Flexibility made in Britain

Après avoir reçu les recommandations d’un groupe de travail tirant le bilan de la crise sanitaire sur l’organisation du travail, le gouvernement britannique souhaite inciter les entreprises à adopter après la crise des modes de travail hybrides et à favoriser la flexibilité, notamment à travers le télétravail, dont 71 % des entreprises admettent qu’il a dynamisé la productivité.

La principale décision serait de donner le droit à chaque employé, dès son entrée dans une société, de demander à organiser son travail de manière flexible, alors qu’il doit aujourd’hui avoir une ancienneté d’au moins six mois pour y prétendre.

FRANCE TÉLÉVISIONS, l’attention aux autres

Quelles convictions guident votre action au quotidien ?

À mes yeux, la prise en compte de la qualité de vie au travail en général et celle de l’équilibre des temps de vie en particulier constituent des leviers majeurs de performance pour l’entreprise. Si un employeur s’en désintéresse, il déstabilise la relation de confiance avec les gens qu’il emploie. A contrario, un manager à l’écoute des personnes et respectueux de leur équilibre de vie a toutes les chances de bénéficier, en retour, de leur confiance et de leur engagement.

Cependant, on ne doit pas tout attendre de son employeur : il appartient à chaque collaboratrice et à chaque collaborateur de prendre soin de son propre équilibre. Une culture de la QVT passe par ce principe de coresponsabilité. C’est en faisant attention à soi que nous sommes en mesure d’être davantage attentifs aux autres.

 

La Direction santé et qualité de vie au travail de France Télévisions a impulsé de nombreuses mesures en faveur de l’équilibre des temps de vie. Lesquelles vous inspirent le plus de fierté ?

C’est d’avoir permis à l’entreprise de disposer d’un coup d’avance sur le télétravail et la déconnexion. Avec la signature de la Charte de la parentalité en juin 2014 et le lancement d’un jeu pédagogique, @ttitudes, destiné à sensibiliser les collaborateurs de l’entreprise sur leurs pratiques numériques. En effet, de nombreuses personnes ne percevaient pas les dangers de l’hyperconnexion sur leur santé. France Télévisions a été également l’une des premières entreprises françaises encourageant les jours non fixes télétravaillés.

Toutes ces avancées ont renforcé la capacité d’adaptation de l’entreprise face à la crise du Covid-19.

 

La crise du Covid-19 a-t-elle eu un impact important sur l’équilibre de vie des personnes travaillant pour France Télévisions ?

Oui, faire entrer le travail à la maison a bouleversé l’équilibre de vie de beaucoup de gens. Pour les salariés également parents, télétravailler toute la semaine à la maison n’a pas été simple. Les personnes sans charge familiale ont parfois eu du mal à se déconnecter. Pour les managers également, exercer à distance n’a pas été toujours facile.

Celles et ceux qui savaient déjà concilier vie professionnelle et vie personnelle se sont plus facilement adaptés à la situation. Au sein de la Direction santé et qualité de vie au travail, nous avons très vite senti qu’il fallait agir. Tout d’abord en rappelant les bonnes pratiques de déconnexion, que nous diffusions depuis des années, en incitant les personnes à se donner des règles du type « je ne travaille pas sur ordinateur avant 8 h 30 et je finis sur ordinateur au plus tard à 19 heures », « je fais un break à midi », etc. Nous avons aussi lancé plusieurs initiatives afin de prévenir l’apparition de risques liés à la sédentarité et au travail sur écran (troubles musculo-squelettiques, fatigue visuelle) via des exercices d’étirement conseillés par un ergonome. La DRH a également lancé Interludes, une pastille de ressources digitales visant à offrir des moments de respiration à nos collaboratrices et collaborateurs.

Durant ces derniers mois, les managers ont été incités à prendre en considération la vie personnelle de leurs coéquipiers : « Je comprends tes difficultés… Ce n’est pas grave si tu ne peux participer à cette réunion… Je vais prendre des notes et te débrieferai ensuite. » L’enfant d’untel ou untel qui restait « virtuel » dans l’esprit du manager est devenu réel en passant devant la caméra durant une réunion en visioconférence. Les personnes se sont davantage confiées, même si cela n’a pas été toujours aisé. L’écoute managériale et la proximité y ont peut-être gagné.

