Jean Agulhon, DRH de la RATP : « Nous devons travailler la question du sentiment d’appartenance des salariés »

La RATP a 75 ans : quel rapport les Franciliens ont-ils avec ce réseau historique ?

La RATP n’est pas qu’une entreprise francilienne. C’est aussi une entreprise qui intervient dans 15 pays sur 5 continents. On parle souvent des 45 000 personnes qui travaillent en région parisienne et pas suffisamment des 26 000 autres personnes qui opèrent dans les bus, trains, métros automatiques, téléphériques et navettes fluviales, ailleurs. Mais c’est vrai qu’il y a une histoire intime entre l’Île-de-France et la RATP. Et je crois que cet attachement a trouvé un nouveau motif de se solidifier à l’occasion des Jeux Olympiques. La RATP a pris sa place dans la réussite de l’événement.

La RATP prépare son ouverture à la concurrence d’ici 2025. Comment votre nouvelle promesse RH soutient-elle cette transition, en termes de gestion des talents et d’acquisition de compétences clés ?

Notre promesse RH offre à la fois un cadre de travail sûr et stimulant. Le besoin de sécurité-S- était sous-estimé et sous-investit ces dernières années. Et pourtant, il  est centrale. Il est multidimensionn, cela englobe la stabilité de l’emploi, la sécurité dans les conditions d’exercice du travail. Dans le cas de la RATP, quand la plupart de nos collaborateurs sont en contact régulier avec le public, on mesure combien les agents des services sont connectés à la société dans son ensemble. Mais la sécurité, c’est aussi pouvoir bénéficier d’un logement digne, suffisamment proche de son lieu de travail. Nous avons également à cœur les enjeux de santé à la RATP puisque nous avons un dispositif qui permet d’offrir aux salariés un accès privilégié à la médecine générale et à toutes les médecines de spécialité, dans des délais extrêmement réduits et à des conditions financières tout à fait accessibles. Le second pilier se trouve dans un cadre le plus émancipateur possible. Nous avons des recrutements dans toutes les catégories sociales et professionnelles de la société. Nous sommes très attachés aux perspectives d’ascenseur social ou de parcours professionnel, parmi les 230 métiers que le Groupe exerce. L’instauration d’un cadre de travail émancipateur, c’est-à-dire qui favorise la responsabilité de chacun, la capacité d’initiative, le goût de l’action au service d’une mission partagée, c’est enfin tout le sens de la mission des managers du Groupe.

Peut-on s’arrêter un instant sur le logement des salariés, sur lequel votre accord insiste ?

Il n’échappe à personne que la responsabilité du premier conducteur de bus, de métro ou du premier agent qui ouvre une station, c’est d’offrir la possibilité aux premiers salariés du matin ou au dernier salarié du soir de pouvoir accéder à leur lieu de travail. Ceux-là mêmes qui n’ont pas la chance de pouvoir compter sur leur infrastructure. La question de la proximité du lieu de travail et du lieu de résidence pour des gens qui ne peuvent pas bénéficier d’un transit est importante pour des raisons de disponibilité comme de confort de vie. Nous avons également perçu que, dans certains métiers, il pouvait y avoir une relation entre des temps de transport et une certaine forme d’absentéisme. Quand vous êtes dans des situations monoparentales, plus vous diminuez le temps de transport, plus vous offrez aux personnes qui doivent s’occuper d’un enfant ou d’un proche aidant, une meilleure qualité de vie. Enfin, quand on est dans un territoire économique où le coût du logement est important, c’est un sujet RH. La question du logement est donc particulièrement prégnante à la RATP.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’accord QVCT signé cette année ?

Deux éléments saillants. L’ouverture à la concurrence fait que la promesse employeur, qui reposait à tort ou à raison sur la garantie de l’emploi et le régime spécial des retraites, disparaît, puisque, même si l’on gagne les appels d’offres, ce n’est plus par l’EPIC qu’on pourra y répondre, mais par des filiales qui n’ont pas ces deux attributs. Il faut que l’on reformule une forme de contrat social pour attirer les personnes. Par ailleurs, nous avons une proportion de salariés exposés à des conditions de travail particulièrement éprouvantes, avec des contraintes horaires et des cycles de travail pas forcément compatibles avec les vies de famille, les vies sociales, etc. C’est pour cela qu’au sein de notre réflexion QVCT, nous avons des expérimentations de semaines de travail en 4 jours, ce qui permet de mettre plus de prévisibilité dans les cycles de travail. Et on commence à voir que cela produit des effets importants.

Avant cet accord, la RATP possédait un texte relatif à la prévention des risques psychosociaux : il n’était pas suffisant ? À partir de quand avez-vous senti qu’il fallait le moderniser ?

