Réforme des retraites : et maintenant, quel impact social pour les entreprises ?

À l’heure où il est question de travailler jusqu’à 64 ans et plus, la majorité des répondants considèrent que l’on est senior dès 50 ans. Seulement 10 % des interrogés considèrent que l’on devient senior à partir de 60 ans.

A l’inverse, 20 % estiment que le seuil de 45 ans enclenche la séniorité, alors que cet âge est plutôt celui de la mi-carrière. Malgré une perception majoritairement positive à leur égard
(58%), les seniors ne sont toutefois pas perçus comme un ‘atout’ pour 1/3 des DRH et DG interrogés. Au-delà des réponses attendues sur leurs capacités de transmission (80 % et +), de leur fiabilité et de leur autonomie (89%), les seniors sont également perçus comme plus productifs selon la majorité des répondants (54%), alors qu’ils sont souvent considérés comme plus coûteux. Le point de vue reçu du management dénonce les a priori sur les seniors : ils ne sont pas moins compétents (78%), pas plus malades (78%), pas moins engagés (76%) et pas moins productifs (73%).

A l’inverse, les managers soulignent les difficultés liées à l’emploi des seniors : résistance au changement (76%), surcoût (75%), difficultés face aux technologies (63%), moindre mobilité (57%). Enfin, les seniors seraient mis en difficulté par leur propre image (39%).

Mesures de maintien dans l’emploi des seniors

Il semblerait que lorsque l’entreprise ‘pense’ senior, elle privilégie une vision, voire une prévision de sortie des effectifs, plus qu’une gestion de cette nouvelle partie de carrière. C’est ainsi que l’on retrouve logiquement des actions de transmission et de sortie de l’entreprise sur le podium des mesures plébiscitées pour l’emploi de ces salariés expérimentés (80 % et +). Un accès privilégié à la formation serait la première mesure concrète recommandée par les interrogés pour favoriser le développement de l’employabilité de cette catégorie de salariés (70%). Viennent ensuite des mesures propres à la gestion de la carrière : entretiens professionnels adaptés, bilan de carrière,
mobilité interne… (60 à 67%).

Puis arrive en dernière position, la prise en charge de la pénibilité : aménagement d’horaires, modulation des objectifs, aménagement de postes de travail … (39 à 57%).
Le maintien dans l’emploi des seniors passerait par une combinaison judicieuse de mesures aux
niveaux culturel (56%), RH (54 à 56%) et économique (50%).

De plus pour dépasser les préjugés sur les seniors, 90 % des répondants estiment qu’il faut commencer par former les managers. En parallèle, 80 % des répondants estiment qu’il faut inciter les partenaires sociaux et les directions à se mettre autour de la table pour discuter d’accords spécifiques(pénibilité, GEPP, prévention et santé …) au sein de l’entreprise. Enfin, pour 70 % des répondants, la mise en place d’un index senior n’aurait qu’un impact modéré, voire pas d’impact.

Accompagnement et protection des seniors dans les licenciements
La retraite progressive (à 84%) ou la préretraite (à 70%) seraient les mesures préférées des DRH pour sécuriser la séparation professionnelle. Pour favoriser le retour à l’emploi des seniors, les répondants plébiscitent l’outplacement (83%) ainsi que les aides à la création d’entreprise (63%) et la prise en charge des formations (62%). Dans un contexte de marché de l’emploi dynamique, les DRH reconnaissent que le retour à l’emploi des seniors continue malgré tout à s’apparenter à un réel parcours d’obstacles, et souhaitent apporter un soutien spécifique aux seniors. Quant aux mesures coercitives pour éviter les licenciements, les répondants considèrent à 38 % qu’une interdiction aurait un impact fort alors que 33 % d’entre eux l’estiment sans impact. La pénalité financière renvoie le même écho de la part des répondants.

Comment inciter les entreprises à recruter des seniors ?
Les mesures jugées les plus efficaces pour favoriser le recrutement de seniors seraient majoritairement d’ordre financier : suppression ou baisse des cotisations sociales (88%), crédit
d’impôt (79%). On constate ainsi dans les réponses que pour lever des freins au recrutement des seniors ou lutter contre les a priori, la recommandation des répondants ressemble à l’installation d’une « discrimination positive ». A noter également que la création d’un outil de mesure du taux de recrutement des seniors parait plus efficace (66%) aux yeux des répondants que la mise en place d’un index senior. Par ailleurs, le rejet de l’interdiction de l’âge sur le CV (74%) montre à quel point la portée semble symbolique et non génératrice d’effets concrets.