 

Indépendamment de la crise du Covid-19, quelles actions sont aujourd’hui plébiscitées par les collaboratrices et collaborateurs de France Télévisions en matière d’équilibre de vie ?

Nous avons organisé des groupes de travail récemment, avec des collaborateurs, des managers et des représentants du personnel. Ces groupes ont mis en lumière deux enjeux sur lesquels nous souhaitons agir.

Le premier concerne les salariés en situation d’aidants familiaux. La moyenne d’âge étant de 48 ans au sein de nos équipes, bon nombre de collaboratrices et de collaborateurs ont des parents âgés. Au-delà de ce que nous faisons déjà pour aider les salariés aidants, une idée nouvelle a émergé, celle de favoriser la cohabitation intergénérationnelle en matière de logement. À cet effet, un dispositif original a été expérimenté pour permettre à des parents de collaborateurs d’héberger un jeune à leur domicile et de bénéficier ainsi d’une présence rassurante. Le jeune peut être ou non un enfant de collaborateur, étudiant ou jeune actif. Le dispositif a débuté pendant la crise sanitaire, et nous espérons qu’il répondra aux besoins de nos collaborateurs

Le deuxième enjeu concerne la conciergerie d’entreprise, fort précieuse en matière d’équilibre des temps de vie, par exemple pour trouver en urgence une nounou ou une personne compétente pour de l’aide ménagère ou du jardinage. Nous avons lancé une conciergerie digitale en 2015 et n’avons cessé de l’améliorer depuis. Grâce au reporting régulier concernant les prestations souscrites par les collaborateurs, nous pouvons en effet identifier les services les plus demandés et les étoffer.

Raison d’être, sens et… réalisation de soi

Le professeur Jean-Jacques Breton est un psychiatre canadien à l’origine de travaux sur les « facteurs de protection ». Il explique que, tout comme il existe des facteurs de risque en matière de suicide, il existe des facteurs de protection, utiles à mettre en œuvre. Il précise que « si l’on favorise ces “facteurs de protection”, les gens peuvent améliorer leurs capacités à faire face aux événements stressants ». Et parmi les facteurs de protection qu’il avance, il y a la présence d’objectifs dans la vie et… le sens que l’on donne à sa vie.

Nous pouvons transposer cette étude au monde de l’entreprise. Une personne vit mieux son travail quand elle prend conscience qu’elle est utile à ses collègues. Une aide-soignante, dans un hôpital, allant prévenir l’interne que tel patient souffre d’une réaction cutanée soudaine, ne vivra pas son travail de la même manière que si elle se contentait de faire la toilette du patient. Dans un document intitulé « Travail et santé », le professeur Philippe Davezies apporte une justification médicale à cet aspect : « La perception de l’activité d’autrui active, dans le cerveau, des réseaux de neurones qui réagissent à cette activité de la même façon que s’il s’agissait de la propre activité du sujet sur cet objet. » En une phrase, si l’on facilite l’activité de son collègue grâce à son propre travail, on en retire une satisfaction.

Le sens peut être aussi conçu d’une manière plus générale. Si le but poursuivi par le collaborateur est en harmonie avec des valeurs qui comptent pour lui, il le vivra beaucoup mieux. Cela est parfaitement illustré par Blake Mycoskie, le fondateur de Tom Shoes, une marque américaine de chaussures. Lorsque cette entreprise vend une paire de chaussures, elle en offre une autre à un enfant vivant dans un pays en voie de développement. Ainsi, les salariés et les clients deviennent les partenaires d’une action d’intérêt général.

Que cet intérêt soit général ou de proximité, il faut prendre le temps d’expliquer à chaque collaborateur en quoi son travail est utile. « Prendre le temps d’expliquer, ce n’est pas perdre du temps, c’est en gagner », écrivait Yves Desjacques, le DRH du Groupe Casino puis de La Poste.

