : il est déjà à 4 % des émissions de GES.

Oracle s’engage pour réduire son impact en matière d’émission de GES, et cela passe par plus d’efficience dans les gestes du quotidien et par l’industrialisation de ses services numériques. On le comprend avec les bonnes pratiques développées ci-après.

 

S’il y a bien un usage qui s’est largement démocratisé, c’est la virtualisation des réunions. Chez Oracle, depuis 2020, les 130 000 collaborateurs du groupe ont adopté Zoom. Combinée à d’autres économies sur le chauffage, la climatisation et l’éclairage, l’entreprise a pu réduire ses émissions de CO2 de 47 % depuis 2020.

 

Mais au-delà des solutions et des logiciels spécialisés, le cloud en tant que tel est un élément de réponse aux enjeux de la RSE. Le cloud est la mutualisation de ressources numériques par un prestataire technologique qui en assure l’exploitation, la sécurité et l’évolutivité, au service de multiples clients qui « partagent » un bien commun.

En quoi est-ce important ? Parce que les solutions informatiques historiques sont bien souvent utilisées de façon individuelle, installées sur un serveur d’entreprise plus ou moins bien dimensionné car son usage fluctue dans l’année, avec un hébergement peu optimisé. On pourrait les comparer à un véhicule à l’arrêt, moteur tournant,dans l’attente d’un ou plusieurs passagers. Tandis que le cloud serait une forme de covoiturage du numérique.

 

Un indicateur clé de notre industrie est le PUE (Power Usage Effectiveness). Il s’agit d’un indicateur de performance de nos data centers. C’est le rapport entre le total de l’énergie consommée par le data center et l’énergie réellement utile pour les équipements et les solutions hébergées.

Dans un environnement optimisé, le PUE ne dépasse pas 1,1 – soit 10 % de déperdition d’énergie et environ huit fois moins qu’un environnement numérique standard.

 

La production de chaleur est elle aussi un sujet clé pour les acteurs du numérique et nécessite d’être prise en compte dès la conception du data center, avec une approche holistique de l’intégration de celui-ci dans son environnement immédiat.

 

La technique dite du river cooling est l’une de ces approches créatives que nous utilisons pour notre data center de Marseille. Cela consiste à capter l’eau de ruissellement des anciennes mines de Gardanne, qui est impropre à la consommation et se maintient à 13 °C toute l’année. Acheminée vers le data center, cette eau est utilisée comme liquide de refroidissement. Lorsqu’elle ressort à 50 °C, elle alimente le réseau de chaleur de la zone urbaine à proximité.

 

Économiser l’énergie, rechercher des solutions en dehors du cadre, mais aussi s’appuyer sur des énergies renouvelables, c’est déjà le cas pour 100 % de nos data centers en Europe, et nous avons pris l’engagement d’atteindre 100 % dans le monde dès 2025. Cette circularité vaut pour l’énergie que nous consommons, mais cette logique s’étend aux produits que nous concevons et pour lesquels nous augmentons la durabilité et réduisons l’utilisation des plastiques à usage unique.

 

Au-delà de l’efficience, le défi prépondérant auquel font face nos clients aujourd’hui est celui de l’appropriation des enjeux des démarches RSE par l’ensemble des salariés et des managers de l’organisation, c’est-à-dire leur migration en dehors de la direction RSE. Cette appropriation nécessite d’adresser à la fois la construction d’une vision d’ensemble des objectifs RSE de l’organisation, mais aussi d’être en mesure de les décliner en une mise en action concrète à l’échelle individuelle. La préservation du lien entre la prise d’action individuelle et l’impact global sur les enjeux de l’entreprise contribue à créer du sens et donc à engager les collaborateurs.

 

Créer une vision requiert des référentiels et des données fiables, exhaustives, structurées, lisibles et des moyens de les explorer. La mise en action s’appuie sur des canaux de communication, des périmètres de responsabilité clairs et de l’autonomie. La RSE n’est pas un enjeu de la RH, de la finance, de la production ou de la logistique, c’est un enjeu d’entreprise, qui appelle l’émergence de nouvelles pratiques, transversales, portées par des plateformes numériques d’entreprise, qui ne connaissent pas les silos de nos directions. Elles misent sur des référentiels partagés, des dashboards communs, l’accessibilité, le sentiment d’appartenance et l’intelligence collective.

