Accompagnement et décarbonation : le combo gagnant

« La décarbonation de mon entreprise m’a tuer »

Une « économie de la mort », c’est avec cette indéniable liberté de ton que ces mots venaient d’être prononcés dans le vaste open space, suscitant l’approbation d’un certain nombre de collaborateurs. Puis d’autres exprimèrent que non, cela n’était pas juste, que tout ça n’était qu’une énième séquence de fake news, et puis qu’ils n’allaient pas « se faire avoir » avec du « green washing ». La majorité des collaborateurs restaient quant à eux silencieux. On aurait pu le dire ainsi : ils affichaient une forme d’indifférence. D’autres encore, plus cyniques, pince sans-rire et ambianceurs connus de l’espace de travail, profitèrent d’une pause pour écrire « La décarbonation de mon entreprise m’a tuer » sur le tableau Velleda mural de la cuisine, ce qui ne manqua pas de faire effectivement rigoler les uns – surtout eux, d’ailleurs –, d’en outrer d’autres et de recueillir l’impassibilité du plus grand nombre. Mais que se passait-il dans cette entreprise ? La nouvelle campagne de communication axée sur la politique RSE venait d’y être lancée, avec un focus particulier cette année sur la volonté de décarbonation des activités. On aurait pu dire qu’il s’agissait d’un « flop ». Enfin, on aurait surtout pu dire que le niveau d’engagement des collaborateurs envers la démarche était « normal », c’est-à-dire qu’il était différencié et suivait une courbe… normale. Est-ce qu’il n’y avait pas là des manques en matière d’accompagnement du changement ?

 

D’insuffisants premiers pas

Effectivement, il y avait là des manques. Et effectivement, force est d’admettre qu’il y a encore beaucoup de manques sur ces considérations au sein des entreprises françaises. Mais prenons un peu de hauteur, avec une mise en perspective sociétale. Actuellement, en France, face à des discours appelant à la mise en œuvre de la transition écologique, l’engagement des citoyens sur ce sujet est pour le moins inégal : si 70 % de la population se déclare inquiète, seuls 30 % agissent en conséquence[1]. Le constat est indéniable : la distance est encore de taille entre la conscience de l’urgence et sa traduction en actes.

 

Cela dit, les politiques gouvernementales engagent et obligent davantage les entreprises à agir concrètement[2]. Les résultats d’une étude CSA pour LinkedIn et l’Ademe[3] sont à cet égard pour le moins édifiants…

  • L’environnement est la deuxième préoccupation principale des salariés, et même la première pour les jeunes salariés de moins de 35 ans.
  • 88 % des salariés estiment que la transition écologique est un sujet important dans leur entreprise, et 36 % pensent qu’il est prioritaire.
  • 68 % des salariés veulent être formés aux enjeux de la transition écologique dans leur entreprise.

 

Supposons qu’une entreprise se dote d’une stratégie de décarbonation. Il faut reconnaître que c’est là un judicieux premier pas, mais également qu’elle n’aura fait qu’une faible partie du chemin. Pourquoi ? Pour une raison assez simple : une stratégie de décarbonation a de la valeur en soi, mais une part de cette valeur, comme dans toute stratégie, réside dans sa compréhension, son adoption et sa mise en œuvre par les femmes et les hommes qu’elle concerne. C’est ce qu’on appelle la part people-dependent du retour sur investissement (RSI). Autrement on risque de rester au niveau de l’intention, de l’incantatoire, sans passer à la concrétisation dans les gestes. C’est dans cette concrétisation, et ultimement dans l’institutionnalisation des pratiques – autrement dit, quand un comportement cible devient une norme – que se situe la valeur des stratégies et des politiques de transition écologique au sein des entreprises. Une transformation structurelle de cet ordre ne peut pas s’épargner d’être maillée avec des démarches d’accompagnement du changement vers des devenirs de représentation et de pratiques professionnelles différentes, ancrés dans les quotidiens de travail des collaborateurs. Comment ?

