People at Work vous en dit plus sur l’affichage environnemental

Quelles seront exactement les obligations des entreprises en termes d’affichage ? Selon quel calendrier ?

 

Il est utile de préciser tout d’abord la distinction entre affichage environnemental, qui fait référence à des informations quantifiées et factuelles, souvent normées et publiées de manière obligatoire, et allégation environnementale, souvent qualitative et qui s’inscrit dans une démarche volontaire de l’entreprise afin de valoriser un produit considéré plus performant que la moyenne d’un point de vue environnemental.

En France, quelques informations relèvent déjà de l’affichage environnemental obligatoire sur certains produits, comme l’étiquette énergie ou l’indice de réparabilité. La loi Climat et résilience prévoit par ailleurs un dispositif d’affichage environnemental sur les produits textiles et alimentaires, pour l’instant expérimental, mais destiné à être rendu obligatoire. Il pourrait s’agir d’un affichage présent sur le produit ou dématérialisé informant le consommateur des impacts du produit, calculé sur l’ensemble de son cycle de vie. Prévue pour 2022, cette régulation a été repoussée et le calendrier n’est pas encore fixé. Les expérimentations touchent cependant à leur fin, ce qui laisse présager des publications proches.

Plusieurs projets de directives européennes sont également en train de voir le jour, principalement pour réguler les allégations environnementales. La dernière en date est la directive « Empowering consumers » [1], adoptée en mai, et qui interdit toute allégation environnementale insuffisamment fondée factuellement et scientifiquement. Son entrée en vigueur est immédiate, avec deux ans prévus pour la transposition par les Etats membres. Elle sera complétée par la directive « Green Claims »[2] qui devrait quant à elle être effective en 2027, et renforcera les exigences méthodologiques de l’affichage environnemental.

 

 

Quelles catégories de produits seront concernées par ces réglementations ?

 

En France, les catégories concernées pour l’instant sont principalement les secteurs agro-alimentaire et textile, ainsi que certains produits électriques et électroniques dans le cadre de l’indice de réparabilité. La liste des catégories concernées est amenée à évoluer pour inclure davantage de produits au fil des ajustements méthodologiques.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) prévoit également que les produits soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) comprennent des informations sur des caractéristiques environnementales précises, comme le pourcentage de contenu en recyclé ou la recyclabilité du produit. C’est le cas des emballages ménagers par exemple, mais aussi de certains produits d’ameublement, d’emballages, de jouets…

 

 

Quelle sera la méthodologie de calcul de l’impact d’un produit ?

 

Les méthodologies sont encore en cours de définition.

En France, l’ADEME a lancé pour expérimentation l’outil Ecobalyse[3], qui permet pour les secteurs textile et agro-alimentaire de calculer l’empreinte environnementale d’un produit. Une méthode de calcul définitive devrait ainsi voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

 

Au niveau européen, le projet de directive « Green claims » vise à formaliser la méthodologie de certification des allégations environnementales. Elle inclut des critères comme la prise en compte de l’intégralité du périmètre du cycle de vie du produit et de ses impacts environnementaux, ou le recours à des standards scientifiques reconnus. Elle prévoit l’interdiction de communiquer sur la neutralité carbone d’un produit ou d’une activité si celle-ci est fondée exclusivement sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre mais en compense une partie en plantant des arbres ne pourra pas « déduire » de son bilan carbone ces émissions, ni prétendre que son produit est « neutre en carbone » alors qu’il a bien émis du gaz à effet de serre lors de sa production.

Les sources de données à utiliser sont également précisées par le régulateur, qui indique de privilégier autant que possible les données « primaires », c’est-à-dire issues directement de l’entreprise ou les données des fournisseurs, et seulement si nécessaire des informations plus génériques telles que des données sectorielles ou des bases de données tierces.

 

 

Est-ce que cela va vraiment aider le consommateur à se repérer ?

 

L’objectif des évolutions réglementaires sur l’affichage environnemental et l’encadrement des allégations est bien de permettre aux consommateurs de faire des choix de consommation éclairés, tout en mettant fin aux pratiques commerciales trompeuses ! En supprimant les allégations trop génériques ou peu fiables (« vert », « responsable ») au profit d’un affichage environnemental factuel, il sera aussi plus facile d’identifier les produits effectivement plus performants.

Pour le régulateur français, il s’agit d’orienter les consommateurs vers les produits les plus performants au sein d’une même catégorie (par exemple, quel est le meilleur gel douche d’un point de vue environnemental ?), mais aussi – et surtout – d’orienter les choix de consommation vers les catégories à moindre impact sur la base de caractéristiques comparables (en comparant un savon liquide et un savon solide par exemple ou diverses sources de protéines entre elles). Dans les deux cas, cela implique d’avoir pour chaque produit des données suffisamment précises pour permettre la différentiation.

Pour informer correctement le consommateur, il faudra mettre à disposition plusieurs niveaux de résultats : un affichage simple sur le produit, l’emballage ou la page web, qui permet de guider le geste d’achat instantanément, par exemple via une notation A,B,C,D ou une note sur 100 ; des résultats plus détaillés accessibles de manière déportée (en ligne) pour les consommateurs qui voudraient plus de précisions.

 

Quels sont les risques de Greenwashing qui subsistent malgré ces nouvelles réglementations ?

 

Le but de la réglementation est justement de lutter contre le greenwashing et les allégations pouvant induire le consommateur en erreur. Définir une méthodologie de construction des allégations précise et claire permet en effet de réduire ces risques en garantissant la fiabilité des informations ainsi que la comparabilité entre produits différents. Le recours à des vérificateurs indépendants sur un large panel de produits peut représenter pour l’entreprise un coût important qui ne peut toujours être intégralement reporté sur les consommateurs. Une solution alternative consiste à encourager la vérification par les pairs, par exemple via des consortiums sectoriels, et de stimuler le rôle de vigies réalisé par des ONG ou association de consommateurs.

 

Comment transformer ces contraintes réglementaires en axe de différentiation par rapport aux concurrents ?

 

L’encadrement des allégations environnementales peut être un levier de différentiation pour les entreprises à plusieurs points de vue : tout d’abord en prenant les devants : anticiper ces réglementations pour faire partie des précurseurs de la communication environnementale est déjà un facteur différentiant en soi. Par ailleurs, les produits les plus performants d’un point de vue environnemental seront naturellement mis en valeur par l’affichage, leur conférant un avantage auprès des consommateurs. Alors que 76% des consommateurs se déclarent en faveur d’une consommation responsable[4], un affichage environnemental mettant en avant la performance d’un produit permettra de mieux s’aligner à ces exigences croissantes.

De plus la mise en place dans l’entreprise d’une mesure d’impact des produits est à l’origine d’un cercle vertueux en termes de réduction des impacts et d’innovation. En effet, l’affichage environnemental requiert une connaissance plus fine du cycle de vie de ses produits, ce qui conduit à mieux comprendre où sont les principaux impacts et à innover pour les réduire. Ce cercle vertueux a pu être observé dès 2011, lors du bilan sur l’affichage environnemental réalisé par EY pour le ministère de l’Environnement sur un panel de plus de 150 entreprises[5]. 70% des entreprises ayant participé avaient ainsi déclaré mieux connaître les points faibles et forts de leur produits suite à l’expérimentation.

 

Communiquer sur la durabilité de ses produits est un moyen de renforcer sa marque en intégrant la durabilité dans son positionnement global. Des messages crédibilisés par des données robustes issues de l’affichage environnemental sont à même de renforcer la confiance des consommateurs envers la marque.

 

 

Plus largement, quel sera le rôle de l’Etat et des institutions pour donner confiance aux consommateurs ?

 

L’Etat détient un rôle structurant indispensable ; fournir un cadre méthodologique et légal précis garantissant une information claire, utile, comparable et une concurrence loyale. C’est également à lui que revient la responsabilité de pousser les entreprises à fournir cette information, d’informer le consommateur de ce dispositif exigeant et de créer la confiance d’ensemble en mettant en place les garde-fous pour écarter tout greenwashing. Enfin, en cas de non-respect de la réglementation, il reviendra enfin à l’Etat de s’assurer que des sanctions dissuasives soient appliquées !

 

 

Qu’en est-il de la mise en place d’un affichage environnemental au niveau européen ?

 

Un écolabel européen officiel existe déjà depuis plus de 30 ans pour une trentaine de catégories de produits seulement, ce qui le rend anecdotique. Sa certification, basée sur une analyse de cycle de vie, est volontaire. Un projet de passeport produit (Digital Product Passeport) est en cours d’élaboration, qui devrait permettre un accès facilité via un QR code à des données telles que la composition, l’origine et la réparabilité d’un produit. Ce passeport numérique pourrait entrer en vigueur dès 2026 pour les premières industries concernées (textile, piles, électroménager).

Des expérimentations sont également en cours depuis une dizaine d’année afin d’établir une méthodologie commune pour l’affichage environnemental : le PEF, pour Product Environmental Footprint. Basé sur une analyse de cycle de vie et 16 impacts environnementaux, le PEF n’a finalement pas été retenu comme méthode privilégiée dans le cadre de la proposition de directive Green Claims (sortie en mars 2023), qui laisse plutôt la main aux Etats pour définir leurs propres méthodologies, mais il n’en reste pas moins un cadre de référence dont les entreprises peuvent et doivent s’inspirer en raison de son approche par le cycle de vie très intéressante.

[1] Directive 2022/0092

[2] Directive 2023/0085

[3] Ecobalyse – Ecobalyse (gitbook.io)

[4] ADEME, « Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? », baromètre Greenflex-ADEME, 2023, accessible en ligne : Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? – ADEME Infos

[5] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, de l’Energie, Affichage environnemental des produits de grande consommation, 2013, accessible en ligne : 134000775.pdf (vie-publique.fr)

Parcours Wataru : Un séminaire “anti burn out” pour sortir de l’épuisement professionnel et se remettre en mouvement

Face à un contexte anxiogène, de plus en plus de dirigeants et de managers ressentent une pression interne qui les met en tension, voire en difficulté au sein de leur entreprise. Résultat : ils se sentent fatigués, ont du mal à récupérer malgré les congés, ne ressentent ni énergie ni envie … D’ailleurs, le taux de burn out a doublé en un an à peine, et les managers sont 1,5 fois plus touchés. Bénédicte COSTEDOAT-LAMARQUE, co-fondatrice de Wataru, dirigeante de Be Change Live et auteure du livre “Le burn out, une opportunité de transformation intérieure” (éditions L’Harmattan, 2019), souligne : « La crise sanitaire, son contexte mondial insolite et leurs conséquences (télétravail, contraintes de fermeture, incertitude…) exacerbent les tensions dans l’activité des entreprises, ainsi que les tensions interpersonnelles et intrapersonnelles. Certaines autorités médicales alertent sur le fait que le nombre de burn out et de personnes à risque est en hausse ».

