People at Work vous en dit plus sur l’affichage environnemental

Quelles seront exactement les obligations des entreprises en termes d’affichage ? Selon quel calendrier ?

 

Il est utile de préciser tout d’abord la distinction entre affichage environnemental, qui fait référence à des informations quantifiées et factuelles, souvent normées et publiées de manière obligatoire, et allégation environnementale, souvent qualitative et qui s’inscrit dans une démarche volontaire de l’entreprise afin de valoriser un produit considéré plus performant que la moyenne d’un point de vue environnemental.

En France, quelques informations relèvent déjà de l’affichage environnemental obligatoire sur certains produits, comme l’étiquette énergie ou l’indice de réparabilité. La loi Climat et résilience prévoit par ailleurs un dispositif d’affichage environnemental sur les produits textiles et alimentaires, pour l’instant expérimental, mais destiné à être rendu obligatoire. Il pourrait s’agir d’un affichage présent sur le produit ou dématérialisé informant le consommateur des impacts du produit, calculé sur l’ensemble de son cycle de vie. Prévue pour 2022, cette régulation a été repoussée et le calendrier n’est pas encore fixé. Les expérimentations touchent cependant à leur fin, ce qui laisse présager des publications proches.

Plusieurs projets de directives européennes sont également en train de voir le jour, principalement pour réguler les allégations environnementales. La dernière en date est la directive « Empowering consumers » [1], adoptée en mai, et qui interdit toute allégation environnementale insuffisamment fondée factuellement et scientifiquement. Son entrée en vigueur est immédiate, avec deux ans prévus pour la transposition par les Etats membres. Elle sera complétée par la directive « Green Claims »[2] qui devrait quant à elle être effective en 2027, et renforcera les exigences méthodologiques de l’affichage environnemental.

 

 

Quelles catégories de produits seront concernées par ces réglementations ?

 

En France, les catégories concernées pour l’instant sont principalement les secteurs agro-alimentaire et textile, ainsi que certains produits électriques et électroniques dans le cadre de l’indice de réparabilité. La liste des catégories concernées est amenée à évoluer pour inclure davantage de produits au fil des ajustements méthodologiques.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) prévoit également que les produits soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) comprennent des informations sur des caractéristiques environnementales précises, comme le pourcentage de contenu en recyclé ou la recyclabilité du produit. C’est le cas des emballages ménagers par exemple, mais aussi de certains produits d’ameublement, d’emballages, de jouets…

 

 

Quelle sera la méthodologie de calcul de l’impact d’un produit ?

 

Les méthodologies sont encore en cours de définition.

En France, l’ADEME a lancé pour expérimentation l’outil Ecobalyse[3], qui permet pour les secteurs textile et agro-alimentaire de calculer l’empreinte environnementale d’un produit. Une méthode de calcul définitive devrait ainsi voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

 

Au niveau européen, le projet de directive « Green claims » vise à formaliser la méthodologie de certification des allégations environnementales. Elle inclut des critères comme la prise en compte de l’intégralité du périmètre du cycle de vie du produit et de ses impacts environnementaux, ou le recours à des standards scientifiques reconnus. Elle prévoit l’interdiction de communiquer sur la neutralité carbone d’un produit ou d’une activité si celle-ci est fondée exclusivement sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre mais en compense une partie en plantant des arbres ne pourra pas « déduire » de son bilan carbone ces émissions, ni prétendre que son produit est « neutre en carbone » alors qu’il a bien émis du gaz à effet de serre lors de sa production.

Les sources de données à utiliser sont également précisées par le régulateur, qui indique de privilégier autant que possible les données « primaires », c’est-à-dire issues directement de l’entreprise ou les données des fournisseurs, et seulement si nécessaire des informations plus génériques telles que des données sectorielles ou des bases de données tierces.

 

 

Est-ce que cela va vraiment aider le consommateur à se repérer ?

 

L’objectif des évolutions réglementaires sur l’affichage environnemental et l’encadrement des allégations est bien de permettre aux consommateurs de faire des choix de consommation éclairés, tout en mettant fin aux pratiques commerciales trompeuses ! En supprimant les allégations trop génériques ou peu fiables (« vert », « responsable ») au profit d’un affichage environnemental factuel, il sera aussi plus facile d’identifier les produits effectivement plus performants.

Pour le régulateur français, il s’agit d’orienter les consommateurs vers les produits les plus performants au sein d’une même catégorie (par exemple, quel est le meilleur gel douche d’un point de vue environnemental ?), mais aussi – et surtout – d’orienter les choix de consommation vers les catégories à moindre impact sur la base de caractéristiques comparables (en comparant un savon liquide et un savon solide par exemple ou diverses sources de protéines entre elles). Dans les deux cas, cela implique d’avoir pour chaque produit des données suffisamment précises pour permettre la différentiation.