 

L’engagement du changement

Il est d’abord indispensable pour chaque entreprise d’élaborer un état des lieux des représentations et des pratiques de ses collaborateurs au regard de sa stratégie de décarbonation et des implications de celle-ci dans les quotidiens futurs des activités professionnelles. On peut parler ici d’une démarche d’explicitation. Démarche qu’on peut voir comme une façon de faire émerger le dictionnaire de significations et de pratiques propre à chaque entreprise au regard de la transition écologique, et plus précisément de la décarbonation.

 

Plusieurs méthodes d’écoute et d’analyse permettent de s’y livrer (entretiens d’écoute, focus groupe, enquêtes quantitatives, ateliers d’explicitation, immersions, analyse documentaire…), au croisement desquelles un portrait objectif de la réalité des pratiques, des perceptions, des leviers d’engagement et des impacts prévisionnels par population pourront notamment être établis. Cette phase permettra également d’identifier les collaborateurs sur lesquels il sera possible de s’appuyer, premiers pas vers la mise en place d’une communauté d’ambassadeurs.

 

Et puis, cela va de soi, l’occasion sera alors belle d’identifier – pour les accompagner et les dépasser – les résistances potentielles à la compréhension de la stratégie de décarbonation de l’entreprise ainsi qu’à l’adoption des changements de pratique associés. Ces résistances peuvent être multifactorielles…

  • Individuelles : personnalité, socio-démographiques, mécanismes de défense, manque de motivation, habitudes, peur de l’inconnu, incompréhension du changement…
  • Collectives ou socioculturelles : sentiment de perdre certains droits acquis, normes sociales, croyances, valeurs de l’organisation, rituels, mœurs…
  • Politiques : forces syndicales, perspectives de perdre une certaine influence…
  • Liées à la mise en œuvre du changement (cause majeure des échecs) : manque de préparation et d’organisation, absence de consultation et d’implication des collaborateurs impactés…
  • Liées au système organisationnel en place : organisation perçue comme inerte et peu adaptable, capacité de l’organisation à changer…
  • Liées au changement lui-même : changement complexe, peu légitimé, opposé aux valeurs, transformation trop radicale…

 

Fort de cet état des lieux, il importe de définir collectivement – en y associant une proportion représentative des collaborateurs – une cible comportementale et des éléments de mesure objectivants associés (KPI, ou indicateur clé de performance). Il y aura alors un point de départ (l’état des lieux) et un horizon fixant l’ambition (cible comportementale et KPI de mesure). Les écarts entre les deux seront alors objectivés et pourront dès lors être construits. Puis des plans d’accompagnement du changement – qui prendront notamment en compte les leviers d’engagement et les résistances potentielles identifiés dans la phase d’état des lieux – pourront être déployés. Le principe clé ici est le suivant : c’est en changeant les représentations que l’on change les comportements. Que veut-on dire par plans d’accompagnement ? On peut classer ces plans selon deux types complémentaires et nécessaires pour optimiser l’ancrage des changements souhaités…

  • Les leviers soft, qui concernent la communication, la formation et le coaching, dont voici quelques exemples :
    1. conférences interactives (Pitch Climat, MyCO2…) ;
    2. événements collectifs relayés par les entreprises (le challenge Mai à vélo pour promouvoir le vélo et les mobilités douces auprès des individus, le World Cleanup Day pour engager ses salariés dans une journée de nettoyage de la planète…) ;
    3. ateliers collectifs (L’Éveil vert : formation développée par Onepoint en partenariat avec Little Big Impact pour sensibiliser aux enjeux écologiques et identifier des pistes d’actions ; La Fresque du climat pour s’approprier le défi de l’urgence climatique ; l’Atelier 2tonnes pour découvrir les leviers individuels et collectifs de la transition bas carbone ; Nos vies bas carbone pour connaître les ordres de grandeur essentiels et imaginer des actions nécessaires et désirables pour le climat…) ;
    4. plateformes d’engagement (Eco Challenge, de Little Big Impact, pour sensibiliser ses collaborateurs aux écogestes et encourager le passage à l’action via la gamification ; Ma petite planète pour des défis écologiques à vivre au sein d’un collectif sur un temps court…).
  • Les leviers hard, qui transforment l’organisation, les processus et procédures, et les outils au sein de l’entreprise. On peut alors aussi parler de leviers « d’institutionnalisation ».