Le CDI senior, invalidé par le Conseil Constitutionnel dans le texte sur la réforme des retraites, est massivement plébiscité par 75 % des DRH et DG répondant  à l’enquête. Enfin, l’idée de l’obligation du recrutement de seniors au sein de la fonction publique (68%) est largement mise sur la table !

La mise en place d’une politique senior dans l’entreprise
A l’heure où la réforme des retraites a été définitivement adoptée et à l’aube de la loi « plein emploi », 73 % des
répondants affirment n’avoir toujours pas engagé de politique senior dans leur entreprise. La priorité à court
terme pour 21% d’entre-deux serait de mettre en place des actions de sensibilisation du management pour
lutter contre les a priori et les préjugés liés à l’âge. Un quart des répondants n’envisagent cependant pas
d’engager des actions spécifiques. Seulement 12 % envisagent de lancer une négociation sur les conditions de
travail des seniors

Travailler en Ehpad au temps du Covid

Aides-soignants ou auxiliaires de vie, intervenant dans des établissements ou au domicile des personnes dépendantes : chez ces professionnels, la lassitude et la souffrance s’expriment quotidiennement, et les raisons en sont à la fois multiples et connues de tous.

« Les risques psycho-sociaux en Ehpad sont pratiquement inhérents à l’activité elle-même, résume une ancienne directrice d’établissement de soins qui n’a pas souhaité que son nom soit cité. Le travail est exigeant, les enjeux sont graves, le personnel est confronté en permanence à la maladie, à l’isolement et parfois au décès des résidents… Bien sûr beaucoup sont en souffrance, d’ailleurs le taux d’absentéisme est très élevé dans ces structures. »

Dans les établissements, c’est souvent le manque de temps et de personnel qualifié qui pèse le plus aux salariés, au point de compliquer l’accomplissement de la moindre tâche. « La distribution des médicaments, par exemple, est un casse-tête, poursuit l’ex-directrice. En théorie, la dose de chaque patient doit être préparée dans une salle à part, au calme. En pratique, la personne qui s’en charge est interrompue en permanence. Ensuite, certains patients ont du mal à prendre leurs médicaments, et en milieu de journée vous retrouvez des comprimés par terre… C’est une des nombreuses “situations-problèmes” que j’avais identifiées en m’appuyant sur les méthodologies développées par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il y en a, hélas, beaucoup d’autres. »

Quant aux professionnels qui interviennent au domicile des patients, environ 3 millions de salariés, leur sort n’est pas plus enviable. « Ces personnes, des femmes à 91 %, commencent leur journée à 6 h 30, détaille Lucas Fialaire, cofondateur en 2019 de la société Keradom, qui propose de digitaliser le recrutement et la formation des professionnels de l’aide aux personnes dépendantes. En milieu de matinée leur travail est terminé et il ne reprend que vers 16 heures, jusqu’à 20 heures. Mais, comme les salaires sont très bas (le smic pour une auxiliaire de vie) et qu’à peine un tiers d’entre elles sont défrayées de leurs kilomètres, elles ne rentrent pas chez elles, patientent sur des parkings de centres commerciaux… »

« Le métier ne fait pas rêver. Les salaires sont bas parce que les tarifs fixés par les départements sont faibles, et les perspectives d’évolution professionnelle, médiocres, développe Lucas Fialaire. Résultat : il manque aujourd’hui 200 000 personnes qualifiées, et le chiffre sera de 500 000 en 2040, tandis que les écoles sont vides. » Une étude menée en 2010, la dernière en date sur ces professions, relevait aussi que le métier d’auxiliaire de vie et d’aide à domicile comptait le plus fort taux d’arrêts de travail, devant le BTP.