Pour informer correctement le consommateur, il faudra mettre à disposition plusieurs niveaux de résultats : un affichage simple sur le produit, l’emballage ou la page web, qui permet de guider le geste d’achat instantanément, par exemple via une notation A,B,C,D ou une note sur 100 ; des résultats plus détaillés accessibles de manière déportée (en ligne) pour les consommateurs qui voudraient plus de précisions.

 

Quels sont les risques de Greenwashing qui subsistent malgré ces nouvelles réglementations ?

 

Le but de la réglementation est justement de lutter contre le greenwashing et les allégations pouvant induire le consommateur en erreur. Définir une méthodologie de construction des allégations précise et claire permet en effet de réduire ces risques en garantissant la fiabilité des informations ainsi que la comparabilité entre produits différents. Le recours à des vérificateurs indépendants sur un large panel de produits peut représenter pour l’entreprise un coût important qui ne peut toujours être intégralement reporté sur les consommateurs. Une solution alternative consiste à encourager la vérification par les pairs, par exemple via des consortiums sectoriels, et de stimuler le rôle de vigies réalisé par des ONG ou association de consommateurs.

 

Comment transformer ces contraintes réglementaires en axe de différentiation par rapport aux concurrents ?

 

L’encadrement des allégations environnementales peut être un levier de différentiation pour les entreprises à plusieurs points de vue : tout d’abord en prenant les devants : anticiper ces réglementations pour faire partie des précurseurs de la communication environnementale est déjà un facteur différentiant en soi. Par ailleurs, les produits les plus performants d’un point de vue environnemental seront naturellement mis en valeur par l’affichage, leur conférant un avantage auprès des consommateurs. Alors que 76% des consommateurs se déclarent en faveur d’une consommation responsable[4], un affichage environnemental mettant en avant la performance d’un produit permettra de mieux s’aligner à ces exigences croissantes.

De plus la mise en place dans l’entreprise d’une mesure d’impact des produits est à l’origine d’un cercle vertueux en termes de réduction des impacts et d’innovation. En effet, l’affichage environnemental requiert une connaissance plus fine du cycle de vie de ses produits, ce qui conduit à mieux comprendre où sont les principaux impacts et à innover pour les réduire. Ce cercle vertueux a pu être observé dès 2011, lors du bilan sur l’affichage environnemental réalisé par EY pour le ministère de l’Environnement sur un panel de plus de 150 entreprises[5]. 70% des entreprises ayant participé avaient ainsi déclaré mieux connaître les points faibles et forts de leur produits suite à l’expérimentation.

 

Communiquer sur la durabilité de ses produits est un moyen de renforcer sa marque en intégrant la durabilité dans son positionnement global. Des messages crédibilisés par des données robustes issues de l’affichage environnemental sont à même de renforcer la confiance des consommateurs envers la marque.

 

 

Plus largement, quel sera le rôle de l’Etat et des institutions pour donner confiance aux consommateurs ?

 

L’Etat détient un rôle structurant indispensable ; fournir un cadre méthodologique et légal précis garantissant une information claire, utile, comparable et une concurrence loyale. C’est également à lui que revient la responsabilité de pousser les entreprises à fournir cette information, d’informer le consommateur de ce dispositif exigeant et de créer la confiance d’ensemble en mettant en place les garde-fous pour écarter tout greenwashing. Enfin, en cas de non-respect de la réglementation, il reviendra enfin à l’Etat de s’assurer que des sanctions dissuasives soient appliquées !

 

 

Qu’en est-il de la mise en place d’un affichage environnemental au niveau européen ?

 

Un écolabel européen officiel existe déjà depuis plus de 30 ans pour une trentaine de catégories de produits seulement, ce qui le rend anecdotique. Sa certification, basée sur une analyse de cycle de vie, est volontaire. Un projet de passeport produit (Digital Product Passeport) est en cours d’élaboration, qui devrait permettre un accès facilité via un QR code à des données telles que la composition, l’origine et la réparabilité d’un produit. Ce passeport numérique pourrait entrer en vigueur dès 2026 pour les premières industries concernées (textile, piles, électroménager).

Des expérimentations sont également en cours depuis une dizaine d’année afin d’établir une méthodologie commune pour l’affichage environnemental : le PEF, pour Product Environmental Footprint. Basé sur une analyse de cycle de vie et 16 impacts environnementaux, le PEF n’a finalement pas été retenu comme méthode privilégiée dans le cadre de la proposition de directive Green Claims (sortie en mars 2023), qui laisse plutôt la main aux Etats pour définir leurs propres méthodologies, mais il n’en reste pas moins un cadre de référence dont les entreprises peuvent et doivent s’inspirer en raison de son approche par le cycle de vie très intéressante.