De plus, afin d’assurer l’ancrage des changements dans la durée, il est nécessaire de mettre en place des éléments de mesure de ces changements, des baromètres de compréhension et d’adoption des changements associés à des KPI, par exemple. Cela permettra de capitaliser sur les réussites et de les célébrer mais aussi d’apporter des actions correctives là où le changement peine à se concrétiser.

 

Enfin, des éléments complémentaires et transverses en matière d’approche se doivent ici d’être pris en compte car ils sont porteurs d’un impact transformatif particulièrement structurant. Le premier d’entre eux est celui du « mimétisme organisationnel », que l’on peut aussi traduire par « l’exemplarité managériale ». Pourquoi c’est important ? Car bien souvent on imite les gens « au-dessus » de nous car, s’ils y sont, c’est qu’ils doivent avoir eu les bons comportements. Autant dire que, si les managers ne respectent pas les comportements attendus en matière de décarbonation des activités, il y a un réel risque pour que leurs collaborateurs fassent de même. Le deuxième élément : faire en sorte que les engagements des collaborateurs en matière de décarbonation des activités soient réalisés lors de temps collectifs. Cela engage ainsi chacun par effet de régulation sociale. Troisième élément, sur ce sujet comme sur nombre d’autres, il est préférable de faire de petits pas, de pratiquer l’acquisition des attendus via des expérimentations à cycles courts. Et, enfin, dernier élément, la prise en compte de deux circuits composant notre cerveau, le circuit du plaisir (le circuit hédonique), qui nous donne envie de reproduire des choses qui nous font plaisir, et le circuit de la menace, celui qui fait que l’on se sent en déséquilibre, qu’on a peur de ne pas savoir faire, d’être ridicule, d’être en inconfort. Ce dernier est en général celui qui s’allume en premier ! L’enjeu dans le processus de changement est donc notamment d’inhiber le circuit de la menace pour se projeter dans celui du plaisir : rassurer, célébrer les victoires, capitaliser sur l’appartenance sociale, etc.

 

Faire d’une menace une opportunité

À l’heure où l’engagement écologique prend une part de plus en plus importante dans nos consciences de citoyens, cet engagement est également attendu à l’échelle de l’entreprise, notamment comme vecteur contribuant à l’attraction, à la fidélisation et à l’engagement des collaborateurs. À titre d’exemple : à offre égale, 78 % des salariés préfèrent rejoindre une entreprise engagée dans la transition écologique[4].

« La décarbonation de mon entreprise m’a tuer » ? Disons plutôt qu’elle m’a sauvé, car une démarche d’accompagnement du changement y a été mise en œuvre qui a permis d’atteindre les objectifs de transformation des représentations et des comportements des collaborateurs.

[1] Données de l’Observatoire international climat et opinions publiques, EDF et Ipsos, 2022 : https://www.edf.fr/sites/groupe/files/2023-04/obscop22_e-book_planete-mobilisee_complet_20230427_planches.pdf.

[2] Citons notamment la loi de transition énergétique pour la croissance verte, qui impose aux entreprises d’inclure l’empreinte carbone de leurs activités dans leur rapport annuel de gestion, et le code de l’environnement, qui précise les modalités de l’obligation de bilan d’émissions de gaz à effet de serre pour les entreprises de plus de 500 salariés.

[3] Étude réalisée par l’Institut CSA en 2021, mandaté par l’Ademe et Linkedin, https://csa.eu/news/les-salaries-et-la-transition-ecologique-dans-les-entreprises/.

[4] Étude réalisée par l’Institut CSA en 2021, mandaté par l’Ademe et LinkedIn : https://csa.eu/news/les-salaries-et-la-transition-ecologique-dans-les-entreprises/.