Il y a donc urgence à accompagner tous celles et ceux qui se trouvent en situation d’épuisement professionnel. Pour éviter une vague de burn out et permettre à chacun.e de se remettre en mouvement professionnellement, un séminaire inédit de 3,5 jours est proposé aux dirigeants, managers et leaders. Avec un objectif : leur permettre de faire un pas de côté pour y voir plus clair sur eux, leur entreprise, leurs perspectives, voire leur projet de vie professionnel.

Dans le magnifique cadre du Domaine du Taillé, un ancien monastère zen au coeur de l’Ardèche, deux sessions vont être organisées du 21 au 24 septembre et du 18 au 21 octobre 2021.

Le parcours Wataru est un formidable tremplin pour réussir à prendre du recul sur soi, ses enjeux, son écosystème et sa réalité professionnelle.

Entre pairs, dans une ambiance bienveillante, chacun vient se ressourcer et se connecter à l’essentiel, pour soi et son entreprise. A l’issue du séminaire, il est ainsi possible de repartir avec de l’énergie et des idées pour avancer.

L’approche du séminaire est constructive, pragmatique et positive. En pratique, elle se déroule selon trois étapes :

Etape 1 : Entretien pré-séminaire (45mn). Il permet de se connaître et clarifier son intention.

Etape 2 : Le séminaire en présentiel (3,5 jours). Il vise à comprendre les mécanismes intérieurs amenant à l’épuisement (physiologiques, physiques, mentaux, psychiques).  Apprendre à mieux se connaître va ainsi permettre d’identifier ses modes de fonctionnements répétitifs, ses besoins psychologiques et facteurs de stress, ses croyances et conditionnements.

A ce stade, Bénédicte propose aussi des outils simples pour sortir de ces schémas et se reconnecter à ce qui nous anime profondément. C’est aussi l’opportunité de comprendre la raison de cet épuisement à ce moment-là de sa vie.

Etape 3 : Séance de Coaching Individuel (1h, 1 mois après le séminaire). Cette séance de suivi aide à pérenniser et ancrer la mise en mouvement.

Parce qu’elle a elle-même vécu et transformé cette expérience du burn out, après un passé à responsabilités managériales en entreprise de 22 ans, Bénédicte Costedoat-Lamarque a développé une méthodologie unique, basée sur une compréhension réelle des situations et problématiques, quelles que soit la forme qu’elles prennent.

Coach professionnelle certifiée, elle a d’ailleurs les compétences pour accompagner le burn out à 360° (du pré-burn out jusqu’au post-burn out), ainsi que les transformations profondes d’entreprise.

Durant le parcours Wataru, elle mêle :

  • une Approche combinée cognitive / émotionnelle / corporelle : nombreux apports théoriques, gestion du stress, cohérence cardiaque, marche…
  • une Méthode innovante et systémique du MIT (Massachussetts Institute of Technologies), la Théorie U d’Otto Scharmer, basée sur l’émergence, la profondeur et la qualité de présence, permettant de potentialiser le travail sur soi par les apports et résonances du collectif.
  • Plus d’une dizaine d’ateliers pour éclairer ce qui se joue sous une variété d’angles différents : l’inventaire de personnalité individuel “Process Communication”, l’approche systémique, l’approche neurocognitive et comportementale, l’approche jungienne, les pratiques de leadership innovantes…

 

Le Domaine du Taillé, est un ancien monastère zen entouré de verdure au cœur de l’Ardèche, propice au ressourcement, à l’inspiration, à l’apaisement et au retour sur soi.

Pour profiter pleinement de chaque session, le nombre de participants est volontairement limité à 10 personnes maximum afin de préserver la qualité de présence et d’échange.

Flexibility made in Britain

Après avoir reçu les recommandations d’un groupe de travail tirant le bilan de la crise sanitaire sur l’organisation du travail, le gouvernement britannique souhaite inciter les entreprises à adopter après la crise des modes de travail hybrides et à favoriser la flexibilité, notamment à travers le télétravail, dont 71 % des entreprises admettent qu’il a dynamisé la productivité.

La principale décision serait de donner le droit à chaque employé, dès son entrée dans une société, de demander à organiser son travail de manière flexible, alors qu’il doit aujourd’hui avoir une ancienneté d’au moins six mois pour y prétendre.

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Jeunes diplômés en quête d’expériences

Comme lors des précédentes crises économiques, les jeunes diplômés sont la première catégorie d’actifs à faire les frais des restrictions de recrutement. Pourtant, selon une étude de JobTeaser, un site d’offres d’emploi spécialisée dans le recrutement des jeunes diplômés, ces derniers continuent d’être optimistes pour leur avenir professionnel. Ils sont 45 % en moyenne à se déclarer confiants, voire très confiants, un chiffre qui monte à 53 % pour les diplômés d’écoles d’ingénieur et qui tombe néanmoins à 38 % pour ceux issus de formations professionnelles. Et parmi leurs principales inquiétudes, les doutes concernant leur orientation prennent la première place, loin devant la difficulté à trouver un emploi ou à en changer.

 

Une « génération Covid » très pragmatique

Face à cette situation, ces 750 000 personnes entrant cette année sur le marché du travail (dont 210 000 avec un Bac + 3 ou plus) refusent de se considérer comme une « génération sacrifiée ». Certes, nombre d’entre elles doivent revoir à la baisse certaines de leurs ambitions de salaire, de contrat ou de poste, mais elles savent faire preuve de pragmatisme, de flexibilité et de résilience en n’hésitant pas à changer de secteur d’activité et de métier pour parvenir à décrocher leur premier emploi. Certains préfèrent poursuivre leurs études le temps que passe la crise, mais ce choix n’est évidemment pas possible pour tous. D’autres encore décident de trouver un travail alimentaire afin d’obtenir une expérience et de pouvoir démontrer leur employabilité.

Mais pour ceux ayant la possibilité de décrocher des entretiens et des propositions d’embauche, les critères de sélection mettent de plus en plus en avant la qualité de vie au travail. Selon une étude de l’agence d’intérim Walters People, si l’attractivité d’un poste reste principalement déterminée par le sens de la mission et la rémunération, la fidélisation des jeunes talents dépend avant tout de l’ambiance de travail. Et en cette période où le télétravail est de mise, les liens entretenus par les équipes et les supérieurs deviennent de plus en plus déterminants, notamment pour les salariés en début de carrière.

 

La qualité de vie au travail, un élément central dans les aspirations des jeunes

Selon l’étude de JobTeaser, les candidats à l’embauche se montrent de plus en plus intéressés par l’environnement de travail, leur poste et les missions de l’entreprise, des points qu’ils n’hésitent pas à questionner pendant les entretiens de recrutement. Ainsi, les conditions de travail prennent depuis l’automne 2020 la première place des préoccupations des jeunes diplômés (65 %), devant l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle (45 %), le salaire (38 %) et l’accompagnement dans l’intégration (31 %). Les jeunes montrent clairement qu’ils attendent de leur entreprise qu’elle contribue à leur bien-être, en mettant les relations humaines au centre de la vie professionnelle. Néanmoins, l’importance prise par ces critères relègue au second plan les formations délivrées dans l’entreprise (17 %), mais aussi certains engagements sociaux, tels que l’égalité hommes-femmes (16 %) ou la politique de diversité (8 %).

En voulant trouver un job qui ait du sens, travailler dans une ambiance conviviale et bienveillante, avec des supérieurs qui sont là pour les aider à mieux s’intégrer et à devenir plus performants, mais surtout en ayant la garantie de pouvoir prendre du plaisir dans leur métier, les néotravailleurs et leurs aspirations devraient accélérer la transition des entreprises vers une meilleure qualité de vie au travail.

 

Une remise en cause des processus de recrutement ?

Selon l’étude de JobTeaser, les jeunes candidats à l’embauche pointent du doigt certaines faiblesses des processus de recrutement. S’ils sont 67 % à se déclarer satisfaits de la qualité des échanges lors des entretiens, ils sont 19 % à affirmer que les descriptions de poste ne sont pas assez claires et 55 % à avancer que le processus est trop long. Dans une période où le droit à l’erreur est encore plus faible, le défi pour les RH d’embaucher la bonne personne et de la faire s’épanouir devient d’autant plus élevé.

Raison d’être, antichambre de l’entreprise à mission

Selon les dernières annonces publiques, 55 % des entreprises du CAC 40 déclarent avoir une raison d’être. C’est le cas, par exemple, du groupe Carrefour[i] et du groupe Atos[ii].

Bien évidemment, les raisons d’être annoncées tiennent leurs promesses uniquement si celles-ci sont suivies d’actions concrètes. La raison d’être d’une entreprise se prouve par la mise en mouvement de ses engagements au quotidien, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. C’est l’objectif des entreprises les plus conscientes et les plus courageuses. Au-delà d’affirmer leur raison d’être, celles-ci ont choisi de devenir des « sociétés à mission » et ainsi d’améliorer notre société et notre environnement en mettant leur modèle économique au service d’un impact positif.

 

Actuellement, une seule entreprise cotée au CAC 40 s’est engagée dans ce sens : le groupe Danone (lire notre interview de Valérie Mazon p. XXX). Et celle-ci fait face à de nombreuses critiques depuis cette annonce. Pourtant, les analystes s’accordent à reconnaître que les entreprises qui ont le mieux résisté à la crise en 2020 sont les entreprises responsables. L’entreprise classique reçoit des pressions de toutes parts (ONG, clients, salariés et même actionnaires) et n’a plus d’autre choix que celui d’évoluer. Les consommateurs ont d’ailleurs bien compris qu’ils avaient souvent plus de pouvoir en « votant » avec leur carte bleue plutôt qu’avec leur bulletin de vote. Et ils savent ce qu’ils veulent : plus de la majorité des Français souhaitent que les entreprises prennent leurs responsabilités[iii] pour vivre dans un monde plus juste.

 

L’entreprise de demain sera responsable ou ne sera pas

Une nouvelle vague s’apprête déjà à déferler : la France compte aujourd’hui à peu près 100 sociétés à mission. Il y en aura 10 000 d’ici à dix ans. Pour obtenir ce statut, elles devront passer par quatre phases : tout d’abord, choisir une raison d’être et l’inscrire dans leurs statuts, définir ensuite une mission incluant des objectifs sociaux et environnementaux, préciser le plan d’action pour réussir cette mission et, enfin, le point décisif, faire appel à un organisme tiers indépendant pour vérifier que les actes sont à la hauteur des mots.

 

Alors une fois le cadre défini par la loi et la théorie maîtrisée, comment passer de la vision aux actes ? Les sociétés indépendantes ou familiales rencontreront sûrement moins de contraintes pour faire évoluer leur organisation. Par exemple, le Groupe Rocher a été l’un des premiers groupes internationaux à adopter le statut de société à mission. Avec pour raison d’être de « reconnecter les femmes et les hommes à la nature », il incarne sa mission en plantant des arbres avec ses parties prenantes. De plus, il n’a pas attendu les mesures coercitives prises par le gouvernement pour agir : arrêt des tests sur animaux dès 1988, soit quinze ans avant la législation française, et abolition des sacs plastiques en 2006, soit dix ans avant que la loi interdisant leur emploi n’entre en vigueur. Lors de son intervention au dernier Sustainable Paris Forum, son PDG, Bris Rocher, a encouragé les dirigeants à aller vers la société à mission et a rappelé, à juste titre, qu’il était nécessaire concrétiser la raison d’être « en passant du story telling au story doing ». Car, c’est bien de cela dont il s’agit : communiquer non pas sur ce qui va être fait, mais, bien sûr, ce qui a été fait concrètement.