[1] Directive 2022/0092

[2] Directive 2023/0085

[3] Ecobalyse – Ecobalyse (gitbook.io)

[4] ADEME, « Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? », baromètre Greenflex-ADEME, 2023, accessible en ligne : Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? – ADEME Infos

[5] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, de l’Energie, Affichage environnemental des produits de grande consommation, 2013, accessible en ligne : 134000775.pdf (vie-publique.fr)

IA : que dit la loi en 2023 ?

Les récentes avancées en matière d’intelligence artificielle (IA) représentent « une grave menace pour les droits humains » (alerte du 18 février par le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme). L’inquiétude de l’ONT est-elle justifiée ?

L’inquiétude est élevée car la réglementation n’est pas encore claire en termes de classification des risques et de mise en œuvre et la surveillance par les autorités compétentes. La menace que l’on vit est celle du changement de valeurs de l’humanité, par des décisions qui sont de plus en plus automatisées. L’IA, à terme, peut ébranler notre sécurité, voire, notre santé mentale, notre façon de vivre. Les relations interpersonnelles sont également touchées, j’en veux pour preuve, le succès de certains algorithmes de recommandations, employés sur les réseaux sociaux. Cela nous donne une idée précise : de ce que certaines décisions indicible, impalpable, immatérielle, peuvent avoir comme conséquence.   En outre, l’UE ne peut ignorer les risques incertains, ceux auxquels les générations futures seront confrontées. Nous avons besoin d’une bonne gouvernance pour résoudre ce problème, et je ne suis pas sûr que la proposition actuelle de loi sur l’IA y réponde. Au niveau de l’entreprise, les travailleurs devraient également disposer de cette capacité critique.

IA : Beaucoup de collaborateurs se disent préoccupés. De quels outils dispose-t-on pour protéger leurs données personnelles ?

La loi sur la vie privée qui existe depuis longtemps, et récemment mis à jour au niveau de l’UE. Il s’agit du RGPD . C’est un aspect fondamental du droit humain., qui a une connotation d’extra-territorialité. D’autres pays ont importé les dispositions  de la RGPD dans leurs juridictions telles que l’Australie, le Canada, le Chili, ou bien le Japon. Un autre outil consiste à sensibiliser chaque individu à la protection de ses propres données personnelles et à sa capacité à s’interroger de manière critique sur l’opportunité de fournir ses données personnelles aux nombreuses entreprises qui les collectent pour leur propre profit.

Quelles propositions pourraient-être faites pour que l’Europe assume une position de leader numérique en garantissant les droits fondamentaux des salariés ?

L’Europe est un leader numérique au niveau de la gouvernance. C’est la première juridiction  à avoir fait passé des lois sur des systèmes d’IA, c’est très pertinent en termes de positionnement géopolitique . Au niveau technique, l’Europe n’est pas séduisante comme l’Asie ou l’Inde ou bien les les États-Unis. Elle veut faire une sorte de contre-poids, mais l’UE ne peut se contenter de proposer de nombreuses directives et règlements, le véritable pouvoir résidera dans leur mise en œuvre effective. La proposition législative actuelle sur la prise de décision et la surveillance algorithmique ne s’appliquera qu’aux travailleurs des plateformes. Les législateurs ont la responsabilité d’étendre ces dispositions à tous les travailleurs afin qu’ils bénéficient d’une prévention et d’une protection réelles sur leur lieu de travail.  Je pense qu’un nouveau cadre juridique dans le contexte de l’emploi est nécessaire. Les travailleurs ne devraient pas avoir des droits « théoriques », mais des droits qu’ils peuvent effectivement exercer à l’ère de l’IA. La Course à l’IA est économique.

Parcours Wataru : Un séminaire “anti burn out” pour sortir de l’épuisement professionnel et se remettre en mouvement

Face à un contexte anxiogène, de plus en plus de dirigeants et de managers ressentent une pression interne qui les met en tension, voire en difficulté au sein de leur entreprise. Résultat : ils se sentent fatigués, ont du mal à récupérer malgré les congés, ne ressentent ni énergie ni envie … D’ailleurs, le taux de burn out a doublé en un an à peine, et les managers sont 1,5 fois plus touchés. Bénédicte COSTEDOAT-LAMARQUE, co-fondatrice de Wataru, dirigeante de Be Change Live et auteure du livre “Le burn out, une opportunité de transformation intérieure” (éditions L’Harmattan, 2019), souligne : « La crise sanitaire, son contexte mondial insolite et leurs conséquences (télétravail, contraintes de fermeture, incertitude…) exacerbent les tensions dans l’activité des entreprises, ainsi que les tensions interpersonnelles et intrapersonnelles. Certaines autorités médicales alertent sur le fait que le nombre de burn out et de personnes à risque est en hausse ».