BIOCOOP : entreprise responsable tournée vers l’avenir

L’agroalimentaire est l’une des activités les plus néfastes pour l’environnement. Le bio, excluant pesticides chimiques et OGM, et impliquant une agriculture raisonnée, est présenté comme une alternative salutaire depuis des décennies. Alors pourquoi ne s’est-il pas généralisé ?

La transition écologique, par une alimentation plus saine, a été introduite par les consommateurs. Il y a eu des aides et des accompagnements du monde agricole, mais on voit que quand le consommateur a un pouvoir d’achat amoindri le bio se vend moins et le projet stagne. En fait, ce qui coince, c’est autant la responsabilité de nos décideurs politiques que le monde agricole conventionnel, car le bio n’est qu’un segment de marché. Pour que cela se développe, il faut se questionner sur les impacts positifs de la biodiversité et d’une alimentation saine. Il faut en faire le cœur de la transition alimentaire, en mettant en place des moyens suffisants et en s’engageant dans une démarche qui prenne en compte les règles du marché et la durabilité. La biodiversité a toute sa place dans ces problématiques. Aujourd’hui, le bio plafonne autour de 5 à 10 % de l’alimentation. Malheureusement, ce n’est pas suffisant pour engager une transition.

Les valeurs de Biocoop sont axées autour de la consommation responsable. Ce mot est sur toutes les lèvres aujourd’hui : avons-nous été si irresponsables ?

Le but d’une entreprise est de s’enrichir pour le compte de ses actionnaires. Globalement, c’est l’objectif premier. Elle choisit des produits pour les vendre sur un marché. Son fonctionnement est centré autour d’une construction capitalistique. Après, nous pouvons choisir le modèle coopératif, mais les actionnaires sont les parties prenantes de la société. Tout l’enjeu de l’entreprise est qu’elle puisse rentrer dans une responsabilité vis-à-vis de l’environnement, mais aussi avec ses collaborateurs. Biocoop cherche ce sens-là. On construit un projet qui englobe ces problématiques avec de la création de valeur et de la richesse pour l’entreprise.

 

À l’heure où les entreprises se questionnent sur leur utilité écologique et sociale, comment parvenez-vous à faire face aux difficultés émergentes du marché, comme l’inflation ?

Économiquement, une entreprise n’a pas intérêt à s’engager dans une démarche écologique. Les réglementations génèrent des coûts supplémentaires. Dans l’alimentaire, mieux vaut vendre un paquet de raisin importé d’un pays lointain qu’un raisin français de saison. Cela sera moins cher et générera plus de marge. Un autre exemple : le jambon bio est beaucoup plus cher que le jambon conventionnel, car le porc est la production que l’on a le plus industrialisée. Pour Biocoop, l’ultratransformation se fait sans sel nitraté, ce qui amène le prix à 32 euros voire à 33 euros le kilo. On est au cœur de la problématique : comment engager des politiques et instaurer des règles de marché propices à l’émergence d’entreprises responsables ? Pour moi, l’entreprise est avant tout un acteur de réconciliation entre les ambitions individuelles, les consommateurs et la transition collective et politique.

Les candidats et les collaborateurs sont en effet plus engagés. Sentez-vous, dans vos recrutements, que quelque chose a changé ?

Chez Biocoop, on va plutôt avoir la problématique inverse, c’est-à-dire que les générations viennent avec leurs angoisses et leurs préoccupations. Je suis moi-même anxieux par rapport au manque de communication politique sur ces sujets environnementaux. Hormis l’activisme, on a très peu de moyens d’entreprendre. Il y a, de ce fait, un rejet des entreprises. Il y a la recherche, à travers son emploi, d’être utile et actif dans ce qui nous préoccupe. Du côté de Biocoop, nous essayons de savoir comment le sens recherché par les salariés se concrétise dans l’emploi du quotidien. C’est dans le management qu’on arrive à concrétiser ce sens-là.