 

Cette importance du sens dans la réalisation de soi pourrait être illustrée par la belle histoire des tailleurs de pierre.

Au Moyen Âge, un passant sur le chantier d’une cathédrale en construction interroge un premier tailleur de pierre sur ce qu’il fait. Celui-ci a la mine sombre et lui assène d’un ton amer : « Vous voyez bien, je casse des pierres ! J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et stupide. »

À la même question, un deuxième tailleur de pierre, au visage plus serein et aux gestes plus harmonieux, répond : « Je suis tailleur de pierre. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet de nourrir ma femme et mes enfants. »

Un troisième tailleur de pierre abat sa masse avec ardeur. Interrogé lui aussi par notre passant, il lui fait la réponse suivante avec un franc sourire : « Moi, je bâtis une cathédrale ! »

Entre le labeur de l’homme qui taille des pierres et le bonheur de l’homme qui contribue à bâtir une cathédrale, il y a le sens.

Entre l’hôte ou l’hôtesse de caisse qui encaisse et celui ou celle qui cultive du lien social en parlant aux personnes âgées esseulées, il y a le sens, avec des perceptions du travail très différentes. Dans un cas, on exécute une tâche, dans l’autre, on se réalise dans son travail.

En conclusion, il est essentiel que chacun comprenne à quoi il est utile vis-à-vis de ses collègues et, d’une manière générale, vis-à-vis de la société. Ainsi il sera en meilleure santé, se réalisera plus facilement dans son travail et sera aussi plus efficace.

La quête de sens aide chacun à se réaliser dans son travail. Il est donc logique que la perception de la finalité facilite l’engagement, et donc la réussite.

 

 

Groupe CASINO : La force du discret

Comment parler de « qualité de vie au travail” aujourd’hui, en pleine crise sanitaire, économique et sociale ?

Il faut non seulement en parler mais semer les petites graines qui vont nous permettre de résister aux tensions qui risquent de s’exacerber dans notre pays dans les mois qui viennent. Durant le confinement, en tant que secteur considéré comme “vital”, nous avons continué notre activité. Sur un plan RH, il nous fallait préserver la cohésion au sein de nos équipes et éviter une rupture entre les collaborateurs des magasins et des entrepôts qui se situaient “en première ligne” et la “base arrière”, c’est-à-dire les sièges et les directions qui étaient pour une large majorité en télétravail. Notre préoccupation était également de garder le lien avec nos salariés : des personnes pouvaient développer énormément d’anxiété, s’agissant de leur santé et du devenir de la société dans son ensemble.

C’est pourquoi, quasiment quotidiennement, nous adressions une communication en interne : vidéos, outils de formation, mise en avant de nos actions en magasins ou à caractère philanthropique, comme lorsque nous avons fait don de deux millions de masques aux hôpitaux français. L’idée était de montrer que la première ligne et la base arrière étaient dans le même bateau. Nous avons aussi déployé des conférences en ligne sur le management bienveillant, avec l’installation d’un fil d’écoute anonyme pour les cadres. Je crois que ces dispositifs étaient nécessaires et le seront encore, c’est pourquoi nous les maintenons.

Dans un contexte d’incertitude générale croissante, les collaborateurs en situation de fragilité doivent être identifiés puis accompagnés au sein de l’entreprise. Concrètement, depuis plusieurs années maintenant, nous avons mis en place un réseau de “bienveilleurs”. Plus que jamais, aujourd’hui, ce réseau est utile.

Ces 1000 bienveilleurs, en magasins ou dans les sièges, sont sensibilisés et formés pour identifier leurs collègues en situation de vulnérabilité et les aiguiller vers des structures adaptées, ou, tout simplement, les écouter et leur apporter du réconfort et davantage d’humanité dans leur quotidien.

“Bienveillance” n’est pas un terme commun dans le monde de l’entreprise. Comment vous êtes-vous approprié ce vocabulaire, tranchant nettement avec l’univers “processisé” que l’on peut imaginer ?

