Jeunesse sentinelle

Que ce soit à HEC, à AgroParisTech ou à Polytechnique, les cérémonies de remise de diplômes offrent désormais des tribunes aux jeunes diplômés pour exprimer leur inquiétude face à l’urgence climatique, leur colère devant la lenteur de la transition écologique et leur refus de participer à des projets professionnels qu’ils jugent « écocides ». Conscients de la gravité de la situation environnementale et du pouvoir qu’ils ont entre leurs mains pour tenter de faire évoluer les pratiques, les mentalités et le système économique, de nombreux étudiants se sont regroupés en collectifs, depuis 2018 et les grandes marches pour le climat, afin de se faire entendre et d’exiger des institutions, des établissements d’enseignement supérieurs et des entreprises qu’ils opèrent des changements aussi radicaux qu’impérieux.

C’est le cas du collectif Pour un réveil écologique, un mouvement créé il y a cinq ans par des étudiants de diverses grandes écoles françaises et qui s’est fait connaître à travers un manifeste appelant à la mobilisation de « tous les acteurs de la société » pour réagir face à « une catastrophe environnementale et humaine » imminente. Signé par 34 000 étudiants à travers le pays, ce manifeste a été suivi de nombreuses initiatives de la part du collectif, qui n’a cessé depuis de se structurer et d’attirer de nouveaux adhérents, dont Benjamin Valette, membre du pôle enseignement, qui a rejoint le mouvement en septembre 2022. Étudiant en affaires publiques aux Mines de Paris après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur à l’ESPCI Paris-PSL, il est actuellement en stage de fin d’études à la Direction générale des entreprises au sein du ministère de l’Économie.

Une action de lobbying pour « changer de trajectoire »

Faisant le constat « d’une situation qui n’avance pas, qui se bloque », Benjamin Valette, à l’instar de ses compagnons, reste néanmoins convaincu que cet état de fait « n’est pas une fatalité ». « Il faut prendre notre avenir en main si on veut changer de cap, affirme-t-il. On est pour un changement radical de trajectoire si on veut avoir un avenir qui nous offre des perspectives les plus épanouissantes possible. » L’idée est certes de « se battre pour les enjeux environnementaux », mais « aussi d’essayer de sauver nos sociétés et de faire en sorte que les personnes qui vont être les plus touchées, c’est-à-dire les plus précaires, subissent le moins possible » les effets de la crise environnementale.

Pour cela, le collectif a fait le choix du lobbying actif auprès d’une « multiplicité d’acteurs à l’échelle nationale ». « Notre position, précise Benjamin Valette, c’est de faire avancer encore plus vite les choses, toujours demander plus que ce qui est fait, pour essayer d’atteindre au plus proche les attentes vis-à-vis de l’urgence climatique. » Un lobbying qui se veut complémentaire d’autres méthodes militantes : « Les manifestations et la désobéissance civile permettent à des actions comme les nôtres d’être beaucoup plus entendables. Cela nous permet d’avoir de la place dans le débat public et dans les médias. »

Le collectif Pour un réveil écologique n’a ainsi pas hésité à s’inviter dans le débat de la dernière élection présidentielle en publiant un plaidoyer général pour « proposer de mettre en œuvre des solutions concrètes, de lever les freins et de créer de vraies incitations, même si elles sont coercitives, pour faire bouger les choses au sujet du monde de l’entreprise et de l’emploi ». Au programme de ce plaidoyer : imposer une stratégie bas carbone plus stricte, évaluer l’impact environnemental des lois, obliger les entreprises à réaliser leur bilan carbone et à publier leurs rapports extra-financiers sur la biodiversité, indexer les rémunérations variables sur des critères environnementaux, ou encore faire davantage de prospective au niveau des emplois verts et être vigilant vis-à-vis de la reconversion de certains postes dans un monde idéalement bas carbone.

Faire pression sur les établissements d’enseignement supérieur

Mais c’est avant tout dans le domaine de l’enseignement supérieur que le collectif se fait le plus pressant. Il a notamment publié un autre plaidoyer qui propose dix mesures « ambitieuses et applicables directement, en moins d’un an », porté auprès de toutes les directions d’écoles et de toutes les présidences d’université. Articulé autour de trois chapitres (structurer l’ensemble de la gouvernance pour transformer, revoir la politique de formation et réduire les impacts socio-écologiques directs), ce programme se veut concret et exigeant pour permettre aux établissements d’enseignement supérieur de jouer pleinement leur rôle dans la lutte contre le changement climatique. Les principales demandes concernent « la mise en place d’une feuille de route aux objectifs clairs et quantifiables, qui soient renouvelés et évalués », la création d’un « tronc commun obligatoire, qui traite des sujets environnementaux à la fois sous ses aspects scientifiques mais aussi sociaux et historiques », ou encore l’application d’une « stratégie bas carbone ambitieuse » au sein des établissements.

