De la peur à l’opportunité

 Quelques observations en préambule : 

Les faits sont là et indéniables : les ressources planétaires, humaines, sociétales sont appauvries, voire taries dans certains cas. Il ne s’agit pas d’un futur probable mais d’un présent avéré. En d’autres termes, l’urgence est documentée objectivement. 

Nous faisons face à une situation extrêmement complexe et systémique. Nous avons collectivement créé le problème et devons ensemble apporter des solutions. La bonne nouvelle, c’est que les réglementations progressent, notamment en matière d’environnement ; les technologies « réparatrices » existent et continueront à se développer. Les exemples incarnés d’activisme et de génération de ressources deviennent visibles et nous inspirent. La voie nous est montrée. En matière de prise de conscience des enjeux RSE, nous n’avons pas atteint le point de bascule sociologique où nous mettons nos énergies en commun pour nous adapter collectivement. Je veux citer ici le livre de Malcolm Gladwelln Le Point de bascule, qui donne trois clés à réunir pour atteindre celui-ci : la loi des petits nombres (environ 20 % de personnes suffisent à réaliser 80 % du travail) ; le facteur d’adhérence (une histoire mémorable et porteuse de sens, pas de peurs) ; un contexte favorable (notre environnement détermine pour partie nos comportements). 

Le cerveau humain est notre meilleur ami, mais aussi notre pire ennemi. Nous opérons la plupart du temps en mode automatique grâce à sa mémoire phénoménale. Face au changement, même infime, sa stratégie naturelle est le refus d’obstacles, la fuite, par peur de la perte, par incapacité à se projeter dans un avenir incertain. 

Alors, comment pouvons-nous sécuriser notre changement personnel et celui de ceux qu’on embarque avec nous en tant que leaders ? 

Tout d’abord, attaquons de front un certain nombre de croyances très limitantes pour aborder ce changement de manière sereine, concernant la performance, le bonheur, la place de l’homme et de la femme vis-à-vis de la nature. 

Performance : pour affronter la complexité, il faut de la complexité, c’est-à-dire une pensée diverse qui représente la voix de toutes les parties prenantes. Le « héros » visionnaire ne peut que proposer des réponses sous-optimales. Nous avons besoin de la puissance du groupe et d’intégrateurs-médiateurs. Cela ne signifie pas consensus à tout prix mais plutôt écoute de prérogatives parfois opposées puis décision courageuse. 

Bonheur : la surconsommation matérielle ne rend pas heureux, c’est mesuré. La reconnexion à soi, par une pratique créative ou spirituelle ; aux autres, par le don ; à la nature sont des alternatives bien plus probantes pour atteindre le bonheur que l’achat d’une nouvelle robe. 

L’humain dans la nature : nous sommes des vivants parmi le vivant. 

Ensuite, adopter une approche de petits pas. Nous sommes tous intéressés par des sujets différents. Le point d’entrée de l’activisme RSE est individuel – ce ne sont pas les problèmes qui manquent aujourd’hui. Commencez par vous sensibiliser à ce qui vous gratte le plus. Les rapports des Nations Unies sur les objectifs de développement durable sont une source pédagogique et activiste intarissable. Affrontez vos peurs, faites votre deuil du passé et rejoignez un collectif engagé près de chez vous ou devenez fer de lance sur les thèmes qui vous engagent émotionnellement. Par exemple la sensibilisation aux dérives de la pensée unique 

Enfin, en tant que leaders en entreprise, nous avons une responsabilité à développer et à accélérer les engagements RSE de celle-ci, en lien avec sa raison d’être et son modèle d’affaires. La période actuelle est propice à réinterroger la notion de valeur créée pour ses parties prenantes (vues au sens large) et les compromis que l’on fait entre celles-ci (c’est un exercice difficile car il existe des tensions opposées). Introduire une « triple bottom line » comptable est sur le chemin critique du point de bascule sociologique. Se montrer exemplaires au quotidien dans les décisions et les orientations opérationnelles pour rendre concrets ces engagements relève de la nécessité. Accompagner les équipes dans leur adaptation l’est également. 

L’avenir est devant nous, comme une page blanche. Il n’y a pas de raison de le subir. Nous avons une occasion unique de retrouver un esprit d’entreprendre, une dignité humaine par la contribution à quelque chose de plus grand que nous. 

BCG X : les enjeux de la transfo digitale

Pour Camille Brégé, l’équilibre entre l’angle tech et l’angle business se révèle essentiel pour la réussite d’une transformation digitale : « Le plus difficile, quand on crée un actif digital, ce n’est pas la partie technique, mais la partie business process qui va avec, et qui comprend par exemple l’acculturation des collaborateurs. La question de l’accompagnement est donc centrale. La règle d’or en la matière est 10/20/70 : 10 % des efforts résident dans la construction de l’algorithme, 20 % dans son implémentation dans les systèmes d’information existants, et 70 % dans l’intégration dans les modes de travail des équipes au quotidien. Ces 70 % constituent la clé de la dimension humaine de l’IA et elle est la plus importante. Elle ne doit surtout pas être sous-estimée. C’est la raison pour laquelle nous travaillons avec nos clients sur les questions de gestion du changement et de la formation. »

 

