L’art de la reconnaissance

Depuis plus d’une trentaine d’années, j’accompagne des personnes devenues incapables d’exercer leur métier. Elles viennent de tous les milieux : autant du secteur privé que du secteur public, autant de petites que de grandes entreprises, autant du monde des cols blancs que de celui des cols-bleus. Et elles ont tous les âges, de la vingtaine à la soixantaine.

En les écoutant, j’ai développé une profonde inquiétude. Des questions sont venues me hanter : à quoi ressemble un(e) enseignant(e) quand la flamme est éteinte dans les yeux des trente bouts de chou qui le (la) regardent ? A quoi ressemble un(e) soignant(e) quand l’envie n’y est plus ? Que s’est-il passé entre le moment où ces personnes ont commencé à travailler et le moment où elles sont arrivées dans mon cabinet ?

Au fil des rencontres, j’ai constaté qu’un mot revenait sur à peu près toutes les lèvres, le mot reconnaissance ! Ces hommes et ces femmes avaient en commun le sentiment de vivre dans un univers où le souci de la performance avait entraîné des réorganisations du travail qui ne faisaient plus de place à leur intelligence. Elles devaient tout accomplir si rapidement que plus rien n’était fait selon ce que leur dictaient leur jugement, leur intuition ou leur expérience. Et si elles osaient exprimer cette perte de sens, on leur répondait qu’on n’avait pas le choix, qu’il fallait s’adapter.

Or, les générations qui entrent dans l’espace de travail ont grandi dans l’écoute et le dialogue. Fini le temps où il fallait obéir au doigt et à l’œil ! Très tôt dans leur vie, on a fait appel à leur discernement, à leur imagination et à leur lucidité. Ils veulent désormais utiliser ces ressources.

Quand les jeunes ont à choisir entre un salaire élevé et la possibilité de s’accomplir, ils choisissent la deuxième solution, car ils savent que le salaire viendra avec la réalisation de leur potentiel. Des phrases comme : « De quoi se plaignent-ils, ils sont payés pour faire leur travail ! » sont des formules  semeuses de démotivation, de perte d’intérêt et de désengagement. Et les personnes qui partent sont souvent les plus compétentes, car elles peuvent aisément trouver autre chose ailleurs.

Or, il ne faut surtout pas instrumentaliser la reconnaissance. Ce serait aller à l’encontre de son essence et elle perdrait tout son impact. La reconnaissance ne peut pas être enfermée dans des programmes mais elle peut devenir l’élément vital d’une culture. En fait, c’est l’expression ultime du sens de la communauté. À travers elle, je montre à l’autre que je vois qu’il existe et je crée des conditions pour que cette existence puisse se manifester. Je lui montre que je crois en lui. C’est une authentique expression de la vie.

Alors, par où commence-t-on ?

Quelques principes doivent être respectés si l’on veut que la reconnaissance apparaisse ou soit maintenue bien vivante dans une organisation…

  • La reconnaissance est un cadeau quand je l’offre, mais elle est un piège quand je l’exige. Quand je la donne, je dis ma liberté ; quand je la réclame, je fais entendre mes chaînes.
  • Elle n’appartient à personne en particulier. Tout le monde a le pouvoir de reconnaître. Bien sûr elle peut venir du haut vers le bas (dans la hiérarchie), mais elle peut aussi venir du bas vers le haut. Et elle peut, évidemment, s’exprimer à l’horizontale, entre pairs.
  • Elle apporte autant à la personne qui l’offre qu’à celle qui la reçoit.
  • Elle doit toujours être gratuite. On ne doit rien attendre en retour.
  • Elle doit être authentique, sinon, elle pourrait être perçue comme manipulatrice, perverse.
  • On peut s’accorder de la reconnaissance à soi-même en contemplant le travail accompli, les objectifs atteints, les résultats obtenus. « L’auto-reconnaissance » n’est pas du narcissisme, mais un constat : « Aujourd’hui, j’ai réalisé ceci, j’ai réalisé cela ! »
  • La reconnaissance, ça se génère ! En m’intéressant réellement à l’autre, j’ouvre la porte à une considération mutuelle de nos contributions respectives au bien commun.
  • Le degré le plus élevé de reconnaissance qu’on puisse accorder à un être humain est la qualité de notre attention. Ce n’est qu’à travers une présence attentive que l’on peut reconnaître l’acte (« Peux-tu nous dire comment tu ferais ? ») ou reconnaître l’être (« Bonjour, que peut-on faire pour toi ? »). Les deux piliers de la reconnaissance !

CPAM : La coopération en pratique

L’enjeu de notre démarche, à la CPAM des Yvelines, est de transformer le management afin de permettre la prise d’initiatives de nos collaborateurs dans le but d’aboutir à des résultats dont nous serons fiers. L’objectif de nos actions est de faire émerger progressivement une nouvelle culture d’entreprise dans laquelle chaque salarié peut exprimer pleinement son potentiel et devenir ainsi acteur de la vie de l’entreprise.

Depuis maintenant huit années, nous sommes engagés dans une transformation managériale reposant sur cinq leviers qui nous ont permis de construire progressivement un véritable collectif.

1 – Le premier de ces leviers est le sens, condition essentielle de l’implication qui permet d’inspirer les collaborateurs et de valoriser leurs actions, leur comportement sur la performance collective.

2 – Le deuxième est la confiance qui libère les énergies, favorise l’engagement et le partage d’information et des idées.

3 – Le troisième est l’autonomie qui, outre une acceptation plus facile du changement, génère du plaisir et du bien-être.

4 – Le quatrième est la reconnaissance. En modifiant nos attitudes, notre langage, en évitant les symboles de pouvoir, en cultivant la gratitude et en confiant des responsabilités, nous démontrons que l’humain doit primer. Il n’y a pas lieu de discriminer les exécutants par rapport aux stratèges, ou les moins qualifiés par rapport aux diplômés.

5 – Le cinquième et dernier levier, la fierté d’appartenance, doit être favorisé par des événements marquants et réguliers (fêtes, challenges…).

Au fil des ans, ces leviers se sont traduits en actions afin de mettre en œuvre concrètement cette transformation : lean management, innovation participative, création de communautés collaboratives, évolution du rôle des fonctions supports, réduction des strates hiérarchiques, etc.

C’est ainsi qu’un collectif s’est petit à petit dégagé, chacun sentant que son travail compte, que lui-même compte au sein du collectif de notre entreprise. Le mode de fonctionnement des équipes s’en est trouvé facilité grâce à la possibilité non seulement de s’exprimer, mais aussi de participer effectivement aux projets indépendamment de son “rang” dans l’entreprise. Une sécurité relationnelle s’est ainsi instaurée. Certes, il y a et il y aura toujours des turbulences, des conflits, mais quand les collaborateurs sont parties prenantes de la construction des règles, des valeurs et des décisions, c’est le collectif qui l’emporte et les conflits qui s’estompent.

Mais cela nécessite du temps, de la patience et aussi l’acceptation de la contradiction pour éviter et limiter les conflits. Et c’est bien ce qui est nécessaire dans un monde de plus en plus complexe et changeant où, plutôt que de centraliser les décisions et multiplier les contrôles, il faut accepter la diversité des personnes et des points de vue.

 

Voir aussi : Optim’services : Locomotive QVT de la SNCF