PERNOD RICARD : Du terroir au comptoir

La feuille de route RSE de Pernod Ricard à l’horizon 2030 s’articule autour de quatre piliers : la préservation des terroirs, la valorisation de l’humain, la production circulaire et la consommation responsable. Intitulée Good Times from a Good Place (préserver pour partager), elle intègre les objectifs de développement durable des Nations unies, ainsi que les attentes de ses parties prenantes et les principaux risques liés à sa chaîne de valeur.

 

Quatre ans après son lancement, plusieurs objectifs ambitieux ont d’ores et déjà été atteints

Pernod Ricard s’approvisionne dans près de 350 terroirs agricoles en produits de la vigne, blé, orge, canne à sucre ou encore fenouil. Cette empreinte représente environ 800 000 ha de terres agricoles. Dans le contexte du changement climatique, nous sommes convaincus du besoin d’accélérer la transition vers une agriculture régénératrice, qui privilégie la biodiversité, la rétention d’eau, la séquestration du carbone dans les sols et contribue à améliorer la vie de ceux qui travaillent nos terres. Pour cela, nous travaillons main dans la main avec nos équipes internes, agriculteurs et fournisseurs partenaires au déploiement de nouvelles pratiques agricoles.

 

Puisque nous voulons agir pour réduire notre empreinte environnementale sur l’ensemble de notre chaîne de valeur, du terroir au comptoir, nous avons également mis en place un premier pilote de distribution circulaire avec ecoSpirits, qui prévoit le transport et la distribution de nos marques en vrac à Singapour. Ce pilote permettra de réduire de 66 % les émissions de CO2 liées à la production et au transport des bouteilles en verre. Nous espérons par la suite déployer ce modèle à grande échelle et venons même de prendre une participation minoritaire au sein d’ecoSpirits pour en accélérer le déploiement.

 

Et enfin, nous poursuivons nos initiatives vers une convivialité toujours plus responsable. Dernier exemple emblématique : l’ensemble de nos bouteilles disposera d’une étiquette digitale afin d’accéder à des informations sur la santé et la consommation responsable d’ici à 2024. Ce dispositif, premier à être déployé à l’échelle mondiale dans le secteur, apporte une réponse concrète aux demandes des consommateurs orientées vers plus de transparence sur le contenu des produits et d’informations en matière de santé.

 

Les leviers pour l’engagement du collaborateur

Les salariés s’engagent aujourd’hui au sein d’une entreprise dont les actions sont cohérentes avec leurs valeurs et se disent de plus en prêts à quitter une entreprise qui ne le serait pas*. Nous sommes fiers de pouvoir compter sur 73 % de nos collaborateurs qui se disent engagés ou très engagés avec notre feuille de route RSE (I Say 2022). Dès leurs premiers jours, nos collaborateurs sont sensibilisés aux engagements du groupe à l’occasion d’une journée d’intégration, puis ils sont informés régulièrement sur les avancées et encouragés à suivre des formations sur le changement climatique, la biodiversité ou encore la circularité. Nous consacrons, pour la onzième année, une journée entière à notre feuille de route RSE pour embarquer tous nos collaborateurs dans le monde : c’est le Responsib’all Day. Plébiscitée par les salariés, cette initiative vise à nous impliquer, auprès de communautés ou d’associations locales, autour d’une thématique en lien avec notre feuille de route RSE. Pour véritablement associer nos collaborateurs à la croissance du groupe et les récompenser pour leur engagement au quotidien, nous avons lancé en 2019 notre premier programme d’actionnariat salarial, baptisé Accelerate. Un succès qui a été reconduit et élargi à sept nouveaux pays en 2022, pour atteindre 80 % de taux d’éligibilité sur l’ensemble de nos salariés.

