Nourritures terrestres et spirituelles …

La musique, d’une manière générale, est protectrice contre le stress et aurait même un impact favorable sur notre immunité… Une étude de 2013 menée par l’équipe du Pr Daniel Levitin montre que la musique diminue le taux de cortisol, l’hormone du stress, et augmente le taux d’immunoglobulines A, un anticorps orienté vers la défense des muqueuses. Par ailleurs, une étude menée en Allemagne, publiée dans la revue scientifique Deutsches Ärzteblatt International, révèle, là aussi, une diminution du taux de cortisol et, en plus, une baisse de la pression artérielle. À noter que la baisse du taux de cortisol était plus importante chez les hommes que chez les femmes, ce qui laisse penser que ceux-là seraient plus sensibles aux airs classiques…

L’art et donc les musées seraient également protecteurs…

Des chercheurs de l’Université de Bologne [Italie] ont demandé à une centaine de volontaires de visiter le sanctuaire de Vicoforte, où il est possible d’observer de magnifiques peintures de la Renaissance, ainsi qu’une gigantesque fresque baroque de 6 302 m² peinte sous sa coupole. Les participants ont été soumis à un test salivaire, avant et après la visite, afin de mesurer leur taux de cortisol, principale hormone du stress.

À la fin de l’expérience, les chercheurs ont observé une baisse de 60 % environ du taux de cortisol dans le sang. En outre, 90 % des volontaires déclaraient « se sentir beaucoup mieux » après la visite de deux heures. « Les bienfaits de l’art-thérapie sont déjà connus depuis plusieurs années. Mais c’est la première fois que l’on peut vraiment quantifier l’impact d’une œuvre d’art sur le niveau de stress d’une personne », précise le Pr. Enzo Grossi, principal auteur de ces travaux.

C’est ce qui explique qu’au Canada, pour les patients stressés, des visites de musée sont prescrites par des médecins et remboursées !

La lecture agit, elle aussi, de manière bénéfique…

Une étude menée par des chercheurs de l’Université du Sussex montre que la lecture est un moyen très efficace de diminuer le stress puisqu’elle le fait baisser de 68 %. Selon le Dr David Lewis, « il suffit de six minutes de lecture en silence pour que le rythme cardiaque soit calmé et que les tensions accumulées se démêlent ».

Dans le contexte actuel, se protéger des effets du stress est doublement intéressant. C’est ce qui explique l’intérêt d’une initiative lancée en Grande-Bretagne. Il s’agit de « prescriptions sociales » d’activités culturelles et sportives financées par le gouvernement, car utiles pour lutter contre les impacts psychiques de la pandémie de Covid-19.

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Créativité, humanité, qualité de vie au travail : le rôle des artistes en entreprise

Pourquoi cette connexion inhabituelle ? Pourquoi maintenant ?

Notre environnement et les problèmes à résoudre dans ce contexte sont d’une telle complexité qu’il faut les aborder à 360° pour éviter les angles morts et limiter les biais de perception au maximum. Le statu quo n’est par ailleurs plus possible pour l’entreprise qui doit se réinventer en permanence. On voit se multiplier les méthodes créatives comme le design thinking, dont le but est d’appliquer la démarche d’un designer pour répondre à un projet d’innovation ou les cartes cognitives et mentales du mind mapping.

Les artistes font partie des profils pluridisciplinaires à inclure dans ces démarches de divergence-convergence. Ils ont généralement fait le choix assumé de développer le fameux cerveau droit créatif. Ils apportent un regard latéral et sensible dans la résolution de problèmes complexes et, à cet égard, sont de formidables capteurs de tendances et d’innovation. Enfin, le processus de création artistique est un processus d’exploration ouvrant la place à la répétition de l’essai, au choix de nouvelles voies de développement devant l’échec, à l’acceptation de la vulnérabilité devant l’inconnu.

 

L’intervention artistique en entreprise existe depuis longtemps et prend différentes formes plus ou moins transformationnelles : la collection d’art en entreprise, les résidences d’artistes visant à la poursuite par l’artiste d’un projet de création, les démarches d’art thinking plus maillées pouvant conduire à la production d’une œuvre collective mais visant également un apprentissage méthodologique pour l’organisation.

S’inscrivant dans cette tradition d’accueil des artistes en entreprise, le Boston Consulting Group (BCG) reçoit « en résidence » Jeanne Bloch, artiste-chorégraphe et chercheuse, maker dans le cadre de sa recherche artistique « L’impact de la pollution lumineuse sur les capacités humaines d’imagination ».