Un modèle collaboratif pour impliquer l’ensemble des utilisateurs

BCG X travaille sur la base d’un modèle collaboratif, qui mobilise un grand nombre de parties prenantes, des membres de la direction aux collaborateurs en passant par les équipes techniques et les managers. « Il faut que les interlocuteurs business, les représentants du comité exécutif et les utilisateurs soient impliqués. Sinon on risque de construire quelque chose hors-sol », explique Camille Brégé. Le soutien des équipes dirigeantes est aussi essentiel : « Sans support affirmé de la part de la direction, les transformations échouent. »

Convaincre les collaborateurs, parfois dubitatifs, de l’impact positif de l’IA fait également partie de l’accompagnement proposé par BCG X : « Nous pensons que l’IA apporte de la valeur si elle est combinée à l’humain. Il convient de composer avec des algorithmes, des intuitions business et de la stratégie. »

En plus d’apporter « une plus grande confiance dans les décisions prises parce qu’elles sont sous-tendues par des simulations et par de la donnée transparente », l’IA a pour atout, par son caractère transverse, d’améliorer l’expérience collaborateur : « La data et le digital aident à casser les silos, ce qui permet au collaborateur de prendre du recul et d’avoir une meilleure compréhension des enjeux auxquels l’entreprise est confrontée, et donc de se dire qu’il peut contribuer à les résoudre. Si on l’appréhende de la bonne manière, l’IA permet d’apporter plus de sens. »

Le Covid-19, catalyseur du besoin de sens

La crise du Covid-19 a profondément perturbé la relation au travail : beaucoup de collaborateurs se sont retrouvés brutalement projetés en travail à distance avec une faible visibilité sur le « retour à la normale ». La crise a prouvé qu’il était possible de maintenir l’activité grâce au télétravail mais a, en même temps, dégradé le sentiment d’appartenance des collaborateurs à l’entreprise en réduisant le travail à sa dimension productiviste.

La période de crise confronte les entreprises à un paradoxe : d’un côté, faire évoluer les modes de collaboration en intégrant plus de flexibilité (8 DRH sur 10[1] jugent que le développement du télétravail de manière pérenne est souhaitable, au moins sous sa forme hybride) et, de l’autre, ranimer le sens du collectif, permettre à l’entreprise d’être à nouveau une « société ».

Il sera crucial pour les dirigeants dans les mois à venir de s’interroger et d’ouvrir le dialogue avec les équipes : « Quel est notre projet collectif ? Qu’avons-nous envie de partager et d’accomplir ensemble ? » Les dirigeants vont devoir éclairer le sens, la vision et les valeurs communes pour réengager et permettre au corps social de se projeter dans l’avenir.

C’est tout l’enjeu de la « raison d’être » : fédérer autour d’un horizon partagé en exprimant la contribution positive de l’entreprise à la société. En éclairant le sens de l’action, la raison d’être a un impact sur la performance, l’épanouissement et la fidélité des collaborateurs :

  • un collaborateur « inspiré » est 2,25 fois plus productif qu’un collaborateur simplement satisfait, selon HBR[2];
  • la même étude montre qu’un collaborateur est 4 fois plus susceptible d’être épanoui au travail quand il travaille pour une entreprise dont il perçoit la raison d’être ;
  • 53 %[3] des collaborateurs se disent prêts à quitter une entreprise où la raison d’être ne serait pas conforme à leurs valeurs.

La raison d’être nourrit également la marque employeur en externe : c’est le facteur principal d’attraction de nouveaux talents, selon 71 % des salariés[4]. Dans la bataille pour attirer les nouvelles générations, la capacité à donner du sens sera un élément déterminant.

 

Malgré ce pouvoir de mobilisation et d’attraction de la raison d’être, certains dirigeants peuvent se montrer frileux à l’idée de travailler sur l’engagement sociétal, craignant que cela ne les détourne de la performance financière, particulièrement en cette période d’incertitude. Or, nous avons montré dans la première édition de l’Indice de l’engagement sociétal[5] qu’engagement à l’égard des parties prenantes et performance financière vont de pair : plus le score d’une entreprise progresse dans l’Indice – qui évalue la mobilisation des entreprises du CAC 40 à l’égard de l’ensemble de leurs parties prenantes (collaborateurs, clients, partenaires, société), plus son TSR (Total ShareHolder Return) sur un, cinq ou dix ans progresse. Réconcilier sens et performance semble donc relever du bon sens plutôt que de la gageure !

Ce cercle vertueux requiert un engagement authentique de l’entreprise et du top management : les preuves de cet engagement sont aujourd’hui évaluées de façon précise – à travers un panel d’indicateurs ESG, de mesures d’impact, d’indices –, et cette transparence peut agir comme un catalyseur de la confiance entre l’entreprise et ses parties prenantes ou comme le couperet de la défiance en cas d’incohérence. Il incombe ainsi aux entreprises pionnières de démontrer leur progression pour aligner tous les pans de l’organisation avec leur raison d’être.

[1] Étude BCG/ANDRH, juin 2020.

[2] « Engaging your employees is good but don’t stop there », HBR, 2015.

[3] « The case for purpose », Vlerick Business School, 2020.

[4] « Baromètre de la raison d’être », 12-11-2019, NoCom & Tikehau & Essec & Les Échos & Radio Classique.

[5] « Engagement sociétal : où en sont les grandes entreprises », BCG, 2020.