Nous avons opté pour le mot “bienveillance” car c’était la traduction, dans un seul et même terme, d’un héritage des politiques RH conduites par le groupe Casino depuis de très nombreuses années et jusqu’à maintenant. Et si la promotion du management bienveillant fonctionne dans le groupe Casino, c’est parce qu’il est totalement en accord avec l’histoire même du groupe.

À juste titre, la grande distribution est perçue comme un secteur plus difficile que d’autres, entre des négociations commerciales que l’on perçoit comme étant très dures, des mises en rayons qui sont des tâches lourdes, et donc des relations sociales qui peuvent être tendues, un taux de rotation du personnel qui est peut-être plus élevé que dans d’autres secteurs.

Donc, spontanément, on associe peu le terme de “bienveillance” et celui de “grande distribution” : c’est tout le pari que nous avons fait. C’est de dire : “Nous, groupe Casino, avons mis en œuvre depuis 120 ans des politiques sociales innovantes, maintenant il faut accompagner l’encadrement.” Un travail de fond a donc été mené pendant plusieurs années : sensibilisation, formation des cadres, des managers, des directeurs d’établissement et de siège, création d’un réseau de bienveilleurs qui relaient nos politiques et nos actions à un échelon encore plus opérationnel.

Quelles sont les qualités requises pour devenir bienveilleur au sein du groupe Casino ?

De l’écoute, de l’empathie, de l’humilité. Cette capacité de comprendre son collègue, au sens humain du terme. Il faut des qualités de médiateur aussi, pour faire remonter des informations, expliquer des cas, des contextes. C’est une implication au quotidien.

N’avez-vous pas craint de susciter frustrations et crispations en nommant des collaborateurs bienveilleurs et d’autres non ?

Nous avons joué la carte du volontariat. Et la sélection des candidats s’est faite en lien avec les ressources humaines. On ne m’a jamais remonté de tensions de la sorte.

Les secteurs dédiés au personnel, les DRH, syndicats, médecins du travail, n’ont- ils pas vécu l’apparition des bienveilleurs comme un échec ?

L’échec, c’est ne rien faire. Donc si l’on peut ajouter une petite aide dans un océan de solitude pour certains, tout le monde ne peut que le voir positivement. Il n’y a pas de pré carré dans la prévention de la souffrance. Le bienveilleur n’est pas un médecin, ni un psychologue, ni le N+1, ni le “gentil organisateur de soirée du vendredi”. C’est un petit peu de tout cela. Et, donc, il ne fait pas d’ombre aux corps de métiers plus “traditionnels” ou statutaires.

Où s’arrête le rôle de l’entreprise dans l’écoute et le soin apportés aux personnes ?

Le rôle du bienveilleur est d’écouter et, au besoin, d’aiguiller le collaborateur vers des dispositifs adaptés (psychologue, médecin du travail, assistante sociale…). Ce sont les salariés qui fixent la limite. Certains vont avoir tendance à se renfermer sur eux-mêmes, d’autres seront plus expansifs. Nous proposons avant tout une écoute et une aide si le collaborateur le souhaite. Nous essayons de faire connaître largement le dispositif des bienveilleurs et de le dédramatiser, de façon qu’il n’y ait pas de tabou. De même, nous garantissons la confidentialité dans la remontée d’informations.

En moins d’une année, nous sommes passés d’une situation d’urgence à une période de crise sur le long terme. Quelles sont les pistes d’action pour éviter que les relations de travail ne se détériorent, pour maintenir la cohésion d’équipe ?

Le groupe Casino est engagé dans une politique de RSE depuis de longues années. “Nourrir un monde de diversité”, notre signature, est aussi une feuille de route collective que nous fixons à tous les échelons. Nos équipes sont en contact direct avec le public, nous devons apporter des produits de qualité au meilleur prix. Face à la crise, aux perspectives de transformations, il est capital de renforcer la communication interne, pour donner du sens.

portrait de Franck-Philippe Georgin secrétaire général du groupe Casino
Franck-Philippe Georgin, secrétaire général du groupe Casino

En 2019, plus de 30 hypermarchés ou supermarchés ont été cédés. Début 2020, la vente de 567 magasins et de trois entrepôts Leader Price a été conclue… Comment les collaborateurs peuvent-ils recevoir ces évolutions de manière sereine ?

