BCG X : les enjeux de la transfo digitale

Pour Camille Brégé, l’équilibre entre l’angle tech et l’angle business se révèle essentiel pour la réussite d’une transformation digitale : « Le plus difficile, quand on crée un actif digital, ce n’est pas la partie technique, mais la partie business process qui va avec, et qui comprend par exemple l’acculturation des collaborateurs. La question de l’accompagnement est donc centrale. La règle d’or en la matière est 10/20/70 : 10 % des efforts résident dans la construction de l’algorithme, 20 % dans son implémentation dans les systèmes d’information existants, et 70 % dans l’intégration dans les modes de travail des équipes au quotidien. Ces 70 % constituent la clé de la dimension humaine de l’IA et elle est la plus importante. Elle ne doit surtout pas être sous-estimée. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec nos clients sur les questions de gestion du changement et de la formation. »

 

Un modèle collaboratif pour impliquer l’ensemble des utilisateurs

BCG X travaille sur la base d’un modèle collaboratif, qui mobilise un grand nombre de parties prenantes, des membres de la direction aux collaborateurs en passant par les équipes techniques et les managers. « Il faut que les interlocuteurs business, les représentants du comité exécutif et les utilisateurs soient impliqués. Sinon on risque de construire quelque chose hors-sol », explique Camille Brégé. Le soutien des équipes dirigeantes est aussi essentiel : « Sans support affirmé de la part de la direction, les transformations échouent. »

Convaincre les collaborateurs, parfois dubitatifs, de l’impact positif de l’IA fait également partie de l’accompagnement proposé par BCG X : « Nous pensons que l’IA apporte de la valeur si elle est combinée à l’humain. Il convient de composer avec des algorithmes, des intuitions business et de la stratégie. »

En plus d’apporter « une plus grande confiance dans les décisions prises parce qu’elles sont sous-tendues par des simulations et par de la donnée transparente », l’IA a pour atout, par son caractère transverse, d’améliorer l’expérience collaborateur : « La data et le digital aident à casser les silos, ce qui permet au collaborateur de prendre du recul et d’avoir une meilleure compréhension des enjeux auxquels l’entreprise est confrontée, et donc de se dire qu’il peut contribuer à les résoudre. Si on l’appréhende de la bonne manière, l’IA permet d’apporter plus de sens. »

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Créativité, humanité, qualité de vie au travail : le rôle des artistes en entreprise

Pourquoi cette connexion inhabituelle ? Pourquoi maintenant ?

Notre environnement et les problèmes à résoudre dans ce contexte sont d’une telle complexité qu’il faut les aborder à 360° pour éviter les angles morts et limiter les biais de perception au maximum. Le statu quo n’est par ailleurs plus possible pour l’entreprise qui doit se réinventer en permanence. On voit se multiplier les méthodes créatives comme le design thinking, dont le but est d’appliquer la démarche d’un designer pour répondre à un projet d’innovation ou les cartes cognitives et mentales du mind mapping.

Les artistes font partie des profils pluridisciplinaires à inclure dans ces démarches de divergence-convergence. Ils ont généralement fait le choix assumé de développer le fameux cerveau droit créatif. Ils apportent un regard latéral et sensible dans la résolution de problèmes complexes et, à cet égard, sont de formidables capteurs de tendances et d’innovation. Enfin, le processus de création artistique est un processus d’exploration ouvrant la place à la répétition de l’essai, au choix de nouvelles voies de développement devant l’échec, à l’acceptation de la vulnérabilité devant l’inconnu.

 

L’intervention artistique en entreprise existe depuis longtemps et prend différentes formes plus ou moins transformationnelles : la collection d’art en entreprise, les résidences d’artistes visant à la poursuite par l’artiste d’un projet de création, les démarches d’art thinking plus maillées pouvant conduire à la production d’une œuvre collective mais visant également un apprentissage méthodologique pour l’organisation.

S’inscrivant dans cette tradition d’accueil des artistes en entreprise, le Boston Consulting Group (BCG) reçoit « en résidence » Jeanne Bloch, artiste-chorégraphe et chercheuse, maker dans le cadre de sa recherche artistique « L’impact de la pollution lumineuse sur les capacités humaines d’imagination ».

 

Jeanne Bloch, en quoi consiste votre résidence au BCG ?