Il y a donc urgence à accompagner tous celles et ceux qui se trouvent en situation d’épuisement professionnel. Pour éviter une vague de burn out et permettre à chacun.e de se remettre en mouvement professionnellement, un séminaire inédit de 3,5 jours est proposé aux dirigeants, managers et leaders. Avec un objectif : leur permettre de faire un pas de côté pour y voir plus clair sur eux, leur entreprise, leurs perspectives, voire leur projet de vie professionnel.

Dans le magnifique cadre du Domaine du Taillé, un ancien monastère zen au coeur de l’Ardèche, deux sessions vont être organisées du 21 au 24 septembre et du 18 au 21 octobre 2021.

Le parcours Wataru est un formidable tremplin pour réussir à prendre du recul sur soi, ses enjeux, son écosystème et sa réalité professionnelle.

Entre pairs, dans une ambiance bienveillante, chacun vient se ressourcer et se connecter à l’essentiel, pour soi et son entreprise. A l’issue du séminaire, il est ainsi possible de repartir avec de l’énergie et des idées pour avancer.

L’approche du séminaire est constructive, pragmatique et positive. En pratique, elle se déroule selon trois étapes :

Etape 1 : Entretien pré-séminaire (45mn). Il permet de se connaître et clarifier son intention.

Etape 2 : Le séminaire en présentiel (3,5 jours). Il vise à comprendre les mécanismes intérieurs amenant à l’épuisement (physiologiques, physiques, mentaux, psychiques).  Apprendre à mieux se connaître va ainsi permettre d’identifier ses modes de fonctionnements répétitifs, ses besoins psychologiques et facteurs de stress, ses croyances et conditionnements.

A ce stade, Bénédicte propose aussi des outils simples pour sortir de ces schémas et se reconnecter à ce qui nous anime profondément. C’est aussi l’opportunité de comprendre la raison de cet épuisement à ce moment-là de sa vie.

Etape 3 : Séance de Coaching Individuel (1h, 1 mois après le séminaire). Cette séance de suivi aide à pérenniser et ancrer la mise en mouvement.

Parce qu’elle a elle-même vécu et transformé cette expérience du burn out, après un passé à responsabilités managériales en entreprise de 22 ans, Bénédicte Costedoat-Lamarque a développé une méthodologie unique, basée sur une compréhension réelle des situations et problématiques, quelles que soit la forme qu’elles prennent.

Coach professionnelle certifiée, elle a d’ailleurs les compétences pour accompagner le burn out à 360° (du pré-burn out jusqu’au post-burn out), ainsi que les transformations profondes d’entreprise.

Durant le parcours Wataru, elle mêle :

  • une Approche combinée cognitive / émotionnelle / corporelle : nombreux apports théoriques, gestion du stress, cohérence cardiaque, marche…
  • une Méthode innovante et systémique du MIT (Massachussetts Institute of Technologies), la Théorie U d’Otto Scharmer, basée sur l’émergence, la profondeur et la qualité de présence, permettant de potentialiser le travail sur soi par les apports et résonances du collectif.
  • Plus d’une dizaine d’ateliers pour éclairer ce qui se joue sous une variété d’angles différents : l’inventaire de personnalité individuel “Process Communication”, l’approche systémique, l’approche neurocognitive et comportementale, l’approche jungienne, les pratiques de leadership innovantes…

 

Le Domaine du Taillé, est un ancien monastère zen entouré de verdure au cœur de l’Ardèche, propice au ressourcement, à l’inspiration, à l’apaisement et au retour sur soi.

Pour profiter pleinement de chaque session, le nombre de participants est volontairement limité à 10 personnes maximum afin de préserver la qualité de présence et d’échange.

Flexibility made in Britain

Après avoir reçu les recommandations d’un groupe de travail tirant le bilan de la crise sanitaire sur l’organisation du travail, le gouvernement britannique souhaite inciter les entreprises à adopter après la crise des modes de travail hybrides et à favoriser la flexibilité, notamment à travers le télétravail, dont 71 % des entreprises admettent qu’il a dynamisé la productivité.

La principale décision serait de donner le droit à chaque employé, dès son entrée dans une société, de demander à organiser son travail de manière flexible, alors qu’il doit aujourd’hui avoir une ancienneté d’au moins six mois pour y prétendre.

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Quelle empreinte émotionnelle vais-je laisser dans mon entreprise ?

Quelle empreinte émotionnelle vais-je laisser dans mon entreprise ? C’est une question qui taraude bon nombre de dirigeants qui ne parviennent pas toujours à mesurer leur impact émotionnel sur les autres. Chip Conley, entrepreneur et auteur à succès, a quantifié le degré de « contagiosité » du boss au niveau de son équipe : selon lui, 50 % à 70 % du climat émotionnel d’une équipe dépendent directement des émotions que dégage le ou la chef.