 

Une intime conviction quant au futur du travail, au recrutement et à la fidélisation des employés

En tant que « créateurs de convivialité », notre mission est de cultiver la magie des relations humaines en « préservant pour partager ». Nous faisons vivre cette convivialité au service de nos consommateurs, mais aussi de nos collaborateurs, et nous cherchons en permanence à développer une culture ouverte, bienveillante, qui permette à chacun de s’épanouir, professionnellement et personnellement. Nos enquêtes internes annuelles le prouvent, avec 76 % de taux d’engagement dans le monde en 2022 et 77 % de nos collaborateurs qui déclarent se sentir fiers d’appartenir à leur entité.

 

Pour favoriser la création d’un environnement de travail où chacun se sente reconnu, inclus et en sécurité, nous déployons une feuille de route en faveur de la santé, de la sécurité et du bien-être, ainsi que des actions en faveur de la diversité, de l’équité et de l’inclusion, dans le but de permettre à nos talents de poursuivre la carrière à laquelle ils aspirent. Différents réseaux d’ambassadeurs internes ont été mis en place afin de créer des collectifs de réflexion et d’action, tels que le PR-ide, à Paris, qui aborde des questions importantes pour la communauté LGBTQ+, ou encore le Youth Action Council, créé dès 2014 pour porter la voix des jeunes générations de collaborateurs.

 

En juillet 2021, lorsque la France a étendu le congé paternité, nous sommes allés plus loin en offrant à nos salariés un mois de congé supplémentaire. Et pour faciliter l’organisation de chacun, nous avons aussi opté pour deux jours de travail occasionnels à distance par semaine, optionnels et totalement flexibles.

 

Bureau et environnement de travail : la RSE au quotidien

Notre nouveau siège parisien, The Island, installé en plein cœur de Paris, est la vitrine de ces nouveaux modes de travail et de cet engagement en faveur de la RSE. Les espaces ont été conçus pour que chacun s’y épanouisse et que les différents métiers se rencontrent, échangent. Ils ont également été pensés pour être le plus respectueux possible de l’environnement. The Island a ainsi obtenu la certification HQE Excellent pour son bâtiment ainsi que la certification NF HQE-Bâtiments tertiaires en exploitation, qui récompense les actions vis-à-vis du bien-être des collaborateurs.

Mais notre engagement va au-delà des bureaux, il s’étend à nos sites de production, car c’est de là que partent nos produits. Nous avons annoncé des investissements sur plusieurs sites de production en vue d’atteindre la neutralité carbone : chez Irish Distillers, producteur du whisky irlandais Jameson ; en Écosse, chez Chivas Brothers Limited ; ou encore dans le Kentucky, aux États-Unis. Autant d’actions qui prouvent la réalité des engagements du groupe pour l’environnement.

 

Interview : La grande impatience

Votre livre s’intitule La Grande Impatience (celle des collaborateurs) : quelle est la nature de cette impatience ?

Depuis plusieurs mois, les articles et les études se succèdent pour décrire une société française fatiguée et démoralisée. Dans l’entreprise aussi on observe une distance vis-à-vis du travail, et un certain fatalisme. Dans ce climat généralisé d’insécurité et d’individualisme, je pense qu’il y a aussi de la place pour de nouvelles formes d’engagement. L’impatience est partout, car il y a une forme de trop-plein, un besoin de changement. Un besoin de sentir qu’on ne subit pas tout. Qu’on peut soi-même être utile, qu’on n’est pas seul, qu’ensemble on est plus forts. Bref il y a un besoin de liens et de collectif. On le voit dans le repli de chacun vers sa famille, ses amis, son couple, sa communauté. Je voulais montrer qu’il me semblait facile de restaurer cela dans le monde de l’entreprise. Très souvent des solidarités existent au niveau des équipes. Mais, précisément parce que l’entreprise est cloisonnée, ces liens se limitent à une petite échelle.

 

Capitalisme, responsabilité des entreprises, impact, profits à tout prix… Les collaborateurs le savent : c’est la fin d’un modèle. Quand l’avez-vous perçu ? Et si les salariés et les parties prenantes ne « poussaient pas », certaines entreprises seraient-elles aujourd’hui quand même en situation de transition ?