Il y a trois ou quatre ans, les RPS devaient être identifiés comme tels, car nous étions confrontés, comme toute la société, à une nouvelle typologie de risques, c’est-à-dire l’insécurité. Avec ce nouvel accord, nous souhaitions apporter des réponses avec une vision systémique à cette question de la nature du lien que l’on veut organiser entre un salarié et une entreprise. Plus on est spécifique, plus on perd cette dimension systémique. Notre accord QVCT, notre politique RH marchent sur deux jambes- le renforcement du besoin de sécurité et l’instauration de cadres de travail propices à l’émancipation-. C’est un besoin et une aspiration humaine fondamentale.

S’agissant de la fin du régime spécial des retraites. Comment l’appréhendez-vous ?

Le salarié qui est entré avec un régime spécial de retraite en bénéficiera jusqu’au bout. Les gens qui entrent maintenant ne l’auront jamais connu. Ce changement est moins vécu individuellement que collectivement. Notre défi est d’arriver à faire fonctionner, à l’avenir, des populations dont un élément du contrat social n’est plus tout à fait le même. Il va falloir que l’on travaille à une hybridation plus importante de nos politiques RH. Peut-on continuer à avoir une même politique de rémunération quand une partie de la population bénéficie d’un contrat avec une forme de rémunération différée par le régime spécial de retraite, tandis qu’une autre ne l’a plus ? Cela va nous amener à nous poser la question des fins de carrière. Nous devons aussi travailler la question du sentiment d’appartenance des salariés au groupe, et non plus seulement à chacune des entités du groupe. Notre engagement, via la marque employeur, est de favoriser la mobilité, et cet engagement devra traverser les frontières de chacune de nos entités. De plus en plus, les salariés devront naviguer d’une entité à une autre. Aujourd’hui, l’EPIC est constitué de 45 000 personnes, dont 19 000 travaillent sur les bus. Du fait de l’ouverture à la concurrence, ces personnes seront transférés dans 13 lots, et chacun de ces lots sera exploité par une filiale de a RATP, de Transdev, de Keolis, etc. Toutes les personnes des filiales du groupe RATP devront bénéficier des mêmes possibilités de parcours de carrière.

Le travail, le rapport au travail, à l’entreprise, les attentes vis-à-vis de l’entreprise ont évolué : quel est votre regard sur ces sujets sociétaux et, presque, anthropologiques ?

La RATP recrute beaucoup, chaque année, entre 2 000 et 6 000 personnes sur un bassin territorial sommes toute réduit. Comme nous avons une politique de recrutement inclusive, nous avons la chance d’accueillir la totalité de la diversité de la société. Nous sommes le reflet de tout ce que vous pouvez observer de ce que la société produit : un peu de mixité, un peu de fragmentation, de l’individualisme, un nouveau rapport au travail, à l’autorité, à la légitimité, mais aussi de la générosité, de la solidarité… L’entreprise reste un des lieux privilégiés où l’on doit refaire société. La chance de la RATP, c’est qu’elle propose une finalité mobilisatrice : au service de l’intérêt général, consistant à être un des acteurs de la transition écologique. Mais ce moteur puissant d’unification n’est pas suffisant. Pour refaire société, nous souhaitons adapter notre management aux attentes des personnes, faire évoluer notre cadre de travail pour qu’il soit encore plus en phase avec les aspirations.

Je crois savoir que vous allez lancer d’ici début 2025 une enquête sur l’engagement des collaborateurs. Peut-on en savoir un peu plus ?

Mon premier défi est d’avoir un taux de participation assez significatif. C’est la première fois que l’on mènera une enquête à l’échelle des 15 pays concernés. Je suis heureux de pouvoir permettre à toutes les voix de s’exprimer et curieux de percevoir la nature et le degré d’attachement des salariés à cette grande entreprise. Nous allons bientôt lancer ce baromètre à l’échelle de tout le Groupe.

Que dites-vous à vos salariés quand vous montez dans un bus ou un métro ?

« Merci » et « comment ça va ? ». Mais d’abord, j’essaie de ne pas déranger un conducteur en pleine conduite !! Savez-vous pourquoi ces personnes se lèvent le matin ce qui fait le sel de leur métier? J’ai entendu cette réponse de multiples fois : déposer un enfant devant l’école, accompagner une personne âgée sur un itinéraire vers un soin ou un service public qui lui est nécessaire, cela fait partie de leur raison d’être. Nos salariés se sentent investis d’une mission du quotidien.

Addictions : mais où sont vraiment les entreprises ?

