Le recrutement doit changer de mains

Recruter : même par temps calme, aucun autre verbe, dans l’univers des ressources humaines, ne suscite tout à la fois autant d’espoir et d’inquiétude, quel que soit le côté où l’on se place, recruté comme recruteur :

• espoir de trouver un poste qui garantit du “kif” pour l’un et de conquérir LE candidat qui coche toutes les cases pour l’autre ;

• crainte de se tromper d’entreprise pour l’un et de profil pour l’autre.

Aucune mission n’est plus audacieuse et plus compliquée que celle du recrutement, car elle a trait directement à l’humain, tout à la fois complexe et imprévisible. Comment alors, par temps fort, et particulièrement en ces périodes de crise marquées du sceau du Covid-19, très chaotiques économiquement parlant, peut-on oser parler de recrutement ?

Comment peut-on imaginer que des entreprises s’engagent auprès de nouveaux collaborateurs, aussi talentueux soient-ils, alors que l’avenir n’a jamais paru aussi incertain et que le nombre de destructions d’emplois ne cesse d’augmenter ?

Cela peut en effet paraître paradoxal, mais il n’en est rien. Si des pans entiers de certains secteurs économiques s’effondrent, si des métiers disparaissent, d’autres voient le jour, tirés entre autres par les évolutions technologiques, les grands enjeux climatiques, les nouvelles orientations environnementales et les nouvelles formes de travail (management de transition, freelancing). Sous l’égide de startupers audacieux comme sous l’impulsion de chefs d’entreprise ou autres grands dirigeants visionnaires, la quête des talents se poursuit, voire s’accentue dans certains secteurs (santé, sécurité, logistique, digital…), ce dont on ne peut que se réjouir.

En ces temps de crise, la question à se poser n’est donc pas tant doit-on ou non recruter, mais bien plutôt qui doit recruter et comment pour s’assurer de l’adéquation des nouvelles recrues aux exigences des postes à pourvoir, souvent essentiels pour la pérennité de l’entreprise, voire pour sa survie ? La tentation peut alors être grande de dérouler selon la routine habituelle les processus de recrutement qui ont fait tant bien que mal leurs preuves jusqu’alors et qui rassurent, en particulier ceux qui en sont à l’origine, à savoir les services des directions des ressources humaines. Mais ce serait faire fi de plusieurs paramètres déjà naissants avant la crise du Covid-19 et que celle-ci exacerbe. Comme le précise Isabelle Bastide (PDG de PageGroup) dans son ouvrage Le recrutement réinventé :

1 – c’est la fin des modèles : Les compétences techniques relatées dans le CV ne suffisent plus ; l’intuition humaine, l’intelligence émotionnelle, les softs skills sont de plus en plus recherchés ; on ne recrute plus des profils stéréotypés, mais des personnalités qui se révèlent non plus uniquement à travers un entretien d’embauche classique, mais bien plutôt via des plates-formes de recrutement, des vidéos, chats live, forums, jeux-concours, escape games…

2 – place à l’open recrutement : On assiste à l’émergence de principes de cooptation et de recommandation ; en utilisant le réseau professionnel de leurs salariés pour recruter, les entreprises transforment ces derniers en chasseur de têtes. C’est donc tous ensemble : managers, DRH et collaborateurs qu’il faut aujourd’hui envisager les recrutements, sans oublier que…

3 – … la balle est désormais dans le camp des candidats : Les candidats ont mûri, ils ont accès à davantage d’informations et de choix. Ils adoptent une attitude consumériste et sont susceptibles, même en période de crise, de décliner la lettre d’embauche d’une entreprise au sein de laquelle, hier, ils rêvaient d’être engagés.

portrait de dominique BELLOS
Dominique Bellos, ex-directrice des ressources humaines d’HUTCHINSON

Est-ce à dire que recruter serait devenu plus difficile qu’avant la crise du Covid-19 ? Non, le recrutement n’est pas plus difficile aujourd’hui qu’hier, mais il n’est définitivement plus la chasse gardée des dirigeants, des DRH et des managers, ni même des cabinets de recrutement, aussi experts soient-ils en la matière.