Les grandes entreprises sont pointées du doigt par les ONG et les médias pour leur rôle dans la crise écologique. Certains jeunes diplômés de grandes écoles appellent à une désertion des grandes entreprises et plaident pour une « sobriété professionnelle » en travaillant moins et dans des structures alternatives, au service de l’environnement. La question que cela pose : si l’on se met à l’écart de la société, comment participer à la changer ? Les grandes entreprises peuvent avoir un impact positif puissant sur la transition écologique, mais elles auront besoin de talents engagés pour faire avancer leur œuvre collective dans le bon sens pour notre planète.

 

Vous dites que les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ?

La reprise en main des grandes entreprises par les actionnaires, depuis les années 1970, a incité leurs dirigeants à privilégier des stratégies rentables à court terme, fût-ce au détriment du bien commun et de l’environnement. La multiplication des mécanismes de contrôle des dirigeants ainsi que des cadres, des règles et des process écarte les collaborateurs du cœur de métier de l’entreprise. L’œuvre collective y perd son sens. Les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement, précisément parce qu’ils imposent un temps long.

 

On peut lire un joli passage sur les « bullshit jobs » : en quoi les responsables RSE et autres responsables Employee Experience peuvent-ils être préservés de cette critique ?

La crise liée au Covid a mis en lumière les métiers vraiment indispensables à la société, provoquant une quête de sens chez de nombreux salariés des grandes entreprises dont le métier et le rôle ne semblent pas toujours aussi essentiels pour nos vies. La question que cela pose : cette course au sens ne nous a-t-elle pas fait perdre la notion même de ce qu’est le sens au travail ? Participer à une œuvre collective plus grande que soi dans une entreprise, même si cette œuvre ne répond pas à une urgence vitale, devrait contribuer pleinement à donner du sens au travail.

 

Développement durable et responsabilité sociale et environnementale sont incontournables dans la communication et le fonctionnement d’une entreprise. Le message de l’urgence climatique n’est-il pas brouillé dans les autres sujets RSE : inclusion, égalité, solidarité, culture… ?

Non, on le voit bien avec les critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], qui prennent en compte par exemple le niveau de réduction des émissions de CO2 mais aussi le turnover ou le nombre de procès aux prud’hommes… Non seulement ces sujets sont liés, mais il faut maintenant unifier ces critères à l’échelle européenne et créer un impact score ESG des entreprises qui prendrait en compte le coût des externalités négatives sociales ou environnementales.

 

Vous écrivez une belle phrase : « La planète est un bien commun, l’entreprise aussi. » Comment associer les deux dans une mission vertueuse ? Selon vous, « l’idée de faire œuvre utile, de participer à quelque chose de plus grand que soi participe pleinement du sens au travail » ?

Les collectifs d’entreprise sont une belle illustration de mission vertueuse au service du bien commun : Ecowatt, en 2022, ou Le collectif pour une économie plus inclusive, depuis 2018, qui a permis d’améliorer rapidement les achats inclusifs, la production durable, l’insertion… L’entreprise est un espace qui a le pouvoir d’influer sur le cours des choses, sur les enjeux sociétaux et environnementaux. Pour cela il faut inscrire la compétitivité de l’entreprise dans le temps long. L’impératif de croissance perpétuelle ne répond plus aux enjeux qui sont devant nous. Au coût psychologique lié à la sobriété, il faut opposer les coûts engendrés par la dégradation de l’environnement : pollution, incendies, cancers… Le réengagement au travail passe aussi par la reconnaissance des efforts, le fait que chacun ait voix au chapitre, que la valeur soit partagée…

 

Les exigences de productivité, les process, la digitalisation et, maintenant, l’IA : tout cela ébranle le « concret » attendu par les salariés. Comment redonner du sens, voire ramener du calme dans tout cela ?