Premièrement, beaucoup de dirigeants redoutent que soulever la question des addictions au sein de leur entreprise équivaut à libérer une avalanche de problèmes insoupçonnés. Ces addictions, qu’elles soient liées à l’alcool, aux drogues, à la nourriture ou encore aux technologies, constituent des réalités souvent invisibles mais bien présentes. Parler de ces sujets, c’est risquer de faire émerger des situations complexes qui dépassent le cadre du travail. Ce sentiment d’impuissance pousse certains à éviter d’aborder la question, par crainte que toute tentative de discussion ne révèle une situation difficile à maîtriser, voire à résoudre. En ce sens, beaucoup préfèrent maintenir un voile pudique sur ce qui pourrait devenir un problème démesuré, dont les ramifications les dépassent.

Deuxièmement, il existe une barrière psychologique et culturelle liée à la séparation entre vie professionnelle et vie privée. S’immiscer dans la vie personnelle des salariés est souvent perçu comme une violation de leur intimité. Dans le monde de l’entreprise, tout ce qui relève de l’addiction touche à des sphères que les dirigeants hésitent à explorer, de peur de paraître intrusifs. Ainsi, aborder ces sujets renvoie à une porosité inconfortable entre la vie privée et le cadre professionnel, et nombreux sont ceux qui estiment qu’un tel sujet ne concerne pas l’entreprise tant qu’il n’interfère pas ouvertement avec la productivité. Cette attitude découle parfois d’une méconnaissance du lien étroit entre bien-être personnel et efficacité au travail.

Enfin, une autre raison, non des moindres, réside dans les implications financières. Les dirigeants redoutent que la reconnaissance de ces problèmes et la participation à des salons ou événements sur les addictions ne débouchent sur des attentes en termes de solutions concrètes. Ces solutions pourraient inclure la mise en place de programmes d’accompagnement coûteux, de suivi psychologique, ou d’actions de prévention au sein de l’entreprise, avec des frais importants à la clé. Il est compréhensible que beaucoup de responsables hésitent à prendre des engagements financiers supplémentaires dans un contexte économique parfois déjà tendu. Pourtant, cette réticence à investir dans la prévention pourrait à long terme coûter plus cher encore, tant en termes de productivité perdue que de désengagement des employés affectés.

Pourquoi parler d’addictions en entreprise ?

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ 15% des adultes sont touchés par une forme d’addiction, un chiff re qui inclut aussi les travailleurs. Ces comportements peuvent avoir des répercussions signifi catives sur la performance, la sécurité, et le bien-être des employés, entraînant des coûts considérables pour les entreprises en termes de productivité perdue, d’absentéisme, et de turnover.

Créer un environnement de travail sain

La gestion des addictions en entreprise nécessite une approche proactive, bienveillante, et informée. La direction et les RH jouent un rôle crucial dans la prévention, l’identifi cation, et la prise en charge des addictions. En créant un environnement de travail où le bien-être des employés est une priorité, et en off rant des ressources adaptées, les entreprises peuvent non seulement aider leurs employés à surmonter leurs défis, mais aussi renforcer la productivité et la cohésion au sein des équipes. Des études montrent que la mise en place de programmes de soutien peut réduire de 40% l’absentéisme lié aux addictions et améliorer de 20% la satisfaction au travail. En investissant dans ces initiatives, les entreprises construisent non seulement un lieu de travail plus sain, mais aussi plus résilient, capable de s’adapter aux défi s d’un monde professionnel en constante évolution. La clé est de traiter chaque cas avec discrétion, empathie, et détermination pour soutenir les employés dans leur cheminement vers la guérison et le bien-être.

Quelles prises en charge thérapeutiques et stratégies de gestion ?

Un Programme d’Aide aux Employés (PAE) offre un soutien confidentiel aux employés qui rencontrent des problèmes personnels, y compris des addictions. Ce programme peut inclure des conseils, des thérapies, ou des références vers des spécialistes. Le PAE permet aux employés de se sentir soutenus sans jugement, ce qui est crucial pour encourager l’utilisation des services proposés. Mise en place : les RH peuvent promouvoir le PAE lors des formations et en garantissant une confidentialité absolue pour encourager les employés à y avoir recours. Une campagne de sensibilisation interne pourrait inclure des témoignages anonymes pour illustrer l’efficacité du programme.

Sensibilisation et formation

La sensibilisation des cadres et employés aux risques d’addiction, ainsi que la formation sur la gestion du stress et du bien-être, sont essentielles pour prévenir les addictions. Ces formations renforcent la résilience des employés face aux pressions du travail. Mise en place : organiser des ateliers réguliers sur la gestion du stress, les risques de l’addiction, et l’équilibre vie professionnelle/vie privée. Les formations devraient inclure des experts en santé mentale pour aborder les aspects psychologiques et proposer des outils concrets.