 

L’entreprise à mission, un état d’esprit

Alors qu’en France un manager sur trois a déjà fait un burn out, les entreprises à mission proposent à leurs collaborateurs du sens, une « raison d’y être ».

Par exemple, l’entreprise française Veja réinvente la fabrication d’un produit que nous consommons tous : la basket. Chez eux, pas de stratégie RSE, l’écoresponsabilité est directement au cœur de tous les métiers. Cela se traduit par une culture de l’engagement qui alimente les rêves à atteindre ensemble, plutôt que les bilans carbone à réaliser seul dans son coin. Ensemble, les équipes de Veja se lancent régulièrement des challenges à relever pour se stimuler. Le dernier en date : créer la première basket de l’ère post-pétrole !

 

Le Groupe Rocher et Veja sont deux exemples d’entreprises en adéquation avec leur ADN et en résonance avec les attentes de leurs talents : l’authenticité et la responsabilité. Ces entreprises à mission ont compris que le capital humain était la force la plus précieuse à leur disposition pour accomplir leur mission.

 

À l’heure où nos modèles de société nous conduisent inéluctablement dans des impasses économiques, sociales et environnementales, les entreprises ont le devoir de faire converger valeurs, objectifs économiques et bien commun. Reste à déployer ce mouvement de l’impact positif et à définir un standard pour mesurer les retombées des actions promises afin que les entreprises soient à la hauteur des enjeux de notre époque.

[i] Raison d’être de Carrefour : « Notre mission est de proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous. »

[ii] Raison d’être d’Atos : « Avec nos compétences et nos services, nous supportons le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche dans une approche pluriculturelle et contribuons au développement de l’excellence scientifique et technologique. »

[iii] 51 % des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble, devant ses clients (34 %), ses collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %). [Source : Ifop, agence Terre de Sienne, enquête « La valeur d’utilité associée à l’entreprise », 15 septembre 2016.]

Travailler en Ehpad au temps du Covid

Aides-soignants ou auxiliaires de vie, intervenant dans des établissements ou au domicile des personnes dépendantes : chez ces professionnels, la lassitude et la souffrance s’expriment quotidiennement, et les raisons en sont à la fois multiples et connues de tous.

« Les risques psycho-sociaux en Ehpad sont pratiquement inhérents à l’activité elle-même, résume une ancienne directrice d’établissement de soins qui n’a pas souhaité que son nom soit cité. Le travail est exigeant, les enjeux sont graves, le personnel est confronté en permanence à la maladie, à l’isolement et parfois au décès des résidents… Bien sûr beaucoup sont en souffrance, d’ailleurs le taux d’absentéisme est très élevé dans ces structures. »

Dans les établissements, c’est souvent le manque de temps et de personnel qualifié qui pèse le plus aux salariés, au point de compliquer l’accomplissement de la moindre tâche. « La distribution des médicaments, par exemple, est un casse-tête, poursuit l’ex-directrice. En théorie, la dose de chaque patient doit être préparée dans une salle à part, au calme. En pratique, la personne qui s’en charge est interrompue en permanence. Ensuite, certains patients ont du mal à prendre leurs médicaments, et en milieu de journée vous retrouvez des comprimés par terre… C’est une des nombreuses “situations-problèmes” que j’avais identifiées en m’appuyant sur les méthodologies développées par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il y en a, hélas, beaucoup d’autres. »

Quant aux professionnels qui interviennent au domicile des patients, environ 3 millions de salariés, leur sort n’est pas plus enviable. « Ces personnes, des femmes à 91 %, commencent leur journée à 6 h 30, détaille Lucas Fialaire, cofondateur en 2019 de la société Keradom, qui propose de digitaliser le recrutement et la formation des professionnels de l’aide aux personnes dépendantes. En milieu de matinée leur travail est terminé et il ne reprend que vers 16 heures, jusqu’à 20 heures. Mais, comme les salaires sont très bas (le smic pour une auxiliaire de vie) et qu’à peine un tiers d’entre elles sont défrayées de leurs kilomètres, elles ne rentrent pas chez elles, patientent sur des parkings de centres commerciaux… »

« Le métier ne fait pas rêver. Les salaires sont bas parce que les tarifs fixés par les départements sont faibles, et les perspectives d’évolution professionnelle, médiocres, développe Lucas Fialaire. Résultat : il manque aujourd’hui 200 000 personnes qualifiées, et le chiffre sera de 500 000 en 2040, tandis que les écoles sont vides. » Une étude menée en 2010, la dernière en date sur ces professions, relevait aussi que le métier d’auxiliaire de vie et d’aide à domicile comptait le plus fort taux d’arrêts de travail, devant le BTP.

 

Le tableau était donc déjà bien sombre lorsque la pandémie de Covid-19 a commencé à se répandre. Un virus dont on a découvert rapidement qu’il était particulièrement dangereux pour les personnes âgées ou à la santé déjà fragile – la fameuse notion, passée dans le langage courant, de « comorbidité ». De nouveau, les professionnels de l’aide aux personnes dépendantes se sont trouvés en première ligne, souvent dans des conditions déplorables. Dans les Ehpad, il a fallu organiser les visites des familles, isoler les éventuels patients positifs, gérer la situation de membres du personnel potentiellement exposés au virus lorsqu’ils quittaient l’établissement.

Pour le personnel effectuant des visites à domicile, il a d’abord fallu faire avec la pénurie généralisée de masques et de gants. Fallait-il prendre le risque de visiter les patients à risque malgré tout ? Tenir compte de l’avis des familles qui ne souhaitaient plus qu’une personne âgée ouvre sa porte ? Insister face aux personnes dépendantes réticentes, ou « oubliant » de signaler qu’elles étaient cas contact ?

Les premiers mois ont été difficiles. « Pour les personnels qui vont au domicile des patients, souligne Lucas Fialaire, la consigne a été de ne plus passer à l’agence qui les emploie pour éviter le “brassage.” Les gens se sont donc retrouvés seuls, ne pouvaient plus échanger avec leurs collègues ou leur hiérarchie, décompresser… » En Ehpad, des mesures drastiques et souvent inapplicables ont été annoncées à mesure que la pandémie progressait. La dernière salve date de novembre 2020, avec une liste de consignes rendues publiques par la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon : dépistage hebdomadaire systématique pour le personnel, visites des proches strictement encadrées, installation de « sas de déshabillage » à l’entrée, maintien en poste des salariés testés positifs mais asymptomatiques s’ils étaient jugés « non remplaçables »… Des mesures difficiles, alors que plus de 1 600 Ehpad, soit 1 sur 5, recensaient au moins un cas de Covid parmi ses pensionnaires.

 

Puis est arrivée la question de la vaccination, dont les personnes âgées sont censées bénéficier en priorité. « On demande aux structures de vacciner, de recueillir le consentement, de recruter du personnel pour des dates précises, et au final, souvent, les doses ne sont pas livrées le jour dit », résume Lucas Fialaire. Une tâche d’autant plus compliquée que, selon un sondage publié en février 2021 par l’entreprise Bluelinea, spécialisée dans la téléassistance pour les seniors, si 40 % des pensionnaires d’Ehpad veulent être vaccinés, 40 % n’ont pas fait leur choix, et 20 % refusent catégoriquement. Quant au personnel, qui est lui aussi censé être prioritaire, tous ne sont pas sur un pied d’égalité : si les soignants doivent effectivement bénéficier rapidement du vaccin, rien n’est prévu pour les auxiliaires de vie.

Et pourtant la pression est forte : le 9 février, un avocat parisien a annoncé pour la première fois le dépôt d’une plainte pour « homicide involontaire » contre un hôpital de la capitale, à la suite du décès d’un patient octogénaire admis pour une pneumopathie et dont la famille estime qu’il n’a pas reçu les soins adéquats.

Face à un tel tableau, parler de « qualité de vie au travail » relèverait presque de la provocation, et les recruteurs en sont conscients. L’âge moyen des professionnels du secteur est de 48 ans, et même de 51 ans en zone rurale. Départs à la retraite et reconversions aidant, ce sont 4 millions de postes qu’il faudra pourvoir d’ici à 2040, et les profils qualifiés n’existent pas en nombre suffisant. « Tout le monde le sait, c’est une vraie bombe à retardement. Aujourd’hui déjà, 20 % des demandes d’accompagnement déposées par les familles sont refusées, faute de personnel disponible », martèle Lucas Fialaire.

Des solutions ? Dans les structures comme les Ehpad, on estime qu’il faut commencer par travailler sur le management. Comprendre les conditions de travail réelles du personnel, privilégier la discussion et les échanges de groupe, veiller à remplacer les salariés absents. Plus largement, c’est surtout la question de la revalorisation de ces professions qui se pose. Une revalorisation qui passe largement par la formation, afin de faire évoluer des professionnels qui débutent souvent tout en bas de l’échelle. Sans doute en recourant plus massivement à l’enseignement à distance et à l’e-learning.

 

Covid-19 : La qualité de vie au travail s’est dégradée selon 28 % des salariés du privé

La crise sanitaire et économique liée à la pandémie commence à peser lourdement sur la santé et le moral des Français, selon une étude Ifop/Malakoff Humanis réalisée auprès de 3 504 salariés du privé publiée cet automne.

En termes de qualité de vie au travail, 28 % d’entre eux déclarent qu’elle s’est dégradée, 40 % que leur rythme de travail s’est accéléré, et 18 % estiment que leur travail a moins de sens pour eux. S’ils sont huit sur dix à se trouver en bonne santé, 12 % ont le sentiment que leur état de santé s’est dégradé, et 45 % déclarent se sentir plus fatigués physiquement et psychologiquement qu’avant la crise.

Les facteurs de risques psychosociaux se dégradent également, puisque 23 % des sondés estiment que leur travail empiète sur leur vie personnelle, 14 % déclarent subir des tensions au travail, et 20 % révèlent avoir peur de perdre leur emploi. Et s’ils sont 86 % à attendre de leur entreprise qu’elle intègre durablement la prévention et la santé dans sa stratégie, ils ne sont que 53 % à penser qu’elle le fera.

Seule note positive au tableau, 23 % des interrogés déclarent avoir davantage le sentiment de faire un travail utile pour la société. Parmi eux, on trouve 43 % de travailleurs du secteur de la santé ou de l’action sociale.

Le Grand Entretien : Alexandre Ricard, président directeur général du groupe PERNOD RICARD

Il ne doit pas être simple, aujourd’hui, d’être le PDG d’un groupe mondial, producteur et distributeur de vins et spiritueux, à l’heure où les bars, hôtels, clubs et restaurants, les réunions familiales, bref les espaces de convivialité sont fragilisés. Comment allez-vous et comment se porte le groupe ?