Si Milton Friedman était convaincu que le rôle de l’entreprise était de faire le plus d’argent possible pour ses actionnaires, on a compris depuis la crise de 2008 que la théorie a atteint ses limites. Un rééquilibrage est nécessaire, comme l’ont signifié Muhammad Yunus (Building Social Business) ou Jean Tirole (Économie du bien commun) il y a déjà plusieurs années. Mais si la volonté de manager par les valeurs est désormais affichée, on observe en effet un renforcement des contrôles et la multiplication des reportings. Plus les crises s’accumulent, plus on entretient l’illusion de maîtriser les risques. Ce triomphe de la « gouvernance par les nombres » se fait au détriment d’une dimension incalculable mais essentielle du travail : la créativité. Permettre à chaque salarié de comprendre comment il peut à sa manière augmenter son impact dans l’entreprise est une voie intéressante pour lui donner envie de participer efficacement au succès collectif. Reconnaître les singularités de chacun en est une autre. Encourager solidarité et partage entre les générations est aussi important dans cet univers de l’entreprise qui est un des rares lieux où coexistent quatre générations.

 

Un passage intéressant aussi concerne la langue managériale. « Elle a perdu pouvoir et crédibilité », selon vous. Que s’est -il passé ? La communication managériale sur l’entreprise respectueuse de l’environnement n’est pas tout le temps sincère… Comment faire la différence ?

On n’a jamais autant parlé de « raison d’être », mais si l’entreprise tient un discours qui ne s’incarne pas dans ses modes de management et de partage de la valeur, le fossé se creusera davantage entre les promesses et la réalité, jusqu’à laisser s’installer la défiance. Une défiance du type de celle que l’on observe vis-à-vis du monde politique. Les difficultés de recrutement, les formes de désengagement qui se multiplient nous interrogent et nous obligent. Les dirigeants d’entreprise comme les politiques se disent attentifs à la parité et à la diversité, mais, dans la pratique, la standardisation prime, les organisations sont de plus en plus normatives, et l’expression de toute créativité est de plus en plus limitée. Les paroles doivent être lisses, les doutes dissimulés, et les critiques avalées. Ma conviction, c’est que pour susciter de l’engagement l’entreprise doit redevenir un espace où la liberté et la confiance sont possibles. Cela passe aussi par un discours de vérité et de transparence.

 

La question de l’utilité du travail est au centre de la grande impatience que vous diagnostiquez. La RSE est-elle l’une des solutions ?

Avec le télétravail, la demande croissante de liberté et d’autonomie a conduit en 2021 à la création de 1 million d’entreprises, essentiellement des micro-entreprises, souvent des petits boulots qui traduisent une nouvelle forme de précarisation du travail, sans apporter de sécurité, et en favorisant le repli sur soi. Le télétravail a fait disparaître la dimension collective de la sphère professionnelle, les temps informels, l’entraide, la solidarité… Il a aussi généré un monde du travail à deux vitesses qui augmente les inégalités. La RSE est l’une des « solutions » parce qu’elle incarne un engagement collectif, mais on voit bien que la question de l’utilité passe par la compréhension de son impact individuel. Comprendre la finalité de ce que l’on fait, dans une perspective de temps long, avec la conviction de contribuer utilement à l’effort collectif, c’est essentiel.

 

Quel est le bon signal pour une entreprise : à quelle place la préoccupation climatique et la décarbonation doivent-elles être mises  ? Au niveau de la direction, du comité exécutif, des RH, des finances ?

Elle doit être à tous les niveaux dans l’organisation, mais les convictions du CEO et son engagement font la différence.

 

Comment faire pour que les collaborateurs refassent leurs la mission et la culture de leur entreprise ? D’ailleurs, l’attachement à l’entreprise n’est-elle pas une valeur dépassée ?

Je pense que pour que la société soit vivable la relation aux autres doit être au minimum satisfaisante, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Or depuis la pandémie, les priorités ont changé. Le point extrêmement positif, c’est que plus personne n’a envie de tout sacrifier, soit à son travail, soit à sa vie personnelle. L’équilibre entre les deux est devenu essentiel. Nous sommes dans cette période charnière qui voit la confiance devenir le point de bascule. La confiance dans sa valeur propre, dans son avenir, dans la reconnaissance que les autres peuvent vous témoigner. Je pense que la confiance passe par la proximité, l’entraide, l’écoute. Dans le monde du travail, elle passe aussi par la manière dont on comprend son rôle dans une organisation, et par la valorisation de ce rôle. C’est cela qui est au cœur de la question du sens au travail : la reconnaissance.