 

Autrement dit, si le chef ressent une émotion particulière, que ce soit de la sérénité ou de la colère, l’équipe a de fortes chances de la ressentir à son tour. Pourquoi ? Tout simplement car le niveau d’attention que l’on prête à son supérieur hiérarchique, souvent par comparaison sociale ou simplement par intérêt, rend les émotions de ce dernier plus facilement détectables et donc contagieuses.

 

Le problème, c’est quand un dirigeant émet constamment des émotions toxiques, c’est-à-dire des émotions inappropriées, qui ne jouent pas leur rôle d’aide à la socialisation, ne bénéficient aucunement à autrui, altèrent la qualité de la relation avec l’autre, et placent l’autre en situation d’inconfort et/ou d’infériorité, etc. Car ces émotions sont, pour le « contaminé », très compliquées à décrotter, comme le plastique, qui met beaucoup de temps à se décomposer. L’empreinte émotionnelle de ce type de dirigeant est déplorable, marquée par les tonnes de déchets émotionnels qu’il balance chaque année dans son entreprise et qui polluent tout l’écosystème !

 

Si l’on part du principe que l’émotion est un virus qui circule de cerveau à cerveau, de corps à corps, et que le dirigeant est plus contagieux que la moyenne, les questions que je vous pose, à vous dirigeants, sont les suivantes : Quel type d’« agent pathogène » avez-vous envie d’être dans votre entreprise ? Un pourvoyeur d’émotions toxiques ou d’émotions bénéfiques ? Une « enflure toxique » qui démontre un haut niveau de toxicité émotionnelle ? Ou un maître Jedi, capable de diffuser autour de lui des émotions bénéfiques permettant d’entraîner dans son sillage, et de la meilleure manière qui soit, une communauté d’individus ?

 

Ces questions sont cruciales, qui plus est en temps de crise tant économico-sanitaire que psychologique, que l’humanité tout entière, et les entreprises en particulier, traverse aujourd’hui. Une crise marquée par ce que j’appelle un « hum émotionnel négatif », comprenez un surplus de négativité qui plombe le moral des troupes, les énergies créatrices, la motivation, le liant interpersonnel, les dynamiques constructives. Ainsi le dirigeant devrait s’employer, jour après jour, à diffuser au sein de son entreprise des émotions bénéfiques pour renverser ce mauvais « hum ».

 

Partons du principe que les collaborateurs forment un tout émotionnel, une sorte de champ psychique invisible qui les relie émotionnellement les uns aux autres, un peu comme des gouttes dans l’océan, formant une vaste mer d’énergies vibratoires. Les émotions des autres nous imprègnent tous, d’une manière ou d’une autre, et influent sur nos états d’âme, nos comportements et souvent le cours de nos vies. C’est pourquoi ces « petits biens » peuvent se répandre comme une traînée de poudre… Le dirigeant peut d’ailleurs les produire intuitivement, quasi systématiquement et à haute dose, s’il s’emploie à développer son intelligence émotionnelle (IE). Il s’agit là d’une forme d’intelligence à part entière qui permet de traiter les émotions comme des informations utiles afin de composer au mieux avec son environnement.

 

Faire suivre des programmes de développement personnel – autour de la thématique de l’IE – aux dirigeants et aux futurs dirigeants d’une entreprise permettra d’augmenter la qualité de leur empreinte émotionnelle, et donc celle de l’entreprise tout entière, en affaiblissant significativement le niveau de toxicité émotionnelle. Car oui, il est possible de développer cette compétence, grâce à la plasticité cérébrale. Concrètement, il convient de leur faire passer, avant toute chose, un test d’IE fiable, comme le QEPro (Q pour quotient, E pour émotionnel), un outil spécifiquement dédié aux managers et aux dirigeants en France et que nous avons développé pendant deux ans à L’école de management emlyon business school, à Lyon. Nos résultats de recherche révèlent d’ailleurs que les dirigeants obtenant un score élevé à ce test sont moins toxiques, comparés à ceux avec score plus bas. Plus globalement, le QEPro donne une photographie à un instant T de leur profil émotionnel et, donc, des pistes précises pour un accompagnement sur mesure par des coachs certifiés QEPro. À guerre psychologique, armes psychologiques !