Deux mots me viennent à l’esprit : résilience et agilité. Résilience tout d’abord : les êtres humains s’adaptent toujours à leur environnement et à ses bouleversements. Et agilité, parce que nous nous sommes adaptés, partout où nous sommes présents dans le monde, c’est-à- dire sur 86 marchés. Au-delà des chiffres et des résultats, nous avons en effet enregistré des gains de part de marché sur la quasi-totalité des pays dans lesquels nous opérons. Le chiffre d’affaires clos fin juin 2020 s’est élevé à 8,448 milliards d’euros.

Dans un contexte difficile, nous avons observé “une bonne résilience du Off-Trade”, la vente à emporter de nos produits, tout simplement parce que les consommateurs se sont tournés plus encore que d’ordinaire vers des marques de confiance.

Comment vous associez-vous au secteur bars et restaurants, l’un des plus durement touchés par la crise ?

Cet environnement est fortement impacté. Dès les premiers jours de cette crise sanitaire, nous avons décidé de soutenir le secteur. De manière concrète, en France, nous nous sommes associés à la plate-forme “J’aime mon bistrot”, qui vise à soulager la trésorerie de ces entreprises essentielles à la vie sociale que sont les cafés, bars et restaurants. Nous sommes partenaires de l’initiative “1 000 cafés”, projet qui s’est donné pour ambition de permettre la sauve- garde ou l’ouverture de 1 000 cafés dans des communes de moins de 3 500 habitants.

La contribution de Pernod Ricard prend la forme d’une dotation financière et se matérialise également par un accompagnement à l’installation des nouveaux cafetiers. Cet engagement passe par le partage d’outils de formation pour les futurs gérants afin de les former à une vente responsable des produits alcoolisés ou à la gestion durable de leur établissement. Sans oublier nos dons d’alcool pur au laboratoire Cooper pour lui permettre de fabriquer, dès le début de la crise, des millions de doses individuelles de gel hydroalcoolique.

La signature de Pernod Ricard, “créateur de convivialité”, est une belle promesse. Concrètement, comment comptez-vous créer de la convivialité aujourd’hui ?

Il y a des choses qui vivent et survivent au-delà des crises. Le besoin de partager des moments, de se retrouver ensemble, reste intact. Parfois, il faut des crises comme celle-ci pour que les individus prennent conscience de l’importance de la convivialité. Vous n’imaginez pas le nombre de témoignages que je reçois de la part d’hommes et de femmes qui se retrouvent complètement dépités à mesure que cette crise s’installe.

Le repli sur soi, le confinement sont contre nature. Prenons de la hauteur, et n’oublions pas que notre civilisation a surmonté bien des épreuves. Il faudra tirer les leçons de cette crise.

Terrasse de The Island
Terrasse de The Island, quartier Saint-Lazare, Paris © Myr Muratet

Allez-vous démontrer que vous-même, à l’échelle du groupe, avez tiré les leçons de cette crise, par une stratégie RSE plus ciblée par exemple ?

J’aime rappeler ce dicton anglais : “Ne jamais gaspiller l’opportunité offerte par une crise.” Indéniablement, les crises accélèrent les tendances en cours. Il est important pour les consommateurs de savoir quelles sont les entreprises derrière les marques qu’ils consomment et les actions qu’elles mènent pour préserver la planète. Et, lorsque je reçois des candidats, c’est une question qui les intéresse beaucoup.

La sensibilité sociale et sociétale de votre groupe vient de loin… Enfant, comme Paul Ricard avait une santé fragile, ses parents l’ont emmené au bord de la mer. C’est donc la nature qui lui a donné un second souffle.

Et il ne l’a jamais oublié. J’ajoute que toutes nos marques viennent de la terre : de la culture des vignes pour nos vins et champagnes, de l’orge pour nos whiskies, du blé d’hiver pour nos vodkas… Il nous faut être cohérents, avec notamment une politique RSE renforcée. Le groupe travaille sur 250 000 hectares, aux quatre coins du monde, d’où sortent 2,6 millions de tonnes de raisin, de canne à sucre, de céréales ou de grains de café…

Nous sommes fiers d’avoir rejoint l’alliance Business for Nature réunissant des entreprises et organisations qui se mobilisent autour de la protection de l’environnement. Il s’agit d’une avancée importante pour le groupe, qui continue à faire de la protection de l’environnement et de la biodiversité, ainsi que de la préservation des écosystèmes naturels des priorités de sa feuille de route 2030. Notre futur dépend de l’aptitude de nos communautés mondiales à unir leurs forces pour assurer un avenir plus durable et plus solidaire.

À l’échelle du groupe Pernod Ricard, com- ment se traduit cette cohérence entre des marques qui puisent leur force dans la nature, les demandes des collaborateurs et les attentes des consommateurs ?

La cohérence vient des chiffres. Nous avons réduit de 33 % notre intensité carbone et de 23 % notre consommation d’eau par litre d’alcool. Le confinement a été l’occasion d’accélérer quelques objectifs : la fin des plastiques uniques utilisés en points de vente, comme les gobelets et les pailles, a été avancée de 2025 à 2021.

Vous le dites, cette crise accélère des tendances. À titre personnel, en tant qu’homme, y a-t-il des événements qui vous ont surpris ?

Oui. Et la leçon que je retiens m’a été donnée par les femmes et les hommes qui font partie du groupe Pernod Ricard. J’ai constaté, au travers des 19 000 collaborateurs à travers le monde, une résilience et un engagement incroyables. Tout le monde est resté sur le navire, chacun s’est demandé comment il pouvait être utile. Et certains n’ont même pas attendu de réponse : ils ont eu des idées. En témoignent les quatre millions de litres d’alcool pur ou le million de litres de gel que nous avons produits sur nos sites, pour nos communautés. Cela vient du terrain, de manière spontanée et sur différents marchés en Suède, en Irlande, en France.

Ce n’est pas quelque chose qui aurait été décrété au siège. Permettez-moi de vous le dire : ces actions sont remarquables. Pour la petite histoire, aujourd’hui, les policiers de New York se désinfectent les mains avec du gel provenant de nos distilleries de Bourbon dans le Kentucky. La crise a ceci d’intéressant : être sans cesse impressionné par ses propres équipes.

La crise vous donne donc l’occasion de tester votre modèle décentralisé…

C’est l’un des principaux enseignements à l’échelle du groupe. Nos managers, locale- ment, se sont d’eux-mêmes mobilisés et ont pris de bonnes décisions. Décentralisée, Pernod Ricard est une entité structurée pour être flexible et agile, je m’en rends compte chaque jour. Faire face à la crise ne nous fera pas dévier de notre stratégie sur le long terme. Nous poursuivons aussi notre transformation digitale, nous accélérons les investissements.

Vos mots sont rassurants et vos projections sereines. Dans le fonctionnement décentralisé de Pernod Ricard, une telle attitude est-elle partagée ?

Ce n’est pas notre première crise et, au risque de vous faire peur, il y en aura d’autres… Les bouleversements du monde doivent être utilisés comme des leviers. Nous avons commencé à le faire, et nous avons gagné des parts de marché. Nous restons très ambitieux. La crise a révélé la solidité de nos fondamentaux. Permettez-moi de faire un parallèle. Ricard a été créé en 1932. Au niveau du PIB, ce fut la pire année qu’on ait connue dans l’histoire de la France, hors période de guerre. Il en sera de même pour 2020, année que nous avons choisie pour fusionner les deux sociétés de distribution Pernod et Ricard, depuis le 1er juillet dernier.

Cet été, alors que les sociétés du monde se posaient la question du “comment” : “comment faire revenir les gens au travail ?”, “dans quel environnement aéré, sécurisé ?”, vos salariés rejoignaient le nouveau siège parisien… Ce lieu répond-il à de nombreuses questions que pouvaient se poser les collaborateurs de retour sur site ?

Quand on est une entreprise qui s’inscrit sur le long terme, centrée sur l’humain, on doit donner envie aux collaborateurs de venir et d’échanger dans un environnement sympathique, attractif et sans exubérance. Et un groupe mondial se doit d’être cohérent : si notre signature est “créateur de convivialité”, cette dernière doit être vécue, avant tout, par nos collaborateurs.

La convivialité se conjugue sur l’échange, le partage, la rencontre, elle ne peut pas être enfermée dans un agenda. Une réunion, une présentation, des décisions peuvent se vivre à distance ; la chaleur humaine, non. Nous souhaitons valoriser tous ces petits interstices qui se passent entre les humains, ces rencontres informelles qui se produisent sur le lieu de travail. Car c’est là que se génèrent les meilleures idées, la meilleure agilité et la meilleure collaboration.

Tout a été pensé en ce sens, pour créer cette disruption qui engage performance et rapidité. Au sein de ce nouveau siège, on est amené à croiser des gens que l’on ne connaissait que très peu jusqu’ici. L’absence de silos et de bureaux fermés incite les conversations à se libérer.

18 000 m2 et 7 étages, avec la réunion des sept sites de la région parisienne, au cœur même de Paris, votre démarche est contraire à celle de la plupart des grandes entreprises quittant le centre de la capitale…

Il est vrai que là où certains réduisent la taille de leurs bureaux, nous avons ici pour nos 900 collaborateurs quelque 2400 places, 600 postes de travail dits “normaux” (table, chaise…), le reste étant distribué en espaces collaboratifs. Tous les ordinateurs et téléphones sont portables, nous nous acheminons vers du “zéro papier”. Donc, oui, nous assumons être à contre-courant.

Même le PDG que vous êtes n’a pas de bureau attitré… Quels bénéfices retirez-vous de ce concept ?

Le premier bénéfice est déjà de vivre cet adage qui m’est cher : “L’exemple vient du haut.” Décloisonner ce que j’appellerais “le bureau à l’ancienne” permet à chacun de venir partager ma table, d’engager une discussion, de créer de nouvelles collaborations. Et chaque jour, je vois apparaître un peu plus de spontanéité dans les sujets que l’on me propose. Il faut cultiver cette simplicité. Cela me permet de voir ce qui se passe, de faire partie du flux de rencontres des personnes. Les valeurs, la culture d’entreprise est un ciment qui se fabrique au quotidien.

Lieu de convivialité THE ISLAND
Lieu de convivialité et de collaboration donnant, au fond, sur la game room. © Myr Muratet

Vous êtes PDG, vous êtes à la tête d’une hiérarchie pyramidale : on comprendrait que vous ne soyez pas abordable… Briser les murs : cela garantit vraiment votre proximité ?

Pour vous montrer que tout ceci n’est pas un discours corporate : on a travaillé le bâtiment sur deux flux de circulation. Horizontal tout d’abord : à chaque étage, un carrefour de rencontre a été créé. Il est matérialisé par un bar où chacun peut se servir un café ou un thé. Le second flux est vertical, grâce aux escaliers qui ont été complètement réintégrés dans le projet, redécorés de façon qu’on ait envie de croiser du monde.

Je crois savoir que vos collaborateurs vous “tutoient”. Et on le sent, on le voit ici, un esprit de start-up règne. Qu’est-ce que la “culture start-up”, qu’elle soit réelle ou fantasmée, peut amener aux grandes entreprises d’aujourd’hui ?