 

Les consommateurs, les salariés, les parties prenantes « poussent » pour que leur entreprise soit « responsable », défende des valeurs, se transforme en profondeur… Les « raisons d’être » et les statuts de « société à mission » sont-ils des bons indicateurs ? Sont-ils utiles, suffisants ou déjà dépassés ?

Pour l’entreprise, s’inscrire dans une action responsable est un enjeu d’attractivité, de crédibilité et même de survie. Pour le public, toutefois, l’engagement des entreprises reste largement insuffisant, encore souvent considéré comme l’instrument d’une posture au service de l’image employeur. En cause : la confusion entre « responsabilité sociale » et « réceptivité sociale », qui fait énoncer des raisons d’être en écho à des idéaux et qui se révèlent éloignées de l’objet de l’entreprise. Or la définition de la raison d’être constitue une opportunité unique de réinscrire le métier de l’entreprise dans son utilité pour la société. La valeur de l’œuvre collective s’en trouve alors éclairée sous un nouveau jour.

 

On parle beaucoup d’entreprise « résiliente », « régénérative » : qu’est-ce que cela vous évoque ?

L’idée que l’entreprise incarne un projet collectif et en porte la responsabilité, en participant au bien commun.

L’idée aussi que le local rassure : l’échelon local donne le sentiment que ses intérêts propres seront mieux pris en compte. C’est une échelle à laquelle il est plus facile d’avoir un impact mesurable.

 

L’entreprise est donc bien moteur d’un changement. Et les politiques, alors ?

Les jeunes, spécifiquement, veulent donner leur temps à des entreprises qui ont un impact positif sur l’environnement et la société  : ils se rendent compte que leurs entreprises tentent de faire moins mal, mais que ce n’est pas suffisant. D’où l’impatience. C’est à la fois un désenchantement mais aussi le sentiment d’être impuissant à pouvoir réellement faire évoluer le modèle économique. Le bruit ambiant dans lequel on évolue, celui des opinions et du déclinisme, prend le dessus sur le vivre-ensemble. Or le vivre-ensemble suppose d’arrêter d’attendre quelque chose des institutions, de ne pas se contenter d’un civisme ordinaire. La politique des petits pas est préférable à l’indifférence, dans l’entreprise comme à l’échelle de la société.

People at Work vous en dit plus sur l’affichage environnemental

Quelles seront exactement les obligations des entreprises en termes d’affichage ? Selon quel calendrier ?

 

Il est utile de préciser tout d’abord la distinction entre affichage environnemental, qui fait référence à des informations quantifiées et factuelles, souvent normées et publiées de manière obligatoire, et allégation environnementale, souvent qualitative et qui s’inscrit dans une démarche volontaire de l’entreprise afin de valoriser un produit considéré plus performant que la moyenne d’un point de vue environnemental.

En France, quelques informations relèvent déjà de l’affichage environnemental obligatoire sur certains produits, comme l’étiquette énergie ou l’indice de réparabilité. La loi Climat et résilience prévoit par ailleurs un dispositif d’affichage environnemental sur les produits textiles et alimentaires, pour l’instant expérimental, mais destiné à être rendu obligatoire. Il pourrait s’agir d’un affichage présent sur le produit ou dématérialisé informant le consommateur des impacts du produit, calculé sur l’ensemble de son cycle de vie. Prévue pour 2022, cette régulation a été repoussée et le calendrier n’est pas encore fixé. Les expérimentations touchent cependant à leur fin, ce qui laisse présager des publications proches.

Plusieurs projets de directives européennes sont également en train de voir le jour, principalement pour réguler les allégations environnementales. La dernière en date est la directive « Empowering consumers » [1], adoptée en mai, et qui interdit toute allégation environnementale insuffisamment fondée factuellement et scientifiquement. Son entrée en vigueur est immédiate, avec deux ans prévus pour la transposition par les Etats membres. Elle sera complétée par la directive « Green Claims »[2] qui devrait quant à elle être effective en 2027, et renforcera les exigences méthodologiques de l’affichage environnemental.