 

Concernant l’énergie, vous êtes partenaires et cofondateur de longue date d’Enercoop, une coopérative qui développe des structures de collecte d’énergie verte un peu partout sur le territoire. La question des partenaires et fournisseurs est essentielle pour « prouver » une politique RSE vraie et qui a du sens…

L’entreprise est forcément dans un écosystème. Sur la question du carbone, certaines entreprises baissent le chauffage et éteignent les lumières, on demande aux fournisseurs de s’engager dans les accords de Paris. Pour moi, il est évident qu’on n’avancera pas comme ça. L’entreprise doit avoir la première responsabilité. Biocoop est dans la construction et l’accompagnement de cet écosystème avec les industriels et l’agriculture. Sans produits et sans acteurs forts de l’industrie bio, il faut collaborer main dans la main. Enercoop nous a très bien accompagnés, durant la période d’inflation énergétique, en maintenant le prix de l’électricité de l’entreprise. C’est le fruit de vingt ans de collaboration et d’interdépendance.

 

Quelles actions concrètes pouvez-vous mener demain et dans un avenir plus lointain ?

Les problématiques liées au carbone et à la biodiversité restent centrales. On va continuer à renforcer notre responsabilité sur nos produits : les produits laitiers, le café et le chocolat. On réduirait nos impacts carbone si tous nos chocolats étaient issus de l’agroforesterie. La question est de savoir comment on s’engage dans ces questionnements, des sujets passionnants et qui seront de plus en plus importants durant au moins une bonne dizaine d’années.

Interview : La grande impatience

Votre livre s’intitule La Grande Impatience (celle des collaborateurs) : quelle est la nature de cette impatience ?

Depuis plusieurs mois, les articles et les études se succèdent pour décrire une société française fatiguée et démoralisée. Dans l’entreprise aussi on observe une distance vis-à-vis du travail, et un certain fatalisme. Dans ce climat généralisé d’insécurité et d’individualisme, je pense qu’il y a aussi de la place pour de nouvelles formes d’engagement. L’impatience est partout, car il y a une forme de trop-plein, un besoin de changement. Un besoin de sentir qu’on ne subit pas tout. Qu’on peut soi-même être utile, qu’on n’est pas seul, qu’ensemble on est plus forts. Bref il y a un besoin de liens et de collectif. On le voit dans le repli de chacun vers sa famille, ses amis, son couple, sa communauté. Je voulais montrer qu’il me semblait facile de restaurer cela dans le monde de l’entreprise. Très souvent des solidarités existent au niveau des équipes. Mais, précisément parce que l’entreprise est cloisonnée, ces liens se limitent à une petite échelle.

 

Capitalisme, responsabilité des entreprises, impact, profits à tout prix… Les collaborateurs le savent : c’est la fin d’un modèle. Quand l’avez-vous perçu ? Et si les salariés et les parties prenantes ne « poussaient pas », certaines entreprises seraient-elles aujourd’hui quand même en situation de transition ?

Les grandes entreprises sont pointées du doigt par les ONG et les médias pour leur rôle dans la crise écologique. Certains jeunes diplômés de grandes écoles appellent à une désertion des grandes entreprises et plaident pour une « sobriété professionnelle » en travaillant moins et dans des structures alternatives, au service de l’environnement. La question que cela pose : si l’on se met à l’écart de la société, comment participer à la changer ? Les grandes entreprises peuvent avoir un impact positif puissant sur la transition écologique, mais elles auront besoin de talents engagés pour faire avancer leur œuvre collective dans le bon sens pour notre planète.

 

Vous dites que les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ?

La reprise en main des grandes entreprises par les actionnaires, depuis les années 1970, a incité leurs dirigeants à privilégier des stratégies rentables à court terme, fût-ce au détriment du bien commun et de l’environnement. La multiplication des mécanismes de contrôle des dirigeants ainsi que des cadres, des règles et des process écarte les collaborateurs du cœur de métier de l’entreprise. L’œuvre collective y perd son sens. Les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement, précisément parce qu’ils imposent un temps long.

 

On peut lire un joli passage sur les « bullshit jobs » : en quoi les responsables RSE et autres responsables Employee Experience peuvent-ils être préservés de cette critique ?