 

Raison d’être, sens et… réalisation de soi

Le professeur Jean-Jacques Breton est un psychiatre canadien à l’origine de travaux sur les « facteurs de protection ». Il explique que, tout comme il existe des facteurs de risque en matière de suicide, il existe des facteurs de protection, utiles à mettre en œuvre. Il précise que « si l’on favorise ces “facteurs de protection”, les gens peuvent améliorer leurs capacités à faire face aux événements stressants ». Et parmi les facteurs de protection qu’il avance, il y a la présence d’objectifs dans la vie et… le sens que l’on donne à sa vie.

Nous pouvons transposer cette étude au monde de l’entreprise. Une personne vit mieux son travail quand elle prend conscience qu’elle est utile à ses collègues. Une aide-soignante, dans un hôpital, allant prévenir l’interne que tel patient souffre d’une réaction cutanée soudaine, ne vivra pas son travail de la même manière que si elle se contentait de faire la toilette du patient. Dans un document intitulé « Travail et santé », le professeur Philippe Davezies apporte une justification médicale à cet aspect : « La perception de l’activité d’autrui active, dans le cerveau, des réseaux de neurones qui réagissent à cette activité de la même façon que s’il s’agissait de la propre activité du sujet sur cet objet. » En une phrase, si l’on facilite l’activité de son collègue grâce à son propre travail, on en retire une satisfaction.

Le sens peut être aussi conçu d’une manière plus générale. Si le but poursuivi par le collaborateur est en harmonie avec des valeurs qui comptent pour lui, il le vivra beaucoup mieux. Cela est parfaitement illustré par Blake Mycoskie, le fondateur de Tom Shoes, une marque américaine de chaussures. Lorsque cette entreprise vend une paire de chaussures, elle en offre une autre à un enfant vivant dans un pays en voie de développement. Ainsi, les salariés et les clients deviennent les partenaires d’une action d’intérêt général.

Que cet intérêt soit général ou de proximité, il faut prendre le temps d’expliquer à chaque collaborateur en quoi son travail est utile. « Prendre le temps d’expliquer, ce n’est pas perdre du temps, c’est en gagner », écrivait Yves Desjacques, le DRH du Groupe Casino puis de La Poste.

 

Cette importance du sens dans la réalisation de soi pourrait être illustrée par la belle histoire des tailleurs de pierre.

Au Moyen Âge, un passant sur le chantier d’une cathédrale en construction interroge un premier tailleur de pierre sur ce qu’il fait. Celui-ci a la mine sombre et lui assène d’un ton amer : « Vous voyez bien, je casse des pierres ! J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et stupide. »

À la même question, un deuxième tailleur de pierre, au visage plus serein et aux gestes plus harmonieux, répond : « Je suis tailleur de pierre. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet de nourrir ma femme et mes enfants. »

Un troisième tailleur de pierre abat sa masse avec ardeur. Interrogé lui aussi par notre passant, il lui fait la réponse suivante avec un franc sourire : « Moi, je bâtis une cathédrale ! »

Entre le labeur de l’homme qui taille des pierres et le bonheur de l’homme qui contribue à bâtir une cathédrale, il y a le sens.

Entre l’hôte ou l’hôtesse de caisse qui encaisse et celui ou celle qui cultive du lien social en parlant aux personnes âgées esseulées, il y a le sens, avec des perceptions du travail très différentes. Dans un cas, on exécute une tâche, dans l’autre, on se réalise dans son travail.

En conclusion, il est essentiel que chacun comprenne à quoi il est utile vis-à-vis de ses collègues et, d’une manière générale, vis-à-vis de la société. Ainsi il sera en meilleure santé, se réalisera plus facilement dans son travail et sera aussi plus efficace.

La quête de sens aide chacun à se réaliser dans son travail. Il est donc logique que la perception de la finalité facilite l’engagement, et donc la réussite.

 

 

Raison d’être, antichambre de l’entreprise à mission

Selon les dernières annonces publiques, 55 % des entreprises du CAC 40 déclarent avoir une raison d’être. C’est le cas, par exemple, du groupe Carrefour[i] et du groupe Atos[ii].

Bien évidemment, les raisons d’être annoncées tiennent leurs promesses uniquement si celles-ci sont suivies d’actions concrètes. La raison d’être d’une entreprise se prouve par la mise en mouvement de ses engagements au quotidien, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. C’est l’objectif des entreprises les plus conscientes et les plus courageuses. Au-delà d’affirmer leur raison d’être, celles-ci ont choisi de devenir des « sociétés à mission » et ainsi d’améliorer notre société et notre environnement en mettant leur modèle économique au service d’un impact positif.