Les premiers recruteurs de l’entreprise sont désormais ses collaborateurs. Aucune campagne de recrutement, aucune communication institutionnelle, fussent-elles des plus attractives, ne refléteront l’entreprise si ses collaborateurs ne s’y reconnaissent pas. Et même si le masque devient obligatoire dans l’entreprise pour des raisons sanitaires, il se devra de “tomber” dans toutes les autres circonstances.

Une marque employeur, transparente et efficace, ne se décrète pas, elle se construit à travers ses collaborateurs. En les encourageant à communiquer grâce aux réseaux sociaux sur leur entreprise telle qu’elle est vraiment, les dirigeants, les DRH et les managers font d’une pierre deux coups :

1 – ils invitent leurs salariés à s’engager très en amont sur la marque employeur en les incitant à devenir les ambassadeurs et les relais naturels de l’entreprise et à renforcer par là même leur sens des responsabilités à l’égard de celle-ci ;

2 – ils se montrent rassurants envers leurs potentiels candidats et futurs talents en répondant à l’une de leurs très fortes attentes : l’authenticité.

Bien recruter suppose donc de savoir retenir et fidéliser ses collaborateurs. Le capital confiance va devenir crucial, et ce dès la phase d’intégration du nouveau talent. Il ne faudra plus raisonner uniquement en compétences techniques ou en domaines d’expertise. Le futur collaborateur est avant tout un être humain dont l’intelligence émotionnelle sera à prendre en compte. Gagner sa confiance supposera plus que jamais de la part des managers de savoir faire preuve d’un leadership empathique et rassurant, de surcroît quand celui-ci devra s’exercer à distance, sécurité oblige. Il faudra donc former les recruteurs, dont les managers, à recruter différemment, dans une approche à plus long terme, à travers un “parcours candidat” impactant, personnalisé et authentique.

Désormais, savoir évaluer avec justesse ses futurs talents fera partie intégrante de la mission de l’entreprise. Or, dans cette période exceptionnelle à bien des titres, tous les compteurs ou presque sont remis à zéro, la plupart des indicateurs repères sont caducs, ceux concernant le recrutement ne font pas exception. Il va donc falloir adapter, voire réinventer, les outils d’évaluation, sans visibilité aucune, mais avec une seule certitude : les candidats devront disposer du potentiel requis pour faire face aux challenges de l’entreprise, dont l’avenir est chargé d’incertitudes. Il ne suffira donc plus de vérifier si les compétences annoncées ont bien été démontrées dans leurs précédentes missions, il faudra surtout et avant tout détecter s’ils disposent ou non du potentiel (hard & soft) requis par le poste, puis d’en évaluer le niveau “in vivo”. Le savoir-être face aux incertitudes se révélera un atout majeur particulièrement recherché.

Mais là ne s’arrêtera pas la mission de l’entreprise en matière de recrutement. Elle devra être en mesure d’apporter au candidat retenu un accompagnement sur mesure, pour faciliter son intégration, dans les meilleurs délais, et un environnement managérial qui favorisera son épanouissement et lui permettra de réaliser son potentiel en toute autonomie et authenticité.

C’est à ces conditions que l’entreprise pourra attirer et retenir ses futurs talents afin de relever ses challenges les plus audacieux.