 

Jeanne Bloch, en quoi consiste votre résidence au BCG ?

Ma recherche danse et lumière se construit depuis une dizaine d’années à travers la mise en place d’installations interactives et immersives, de performances et par l’écriture d’articles de recherche. En m’intéressant à l’impact de la pollution lumineuse sur l’imagination, j’aborde d’une part, le rôle de l’expérience, ici, l’expérience de la lumière comme lieu de production de connaissances, et, d’autre part, la prise en compte de la subjectivité de chacun à travers ses capacités d’imagination. Je me questionne sur l’omniscience de la lumière dans nos vies surexposées. Par exemple, les écrans LED qui nous entourent projettent une lumière « perdue » qui efface les zones obscures de nos intérieurs. À travers ma recherche artistique, je souligne la nécessité ambiguë de conserver à la fois l’obscurité et la lumière, aussi bien dans nos intérieurs que dans les espaces extérieurs.

Les points de rencontre entre l’entreprise et l’artiste se trouvent avant tout dans une écoute et une ouverture à l’autre, sans objectif utilitariste, une respiration féconde. Pour le BCG, mon travail sur la pollution lumineuse d’intérieur fait écho à des enjeux de qualité de vie au travail. L’entreprise a choisi de réfléchir à des questions liées à la lumière dans les bureaux (est-elle susceptible de stimuler l’imagination des collaborateurs ?) ou concernant le développement d’espaces de restauration de l’énergie plus riches que la traditionnelle salle de repos.

 

Par ailleurs, j’ai proposé de partager avec les équipes de l’entreprise les méthodes de travail collaboratif utilisées dans les rencontres d’artistes, de performeurs mais également au sein d’autres organisations : Bâton de parole, Forum ouvert (ou OST, Open Space Technology), U Theory, Permaculture sociale, etc. La « mise en scène » n’est pas neutre pour un performeur, et la possibilité de s’installer en cercle pour faire circuler un tour de parole est tellement simple mais encore souvent inhabituelle alors qu’elle produit une addition très efficace des intelligences en présence. Produire du sens et de la valeur à partir d’éléments considérés comme disparates constitue l’un des savoir-faire principaux de la démarche artistique à laquelle tout un chacun peut s’entraîner.

Ainsi, imaginer le travail de l’organisation de demain en abordant la distinction entre réalité et virtualité à partir de l’expérience que nous vivons plutôt que de la technologie que nous utilisons ouvre le jeu aux imaginaires et permet de créer du sens à partir de chacun de nous et pour chacun de nous.

 

Quelles règles à suivre pour la mise en place d’une résidence d’artiste en entreprise ?

L’intervention artistique en entreprise compte de nombreux succès. Un tel rapprochement comporte également son lot de défis, à anticiper pour garantir l’atteinte des résultats souhaités (créativité, transformation, engagement et affiliation des salariés)…

  • Accepter de ne pas connaître la valeur créée à l’avance.
  • Pour autant, cadrer le périmètre de l’intervention et les livrables artistiques et organisationnels souhaités, sachant qu’il s’agit d’un cadrage de concepts, l’enjeu de la collaboration artistique étant précisément d’inventer ceux-ci.
  • Réussir la greffe de l’artiste au collectif.

C’est tout sauf évident. Cela demande de la médiation, de la facilitation, des méthodes, des outils, de la préparation, de l’écoute et du respect. À cet égard, s’appuyer là encore sur les artistes via leur faculté d’observation et leur expérience du processus créatif.

 

Plus généralement, au travers des initiatives comme la résidence de Jeanne Bloch au BCG, nous développons l’aspect expérientiel de notre offre, afin que le conseil ne soit pas réduit à sa dimension analytique, mais qu’au contraire les clients puissent avoir une vision concrète et immersive de ce qu’est la transformation.

La fatigue : une si longue histoire

Nous serions tous lessivés. Un coup d’œil aux titres des magazines suffit pour s’en convaincre : “En finir avec la fatigue” (Ça m’intéresse), “5 façons d’effacer la fatigue” (Elle), “Les superaliments antifatigue” (Top Santé)…

De quoi titiller l’“historien des petites choses”, comme aime se définir Georges Vigarello. “J’aime partir de situations contemporaines banales. La fatigue renvoie au cœur de problèmes anthropologiques. C’est une limite de l’humain. Exactement comme la maladie ou la mort.”