 

Actuellement, une seule entreprise cotée au CAC 40 s’est engagée dans ce sens : le groupe Danone (lire notre interview de Valérie Mazon p. XXX). Et celle-ci fait face à de nombreuses critiques depuis cette annonce. Pourtant, les analystes s’accordent à reconnaître que les entreprises qui ont le mieux résisté à la crise en 2020 sont les entreprises responsables. L’entreprise classique reçoit des pressions de toutes parts (ONG, clients, salariés et même actionnaires) et n’a plus d’autre choix que celui d’évoluer. Les consommateurs ont d’ailleurs bien compris qu’ils avaient souvent plus de pouvoir en « votant » avec leur carte bleue plutôt qu’avec leur bulletin de vote. Et ils savent ce qu’ils veulent : plus de la majorité des Français souhaitent que les entreprises prennent leurs responsabilités[iii] pour vivre dans un monde plus juste.

 

L’entreprise de demain sera responsable ou ne sera pas

Une nouvelle vague s’apprête déjà à déferler : la France compte aujourd’hui à peu près 100 sociétés à mission. Il y en aura 10 000 d’ici à dix ans. Pour obtenir ce statut, elles devront passer par quatre phases : tout d’abord, choisir une raison d’être et l’inscrire dans leurs statuts, définir ensuite une mission incluant des objectifs sociaux et environnementaux, préciser le plan d’action pour réussir cette mission et, enfin, le point décisif, faire appel à un organisme tiers indépendant pour vérifier que les actes sont à la hauteur des mots.

 

Alors une fois le cadre défini par la loi et la théorie maîtrisée, comment passer de la vision aux actes ? Les sociétés indépendantes ou familiales rencontreront sûrement moins de contraintes pour faire évoluer leur organisation. Par exemple, le Groupe Rocher a été l’un des premiers groupes internationaux à adopter le statut de société à mission. Avec pour raison d’être de « reconnecter les femmes et les hommes à la nature », il incarne sa mission en plantant des arbres avec ses parties prenantes. De plus, il n’a pas attendu les mesures coercitives prises par le gouvernement pour agir : arrêt des tests sur animaux dès 1988, soit quinze ans avant la législation française, et abolition des sacs plastiques en 2006, soit dix ans avant que la loi interdisant leur emploi n’entre en vigueur. Lors de son intervention au dernier Sustainable Paris Forum, son PDG, Bris Rocher, a encouragé les dirigeants à aller vers la société à mission et a rappelé, à juste titre, qu’il était nécessaire concrétiser la raison d’être « en passant du story telling au story doing ». Car, c’est bien de cela dont il s’agit : communiquer non pas sur ce qui va être fait, mais, bien sûr, ce qui a été fait concrètement.

 

L’entreprise à mission, un état d’esprit

Alors qu’en France un manager sur trois a déjà fait un burn out, les entreprises à mission proposent à leurs collaborateurs du sens, une « raison d’y être ».

Par exemple, l’entreprise française Veja réinvente la fabrication d’un produit que nous consommons tous : la basket. Chez eux, pas de stratégie RSE, l’écoresponsabilité est directement au cœur de tous les métiers. Cela se traduit par une culture de l’engagement qui alimente les rêves à atteindre ensemble, plutôt que les bilans carbone à réaliser seul dans son coin. Ensemble, les équipes de Veja se lancent régulièrement des challenges à relever pour se stimuler. Le dernier en date : créer la première basket de l’ère post-pétrole !

 

Le Groupe Rocher et Veja sont deux exemples d’entreprises en adéquation avec leur ADN et en résonance avec les attentes de leurs talents : l’authenticité et la responsabilité. Ces entreprises à mission ont compris que le capital humain était la force la plus précieuse à leur disposition pour accomplir leur mission.

 

À l’heure où nos modèles de société nous conduisent inéluctablement dans des impasses économiques, sociales et environnementales, les entreprises ont le devoir de faire converger valeurs, objectifs économiques et bien commun. Reste à déployer ce mouvement de l’impact positif et à définir un standard pour mesurer les retombées des actions promises afin que les entreprises soient à la hauteur des enjeux de notre époque.

[i] Raison d’être de Carrefour : « Notre mission est de proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous. »

[ii] Raison d’être d’Atos : « Avec nos compétences et nos services, nous supportons le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche dans une approche pluriculturelle et contribuons au développement de l’excellence scientifique et technologique. »

[iii] 51 % des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble, devant ses clients (34 %), ses collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %). [Source : Ifop, agence Terre de Sienne, enquête « La valeur d’utilité associée à l’entreprise », 15 septembre 2016.]

CPAM : La coopération en pratique

L’enjeu de notre démarche, à la CPAM des Yvelines, est de transformer le management afin de permettre la prise d’initiatives de nos collaborateurs dans le but d’aboutir à des résultats dont nous serons fiers. L’objectif de nos actions est de faire émerger progressivement une nouvelle culture d’entreprise dans laquelle chaque salarié peut exprimer pleinement son potentiel et devenir ainsi acteur de la vie de l’entreprise.