Ce qui définit cette “culture start-up”, c’est l’absence de formalisme et de procédures souvent bureaucratiques. L’idée est de prendre le meilleur des deux mondes, c’est- à-dire allier la puissance d’un grand groupe avec la capacité à générer des idées, des innovations, des créations, l’absence de silos qui caractérisent les start-up. Si on réussit cette alchimie, cela ne peut que fonctionner.

Votre expérience à l’international est conséquente : Royaume-Uni, États-Unis, Hong Kong, Irlande. Avez-vous apprécié des conceptions d’entreprises, des organisations, qui vous inspirent encore aujourd’hui ?

Nous avons plusieurs dizaines de nationalités représentées ici au siège, donc je ne suis qu’un “exemple international” parmi d’autres. Toutefois, ce qu’il me reste de mon expérience propre, c’est le côté direct, efficace et court d’une réunion à l’anglo-saxonne. Mais ce que j’apprécie aussi en France, c’est le côté convivial. Résultat, au sein de “The Island”, je fais beaucoup moins de réunions qu’auparavant, j’envoie et reçois moins de mails, parce que je croise beaucoup plus de gens. Tout se fait au fil de l’eau.

Vous me présentez ces interactions humaines comme novatrices et, pourtant, elles relèvent du bon sens…

Notre culture est une culture de bon sens. Nous la cultivons pour nos salariés, mais aussi pour nos consommateurs. Votre réflexion me fait penser à un engagement du groupe en leur direction. En tant que numéro 2 mondial des vins et spiritueux, nous souhaitions nous engager fortement pour la prévention et la lutte contre toute forme d’abus d’alcool. Il y a dix ans, Pernod Ricard a créé le programme Responsible Party, en partenariat avec le réseau Erasmus Student Network, dans l’objectif de sensibiliser les étudiants à une consommation responsable. La clef du succès, c’est que c’est un programme conçu et porté par des étudiants, pour des étudiants. Voilà un exemple très concret du bon sens en action.

La signature de notre magazine est “Être-bien en entreprise”, plutôt que “Bien-être”, notion qui ne nous semble pas adaptée au monde professionnel. Quelles sont pour vous les conditions les plus élémentaires pour que l’“Être”, justement, soit “bien” en entreprise aujourd’hui ?

Qu’il reçoive des communications claires et cohérentes. Aucune personne, aucune équipe ne vous suivra si vous ne faites pas coïncider votre vision et vos décisions.

Ce nouveau siège Pernod Ricard est baptisé “The Island” en référence aux îles Paul Ricard situées au large de Bandol et de Six-Fours, dans le Var. La fondation de l’entreprise, la réussite de votre grand-père, qu’il partagera avec son personnel, en lui distribuant des actions gratuites. La création de l’Institut océanographique, précurseur dans la protection de l’environnement, aux Embiez, l’île de Bendor, haut lieu de la création artistique, la création du circuit Paul Ricard…, l’histoire de Ricard est jalonnée d’étapes fortes. À quels moments songez-vous à cet héritage ?

Bien sûr, nos fondamentaux sont extraordinaires. Mon grand-père Paul Ricard souhaitait une politique d’entreprise centrée sur les ressources humaines. Vous avez évoqué l’intéressement et la participation, il avait aussi favorisé les vacances des salariés, organisait des lotos à Noël et les lauréats pouvaient gagner leur maison… Car il voulait que chaque salarié soit propriétaire, qu’il ait un toit.

Parce que quand on est propriétaire, on est responsabilisé, on est fier. Cet héritage est donc présent à chaque fois que l’on ouvre un nouveau chapitre, comme avec l’édification de ce nouveau siège, au centre de Paris. Ce déménagement physique est l’illustration de la transformation de nos méthodes de travail, totalement digitalisées. La pièce dans laquelle nous parlons est wireless. Moi-même, je n’ai plus qu’un casier. Nous stockons nos documents dans des librairies virtuelles. De même, nos transformations internes se reflètent à l’externe, dans nos relations avec le consommateur.

Depuis 2015, nous avons redessiné notre modèle avec une approche “consumer centric”. Aussi, je vois difficilement comment on peut se dire “obsédés par le consommateur” et être excentrés physiquement. Ce qui explique l’installation de notre siège au cœur du quartier Saint-Lazare. Cette transformation n’aurait pas été possible sans nous appuyer sur l’histoire, la transformation et les valeurs du groupe. Mon oncle et prédécesseur, Patrick Ricard, aimait à dire de notre groupe qu’il est “une synthèse du passé et un regard sur l’avenir”.

Entre le passé et l’avenir, il y a le présent. Quand on s’appelle Ricard, Monsieur Ricard, quand on est le “3e homme Ricard” à diriger le groupe, c’est un défi quotidien, une chance, une responsabilité, une opportunité ?

Mon père m’a toujours dit : “Dans la vie, fais ce que tu souhaites mais fais-le bien, et que cela te rende heureux.” La responsabilité qui est la mienne m’enthousiasme chaque matin.

 

Voir aussi : L’oeil de… Thierry Marx

Groupe CASINO : La force du discret

Comment parler de « qualité de vie au travail” aujourd’hui, en pleine crise sanitaire, économique et sociale ?

Il faut non seulement en parler mais semer les petites graines qui vont nous permettre de résister aux tensions qui risquent de s’exacerber dans notre pays dans les mois qui viennent. Durant le confinement, en tant que secteur considéré comme “vital”, nous avons continué notre activité. Sur un plan RH, il nous fallait préserver la cohésion au sein de nos équipes et éviter une rupture entre les collaborateurs des magasins et des entrepôts qui se situaient “en première ligne” et la “base arrière”, c’est-à-dire les sièges et les directions qui étaient pour une large majorité en télétravail. Notre préoccupation était également de garder le lien avec nos salariés : des personnes pouvaient développer énormément d’anxiété, s’agissant de leur santé et du devenir de la société dans son ensemble.

C’est pourquoi, quasiment quotidiennement, nous adressions une communication en interne : vidéos, outils de formation, mise en avant de nos actions en magasins ou à caractère philanthropique, comme lorsque nous avons fait don de deux millions de masques aux hôpitaux français. L’idée était de montrer que la première ligne et la base arrière étaient dans le même bateau. Nous avons aussi déployé des conférences en ligne sur le management bienveillant, avec l’installation d’un fil d’écoute anonyme pour les cadres. Je crois que ces dispositifs étaient nécessaires et le seront encore, c’est pourquoi nous les maintenons.

Dans un contexte d’incertitude générale croissante, les collaborateurs en situation de fragilité doivent être identifiés puis accompagnés au sein de l’entreprise. Concrètement, depuis plusieurs années maintenant, nous avons mis en place un réseau de “bienveilleurs”. Plus que jamais, aujourd’hui, ce réseau est utile.

Ces 1000 bienveilleurs, en magasins ou dans les sièges, sont sensibilisés et formés pour identifier leurs collègues en situation de vulnérabilité et les aiguiller vers des structures adaptées, ou, tout simplement, les écouter et leur apporter du réconfort et davantage d’humanité dans leur quotidien.

“Bienveillance” n’est pas un terme commun dans le monde de l’entreprise. Comment vous êtes-vous approprié ce vocabulaire, tranchant nettement avec l’univers “processisé” que l’on peut imaginer ?

Nous avons opté pour le mot “bienveillance” car c’était la traduction, dans un seul et même terme, d’un héritage des politiques RH conduites par le groupe Casino depuis de très nombreuses années et jusqu’à maintenant. Et si la promotion du management bienveillant fonctionne dans le groupe Casino, c’est parce qu’il est totalement en accord avec l’histoire même du groupe.

À juste titre, la grande distribution est perçue comme un secteur plus difficile que d’autres, entre des négociations commerciales que l’on perçoit comme étant très dures, des mises en rayons qui sont des tâches lourdes, et donc des relations sociales qui peuvent être tendues, un taux de rotation du personnel qui est peut-être plus élevé que dans d’autres secteurs.

Donc, spontanément, on associe peu le terme de “bienveillance” et celui de “grande distribution” : c’est tout le pari que nous avons fait. C’est de dire : “Nous, groupe Casino, avons mis en œuvre depuis 120 ans des politiques sociales innovantes, maintenant il faut accompagner l’encadrement.” Un travail de fond a donc été mené pendant plusieurs années : sensibilisation, formation des cadres, des managers, des directeurs d’établissement et de siège, création d’un réseau de bienveilleurs qui relaient nos politiques et nos actions à un échelon encore plus opérationnel.

Quelles sont les qualités requises pour devenir bienveilleur au sein du groupe Casino ?

De l’écoute, de l’empathie, de l’humilité. Cette capacité de comprendre son collègue, au sens humain du terme. Il faut des qualités de médiateur aussi, pour faire remonter des informations, expliquer des cas, des contextes. C’est une implication au quotidien.

N’avez-vous pas craint de susciter frustrations et crispations en nommant des collaborateurs bienveilleurs et d’autres non ?

Nous avons joué la carte du volontariat. Et la sélection des candidats s’est faite en lien avec les ressources humaines. On ne m’a jamais remonté de tensions de la sorte.

Les secteurs dédiés au personnel, les DRH, syndicats, médecins du travail, n’ont- ils pas vécu l’apparition des bienveilleurs comme un échec ?

L’échec, c’est ne rien faire. Donc si l’on peut ajouter une petite aide dans un océan de solitude pour certains, tout le monde ne peut que le voir positivement. Il n’y a pas de pré carré dans la prévention de la souffrance. Le bienveilleur n’est pas un médecin, ni un psychologue, ni le N+1, ni le “gentil organisateur de soirée du vendredi”. C’est un petit peu de tout cela. Et, donc, il ne fait pas d’ombre aux corps de métiers plus “traditionnels” ou statutaires.

Où s’arrête le rôle de l’entreprise dans l’écoute et le soin apportés aux personnes ?

Le rôle du bienveilleur est d’écouter et, au besoin, d’aiguiller le collaborateur vers des dispositifs adaptés (psychologue, médecin du travail, assistante sociale…). Ce sont les salariés qui fixent la limite. Certains vont avoir tendance à se renfermer sur eux-mêmes, d’autres seront plus expansifs. Nous proposons avant tout une écoute et une aide si le collaborateur le souhaite. Nous essayons de faire connaître largement le dispositif des bienveilleurs et de le dédramatiser, de façon qu’il n’y ait pas de tabou. De même, nous garantissons la confidentialité dans la remontée d’informations.

En moins d’une année, nous sommes passés d’une situation d’urgence à une période de crise sur le long terme. Quelles sont les pistes d’action pour éviter que les relations de travail ne se détériorent, pour maintenir la cohésion d’équipe ?