La crise liée au Covid a mis en lumière les métiers vraiment indispensables à la société, provoquant une quête de sens chez de nombreux salariés des grandes entreprises dont le métier et le rôle ne semblent pas toujours aussi essentiels pour nos vies. La question que cela pose : cette course au sens ne nous a-t-elle pas fait perdre la notion même de ce qu’est le sens au travail ? Participer à une œuvre collective plus grande que soi dans une entreprise, même si cette œuvre ne répond pas à une urgence vitale, devrait contribuer pleinement à donner du sens au travail.

 

Développement durable et responsabilité sociale et environnementale sont incontournables dans la communication et le fonctionnement d’une entreprise. Le message de l’urgence climatique n’est-il pas brouillé dans les autres sujets RSE : inclusion, égalité, solidarité, culture… ?

Non, on le voit bien avec les critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], qui prennent en compte par exemple le niveau de réduction des émissions de CO2 mais aussi le turnover ou le nombre de procès aux prud’hommes… Non seulement ces sujets sont liés, mais il faut maintenant unifier ces critères à l’échelle européenne et créer un impact score ESG des entreprises qui prendrait en compte le coût des externalités négatives sociales ou environnementales.

 

Vous écrivez une belle phrase : « La planète est un bien commun, l’entreprise aussi. » Comment associer les deux dans une mission vertueuse ? Selon vous, « l’idée de faire œuvre utile, de participer à quelque chose de plus grand que soi participe pleinement du sens au travail » ?

Les collectifs d’entreprise sont une belle illustration de mission vertueuse au service du bien commun : Ecowatt, en 2022, ou Le collectif pour une économie plus inclusive, depuis 2018, qui a permis d’améliorer rapidement les achats inclusifs, la production durable, l’insertion… L’entreprise est un espace qui a le pouvoir d’influer sur le cours des choses, sur les enjeux sociétaux et environnementaux. Pour cela il faut inscrire la compétitivité de l’entreprise dans le temps long. L’impératif de croissance perpétuelle ne répond plus aux enjeux qui sont devant nous. Au coût psychologique lié à la sobriété, il faut opposer les coûts engendrés par la dégradation de l’environnement : pollution, incendies, cancers… Le réengagement au travail passe aussi par la reconnaissance des efforts, le fait que chacun ait voix au chapitre, que la valeur soit partagée…

 

Les exigences de productivité, les process, la digitalisation et, maintenant, l’IA : tout cela ébranle le « concret » attendu par les salariés. Comment redonner du sens, voire ramener du calme dans tout cela ?

Si Milton Friedman était convaincu que le rôle de l’entreprise était de faire le plus d’argent possible pour ses actionnaires, on a compris depuis la crise de 2008 que la théorie a atteint ses limites. Un rééquilibrage est nécessaire, comme l’ont signifié Muhammad Yunus (Building Social Business) ou Jean Tirole (Économie du bien commun) il y a déjà plusieurs années. Mais si la volonté de manager par les valeurs est désormais affichée, on observe en effet un renforcement des contrôles et la multiplication des reportings. Plus les crises s’accumulent, plus on entretient l’illusion de maîtriser les risques. Ce triomphe de la « gouvernance par les nombres » se fait au détriment d’une dimension incalculable mais essentielle du travail : la créativité. Permettre à chaque salarié de comprendre comment il peut à sa manière augmenter son impact dans l’entreprise est une voie intéressante pour lui donner envie de participer efficacement au succès collectif. Reconnaître les singularités de chacun en est une autre. Encourager solidarité et partage entre les générations est aussi important dans cet univers de l’entreprise qui est un des rares lieux où coexistent quatre générations.

 

Un passage intéressant aussi concerne la langue managériale. « Elle a perdu pouvoir et crédibilité », selon vous. Que s’est -il passé ? La communication managériale sur l’entreprise respectueuse de l’environnement n’est pas tout le temps sincère… Comment faire la différence ?