Face à l’ampleur des transformations des modes de consommation, le groupe a fait un choix tourné vers l’avenir : se recentrer sur les formats porteurs (proximité, premium, e-commerce), accélérer la digitalisation, développer de nouvelles activités et anticiper les évolutions des métiers pour les accompagner. Cette démarche d’anticipation a été consacrée dans un accord groupe signé en 2019 avec nos organisations syndicales, avec pour philosophie d’accompagner les évolutions de nos métiers et de nos activités en favorisant la mobilité et la formation des collaborateurs, et donc leur employabilité.

Plus récemment, la branche hypermarchés et supermarchés a mis en place un plan d’accompagnement de ses hôtes et hôtesses de caisse au terme duquel, pendant trois ans, 6000 collaborateurs vont pouvoir être formés aux métiers du conseil et de la relation client. Et 700 directeurs de magasin et managers de caisse vont être formés à la conduite du changement. C’est un dispositif inédit et innovant dans le secteur de la grande distribution. Nous avons créé au sein du groupe un dispositif dédié à la mobilité (“C ma Carrière”), avec des référents mobilité qui accompagnent les collaborateurs dans leur démarche de mobilité. L’application mobile “C mon Groupe”, accessible à tous sur un smartphone, leur offre un accès à tous les postes disponibles, ainsi qu’à l’ensemble des dispositifs d’aide à la mobilité.

Comment encouragez-vous le “sentiment d’appartenance”, dont on sait qu’il est le ciment d’un collectif homogène ?

Nous communiquons auprès de nos collaborateurs sur les classements et “bonnes notes” qui nous sont attribuées, ou encore sur les actions ou les dispositifs innovants que nous mettons en place. Pourtant, ce n’est pas dans la culture du groupe Casino de se mettre en avant. Ce sont les partenaires sociaux qui nous ont encouragés à valoriser nos actions et nos succès. Le sentiment d’appartenance est un levier puissant pour fédérer les équipes, d’autant plus important dans le contexte actuel d’incertitude, voire d’angoisse collective, lié à la situation sanitaire et économique. C’est la fameuse “fierté du maillot”. La métamorphose footballistique est toute trouvée : Geoffroy Guichard, fondateur de notre groupe, a donné son nom au célèbre stade de Saint-Étienne et notre logo est de couleur verte… La fierté d’appartenance permet de nous embarquer dans un récit collectif de transformation.

Mais la grande distribution que l’on a connue hier n’est pas celle d’aujourd’hui…

Ni celle de demain… : digitalisation, automatisation des process, ouverture plus tardive des magasins le soir ou le week- end, automatisation des entrepôts, comme notre nouvel entrepôt intégrant la technologie Ocado à Fleury-Mérogis pour la livraison alimentaire chez les clients. Nous menons ces transformations en accompagnant l’évolution des emplois dans la démarche d’anticipation évoquée précédemment. Au sein du groupe, nous sommes depuis toujours attachés à un dialogue social de qualité, nous observons les métiers en croissance, ceux qui sont en décroissance, et nous levons les barrières internes entre les métiers, comme entre les postes d’encaissement et ceux liés aux services client.

Avez-vous donc adapté vos méthodes de recrutement ?

Nous essayons de recruter des profils spécialisés dans les nouvelles économies et sciences des données. En tant que distributeur, un large pan de notre activité liée à la connaissance du client est en forte croissance, notamment à travers notre filiale relevanC. Aujourd’hui, il est capital d’être en mesure de compiler des datas. Pour attirer ces profils spécifiques, il faut adapter nos méthodes de recrutement, en utilisant les réseaux sociaux, les vidéos ; il faut également considérablement simplifier le parcours, plutôt que de leur proposer des entretiens classiques dans des box, avec une personne qui va vous raconter l’histoire du groupe…

Par ailleurs, pour conserver le lien intergénérationnel dans le groupe, nous avons développé un dispositif de tutorat des nouvelles recrues. Ces mentorats sont réalisés par les personnes qui ont le plus d’expérience, pour relier le meilleur des deux mondes : la solidité, l’expérience, la “sagesse” des employés les plus anciens et l’engouement, l’énergie, la volonté des nouveaux arrivants.