Le groupe Casino est engagé dans une politique de RSE depuis de longues années. “Nourrir un monde de diversité”, notre signature, est aussi une feuille de route collective que nous fixons à tous les échelons. Nos équipes sont en contact direct avec le public, nous devons apporter des produits de qualité au meilleur prix. Face à la crise, aux perspectives de transformations, il est capital de renforcer la communication interne, pour donner du sens.

portrait de Franck-Philippe Georgin secrétaire général du groupe Casino
Franck-Philippe Georgin, secrétaire général du groupe Casino

En 2019, plus de 30 hypermarchés ou supermarchés ont été cédés. Début 2020, la vente de 567 magasins et de trois entrepôts Leader Price a été conclue… Comment les collaborateurs peuvent-ils recevoir ces évolutions de manière sereine ?

Face à l’ampleur des transformations des modes de consommation, le groupe a fait un choix tourné vers l’avenir : se recentrer sur les formats porteurs (proximité, premium, e-commerce), accélérer la digitalisation, développer de nouvelles activités et anticiper les évolutions des métiers pour les accompagner. Cette démarche d’anticipation a été consacrée dans un accord groupe signé en 2019 avec nos organisations syndicales, avec pour philosophie d’accompagner les évolutions de nos métiers et de nos activités en favorisant la mobilité et la formation des collaborateurs, et donc leur employabilité.

Plus récemment, la branche hypermarchés et supermarchés a mis en place un plan d’accompagnement de ses hôtes et hôtesses de caisse au terme duquel, pendant trois ans, 6000 collaborateurs vont pouvoir être formés aux métiers du conseil et de la relation client. Et 700 directeurs de magasin et managers de caisse vont être formés à la conduite du changement. C’est un dispositif inédit et innovant dans le secteur de la grande distribution. Nous avons créé au sein du groupe un dispositif dédié à la mobilité (“C ma Carrière”), avec des référents mobilité qui accompagnent les collaborateurs dans leur démarche de mobilité. L’application mobile “C mon Groupe”, accessible à tous sur un smartphone, leur offre un accès à tous les postes disponibles, ainsi qu’à l’ensemble des dispositifs d’aide à la mobilité.

Comment encouragez-vous le “sentiment d’appartenance”, dont on sait qu’il est le ciment d’un collectif homogène ?

Nous communiquons auprès de nos collaborateurs sur les classements et “bonnes notes” qui nous sont attribuées, ou encore sur les actions ou les dispositifs innovants que nous mettons en place. Pourtant, ce n’est pas dans la culture du groupe Casino de se mettre en avant. Ce sont les partenaires sociaux qui nous ont encouragés à valoriser nos actions et nos succès. Le sentiment d’appartenance est un levier puissant pour fédérer les équipes, d’autant plus important dans le contexte actuel d’incertitude, voire d’angoisse collective, lié à la situation sanitaire et économique. C’est la fameuse “fierté du maillot”. La métamorphose footballistique est toute trouvée : Geoffroy Guichard, fondateur de notre groupe, a donné son nom au célèbre stade de Saint-Étienne et notre logo est de couleur verte… La fierté d’appartenance permet de nous embarquer dans un récit collectif de transformation.

Mais la grande distribution que l’on a connue hier n’est pas celle d’aujourd’hui…

Ni celle de demain… : digitalisation, automatisation des process, ouverture plus tardive des magasins le soir ou le week- end, automatisation des entrepôts, comme notre nouvel entrepôt intégrant la technologie Ocado à Fleury-Mérogis pour la livraison alimentaire chez les clients. Nous menons ces transformations en accompagnant l’évolution des emplois dans la démarche d’anticipation évoquée précédemment. Au sein du groupe, nous sommes depuis toujours attachés à un dialogue social de qualité, nous observons les métiers en croissance, ceux qui sont en décroissance, et nous levons les barrières internes entre les métiers, comme entre les postes d’encaissement et ceux liés aux services client.

Avez-vous donc adapté vos méthodes de recrutement ?

Nous essayons de recruter des profils spécialisés dans les nouvelles économies et sciences des données. En tant que distributeur, un large pan de notre activité liée à la connaissance du client est en forte croissance, notamment à travers notre filiale relevanC. Aujourd’hui, il est capital d’être en mesure de compiler des datas. Pour attirer ces profils spécifiques, il faut adapter nos méthodes de recrutement, en utilisant les réseaux sociaux, les vidéos ; il faut également considérablement simplifier le parcours, plutôt que de leur proposer des entretiens classiques dans des box, avec une personne qui va vous raconter l’histoire du groupe…

Par ailleurs, pour conserver le lien intergénérationnel dans le groupe, nous avons développé un dispositif de tutorat des nouvelles recrues. Ces mentorats sont réalisés par les personnes qui ont le plus d’expérience, pour relier le meilleur des deux mondes : la solidité, l’expérience, la “sagesse” des employés les plus anciens et l’engouement, l’énergie, la volonté des nouveaux arrivants.

J’imagine que ce système donne aux “tuteurs” un sens renouvelé à leur travail grâce à une transmission de compétences, et donc de valeurs ?

Oui, c’est une activité très valorisante. Et pour le collaborateur nouvellement recruté qui en bénéficie, c’est, en quelques semaines, un condensé de plusieurs dizaines d’années de vie d’entreprise, de gestion des conflits, de savoir-être. Nous connaissons beaucoup de succès sur ce dispositif de mentorat/tutorat.

En Amérique latine, où le groupe Casino possède des filiales, vous privilégiez le recrutement local. Comment homogénéisez-vous la culture d’entreprise, en partie basée sur la qualité de vie des collaborateurs ?

Au sein du groupe Casino, nous avons toujours souhaité conserver la diversité des enseignes et des cultures, en France et à l’international. Monoprix ne s’appelle pas Casino Supermarchés ; en Colombie, nos magasins s’appellent Exito Super ou Carulla ; au Brésil, Pao de Açucar ou encore Assai. L’attachement au groupe s’exprime au travers de valeurs transversales partagées, illustrées principalement dans nos politiques de ressources humaines en matière de diversité, d’égalité hommes-femmes, ou encore de préservation de l’environnement. L’attachement au groupe se traduit donc dans chaque pays et l’encadrement supérieur est chargé de faire vivre cette culture d’entreprise.

La politique QVT de Casino France peut-elle être implantée ailleurs ?

Il y a des attentes comparables. Toutefois, des intérêts prioritaires en matière d’engagement sociétal de l’entreprise priment dans ces pays. C’est le cas pour Exito, engagé contre la pauvreté infantile en Colombie, ou pour l’éducation des enfants au Brésil.

Vos actions en faveur du bien-être de vos collaborateurs sont très discrètes, peut-être à l’image des bienveilleurs, présents au sein de vos équipes, peut-être aussi à votre image. Alors même que la QVT est devenue un phénomène de mode, s’il y a dans ce domaine de bonnes intentions, il y a aussi des postures. Pourquoi le groupe Casino ne communique-t-il pas plus “à l’extérieur” sur ses réalisations concrètes ?

Il est vrai que l’interview que nous réalisons ensemble est une grande exception à la règle. Nous considérons notre politique QVT plus en profondeur. Elle porte ses fruits au quotidien. Elle est peut-être moins illustrative car nous sommes animés par une forme de prudence. On sait ce que l’on fait au quotidien, on sait ce que l’on peut faire de plus, on sait surtout que l’on y va la main tremblante car nous sommes sur de la matière humaine… Nous communiquons très peu sur ces sujets dans les médias, car il suffit qu’une information soit approximative ou fausse pour que notre intention soit retournée contre nous. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas figurer comme des donneurs d’exemples ou des censeurs.

Et vous, Monsieur Georgin, quelle est votre raison d’être professionnelle ?

Ce qui est important, c’est de donner de la lisibilité à son action propre. C’est se rendre au travail chaque matin non pas parce qu’il le faut, mais parce que l’on porte des chantiers que l’on a lancés et que l’on a le plaisir et la fierté de les voir aboutir. S’ajoute à cela le sentiment de faire partie d’une équipe unie. C’est cela la qualité de vie au travail, c’est de donner du sens à ce que l’on fait.

1. Etude agence de notation Vigeo Eiris (filiale de Moody’s), réalisé auprès de 129 entreprises européennes du secteur-2020.

 

Voir aussi : L’Oréal : l’innovation sociale est un métier

Performance humainement durable

Performance. Humainement. Durable. Ces trois mots revêtent un sens fondamental à mes yeux.

• Performance : pour ancrer nos propos et nos investigations dans la réalité de l’entreprise d’aujourd’hui.

• Humainement : pour marquer l’angle résolument humaniste de nos engagements, avec l’idée essentielle d’un gagnant-gagnant à rechercher sans cesse entre l’entreprise d’une part, et les femmes et les hommes qui la composent d’autre part. Cette idée que j’exprime également en parlant d’un cercle vertueux entre le bien-être des personnes et la performance économique.

• Durable : qui évoque le développement durable, la soutenabilité des activités économiques à long terme. Pour ne pas dire leur raison d’être, enjeu clé fort judicieusement remis à l’honneur à la faveur de la loi PACTE de mai 2019.

La pandémie de Covid a mis en lumière l’importance de ce triptyque. En effet, dans les entreprises, l’organisation du travail et les pratiques managériales ont dû évoluer à vitesse accélérée pour préserver et promouvoir cette performance humainement durable.

Parmi les innombrables leviers qui permettent d’agir en ce sens, l’aide à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle fait désormais partie des incontournables. Dans ce domaine, les semaines de confinement ont fait apparaître de nouvelles problématiques pour les collaboratrices et les collaborateurs. Par exemple, elles les ont contraints à faire cohabiter leur profession et l’école à la maison.

Aujourd’hui, plus que jamais, le souci du suivi scolaire est donc prégnant. Le dernier-né des Guides pratiques de l’Observatoire de la qualité de vie au travail, conçu et publié en partenariat avec les éditions Nathan, est donc dédié aux “responsabilités éducatives”. Comme son nom l’indique, ce nouveau guide éclaire sur les pratiques des employeurs les plus innovants en matière d’aide apportée aux salariés concernant la réussite scolaire de leurs enfants.

Il s’agit d’un parfait exemple d’action qu’une entreprise peut mettre en œuvre dans une optique de performance humainement durable, et ce à double titre : parce que, tout d’abord, la réussite scolaire des enfants constitue un sujet de préoccupation, voire de stress intense, pour les parents, ce qui, dans certaines situations, peut les amener à ne pas pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes au travail ; ensuite parce qu’aider les collaborateurs qui sont parents dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, c’est permettre à la société tout entière de faire grandir ses futures “forces vives”. C’est donner aux entreprises la possibilité, demain, de recruter des personnes correctement formées par le système éducatif.

Le Guide Concilier vie professionnelle et responsabilités éducatives vise à sensibiliser les dirigeants d’entreprise et leurs équipes aux besoins rencontrés par les salariés-parents dans la conciliation de leur activité professionnelle et de leurs responsabilités éducatives. Il détaille aussi le comment : quelles actions concrètes une direction d’entreprise peut-elle déployer dans ce domaine ?