On n’a jamais autant parlé de « raison d’être », mais si l’entreprise tient un discours qui ne s’incarne pas dans ses modes de management et de partage de la valeur, le fossé se creusera davantage entre les promesses et la réalité, jusqu’à laisser s’installer la défiance. Une défiance du type de celle que l’on observe vis-à-vis du monde politique. Les difficultés de recrutement, les formes de désengagement qui se multiplient nous interrogent et nous obligent. Les dirigeants d’entreprise comme les politiques se disent attentifs à la parité et à la diversité, mais, dans la pratique, la standardisation prime, les organisations sont de plus en plus normatives, et l’expression de toute créativité est de plus en plus limitée. Les paroles doivent être lisses, les doutes dissimulés, et les critiques avalées. Ma conviction, c’est que pour susciter de l’engagement l’entreprise doit redevenir un espace où la liberté et la confiance sont possibles. Cela passe aussi par un discours de vérité et de transparence.

 

La question de l’utilité du travail est au centre de la grande impatience que vous diagnostiquez. La RSE est-elle l’une des solutions ?

Avec le télétravail, la demande croissante de liberté et d’autonomie a conduit en 2021 à la création de 1 million d’entreprises, essentiellement des micro-entreprises, souvent des petits boulots qui traduisent une nouvelle forme de précarisation du travail, sans apporter de sécurité, et en favorisant le repli sur soi. Le télétravail a fait disparaître la dimension collective de la sphère professionnelle, les temps informels, l’entraide, la solidarité… Il a aussi généré un monde du travail à deux vitesses qui augmente les inégalités. La RSE est l’une des « solutions » parce qu’elle incarne un engagement collectif, mais on voit bien que la question de l’utilité passe par la compréhension de son impact individuel. Comprendre la finalité de ce que l’on fait, dans une perspective de temps long, avec la conviction de contribuer utilement à l’effort collectif, c’est essentiel.

 

Quel est le bon signal pour une entreprise : à quelle place la préoccupation climatique et la décarbonation doivent-elles être mises  ? Au niveau de la direction, du comité exécutif, des RH, des finances ?

Elle doit être à tous les niveaux dans l’organisation, mais les convictions du CEO et son engagement font la différence.

 

Comment faire pour que les collaborateurs refassent leurs la mission et la culture de leur entreprise ? D’ailleurs, l’attachement à l’entreprise n’est-elle pas une valeur dépassée ?

Je pense que pour que la société soit vivable la relation aux autres doit être au minimum satisfaisante, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Or depuis la pandémie, les priorités ont changé. Le point extrêmement positif, c’est que plus personne n’a envie de tout sacrifier, soit à son travail, soit à sa vie personnelle. L’équilibre entre les deux est devenu essentiel. Nous sommes dans cette période charnière qui voit la confiance devenir le point de bascule. La confiance dans sa valeur propre, dans son avenir, dans la reconnaissance que les autres peuvent vous témoigner. Je pense que la confiance passe par la proximité, l’entraide, l’écoute. Dans le monde du travail, elle passe aussi par la manière dont on comprend son rôle dans une organisation, et par la valorisation de ce rôle. C’est cela qui est au cœur de la question du sens au travail : la reconnaissance.

 

Les consommateurs, les salariés, les parties prenantes « poussent » pour que leur entreprise soit « responsable », défende des valeurs, se transforme en profondeur… Les « raisons d’être » et les statuts de « société à mission » sont-ils des bons indicateurs ? Sont-ils utiles, suffisants ou déjà dépassés ?

Pour l’entreprise, s’inscrire dans une action responsable est un enjeu d’attractivité, de crédibilité et même de survie. Pour le public, toutefois, l’engagement des entreprises reste largement insuffisant, encore souvent considéré comme l’instrument d’une posture au service de l’image employeur. En cause : la confusion entre « responsabilité sociale » et « réceptivité sociale », qui fait énoncer des raisons d’être en écho à des idéaux et qui se révèlent éloignées de l’objet de l’entreprise. Or la définition de la raison d’être constitue une opportunité unique de réinscrire le métier de l’entreprise dans son utilité pour la société. La valeur de l’œuvre collective s’en trouve alors éclairée sous un nouveau jour.