Depuis maintenant huit années, nous sommes engagés dans une transformation managériale reposant sur cinq leviers qui nous ont permis de construire progressivement un véritable collectif.

1 – Le premier de ces leviers est le sens, condition essentielle de l’implication qui permet d’inspirer les collaborateurs et de valoriser leurs actions, leur comportement sur la performance collective.

2 – Le deuxième est la confiance qui libère les énergies, favorise l’engagement et le partage d’information et des idées.

3 – Le troisième est l’autonomie qui, outre une acceptation plus facile du changement, génère du plaisir et du bien-être.

4 – Le quatrième est la reconnaissance. En modifiant nos attitudes, notre langage, en évitant les symboles de pouvoir, en cultivant la gratitude et en confiant des responsabilités, nous démontrons que l’humain doit primer. Il n’y a pas lieu de discriminer les exécutants par rapport aux stratèges, ou les moins qualifiés par rapport aux diplômés.

5 – Le cinquième et dernier levier, la fierté d’appartenance, doit être favorisé par des événements marquants et réguliers (fêtes, challenges…).

Au fil des ans, ces leviers se sont traduits en actions afin de mettre en œuvre concrètement cette transformation : lean management, innovation participative, création de communautés collaboratives, évolution du rôle des fonctions supports, réduction des strates hiérarchiques, etc.

C’est ainsi qu’un collectif s’est petit à petit dégagé, chacun sentant que son travail compte, que lui-même compte au sein du collectif de notre entreprise. Le mode de fonctionnement des équipes s’en est trouvé facilité grâce à la possibilité non seulement de s’exprimer, mais aussi de participer effectivement aux projets indépendamment de son “rang” dans l’entreprise. Une sécurité relationnelle s’est ainsi instaurée. Certes, il y a et il y aura toujours des turbulences, des conflits, mais quand les collaborateurs sont parties prenantes de la construction des règles, des valeurs et des décisions, c’est le collectif qui l’emporte et les conflits qui s’estompent.

Mais cela nécessite du temps, de la patience et aussi l’acceptation de la contradiction pour éviter et limiter les conflits. Et c’est bien ce qui est nécessaire dans un monde de plus en plus complexe et changeant où, plutôt que de centraliser les décisions et multiplier les contrôles, il faut accepter la diversité des personnes et des points de vue.

 

Voir aussi : Optim’services : Locomotive QVT de la SNCF

Les secrets du cerveau social

Le contact social stimule les fonctions cérébrales. Les chercheurs en neurosciences qui s’intéressent aux fonctions sociales du cerveau le savent bien : le lien social est générateur de croissance neuronale, de développement cognitif et d’effet protecteur contre le stress. Une part du cerveau ne s’active que lorsque nous sommes en relation. À l’inverse, cette fonction s’altère en cas d’isolement prolongé. Selon le professeur Pierre-Marie Lledo, directeur de recherche au CNRS et à l’Institut Pasteur, s’intéresser à l’autre est bénéfique car cela développe notre cerveau social. Cultiver son altérité revient à entretenir son cerveau.

Les humains sont des animaux sociaux, leurs capacités à mieux coopérer et à mieux communiquer leur ont permis de s’imposer sur la planète, aux dépens d’espèces plus puissantes ou plus prolifiques. Dans cette optique, l’empathie et l’entraide étaient des outils fondamentaux de survie grâce à la cohésion du groupe. Le cerveau s’est donc façonné selon cet impératif. Le développement de l’empathie a démultiplié nos capacités de coopération. Nous savons aujourd’hui que les équipes qui parviennent à s’écouter, à partager les émotions et à se faire confiance ont une efficacité collective plus importante.

Nous sous-estimons dramatiquement notre capacité à percevoir les signaux émotionnels émis par les autres et ceux que nous produisons à notre insu vers autrui. Tout parle de nous à notre insu, l’intensité d’un regard, une posture, la vitesse d’élocution, une absence de réaction, un silence. Les réactions de l’entourage dépendent de ce que vous transmettez, et vous êtes sans le savoir influencé par leurs attitudes non conscientes. La relation positive produit des pensées et actions contagieuses, des “cascades” de coopération, mais à l’inverse la dureté ou l’hostilité produisent aussi des réactions en chaîne. On ne compte plus les travaux montrant qu’un petit geste insignifiant (tenir une porte, ramasser un stylo, offrir une friandise) induit chez l’autre un comportement prosocial envers des tierces personnes. Chacun d’entre nous possède un besoin éperdu de reconnaissance.
Dans un univers tourné vers la compétition individuelle stressante, la culture des qualités relationnelles renforce notre efficacité mentale. Elle constitue une application concrète des découvertes majeures en neurosciences et psychologies cognitives.

 

Voir aussi : La théorie de l’ours