Ce guide est donc construit autour des principales situations rencontrées par les salariés parents :

• Se rendre disponible au quotidien pour aider ses enfants dans leurs devoirs et leurs révisions.
• Gérer l’épineuse question des écrans.
• Se rendre disponible pour participer à des réunions scolaires.
• S’organiser en cas de grève ou d’absence des enseignants.
• Être présent dans les temps forts de la scolarité, comme la rentrée scolaire, les examens ou les concours, la recherche d’un stage, l’orientation scolaire.
• Accompagner son enfant en cas de difficulté, qu’il s’agisse d’un problème de santé, de décrochage ou de harcèlement par exemple.

Des témoignages et de bonnes pratiques de décideurs RH des groupes BNP Paribas, La Poste ou Société Générale s’avèrent très éclairants. À titre d’exemples :

• La Poste propose notamment aux postiers “un accès gratuit à une plate-forme sur Internet composée d’enseignants qui aideront l’élève dans la compréhension de son cours et dans ses devoirs. Cette solution de soutien scolaire est accessible sur l’ensemble du territoire et pour tous les niveaux scolaires. Au-delà de l’aide aux devoirs, elle propose un accompagnement des enfants sur différentes problématiques liées à la scolarisation : coaching des enfants comme des parents (sur le suivi des devoirs), formulation des choix sur Parcoursup, rédaction de CV ou de lettres de motivation, mise en relation pour les stages de 3e… Des tarifs ont aussi été négociés avec deux prestataires proposant des cours particuliers et des stages de révision. Ainsi, chacun peut trouver la formule la plus adaptée à sa situation”.

• Chez BNP Paribas, l’accord sur “le temps à la carte” est “utilisé par un nombre important de collaborateurs qui peuvent ainsi organiser de manière plus souple leurs temps de vie professionnels et personnels. En effet, cet accord permet aux collaborateurs d’acquérir et d’utiliser au cours d’une année civile des droits à congés supplémentaires non rémunérés en plus de leurs congés payés. Les collaborateurs peuvent acheter entre 5 et 20 droits par an, permettant des accompagnements spécifiques pour les enfants ou l’aménagement des temps personnels supplémentaires”.

• La Société Générale met à la disposition des salariés parents une plate-forme qui “dispose d’un service d’aide aux devoirs avec plus de 25 000 profils de professeurs disponibles partout en France pour des cours particuliers à domicile dans plus de 20 matières”. Par ailleurs, le groupe bancaire organise chaque trimestre des conférences parentalité animées par des professionnels de l’enfance sur des thèmes variés : l’intelligence émotionnelle, la confiance, l’éducation positive, la fratrie… Enfin, la Société Générale verse une allocation d’études et/ou une allocation de vacances pour chacun des enfants à charge fiscale.

 

Voir aussi : Les chemins de l’épanouissement

Le recrutement doit changer de mains

Recruter : même par temps calme, aucun autre verbe, dans l’univers des ressources humaines, ne suscite tout à la fois autant d’espoir et d’inquiétude, quel que soit le côté où l’on se place, recruté comme recruteur :

• espoir de trouver un poste qui garantit du “kif” pour l’un et de conquérir LE candidat qui coche toutes les cases pour l’autre ;

• crainte de se tromper d’entreprise pour l’un et de profil pour l’autre.

Aucune mission n’est plus audacieuse et plus compliquée que celle du recrutement, car elle a trait directement à l’humain, tout à la fois complexe et imprévisible. Comment alors, par temps fort, et particulièrement en ces périodes de crise marquées du sceau du Covid-19, très chaotiques économiquement parlant, peut-on oser parler de recrutement ?

Comment peut-on imaginer que des entreprises s’engagent auprès de nouveaux collaborateurs, aussi talentueux soient-ils, alors que l’avenir n’a jamais paru aussi incertain et que le nombre de destructions d’emplois ne cesse d’augmenter ?

Cela peut en effet paraître paradoxal, mais il n’en est rien. Si des pans entiers de certains secteurs économiques s’effondrent, si des métiers disparaissent, d’autres voient le jour, tirés entre autres par les évolutions technologiques, les grands enjeux climatiques, les nouvelles orientations environnementales et les nouvelles formes de travail (management de transition, freelancing). Sous l’égide de startupers audacieux comme sous l’impulsion de chefs d’entreprise ou autres grands dirigeants visionnaires, la quête des talents se poursuit, voire s’accentue dans certains secteurs (santé, sécurité, logistique, digital…), ce dont on ne peut que se réjouir.

En ces temps de crise, la question à se poser n’est donc pas tant doit-on ou non recruter, mais bien plutôt qui doit recruter et comment pour s’assurer de l’adéquation des nouvelles recrues aux exigences des postes à pourvoir, souvent essentiels pour la pérennité de l’entreprise, voire pour sa survie ? La tentation peut alors être grande de dérouler selon la routine habituelle les processus de recrutement qui ont fait tant bien que mal leurs preuves jusqu’alors et qui rassurent, en particulier ceux qui en sont à l’origine, à savoir les services des directions des ressources humaines. Mais ce serait faire fi de plusieurs paramètres déjà naissants avant la crise du Covid-19 et que celle-ci exacerbe. Comme le précise Isabelle Bastide (PDG de PageGroup) dans son ouvrage Le recrutement réinventé :

1 – c’est la fin des modèles : Les compétences techniques relatées dans le CV ne suffisent plus ; l’intuition humaine, l’intelligence émotionnelle, les softs skills sont de plus en plus recherchés ; on ne recrute plus des profils stéréotypés, mais des personnalités qui se révèlent non plus uniquement à travers un entretien d’embauche classique, mais bien plutôt via des plates-formes de recrutement, des vidéos, chats live, forums, jeux-concours, escape games…

2 – place à l’open recrutement : On assiste à l’émergence de principes de cooptation et de recommandation ; en utilisant le réseau professionnel de leurs salariés pour recruter, les entreprises transforment ces derniers en chasseur de têtes. C’est donc tous ensemble : managers, DRH et collaborateurs qu’il faut aujourd’hui envisager les recrutements, sans oublier que…

3 – … la balle est désormais dans le camp des candidats : Les candidats ont mûri, ils ont accès à davantage d’informations et de choix. Ils adoptent une attitude consumériste et sont susceptibles, même en période de crise, de décliner la lettre d’embauche d’une entreprise au sein de laquelle, hier, ils rêvaient d’être engagés.

portrait de dominique BELLOS
Dominique Bellos, ex-directrice des ressources humaines d’HUTCHINSON

Est-ce à dire que recruter serait devenu plus difficile qu’avant la crise du Covid-19 ? Non, le recrutement n’est pas plus difficile aujourd’hui qu’hier, mais il n’est définitivement plus la chasse gardée des dirigeants, des DRH et des managers, ni même des cabinets de recrutement, aussi experts soient-ils en la matière.

Les premiers recruteurs de l’entreprise sont désormais ses collaborateurs. Aucune campagne de recrutement, aucune communication institutionnelle, fussent-elles des plus attractives, ne refléteront l’entreprise si ses collaborateurs ne s’y reconnaissent pas. Et même si le masque devient obligatoire dans l’entreprise pour des raisons sanitaires, il se devra de “tomber” dans toutes les autres circonstances.

Une marque employeur, transparente et efficace, ne se décrète pas, elle se construit à travers ses collaborateurs. En les encourageant à communiquer grâce aux réseaux sociaux sur leur entreprise telle qu’elle est vraiment, les dirigeants, les DRH et les managers font d’une pierre deux coups :

1 – ils invitent leurs salariés à s’engager très en amont sur la marque employeur en les incitant à devenir les ambassadeurs et les relais naturels de l’entreprise et à renforcer par là même leur sens des responsabilités à l’égard de celle-ci ;

2 – ils se montrent rassurants envers leurs potentiels candidats et futurs talents en répondant à l’une de leurs très fortes attentes : l’authenticité.

Bien recruter suppose donc de savoir retenir et fidéliser ses collaborateurs. Le capital confiance va devenir crucial, et ce dès la phase d’intégration du nouveau talent. Il ne faudra plus raisonner uniquement en compétences techniques ou en domaines d’expertise. Le futur collaborateur est avant tout un être humain dont l’intelligence émotionnelle sera à prendre en compte. Gagner sa confiance supposera plus que jamais de la part des managers de savoir faire preuve d’un leadership empathique et rassurant, de surcroît quand celui-ci devra s’exercer à distance, sécurité oblige. Il faudra donc former les recruteurs, dont les managers, à recruter différemment, dans une approche à plus long terme, à travers un “parcours candidat” impactant, personnalisé et authentique.

Désormais, savoir évaluer avec justesse ses futurs talents fera partie intégrante de la mission de l’entreprise. Or, dans cette période exceptionnelle à bien des titres, tous les compteurs ou presque sont remis à zéro, la plupart des indicateurs repères sont caducs, ceux concernant le recrutement ne font pas exception. Il va donc falloir adapter, voire réinventer, les outils d’évaluation, sans visibilité aucune, mais avec une seule certitude : les candidats devront disposer du potentiel requis pour faire face aux challenges de l’entreprise, dont l’avenir est chargé d’incertitudes. Il ne suffira donc plus de vérifier si les compétences annoncées ont bien été démontrées dans leurs précédentes missions, il faudra surtout et avant tout détecter s’ils disposent ou non du potentiel (hard & soft) requis par le poste, puis d’en évaluer le niveau “in vivo”. Le savoir-être face aux incertitudes se révélera un atout majeur particulièrement recherché.

Mais là ne s’arrêtera pas la mission de l’entreprise en matière de recrutement. Elle devra être en mesure d’apporter au candidat retenu un accompagnement sur mesure, pour faciliter son intégration, dans les meilleurs délais, et un environnement managérial qui favorisera son épanouissement et lui permettra de réaliser son potentiel en toute autonomie et authenticité.

C’est à ces conditions que l’entreprise pourra attirer et retenir ses futurs talents afin de relever ses challenges les plus audacieux.

 

Voir aussi : Les soft skills : atouts de demain

Optim’services : Locomotive QVT de la SNCF

Fournir aux entités et aux personnels du groupe SNCF des services dans les domaines de la santé, de l’action sociale, des démarches administratives, des déplacements professionnels, du recrutement ainsi que de la comptabilité en assurant au comité de direction de la SNCF des coûts de structure maîtrisés : voilà un exercice d’équilibriste auquel Xavier Roche a accepté de se prêter en 2015.

Faire entrer “la grande maison” dans une nouvelle ère n’était pas une mince affaire. Pour commencer, la juxtaposition de plusieurs entités de services (paie, comptabilité, RH, SI, environnement du travail) et des centres de services partagés issus des trois établissements publics (EPIC) de la SNCF devait porter un seul et même nom : ce sera Optim’services.

“Le naming était très important, se souvient Xavier Roche. Les agents devaient se reconnaître dans une même entité, un même support pour le soutien financier, médical et social des équipes, l’idée d’optimisation me semblait donc à propos.”

Seconde étape : accompagner et participer à la transformation de la SNCF dans une ère numérique. “Nous avons réussi à digitaliser nos services et à les rendre plus innovants pour les agents du groupe, avec par exemple la dématérialisation des bulletins de paie, une application de self-service administratif pour les cheminots et la mise en place de cabines de télémédecine sur les campus de Saint-Denis”, explique le DG d’Optim’services.