Selon Benjamin Valette, « quasiment tout le monde souhaite se verdir aujourd’hui, et la transition est un élément de langage qui est entré dans l’écosystème, mais il faut derrière les mots savoir démêler la vraie de la fausse volonté. Aujourd’hui les choses bougent, il y a des acteurs qui veulent faire avancer les choses, pour autant, il ne faut pas se bercer d’illusions. Pour le moment on n’est clairement pas à la hauteur des enjeux, que ce soit dans les universités ou dans les écoles ». Pour donner « une meilleure visibilité de l’écosystème » aux futurs étudiants et leur permettre de « choisir en toute connaissance de cause un établissement qui correspond à leurs attentes », le collectif travaille en collaboration avec des classements, comme ceux de L’Étudiant ou de Change Now, et des labels, tels que le label développement durable des établissements d’enseignement supérieur (DD&RS). « On a réalisé un sondage avec Harris qui montre que les étudiants sont en quête de sens, et les enjeux environnementaux, un sujet majeur pour eux. Et donc ça va forcément se répercuter sur le choix des écoles. »

C’est pourquoi, selon le membre du collectif, « il faut absolument que les étudiants et les jeunes diplômés se mobilisent. Il faut montrer à l’administration l’intérêt qu’on porte à ces sujets, à travers des événements, des actions. Les élèves sont beaucoup écoutés quand ils revendiquent, donc c’est vraiment important ». Le mouvement est d’ailleurs à l’origine, avec d’autres associations et institutions, telles que le Campus de la transition, d’une journée d’échanges avec les directions d’écoles organisée le 12 juillet. « L’idée est de mobiliser et d’accélérer la transition dans les établissements, en donnant des clés pour avancer plus vite. Il faut créer un écosystème qui soit le plus vertueux possible et qui se pousse vers le haut. »

Utiliser « le chantage à l’emploi » pour réveiller les entreprises

L’emploi est également un domaine d’action très important pour le collectif, qui donne aux jeunes diplômés des éléments d’information sur les réelles démarches mises en place dans les entreprises, en sondant les rapports annuels ou en allant directement discuter avec elles pour les challenger sur leurs stratégies RSE. « Il y a plusieurs questions à se poser quand on est en recherche d’emploi : quelle est l’utilité des activités de l’entreprise dans une société inscrite dans les limites planétaires ? Quel est son impact sur l’environnement (climat, biodiversité, pollution, exploitation des ressources, etc.) ? Quelle est l’implication des salariés au sein de l’entreprise sur le sujet ? Ce sont de questions qui peuvent être directement posées en entretien d’embauche. » Selon Benjamin Valette, « l’emploi est un réel levier d’action parce que la transition socioécologique concerne tous les métiers. Les entreprises avec lesquelles on discute identifient quasiment toutes des difficultés de recrutement. Le bassin d’emploi est quelque chose de très important pour elles, donc elles s’en préoccupent. Le ‘‘chantage à l’emploi’’, entre guillemets, change de sens ».

Aussi, le collectif Pour un réveil écologique entend débusquer le greenwashing, « le mal contre lequel il va falloir se battre dans les années qui viennent », une pratique « très pernicieuse, pas si simple que ça à déceler ». Sur son compte LinkedIn, suivi par plus de 150 000 personnes, le collectif dénonce les entreprises qui s’y adonnent, à travers un « panthéon » ou un « calendrier de l’avent » du greenwashing. « On dissimule de très mauvaises pratiques sous le couvert d’un vernis vert, et c’est ça c’est vraiment dangereux. »

Pour autant, les jeunes diplômés choisissent-ils délibérément leur entreprise en fonction de cet enjeu environnemental ? « C’est un critère qui émerge de plus en plus, mais ce n’est pas forcément le cas pour tout le monde. Les gros critères qui restent aujourd’hui indispensables pour accepter un emploi seront le salaire, les opportunités d’évolution professionnelle ou l’ambiance au travail. Alors on ne peut pas dire que l’ensemble des étudiants ne veut choisir que les entreprises qui intègrent les enjeux socio-écologiques, mais ça prend de plus en plus d’ampleur, et ça, on le ressent. » Le collectif vient d’ailleurs de présenter un nouveau projet, intitulé « Pour l’emploi de demain », qui identifie les activités et les compétences nécessaires pour accélérer la transition dans une quinzaine de secteurs professionnels.