L’ère du « bottom up » : le cas Michelin

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Oui, les collectifs de salariés peuvent transformer l’entreprise et accélérer sa transition environnementale. La preuve avec One Planet, de Michelin. Interview croisée d’Hacer Us, Benoît Chéhère, Soéli Mennuni, trois employés Michelin, membres de ce collectif.

Par Anne-Cécile Huprelle

 Comment le collectif One Planet est-il né ? 

Hacer Us : One Planet est né de la fusion de plusieurs collectifs qui ont émergé dans différents départements du groupe (R&D, Services et solutions, programme interne Graduate…). Au cours des deux dernières années, un peu partout dans l’entreprise, des employés ont ressenti le besoin de s’emparer plus précisément des enjeux écologiques. La stratégie People, Profit, Planet – que vous connaissez bien – avait été partagée en 2018, des objectifs du groupe mis en place, l’analyse du cycle de vie du pneu lancée. Mais le temps de diffusion en interne était long, trop long, ce qui a fait naître notre besoin de passer à l’action. En effet, nous ressentions l’urgence d’agir. Et, de discussion en discussion, les premières personnes ont su créer des espaces de réflexion. Nous sommes aujourd’hui plus de 800 personnes sérieusement attachées à faire prendre en compte l’aspect « planète » à la hauteur des enjeux environnementaux qui sont notre vocation première. En mars, nous avons obtenu la reconnaissance officielle du groupe avec un sponsor – le responsable corporate du développement durable et de l’impact (RSE) – qui se dit aujourd’hui très fier de nous accompagner. Et le président du groupe qualifie notre démarche d’innovation sociale ! Nous avons acquis la reconnaissance et la légitimité d’agir. 

Quels sont les avantages et les objectifs d’une telle démarche à l’intérieur même d’une organisation ? 

Benoît Chéhère : Avec ce collectif, l’entreprise dispose également d’un interlocuteur qui peut faire remonter les préoccupations des salariés. L’avantage pour ceux qui s’investissent dans ce collectif est de trouver des collègues qui partagent les mêmes préoccupations pour agir. L’objectif de One Planet est d’accélérer, chez Michelin, la prise en compte de l’aspect « planète » à la hauteur des enjeux environnementaux. 

Le changement de l’intérieur apporte-t-il davantage d’efficience ? 

Soéli Mennuni : Avec ses centaines de membres, notre collectif regroupe des personnes qui occupent différents postes, à différents niveaux hiérarchiques, qui ont différents parcours. Cela nous permet d’avoir une bonne vision de ce qui se passe à l’intérieur du groupe afin de proposer les explorations les plus adéquates, pertinentes et efficaces, avec le meilleur impact positif possible. L’efficience réside dans la mise en réseau, le partage des connaissances et la coopération que nous voyons naître au sein du collectif. 

 Quels sont vos champs d’action ? 

Hacer Us : Nous contribuons aux déploiements de nombreux outils de sensibilisation tels que la Fresque du Climat, la Fresque du Numérique, l’Atelier 2tonnes, la Fresque du Facteur Humain – notamment en usine, où il est plus difficile de sensibiliser nos collègues qui sont sur les machines – ou le dispositif The Week, de Frédéric Laloux. Nous avons même organisé une Deep Time Walk avec les 100 dirigeants du groupe ! Nous organisons aussi des conférences et sommes très heureux d’avoir pu offrir à tous nos collègues un échange avec Marc-André Selosse, le Shift Projet ou Diego Landivar. Dans nos activités quotidiennes, une exploration a été lancée sur les déplacements professionnels, les marques d’attention plus responsables ou les goodies – qui ont été remplacés par des produits locaux, comme des pots de miel. Agir en collectif donne une tout autre force aux actions. Et nous avons la chance d’avoir des échanges directs avec nos dirigeants. Nous avons lancé les « Questions (im)pertinentes », un fichier où chaque membre peut proposer une question « qui pique » aux dirigeants. On se sent moins seul et on ose plus facilement s’exprimer quand on sait qu’on a potentiellement 800 personnes prêtes à liker ou à rebondir. Nous avons la chance d’être dans un groupe qui laisse la place aux initiatives. 

En quoi la sensibilité et l’action climatique d’une entreprise aussi emblématique sont-elles un levier de performance ? 

Soéli Mennuni : Notre objectif est de garantir la prise en compte de l’impact que notre entreprise peut avoir sur l’habitabilité de la Terre et d’accélérer la mise en place d’actions à tout niveau. Cela dit, nous voyons que l’émergence de ce collectif permet de renforcer la cohésion, le sentiment d’appartenance, l’engagement et la motivation des personnes qui trouvent un sens fort à agir au sein de Michelin. 

Selon vous, comment améliorer l’impact de la stratégie RSE du groupe ? 

Benoît Chéhère : La RSE a un vrai pouvoir pour faire bouger l’entreprise, à condition de ne pas uniquement rechercher la conformité à la réglementation. La RSE a aussi la possibilité de réinterroger les business models, à condition que l’entreprise lui en laisse la place. Ce qui est le cas chez Michelin Et c’est là qu’un collectif de salariés peut avoir de l’influence pour que la RSE soit considérée à sa juste valeur dans l’entreprise. Il ne faut pas oublier que la voix des salariés c’est aussi la voix des futures recrues, des talents que l’entreprise cherche à embaucher, et cette voix compte beaucoup auprès de la direction. Tant que la RSE se contente de viser la compliance, on n’atteindra jamais les objectifs. Si la RSE ose attaquer la question du business model, on a une chance d’avancer…