Dès lors, Xavier Roche prend des mesures qu’il qualifie d’“audacieuses” pour la SNCF : “Il y a trois ans, j’ai fait le choix de remplacer la totalité des ordinateurs fixes dans ma direction par des portables au cas où, à l’avenir, le télétravail se développerait. J’y suis d’ailleurs favorable. On peut dire que l’avenir m’a donné raison.” À l’origine de cette décision avant-gardiste : la prise de conscience d’un paradoxe : “La dépense d’énergie des salariés dans les transports est considérable. Et, paradoxalement, c’est un peu majoré à la SNCF dans la mesure où, pour les cheminots, le train est tout à fait accessible. Contrairement à d’autres entreprises, nous avons énormément de salariés qui vivent très loin. Des hommes et des femmes font Reims-Paris ou Paris-Lyon tous les jours.”

Ce constat a conduit Xavier Roche à digitaliser certains services : “Cela présentait deux avantages : pousser le travail vers des implantations où j’avais des salariés, et garantir à ces derniers l’assurance de rester à proximité de leur lieu de vie.” Bien avant la crise sanitaire que nous connais- sons aujourd’hui, Xavier Roche était convaincu de la stratégie gagnant-gagnant du télétravail.

Sa solution : deux jours, voire trois, de travail hebdomadaire à distance, et des journées consacrées à des travaux collectifs. “La SNCF est une entreprise historique. Nous sommes des héritiers d’implantations qui datent des époques où les sous-préfectures étaient situées à moins de trois jours de cheval de tout citoyen… Nous ne pouvions pas rompre avec ce passé, fermer les sites, réunir les cheminots dans de grands centres, au risque de provoquer des drames personnels.” Selon lui, cette démarche ancrée dans la continuité aurait permis aux salariés de continuer à réaliser un travail de qualité au sein d’une entreprise en plein bouleversement.

“Je n’ai jamais caché la vérité aux cheminots de ma direction : si vous souhaitez continuer à travailler à Bayonne ou à Valenciennes, il n’y a pas de secret, il faut que vous acceptiez de passer par des outils numériques. J’ai par ailleurs pris des engagements très forts : tout le monde aura sa place dans les réformes, tout le monde gardera un boulot dans le cadre de notre grande direction des services”, assure Xavier Roche. Ses collaborateurs ont compris cette nécessité de faire évoluer les mentalités. “Je leur proposais une façon douce d’évoluer avec un impact personnel le plus limité possible.”

C’est avec cette simplicité d’approche que Xavier Roche pense être parvenu à réaliser en douceur les travaux de mutualisation, de digitalisation, d’industrialisation nécessaires. “L’optimisation passe par des réalisations concrètes, comme notre application de self-service pour l’administration RH. On peut presque tout faire soi-même en saisissant ses données sur des thèmes comme les commodités par exemple.”

Et, concernant les restructurations en cours : “Nos salariés sont des statutaires, il n’est donc jamais envisagé de plans sociaux, les réductions d’effectifs reposent sur du non-remplacement de départs à la retraite. Nous avons réussi sur l’amélioration du service et la productivité ; les collaborateurs, dans leur grande majorité, sont montés à bord”, conclut-il.

 

Voir aussi : CPAM : La coopération en pratique

Le management du collectif à l’épreuve des crises

Théodore Roosevelt (1) disait : “Le bon dirigeant est celui qui se laisse entourer par les meilleurs, et se retient d’interférer dans leur travail.”

Rares, hélas, sont les dirigeants capables de lâcher prise. Ils sont encore trop nombreux à multiplier les systèmes de contrôle de l’activité de leurs collaborateurs, interdisant ainsi toute possibilité d’initiative. “Vous ne pouvez pas forcer le caractère et le courage des gens en décourageant l’initiative et l’indépendance ; vous ne pouvez pas donner de la force aux faibles en affaiblissant les forts ; vous ne pouvez pas favoriser la solidarité en encourageant la lutte des classes ; vous ne pouvez pas aider les gens en faisant pour eux ce qu’ils doivent faire par eux-mêmes.” Abraham Lincoln (2), en prononçant ces phrases devant le Congrès américain en 1861, posait les bases de ce que l’on appelle l’empowerment dans le monde de l’entreprise.

Alimenter la défiance et les peurs par des contrôles tatillons ne peut conduire qu’au pire. On ne bâtit rien de durable sur du négatif, que du négatif. La défiance est un poison mortifère tan- dis que la confiance reste un pari. “Ne dites jamais aux gens comment faire quelque chose, dites-leur quoi faire, et ils vous étonneront par leur ingéniosité (3).”

Les managers doivent s’approprier cette attitude. Ils ne peuvent pas se contenter d’exiger des résultats, de la performance, de l’implication, etc. Chaque individu possède en lui-même les clés de sa motivation. Ce n’est qu’à travers un dialogue confiant et sincère qu’un manager peut les découvrir, les encourager et les mobiliser au service du projet. Le contrôle implique trop souvent la soumission, tandis que l’autonomie encourage l’implication. S’il existe des êtres humains préférant une certaine soumission par peur de s’impliquer, préférant reporter sur d’autres les raisons de leur désengagement, il en est de bien plus nombreux qui, à l’inverse, osent l’autonomie responsable pour se réaliser.

Savante alchimie, l’empowerment entremêle les notions de bienveillance, de compétence, de confiance, d’exigence, de justice, de reconnaissance, de responsabilité, de sécurité et de sens. Les pratiques de qualité de vie au travail (QVT), de responsabilité sociétale et environnementale (RSE), de partage (Comp & Ben), de développement personnel (assessment, coaching, formations, etc.), de dialogue et de relations sociales doivent s’inscrire dans un cadre cohérent conjuguant les multiples contraintes économiques, politiques, techniques et sociales qui animent l’écosystème complexe de toute organisation, qu’elle soit publique ou privée. Osons l’intelligence collective !

1. Théodore Roosevelt (1858-1919), 26e président des États-Unis de 1901 à 1909, naturaliste, explorateur, historien et écrivain.
2. Abraham Lincoln (1809-1865), 16e président des États-Unis de 1850 à 1865, partisan de l’émancipation des esclaves.
3. Général américain George S. Patton (1885-1945), cité dans Patton, Yannis Kadari, éditions Perrin 2011.

 

Voir aussi : Collectif : une question de bon sens !

Et si l’entreprise n’était plus un lieu physique ?

En raison de la crise sanitaire que nous sommes en train de traverser, le télétravail semble s’installer durablement dans les mœurs des entreprises. Certains se réjouissent de cette évolution en ce qu’elle consacre une évolution manifeste du management : ce qui compte, désormais, c’est ce que l’on fait et non le lieu où on le fait. Mais quel impact sur notre vision de l’entreprise ? Jusqu’à aujourd’hui, les locaux de l’entreprise étaient le lieu de cet échange “travail contre salaire”, qui a lieu entre le salarié et son entreprise.

Désormais, le travail s’effectue de plus en plus en dehors de la zone de contrôle du manager de proximité qui représente l’entreprise pour le salarié. Est-ce à dire que les “adresses” des sièges sociaux d’entreprise vont bientôt devenir de simples boîtes aux lettres, des coquilles vides ? Quel impact sur le sens du travail et du collectif lorsque nous envisageons des “entreprises-cloud”, sans locaux ou presque ?

Certes, quand nous parlons d’“entreprise” comme “lieu du travail”, notre modèle de référence reste marqué par les représentations issues des épopées industrielles et entrepreneuriales de la première révolution industrielle. Celle-ci avait déjà profondément changé la nature du travail (de l’artisanat aux processus collectifs de production). Mais depuis le milieu des années 1990 et selon une constante accélération, la révolution numérique a progressivement transformé le visage tant du travail que de l’entreprise. Internet a contribué à transformer des chaînes de production et d’approvisionnement en réseaux complexes, à l’échelle du “monde-village”.

Les entreprises sont désormais partout où elles atteignent leurs clients. Et depuis quelque temps déjà, le “cloud” semble avoir ringardisé la notion de “lieu de travail”. Même si l’entreprise était de moins en moins un “lieu physique”, le bureau restait le premier lieu de son “incarnation”.

Mais dans un monde Covid, l’“espace virtuel”, réseau tissé de relations numériques, est en passe de se substituer de plus en plus au “lieu de travail et de collaboration physique” qu’était l’espace de bureau. Pourtant, l’espace et le temps sont des paramètres fondamentaux de l’action humaine. En partageant le même espace de travail, nous partageons un même environnement (exposition aux aléas de la climatisation, aux nuisances sonores, etc.) : nous sommes “dans le même bateau !”. Au contraire, à distance, nous le constatons tous, naissent les difficultés de “synchronisation” entre collègues, à être sur la même longueur d’onde, ainsi que la difficulté à créer de la valeur collectivement en coordonnant notre action.

Alors, nous affranchir de l’unité de lieu ne nous fait-il pas courir un risque ? Celui de nous affranchir par la même occasion de l’unité de temps et d’action, qui sont les deux autres piliers du récit dramatique selon Aristote ? Autrement dit : quelle histoire commune pourra encore se raconter si cette unité d’action et de temps ne s’inscrit plus dans une unité de lieu ? Quelle conscience pouvons-nous encore avoir de vivre une aventure commune ? Ou, dit de façon plus moderne : quel story telling est encore possible pour l’entreprise-cloud ?

Poser cette question, c’est dire combien cette transformation des usages ne va pas de soi : elle correspond à une transformation de la vision du travail ainsi que de notre façon de construire le collectif.
Si l’entreprise est une entité juridique, c’est aussi un collectif unifié par une aventure commune qui dépasse chacun de ses membres (d’ailleurs parfois uniquement “de passage”).

Paradoxalement, le télétravail impose donc à l’entreprise de prendre à bras le corps les sujets de collaboration si elle veut éviter son délitement progressif. Celle-ci gagnerait à définir ses “règles du jeu”, notamment pour garantir l’unité de temps et d’espace. Quand être disponible et connecté ? Comment les équipes se repèrent-elles et se situent-elles mutuellement dans ce nouvel “espace virtuel” ? Comment des rituels qui ponctuent le temps, par leur fréquence, pourraient-ils compenser l’éloignement spatial des salariés les uns des autres ? Que veut dire manager “en proximité” selon la culture propre de cette entreprise ?

Finalement, il s’agit d’inventer non seulement les outils de communication à distance, mais aussi les compétences humaines qui seront nécessaires pour garder le lien avec le collectif. De même, le télétravail devrait aller de pair, non pas avec une suppression, mais avec une redéfinition du sens de l’espace de l’entreprise. Celui-ci ne serait plus avant tout un espace de travail, un lieu englobant, structuré selon une opposition entre le “dedans” et le “dehors”, mais avant tout un lieu d’ancrage : le lieu de la reconnaissance d’une appartenance, le lieu du rituel dont le rôle est de ponctuer la monotonie du “business as usual” par les temps forts de la célébration, de la rencontre où se rend visible à tous l’appartenance à une même aventure collective.

 

Pour aller plus loin : Les vrais problèmes posés par le télétravail