 

Voir aussi : Les soft skills : atouts de demain

Les soft skills : atouts de demain

Depuis quelques année, le terme soft skills est entré dans le lexique du monde de l’entreprise. À l’opposé des hard skills, ou compétences techniques, ces “compétences douces” regroupent les qualités comportementales d’un candidat ou d’un employé, soit les savoir-être indispensables à sa bonne intégration dans l’organisation et à sa faculté à évoluer avec elle. Laure Bertrand, directrice Soft Skills et Transversalité à l’EMLV, les classe en quatre catégories : la connaissance de soi (la solidité personnelle, la gestion du stress et la compréhension de ses émotions), la relation avec l’autre (l’écoute, l’empathie et la capacité à coopérer et à convaincre), l’action (l’efficacité, la gestion du temps et la prise de décisions), et celles liées à la dimension cognitive (la créativité, l’ouverture d’esprit et la capacité d’apprendre à apprendre).

Dans un monde économique incertain et changeant, où les hard skills connaissent une obsolescence rapide et où la robotisation et l’intelligence artificielle prennent de plus en plus de place, les soft skills sont un facteur différenciateur, en raison de leur pérennité et de leur stabilité, mais aussi parce qu’elles font appel à des atouts que les machines ne maîtrisent pas. Ces compétences humaines ont-elles pour autant supplanté les compétences techniques aux yeux des DRH ? Selon Clément Meursault, recruteur chez Capgemini, une ESN, c’est effectivement le cas, puisque “les hard skills sont plus faciles à acquérir que les soft skills”.

Quelles sont les soft skills du moment ?
Parmi les soft skills principales des cadres, on trouve l’écoute, l’autonomie et la capacité à travailler en équipe, qualités que les dirigeants attendent également de leurs collaborateurs, en plus d’un haut degré de fiabilité. Certes, les soft skills les plus recherchées dépendent du secteur et du poste visé, et les qualités privilégiées ne seront pas les mêmes pour tel ou tel recruteur.

La crise sanitaire et économique invite encore plus fortement les employés à mettre en œuvre leurs qualités humaines pour s’adapter aux nouvelles méthodes de travail. L’autonomie reste ainsi l’une des soft skills les plus valorisées, puisqu’il faut savoir progresser dans ses projets à distance, et sans le retour constant de ses pairs et supérieurs. L’adaptabilité est également très précieuse, notamment dans un contexte fait de ruptures, car elle aide à faire face au changement dans un esprit constructif. La capacité à s’organiser et à gérer des projets est aussi très prisée, surtout pour mener des opérations transversales, regroupant des équipes différentes.

Avec des effectifs qui peuvent être réduits, la polyvalence et la curiosité font figure de qualités essentielles, permettant une plus grande réactivité. Enfin, la créativité compte encore parmi les soft skills les plus recherchées, surtout dans une période de crise où la capacité d’innovation fait la différence entre le développement et la disparition d’une société.

Savoir détecter et valoriser les soft skills

Alors qu’un tiers des recrutements échouent dès la première année et que les embauches seront de plus en plus stratégiques, la nécessité de déceler avec précision les compétences comportementales des candidats s’avère capitale pour la fidélisation des collaborateurs et la bonne cohésion des équipes. Les méthodes adoptées sont variées, entre importance accordée au “feeling” et adoption de tests comportementaux et de personnalité.

L’entretien reste bien sûr indispensable pour déterminer si les qualités du postulant correspondent à celles recherchées, mais les interactions avant et après l’entretien formel donnent aussi des indications sur sa personnalité. Les entretiens vidéo différés permettent également au candidat de développer ces sujets, mais les simulations et mises en situation donneront des renseignements beaucoup plus tangibles.

Toujours dans le but de retenir les meilleurs salariés, il est aussi primordial de valoriser les soft skills des personnels déjà en place. Et lorsqu’on sait que 70 % des cadres estiment que leurs employeurs sous-exploitent ces qualités, il est clair que le sujet est sensible. Les formations en compétences comportementales, internes ou externes, sont encore trop peu nombreuses, mais leurs évaluations à travers les entretiens annuels commencent à se développer, tout comme la culture du feed-back. L’attention portée aux soft skills s’avérera dans tous les cas fondamentale pour consolider la culture de l’entreprise et assurer le bien-être de chaque collaborateur.

 

Voir aussi : Le recrutement doit changer de mains