 

Le tableau était donc déjà bien sombre lorsque la pandémie de Covid-19 a commencé à se répandre. Un virus dont on a découvert rapidement qu’il était particulièrement dangereux pour les personnes âgées ou à la santé déjà fragile – la fameuse notion, passée dans le langage courant, de « comorbidité ». De nouveau, les professionnels de l’aide aux personnes dépendantes se sont trouvés en première ligne, souvent dans des conditions déplorables. Dans les Ehpad, il a fallu organiser les visites des familles, isoler les éventuels patients positifs, gérer la situation de membres du personnel potentiellement exposés au virus lorsqu’ils quittaient l’établissement.

Pour le personnel effectuant des visites à domicile, il a d’abord fallu faire avec la pénurie généralisée de masques et de gants. Fallait-il prendre le risque de visiter les patients à risque malgré tout ? Tenir compte de l’avis des familles qui ne souhaitaient plus qu’une personne âgée ouvre sa porte ? Insister face aux personnes dépendantes réticentes, ou « oubliant » de signaler qu’elles étaient cas contact ?

Les premiers mois ont été difficiles. « Pour les personnels qui vont au domicile des patients, souligne Lucas Fialaire, la consigne a été de ne plus passer à l’agence qui les emploie pour éviter le “brassage.” Les gens se sont donc retrouvés seuls, ne pouvaient plus échanger avec leurs collègues ou leur hiérarchie, décompresser… » En Ehpad, des mesures drastiques et souvent inapplicables ont été annoncées à mesure que la pandémie progressait. La dernière salve date de novembre 2020, avec une liste de consignes rendues publiques par la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon : dépistage hebdomadaire systématique pour le personnel, visites des proches strictement encadrées, installation de « sas de déshabillage » à l’entrée, maintien en poste des salariés testés positifs mais asymptomatiques s’ils étaient jugés « non remplaçables »… Des mesures difficiles, alors que plus de 1 600 Ehpad, soit 1 sur 5, recensaient au moins un cas de Covid parmi ses pensionnaires.

 

Puis est arrivée la question de la vaccination, dont les personnes âgées sont censées bénéficier en priorité. « On demande aux structures de vacciner, de recueillir le consentement, de recruter du personnel pour des dates précises, et au final, souvent, les doses ne sont pas livrées le jour dit », résume Lucas Fialaire. Une tâche d’autant plus compliquée que, selon un sondage publié en février 2021 par l’entreprise Bluelinea, spécialisée dans la téléassistance pour les seniors, si 40 % des pensionnaires d’Ehpad veulent être vaccinés, 40 % n’ont pas fait leur choix, et 20 % refusent catégoriquement. Quant au personnel, qui est lui aussi censé être prioritaire, tous ne sont pas sur un pied d’égalité : si les soignants doivent effectivement bénéficier rapidement du vaccin, rien n’est prévu pour les auxiliaires de vie.

Et pourtant la pression est forte : le 9 février, un avocat parisien a annoncé pour la première fois le dépôt d’une plainte pour « homicide involontaire » contre un hôpital de la capitale, à la suite du décès d’un patient octogénaire admis pour une pneumopathie et dont la famille estime qu’il n’a pas reçu les soins adéquats.

Face à un tel tableau, parler de « qualité de vie au travail » relèverait presque de la provocation, et les recruteurs en sont conscients. L’âge moyen des professionnels du secteur est de 48 ans, et même de 51 ans en zone rurale. Départs à la retraite et reconversions aidant, ce sont 4 millions de postes qu’il faudra pourvoir d’ici à 2040, et les profils qualifiés n’existent pas en nombre suffisant. « Tout le monde le sait, c’est une vraie bombe à retardement. Aujourd’hui déjà, 20 % des demandes d’accompagnement déposées par les familles sont refusées, faute de personnel disponible », martèle Lucas Fialaire.

Des solutions ? Dans les structures comme les Ehpad, on estime qu’il faut commencer par travailler sur le management. Comprendre les conditions de travail réelles du personnel, privilégier la discussion et les échanges de groupe, veiller à remplacer les salariés absents. Plus largement, c’est surtout la question de la revalorisation de ces professions qui se pose. Une revalorisation qui passe largement par la formation, afin de faire évoluer des professionnels qui débutent souvent tout en bas de l’échelle. Sans doute en recourant plus massivement à l’enseignement à distance et à l’e-learning.