 

 

Quelles catégories de produits seront concernées par ces réglementations ?

 

En France, les catégories concernées pour l’instant sont principalement les secteurs agro-alimentaire et textile, ainsi que certains produits électriques et électroniques dans le cadre de l’indice de réparabilité. La liste des catégories concernées est amenée à évoluer pour inclure davantage de produits au fil des ajustements méthodologiques.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) prévoit également que les produits soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) comprennent des informations sur des caractéristiques environnementales précises, comme le pourcentage de contenu en recyclé ou la recyclabilité du produit. C’est le cas des emballages ménagers par exemple, mais aussi de certains produits d’ameublement, d’emballages, de jouets…

 

 

Quelle sera la méthodologie de calcul de l’impact d’un produit ?

 

Les méthodologies sont encore en cours de définition.

En France, l’ADEME a lancé pour expérimentation l’outil Ecobalyse[3], qui permet pour les secteurs textile et agro-alimentaire de calculer l’empreinte environnementale d’un produit. Une méthode de calcul définitive devrait ainsi voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

 

Au niveau européen, le projet de directive « Green claims » vise à formaliser la méthodologie de certification des allégations environnementales. Elle inclut des critères comme la prise en compte de l’intégralité du périmètre du cycle de vie du produit et de ses impacts environnementaux, ou le recours à des standards scientifiques reconnus. Elle prévoit l’interdiction de communiquer sur la neutralité carbone d’un produit ou d’une activité si celle-ci est fondée exclusivement sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre mais en compense une partie en plantant des arbres ne pourra pas « déduire » de son bilan carbone ces émissions, ni prétendre que son produit est « neutre en carbone » alors qu’il a bien émis du gaz à effet de serre lors de sa production.

Les sources de données à utiliser sont également précisées par le régulateur, qui indique de privilégier autant que possible les données « primaires », c’est-à-dire issues directement de l’entreprise ou les données des fournisseurs, et seulement si nécessaire des informations plus génériques telles que des données sectorielles ou des bases de données tierces.

 

 

Est-ce que cela va vraiment aider le consommateur à se repérer ?

 

L’objectif des évolutions réglementaires sur l’affichage environnemental et l’encadrement des allégations est bien de permettre aux consommateurs de faire des choix de consommation éclairés, tout en mettant fin aux pratiques commerciales trompeuses ! En supprimant les allégations trop génériques ou peu fiables (« vert », « responsable ») au profit d’un affichage environnemental factuel, il sera aussi plus facile d’identifier les produits effectivement plus performants.

Pour le régulateur français, il s’agit d’orienter les consommateurs vers les produits les plus performants au sein d’une même catégorie (par exemple, quel est le meilleur gel douche d’un point de vue environnemental ?), mais aussi – et surtout – d’orienter les choix de consommation vers les catégories à moindre impact sur la base de caractéristiques comparables (en comparant un savon liquide et un savon solide par exemple ou diverses sources de protéines entre elles). Dans les deux cas, cela implique d’avoir pour chaque produit des données suffisamment précises pour permettre la différentiation.

Pour informer correctement le consommateur, il faudra mettre à disposition plusieurs niveaux de résultats : un affichage simple sur le produit, l’emballage ou la page web, qui permet de guider le geste d’achat instantanément, par exemple via une notation A,B,C,D ou une note sur 100 ; des résultats plus détaillés accessibles de manière déportée (en ligne) pour les consommateurs qui voudraient plus de précisions.

 

Quels sont les risques de Greenwashing qui subsistent malgré ces nouvelles réglementations ?

 

Le but de la réglementation est justement de lutter contre le greenwashing et les allégations pouvant induire le consommateur en erreur. Définir une méthodologie de construction des allégations précise et claire permet en effet de réduire ces risques en garantissant la fiabilité des informations ainsi que la comparabilité entre produits différents. Le recours à des vérificateurs indépendants sur un large panel de produits peut représenter pour l’entreprise un coût important qui ne peut toujours être intégralement reporté sur les consommateurs. Une solution alternative consiste à encourager la vérification par les pairs, par exemple via des consortiums sectoriels, et de stimuler le rôle de vigies réalisé par des ONG ou association de consommateurs.