Premier constat : la perception de la fatigue évolue en fonction des représentations du corps. Au Moyen Âge domine l’idée d’un organisme fait de liquides, d’humeurs. Le corps fatigué est donc desséché, vidé de sa substance. Pour les Lumières, l’accent est mis sur les fibres, les nerfs. L’épuisement est lié à une excitation débordante et mal surmontée, le corps ne répond plus aux stimulations. Au XIXe siècle, l’essor de la machine pousse à se représenter l’organisme en termes de combustion, de feu. Telle une locomotive, il faut l’alimenter en sucre et en calories, alors qu’il produit lui-même des déchets chimiques qui le fatiguent.

Aujourd’hui, “la fatigue est perçue dans le langage numérique, privilégiant les messages internes, les sensations, la connexion et la déconnexion. D’où le recours accentué aux détentes, aux relâchements. D’où encore la centration inédite sur le psychologique, le relationnel, la recherche de l’interaction, de la mobilité, celle de la sensation aussi, lentement renouvelée”.

Et si au XXIe siècle la tête est fatiguée, à l’époque médiévale, ce sont avant tout les pieds, principaux moyens de locomotion, et nus le plus souvent… D’autres organes, comme le cœur, le cerveau et les poumons, prendront bientôt le relais. De la même façon, les représentations de la fatigue évoluent. Au Moyen Âge, le guerrier, le pèlerin et le marchand, obligés de parcourir des kilomètres dans des conditions éprouvantes, incarnent des figures de fatigue valorisées.

En revanche, les serfs, corvéables à merci, n’ont droit à aucune considération. Le labeur n’appelle pas la compassion. “C’est seulement avec la société industrielle, avec l’image de l’énergie productive et du rendement, que s’impose ce qui nous semble devenu évident : la fatigue de l’ouvrier.” Son corps est marqué (dos courbé, physiques chétifs, teint flétri…), son espérance de vie moindre, le travail de ses enfants remis en question. On cherche alors à chiffrer, à quantifier. La fin du XIXe siècle est l’époque des changements ; avec le télégraphe, le train, la bicyclette, tout s’accélère. Il faut s’adapter à une rapidité nouvelle, répondre aux sollicitations, c’est le “struggle for life” parfaitement décrit par Émile Zola. Les gestes des prisonniers, des militaires, des ouvriers, des paysans sont observés, découpés en laps de temps, en énergie dépensée.

Des outils nouveaux, comme le dynamomètre, l’ergographe ou le spiromètre, évaluent force, muscles et capacités respiratoires. Le mot “constitution” s’impose, auquel sont accolés des adjectifs : “mauvaise”, “débile”, “faible”, “forte”… Lors de la conscription, l’armée classe les corps et les hommes.

Et, justement, la Première Guerre mondiale marque une rupture. Dans les tranchées, les combattants sont soumis à une expérience de fatigue inédite et inégalée : la peur, la faim, le manque de sommeil, les bruits assourdissants, la gangrène, la durée du conflit. Tout cela contribue à détruire les individus, à les “déposséder”. “La situation de la guerre de 14, c’est d’être confronté à une soumission. À quelque chose qui non seulement nous désapproprie, mais nous empêche de faire ce que nous souhaitons. Ça, c’est neuf et je pense que nous sommes les enfants de cette situation.”

Georges Vigarello montre bien comment s’effectue le glissement d’une fatigue physique visible à une fatigue intérieure beaucoup plus sourde et invisible. Du taylorisme au burn-out, l’homme ne supporte plus d’atteintes à son autonomie. Il s’imagine toujours plus grand, plus puissant, plus valorisé. D’où cette contradiction presque impossible à gérer d’un “moi hypertrophique” et de contraintes professionnelles, relationnelles, familiales et environnementales toujours plus fortes. “La fatigue, faiblesse diffuse, insatisfaction obscure, insuffisance obstinée, est devenue une des manières d’être de notre temps.” Elle s’est infiltrée partout et oblige – peut-être – à l’accepter.

“La fatigue est si protéiforme, dit le philosophe Éric Fiat (Ode à la fatigue, 2018), que l’on n’a aucune chance de l’emporter contre cet ennemi qui vient de partout. Je propose d’abandonner les métaphores du combat et d’être le roseau de la fable de La Fontaine. Être le roseau, c’est accepter la fatigue.” Et Vigarello de recenser avec amusement les astuces et conseils pour se reconnecter à soi, accepter son état, tenter de retrouver son unité intérieure. Ses yeux bleus pétillent quand arrive la question de son antidote personnel. “Tout simplement la passion.”

 

Voir aussi : Performance humainement durable