Ma recherche danse et lumière se construit depuis une dizaine d’années à travers la mise en place d’installations interactives et immersives, de performances et par l’écriture d’articles de recherche. En m’intéressant à l’impact de la pollution lumineuse sur l’imagination, j’aborde d’une part, le rôle de l’expérience, ici, l’expérience de la lumière comme lieu de production de connaissances, et, d’autre part, la prise en compte de la subjectivité de chacun à travers ses capacités d’imagination. Je me questionne sur l’omniscience de la lumière dans nos vies surexposées. Par exemple, les écrans LED qui nous entourent projettent une lumière « perdue » qui efface les zones obscures de nos intérieurs. À travers ma recherche artistique, je souligne la nécessité ambiguë de conserver à la fois l’obscurité et la lumière, aussi bien dans nos intérieurs que dans les espaces extérieurs.

Les points de rencontre entre l’entreprise et l’artiste se trouvent avant tout dans une écoute et une ouverture à l’autre, sans objectif utilitariste, une respiration féconde. Pour le BCG, mon travail sur la pollution lumineuse d’intérieur fait écho à des enjeux de qualité de vie au travail. L’entreprise a choisi de réfléchir à des questions liées à la lumière dans les bureaux (est-elle susceptible de stimuler l’imagination des collaborateurs ?) ou concernant le développement d’espaces de restauration de l’énergie plus riches que la traditionnelle salle de repos.

 

Par ailleurs, j’ai proposé de partager avec les équipes de l’entreprise les méthodes de travail collaboratif utilisées dans les rencontres d’artistes, de performeurs mais également au sein d’autres organisations : Bâton de parole, Forum ouvert (ou OST, Open Space Technology), U Theory, Permaculture sociale, etc. La « mise en scène » n’est pas neutre pour un performeur, et la possibilité de s’installer en cercle pour faire circuler un tour de parole est tellement simple mais encore souvent inhabituelle alors qu’elle produit une addition très efficace des intelligences en présence. Produire du sens et de la valeur à partir d’éléments considérés comme disparates constitue l’un des savoir-faire principaux de la démarche artistique à laquelle tout un chacun peut s’entraîner.

Ainsi, imaginer le travail de l’organisation de demain en abordant la distinction entre réalité et virtualité à partir de l’expérience que nous vivons plutôt que de la technologie que nous utilisons ouvre le jeu aux imaginaires et permet de créer du sens à partir de chacun de nous et pour chacun de nous.

 

Quelles règles à suivre pour la mise en place d’une résidence d’artiste en entreprise ?

L’intervention artistique en entreprise compte de nombreux succès. Un tel rapprochement comporte également son lot de défis, à anticiper pour garantir l’atteinte des résultats souhaités (créativité, transformation, engagement et affiliation des salariés)…

  • Accepter de ne pas connaître la valeur créée à l’avance.
  • Pour autant, cadrer le périmètre de l’intervention et les livrables artistiques et organisationnels souhaités, sachant qu’il s’agit d’un cadrage de concepts, l’enjeu de la collaboration artistique étant précisément d’inventer ceux-ci.
  • Réussir la greffe de l’artiste au collectif.

C’est tout sauf évident. Cela demande de la médiation, de la facilitation, des méthodes, des outils, de la préparation, de l’écoute et du respect. À cet égard, s’appuyer là encore sur les artistes via leur faculté d’observation et leur expérience du processus créatif.

 

Plus généralement, au travers des initiatives comme la résidence de Jeanne Bloch au BCG, nous développons l’aspect expérientiel de notre offre, afin que le conseil ne soit pas réduit à sa dimension analytique, mais qu’au contraire les clients puissent avoir une vision concrète et immersive de ce qu’est la transformation.

Osons l’optimisme !

Finalement, je m’y risque parce que c’est le sentiment qui m’a envahie quand j’ai découvert le contenu de ce magazine. Chaque jour, des salariés et des professionnels agissent avec la conviction qu’ils peuvent participer à leur contemporanéité et améliorer la société en améliorant leurs sociétés. Les mettre en avant dans un même magazine est formidable pour notre moral !