 

Comment transformer ces contraintes réglementaires en axe de différentiation par rapport aux concurrents ?

 

L’encadrement des allégations environnementales peut être un levier de différentiation pour les entreprises à plusieurs points de vue : tout d’abord en prenant les devants : anticiper ces réglementations pour faire partie des précurseurs de la communication environnementale est déjà un facteur différentiant en soi. Par ailleurs, les produits les plus performants d’un point de vue environnemental seront naturellement mis en valeur par l’affichage, leur conférant un avantage auprès des consommateurs. Alors que 76% des consommateurs se déclarent en faveur d’une consommation responsable[4], un affichage environnemental mettant en avant la performance d’un produit permettra de mieux s’aligner à ces exigences croissantes.

De plus la mise en place dans l’entreprise d’une mesure d’impact des produits est à l’origine d’un cercle vertueux en termes de réduction des impacts et d’innovation. En effet, l’affichage environnemental requiert une connaissance plus fine du cycle de vie de ses produits, ce qui conduit à mieux comprendre où sont les principaux impacts et à innover pour les réduire. Ce cercle vertueux a pu être observé dès 2011, lors du bilan sur l’affichage environnemental réalisé par EY pour le ministère de l’Environnement sur un panel de plus de 150 entreprises[5]. 70% des entreprises ayant participé avaient ainsi déclaré mieux connaître les points faibles et forts de leur produits suite à l’expérimentation.

 

Communiquer sur la durabilité de ses produits est un moyen de renforcer sa marque en intégrant la durabilité dans son positionnement global. Des messages crédibilisés par des données robustes issues de l’affichage environnemental sont à même de renforcer la confiance des consommateurs envers la marque.

 

 

Plus largement, quel sera le rôle de l’Etat et des institutions pour donner confiance aux consommateurs ?

 

L’Etat détient un rôle structurant indispensable ; fournir un cadre méthodologique et légal précis garantissant une information claire, utile, comparable et une concurrence loyale. C’est également à lui que revient la responsabilité de pousser les entreprises à fournir cette information, d’informer le consommateur de ce dispositif exigeant et de créer la confiance d’ensemble en mettant en place les garde-fous pour écarter tout greenwashing. Enfin, en cas de non-respect de la réglementation, il reviendra enfin à l’Etat de s’assurer que des sanctions dissuasives soient appliquées !

 

 

Qu’en est-il de la mise en place d’un affichage environnemental au niveau européen ?

 

Un écolabel européen officiel existe déjà depuis plus de 30 ans pour une trentaine de catégories de produits seulement, ce qui le rend anecdotique. Sa certification, basée sur une analyse de cycle de vie, est volontaire. Un projet de passeport produit (Digital Product Passeport) est en cours d’élaboration, qui devrait permettre un accès facilité via un QR code à des données telles que la composition, l’origine et la réparabilité d’un produit. Ce passeport numérique pourrait entrer en vigueur dès 2026 pour les premières industries concernées (textile, piles, électroménager).

Des expérimentations sont également en cours depuis une dizaine d’année afin d’établir une méthodologie commune pour l’affichage environnemental : le PEF, pour Product Environmental Footprint. Basé sur une analyse de cycle de vie et 16 impacts environnementaux, le PEF n’a finalement pas été retenu comme méthode privilégiée dans le cadre de la proposition de directive Green Claims (sortie en mars 2023), qui laisse plutôt la main aux Etats pour définir leurs propres méthodologies, mais il n’en reste pas moins un cadre de référence dont les entreprises peuvent et doivent s’inspirer en raison de son approche par le cycle de vie très intéressante.

[1] Directive 2022/0092

[2] Directive 2023/0085

[3] Ecobalyse – Ecobalyse (gitbook.io)

[4] ADEME, « Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? », baromètre Greenflex-ADEME, 2023, accessible en ligne : Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? – ADEME Infos

[5] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, de l’Energie, Affichage environnemental des produits de grande consommation, 2013, accessible en ligne : 134000775.pdf (vie-publique.fr)