 

On parle beaucoup d’entreprise « résiliente », « régénérative » : qu’est-ce que cela vous évoque ?

L’idée que l’entreprise incarne un projet collectif et en porte la responsabilité, en participant au bien commun.

L’idée aussi que le local rassure : l’échelon local donne le sentiment que ses intérêts propres seront mieux pris en compte. C’est une échelle à laquelle il est plus facile d’avoir un impact mesurable.

 

L’entreprise est donc bien moteur d’un changement. Et les politiques, alors ?

Les jeunes, spécifiquement, veulent donner leur temps à des entreprises qui ont un impact positif sur l’environnement et la société  : ils se rendent compte que leurs entreprises tentent de faire moins mal, mais que ce n’est pas suffisant. D’où l’impatience. C’est à la fois un désenchantement mais aussi le sentiment d’être impuissant à pouvoir réellement faire évoluer le modèle économique. Le bruit ambiant dans lequel on évolue, celui des opinions et du déclinisme, prend le dessus sur le vivre-ensemble. Or le vivre-ensemble suppose d’arrêter d’attendre quelque chose des institutions, de ne pas se contenter d’un civisme ordinaire. La politique des petits pas est préférable à l’indifférence, dans l’entreprise comme à l’échelle de la société.

Le fonds d’investissement CapMan publie son rapport pour l’année 2022 : focus sur la transition vers une société durable

Investir dans les énergies renouvelables et réduire les émissions de CO2

« Nous avons parcouru un long chemin en termes de développement de nos processus et d’amélioration de nos connaissances. Je suis très heureux de présenter notre travail et nos réalisations. Pour atteindre nos objectifs, nous travaillons en parallèle à trois niveaux différents : développer des approches circulaires et positives à long terme, prendre des mesures pour atteindre des objectifs à moyen terme comme fixer et suivre des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2, tout en investissant simultanément le temps pour renforcer les capacités de CapMan et de notre portefeuille afin de soutenir le changement et de répondre à la demande croissante de transparence et de reporting », déclare Pia Kåll, PDG de CapMan.

« Conformément à notre vision, nous avons décidé de ne pas investir uniquement dans des actifs déjà durables, car nous pensons que nous pouvons créer plus de valeur en soutenant le développement et la transition vers des modèles d’exploitation durables dans tous les secteurs et industries », ajoute Anna Olsson, responsable de CapMan. ESG.

Pour l’année 2022, les progrès vers nos objectifs de développement durable comprennent, entre autres, les résultats suivants :

Cibles environnementales :

  • Cibles basées sur la science validées pour CapMan
  • +17% d’émissions de GES CapMan Scope 1-2 (objectif de réduction de 51% d’ici 2032)
  • –28 % de l’intensité des émissions de GES de l’immobilier commercial (de service) (réduction de 72% d’ici 2032)
  • +7% de l’intensité des émissions de GES de l’immobilier résidentiel (réduction de 50 % d’ici 2032)
  • 11% des sociétés du portefeuille ont fixé des objectifs ou se sont engagés dans le SBTi (54,5% d’ici 2027, 100 % d’ici 2032)

Cibles sociales :

  • 58 eNPS pour CapMan (plus de 50)
  • 3,8/5 de satisfaction moyenne des employés dans les sociétés du portefeuille (plus de 3,5)
  • 3,7/5 satisfaction globale des locataires dans l’immobilier (4,0)
  • +2 500 nouveaux emplois créés (métrique suivie)

Objectifs de gouvernance :

  • Le plan d’actions de performance et la rémunération variable de CapMan ont été liés aux objectifs ESG
  • 34% des sociétés du portefeuille ont lié la rémunération aux objectifs ESG (lien par toutes les nouvelles sociétés dans l’année suivant l’acquisition)
  • 69% des sociétés du portefeuille ont adopté une politique des droits de l’homme (adoption par toutes les nouvelles sociétés dans l’année suivant l’acquisition)
  • 23% du parc immobilier (m²) a obtenu la certification bâtiment vert (75% d’ici 2026)
Pour accéder au rapport : www.capman.com/sustainability