Plus que jamais le “vivre ensemble” est un sujet au cœur de toutes les préoccupations sociétales. Ainsi, la qualité de vie au travail se doit d’être envisagée par l’entreprise comme un devoir citoyen. Il n’est plus l’heure de se cacher derrière des “réglementations” et d’attendre des textes normalisant le “bien-être” au travail. Il y a urgence à agir pour le définir comme une colonne vertébrale de l’entreprise.

À l’heure de la distanciation sociale qui nous fait risquer une société en perte de liens, c’est aujourd’hui que l’entreprise doit se rappeler de sa puissance en tant que collectif. Une responsabilité citoyenne s’impose à chaque salarié qui se doit de veiller sur ses collègues, parfois isolés dans leur vie personnelle.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire peser une injonction de plus sur des managers ou des DRH eux-mêmes souvent en souffrance. L’entreprise doit simplement rappeler à chaque salarié qu’il a un rôle à jouer dans le bien commun. Une culture d’entreprise ne se décrète pas mais se crée ensemble. Hélas ! La cocréation s’apprend rarement à l’école, on y stimule plus la quête du “bon point” que l’écoute des autres.

Par ailleurs, la passivité vécue en classe se traduit à l’âge adulte par des collaborateurs “consommateurs” de leur entreprise plutôt que parties prenantes. Avouons que les managements pyramidaux infantilisants n’arrangent rien.

Si je suis optimiste, c’est que je suis convaincue que le moment que nous vivons va permettre aux salariés de se rendre compte de leur importance dans le collectif. Souvent, je m’interroge sur ce terme : “travail”. Je me rêve à penser qu’il suffirait de remplacer le mot “travailler” par le mot “œuvrer” pour que chacun prenne la mesure de sa mission et que le narratif du collectif soit réinventé. C’est sur cette question que je vous retrouverai dans le prochain numéro.

 

Voir aussi : Managers, prenez soin de vous !

Collectif : une question de bon sens !

J’avoue me sentir toujours un perplexe face à ces nouveaux concepts qui émergent au gré des dernières tendances managériales : “créer du collectif en entreprise”, “favoriser le bien-être au travail”, “manager les talents”…

Pour nos grands-parents, les concepts de ce type étaient totale- ment absents. Ils pouvaient avoir un patron plus ou moins conciliant, et des collègues plus ou moins sympathiques, mais l’idée que leurs espaces de travail puissent être des outils pour favoriser la cohésion de groupe leur aurait semblé parfaitement incongrue. Nos aïeuls étaient naturellement plus unis et plus soudés au travail, et construisaient des collectifs puissants et solides car ils avaient des combats à mener, des territoires à conquérir, de grands projets à porter : de meilleures conditions de travail, les congés payés, plus d’avantages sociaux…

Pourquoi l’esprit d’équipe se délite ?

Aujourd’hui, les collectifs perdent leur sens, laissant place à toujours plus d’individualisme, de compétition et de concurrence. Si bien que les salariés finissent épuisés et désemparés… Pourquoi ? Très probablement parce qu’à force de process toujours plus rigoureux, de niveaux hiérarchiques sans fin, de managers inutiles et de fiches de poste étriquées, ils se retrouvent coincés dans des structures technocratiques qui les écrasent. Mais aussi parce qu’avec les évolutions technologiques, la généralisation du télétravail et la dématérialisation de nos échanges, les occasions de créer du lien “dans la vraie vie” se font de plus en plus rares.

Des postures managériales infantilisantes

S’ajoute à cela une tendance naturelle et encore très répandue dans les entreprises du “command & control”, héritée des méthodes d’organisation scientifiques du travail, préconisant des postures managériales infantilisantes, qui découragent plutôt qu’elles encouragent.

Si bien que dans ce contexte, le collectif n’a pas lieu d’être, puisque l’individu lui-même est bien souvent nié. Dès lors, parler de collectif me semble, comment dire, secondaire, pour ne pas dire illusoire. Quoi qu’il en soit, le fait que les entreprises se préoccupent aujourd’hui autant du sujet du collectif est un signal. Cela dit quelque chose. Et pour ma part, disons que j’ai du mal à croire que ce soit dans un but purement philanthropique.

Le collectif aujourd’hui, plus que jamais

Ce qui m’amène à me poser une question qui me semble fondamentale : Pourquoi ? Pourquoi cette obsession du collectif ? Pourquoi est-ce un enjeu si important pour les entreprises ? Et pourquoi maintenant ?