J’imagine que ce système donne aux “tuteurs” un sens renouvelé à leur travail grâce à une transmission de compétences, et donc de valeurs ?

Oui, c’est une activité très valorisante. Et pour le collaborateur nouvellement recruté qui en bénéficie, c’est, en quelques semaines, un condensé de plusieurs dizaines d’années de vie d’entreprise, de gestion des conflits, de savoir-être. Nous connaissons beaucoup de succès sur ce dispositif de mentorat/tutorat.

En Amérique latine, où le groupe Casino possède des filiales, vous privilégiez le recrutement local. Comment homogénéisez-vous la culture d’entreprise, en partie basée sur la qualité de vie des collaborateurs ?

Au sein du groupe Casino, nous avons toujours souhaité conserver la diversité des enseignes et des cultures, en France et à l’international. Monoprix ne s’appelle pas Casino Supermarchés ; en Colombie, nos magasins s’appellent Exito Super ou Carulla ; au Brésil, Pao de Açucar ou encore Assai. L’attachement au groupe s’exprime au travers de valeurs transversales partagées, illustrées principalement dans nos politiques de ressources humaines en matière de diversité, d’égalité hommes-femmes, ou encore de préservation de l’environnement. L’attachement au groupe se traduit donc dans chaque pays et l’encadrement supérieur est chargé de faire vivre cette culture d’entreprise.

La politique QVT de Casino France peut-elle être implantée ailleurs ?

Il y a des attentes comparables. Toutefois, des intérêts prioritaires en matière d’engagement sociétal de l’entreprise priment dans ces pays. C’est le cas pour Exito, engagé contre la pauvreté infantile en Colombie, ou pour l’éducation des enfants au Brésil.

Vos actions en faveur du bien-être de vos collaborateurs sont très discrètes, peut-être à l’image des bienveilleurs, présents au sein de vos équipes, peut-être aussi à votre image. Alors même que la QVT est devenue un phénomène de mode, s’il y a dans ce domaine de bonnes intentions, il y a aussi des postures. Pourquoi le groupe Casino ne communique-t-il pas plus “à l’extérieur” sur ses réalisations concrètes ?

Il est vrai que l’interview que nous réalisons ensemble est une grande exception à la règle. Nous considérons notre politique QVT plus en profondeur. Elle porte ses fruits au quotidien. Elle est peut-être moins illustrative car nous sommes animés par une forme de prudence. On sait ce que l’on fait au quotidien, on sait ce que l’on peut faire de plus, on sait surtout que l’on y va la main tremblante car nous sommes sur de la matière humaine… Nous communiquons très peu sur ces sujets dans les médias, car il suffit qu’une information soit approximative ou fausse pour que notre intention soit retournée contre nous. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas figurer comme des donneurs d’exemples ou des censeurs.

Et vous, Monsieur Georgin, quelle est votre raison d’être professionnelle ?

Ce qui est important, c’est de donner de la lisibilité à son action propre. C’est se rendre au travail chaque matin non pas parce qu’il le faut, mais parce que l’on porte des chantiers que l’on a lancés et que l’on a le plaisir et la fierté de les voir aboutir. S’ajoute à cela le sentiment de faire partie d’une équipe unie. C’est cela la qualité de vie au travail, c’est de donner du sens à ce que l’on fait.

1. Etude agence de notation Vigeo Eiris (filiale de Moody’s), réalisé auprès de 129 entreprises européennes du secteur-2020.