Tout d’abord parce qu’on est plus intelligent à dix cerveaux qu’à un cerveau ! Parce que l’humain, pour être efficace, pour évoluer et grandir, a besoin des autres. Parce que seul on va plus vite, mais qu’ensemble on va plus loin. Le collectif est directement lié à la performance. Peu de grandes avancées humaines sont le fruit du travail isolé d’un seul homme dans son coin. Plus on arrive à collaborer, à coopérer, à s’unir, à s’entraider, plus on est intelligents, ensemble. Cela s’appelle de l’intelligence collective. À partir du moment où l’on accepte de faire challenger son travail par d’autres, il y a de fortes chances que le résultat final soit meilleur. Autrement dit, quand le collectif fonctionne, les projets avancent, ils sont plus solides, efficaces, sexy, désirables. Et cela, les entreprises l’ont parfaitement bien intégré. En revanche, pour “faire” du collectif, pour partager, s’entraider et s’inspirer des autres, il faut faire confiance, cultiver la sincérité, l’authenticité, le lâcher-prise.

Malheureusement, ces postures ne sont pas encore dans l’ADN du monde des entreprises aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que nos cerveaux sont surentraînés dès l’école maternelle aux classements, aux notes, à gagner aux billes, et à finir premier de la classe.

Conditionnements

C’est un sujet très profond, ancré, reptilien, ancien. Il s’agit de notre relation au pouvoir, de nos peurs, de nos ego surdimensionnés. Quel peut donc être le ciment des groupes de demain ? Ce qui donne envie aux gens de travailler ensemble, c’est tout simplement l’envie de réaliser quelque chose de grand. De pouvoir s’y investir librement, en y apportant leur patte, leur façon de faire, leur permettant de s’y reconnaître, d’en être fiers. Puis d’avoir la possibilité de tirer profit des fruits de ce travail. J’aime comparer le monde du travail au monde de l’art. Imaginez un seul instant si on avait collé des process à Rodin ou à Manet pour réaliser leurs chefs-d’œuvre…

Si on avait établi des protocoles pour réglementer la vie en atelier, avec des managers, des reportings, des plannings et des meetings… La créativité, la passion, l’engagement, l’envie profonde et sincère de travailler ensemble, de se donner à fond, cela suppose de l’audace, de la liberté, de la prise de risques, des écarts, des opinions, des passions, des… émotions ! Et l’entreprise n’est pas vraiment un lieu qui accueille les émotions, tant s’en faut.

Monter les meilleures équipes de travail se fait avec un ingrédient imparable : le bon sens ! Ce qui donnera envie aux gens, demain, d’aller au travail, ce sont leurs collègues, pas leurs bureaux ! Le cadre est accessoire. J’ai vu des startuppers travailler dans des sous-sols miteux et être très heureux… Et a contrario, j’ai vu beaucoup de salariés de grands groupes installés dans des bureaux dernier cri, jouissant de cantines cinq étoiles et d’avantages indécents, mais souffrant d’une dépression sévère…

Quoi qu’il en soit, et quitte à paraître mièvre, je dirais tout simplement que ce qui permet de construire du collectif, c’est l’amour et la liberté. Pour accompagner des équipes et leur donner envie de travailler ensemble, il faut les aimer et les protéger, et surtout, surtout, leur ficher la paix et les laisser faire. Avec de l’écoute, du respect, de l’humilité, de la sincérité et de l’authenticité.

Jouer collectif, c’est une question de pragmatisme

Pour ma part, toutes les belles choses qu’il m’a été donné de réaliser en entreprise, je les ai menées en équipe. C’est grâce à mes pairs, à mes collègues, à mes managers que j’ai appris, grandi, changé de point de vue, évolué, que je me suis trompée et que j’ai réussi à me relever… Alors pour les plus sceptiques, et même si vous n’y croyez pas, je dirais ceci : essayez de jouer le jeu du collectif, vous y gagnerez non seulement en efficacité, mais surtout, en plaisir et en confort. C’est mathématique. “Lorsque deux forces sont jointes, leur efficacité est double.” Isaac Newton.

 

Voir aussi : Le management du collectif à l’épreuve des crises