 

Voir aussi : L’Oréal : l’innovation sociale est un métier

Les lumières d’un hiver inédit

L’hiver risque d’être difficile car rempli d’incertitudes et d’inquiétudes.
Qui peut imaginer ce que sera l’évolution de l’épidémie de coronavirus dans les mois qui viennent ? Qui peut imaginer
les conséquences que cela aura sur ses déplacements, son travail, sa famille, ses loisirs ? En outre, les craintes liées au risque de contracter la maladie, de la transmettre, et les conséquences que cela peut avoir seront toujours présentes.
Les incertitudes et les inquiétudes générant du stress, l’hiver risque de voir son niveau augmenter.
Dans le domaine de l’entreprise, un autre paramètre va jouer, c’est la baisse de la motivation des collaborateurs. On était déjà sur une pente défavorable puisque, selon une enquête d’Opinion Way, entre 2008 et 2018, le pourcentage de collaborateurs très motivés est passé de 42 % à 28 %. En avril 2020, l’enquête montrait une aggravation.

La bienveillance est un anti-stress

Si l’on fait en sorte que les managers se com- portent de manière bienveillante avec leurs collaborateurs, on aura une baisse du niveau de stress et une augmentation de la motivation. Voilà qui est déjà plus réjouissant. Ces comportements bienveillants ont pour caractéristique d’augmenter les émotions positives – par exemple en aidant les collaborateurs à voir le sens de leur travail, en accordant un juste niveau d’autonomie, en fixant des objectifs qui soient des “défis possibles”, en formulant des retours positifs, qu’il s’agisse de compliments, de témoignages de gratitude ou d’encouragements… – et de diminuer les émotions négatives, par exemple en cultivant le sentiment de justice, en transformant le pessimisme en optimisme, l’incohérence en cohérence, en évitant le manque d’empathie…

Une question d’hormones

Or, si l’on augmente les émotions positives et si l’on diminue les émotions négatives, on va favoriser la libération de deux hormones : l’ocytocine et les endorphines.
L’ocytocine diminue le niveau de stress de plus d’un tiers, améliore la persévérance, la confiance en soi et en l’autre, l’optimisme et la créativité. Quant aux endorphines, elles favorisent la libération de dopamine, l’hormone de la motivation et du plaisir.
On peut donc, si l’on fait l’effort de bien se comporter, améliorer la santé des collaborateurs et leur engagement.

Un rapport passionnel au travail

En outre, comme l’a écrit un journaliste canadien, il y a dans notre pays un véritable attachement au travail. Antoine Char, dans le journal Métro de Montréal, est très clair : “Au pays des cinq semaines de congés payés et des 35 heures de travail par semaine, les Français ont malgré tout un rapport passionnel au travail. Ce n’est pas seulement un gagne-pain, comme dans bon nombre de pays anglo-saxons. C’est un mode de vie.”
De la santé, de l’attachement au travail potentialisé par le désir de bien faire, de réussir, de se dépasser, voilà vraiment de bonnes raisons d’espérer.

Deux réflexes sociétaux : la solidarité instinctive et le bien commun

Le premier est un réflexe d’entraide entre les personnes. C’est le monsieur qui aide une dame âgée à monter ses courses, c’est l’automobiliste qui s’arrête pour porter secours en cas d’accident, c’est la dame qui va aider dans un cadre humanitaire.
Le second est un réflexe dont la mise en œuvre, plus raisonnée, s’appuie sur une réflexion structurante. Il émane de personnes qui vont penser les moyens d’agir au mieux dans le sens de l’intérêt général.
Pour déclencher ces deux réflexes, il faut un choc psychologique. Si l’épidémie de coronavirus joue ce rôle, la mobilisation des deux réflexes peut faire émerger une société plus bienveillante où les personnes mues par ces deux réflexes agiront de manière synergique pour le bien d’autrui et le bien commun.
Si les acteurs économiques promeuvent les comportements bienveillants, si à l’échelle sociétale les femmes et les hommes qui sont sensibles aux réflexes sus-cités se mobilisent, alors, sous l’impulsion de la bienveillance, nous verrons la violence se transformer en résilience, la peur en envie, la désespérance en espérance. L’hiver sera peut-être froid, mais il annoncera un printemps porteur d’ardeur et de grandeur !

Voir aussi : Résilience pour cette crise… et celles d’après