Des entretiens de support individuels

Les RH peuvent organiser des entretiens individuels pour discuter des difficultés rencontrées par l’employé. L’objectif est d’offrir un espace de parole sans jugement et de proposer un accompagnement adapté. Ces entretiens peuvent aider à identifier des problèmes sous-jacents tels que le stress chronique ou des conflits internes qui pourraient mener à des comportements addictifs. Par exemple, un employé manifestant des signes de burn-out pourrait bénéficier d’un aménagement de son temps de travail ou d’une réévaluation de ses responsabilités. Les entretiens réguliers permettent d’ajuster ces aménagements en fonction des progrès réalisés.

La collaboration avec des spécialistes de la santé mentale

Pour les cas d’addictions sévères, la collaboration avec des psychologues, psychiatres, ou thérapeutes spécialisés est indispensable. Cette approche permet de traiter la cause profonde de l’addiction, plutôt que de se concentrer uniquement sur les symptômes visibles. Mise en Place : Les entreprises peuvent établir des partenariats avec des professionnels de santé pour off rir des consultations directement sur le lieu de travail ou via des plateformes en ligne. Une ligne d’assistance téléphonique anonyme pourrait également être mise en place pour les employés hésitant à demander de l’aide en personne.

Une politique de Bien-être en entreprise

Mettre en place une politique qui favorise le bien-être, incluant des horaires de travail flexibles, des espaces de détente, et des initiatives pour réduire le stress. Sur le plan psychologique, ces mesures montrent aux employés que leur bien-être est une priorité, ce qui peut réduire les comportements à risque. Exemple : une entreprise pourrait instaurer des journées sans réunion, des pauses régulières, et promouvoir une culture où le surmenage n’est pas valorisé. La mise en place de programmes de mindfulness ou de yoga peut également aider à réduire le stress et prévenir les addictions.

Les addictions les plus courantes en entreprise.

  • Tabac

Selon une étude de l’Institut National du Cancer (INCa) en France, environ 30 % des fumeurs affirment que la cigarette est une source de réconfort dans un environnement de travail stressant. L’addiction au tabac se manifeste par une dépendance physique : les personnes ressentent un besoin biologique de nicotine, avec des symptômes tels que l’irritabilité, l’anxiété, ou encore la difficulté de concentration. Il existe également une dépendance psychologique : les fumeurs associent souvent la cigarette à des moments particuliers (pause, stress, fin de repas), et ces associations renforcent l’habitude de fumer dans certains contextes, comme celui du travail. Dans le cadre professionnel, cela peut se traduire par des pauses régulières pour fumer, des difficultés à se concentrer en l’absence de cigarette, ou une consommation augmentée sous l’effet du stress professionnel. Les pauses fréquentes pour fumer peuvent entraîner des interruptions répétées du travail.

Une étude réalisée par BMC Public Health a montré que les fumeurs prennent en moyenne des pauses de 20 à 30 minutes de plus par jour que les non-fumeurs, ce qui peut diminuer la productivité globale. Tobacco Control a révélé que les fumeurs sont absents en moyenne 2 à 3 jours de plus par an que les non-fumeurs. Une étude de BMC Public Health a montré qu’en moyenne, les fumeurs passent 1,25 heure de plus en pause par jour que les non-fumeurs. Cela représente plus de 5 heures par semaine, soit un impact direct sur le temps de travail effectif. Des études menées en Grande-Bretagne ont révélé que l’absentéisme des fumeurs est de 33 % plus élevé que celui des non-fumeurs, ce qui contribue à une baisse de productivité à long terme.

  • Alcool

De nombreuses études ont exploré l’impact de l’alcoolisme sur le lieu de travail, notamment en France. Une étude menée par l’INRS indique qu’environ 5 % des salariés français consomment de l’alcool quotidiennement au travail. Selon un rapport de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives (MILDECA), 10 % des salariés en France consomment de l’alcool de manière à risque. L’alcoolisme en entreprise coûte cher à l’économie. Selon l’INRS, les coûts indirects comme l’absentéisme, la baisse de productivité, les accidents seraient de l’ordre de 2 à 3 % du PIB, soit environ 30 à 40 milliards d’euros par an. Enfin, selon l’INRS, environ 10 % des accidents mortels au travail en France sont associés à une consommation d’alcool. L’addiction à l’alcool peut se manifester de plusieurs façons dans le cadre du travail. Un salarié peut consommer de l’alcool de manière régulière, avant, pendant ou après les heures de travail. Cela inclut aussi la participation fréquente à des événements professionnels où l’alcool est présent, comme les déjeuners d’affaires ou les soirées d’entreprise. Les salariés souffrant d’alcoolisme peuvent être sujets à l’absentéisme régulier ou à des retards fréquents. Un salarié dépendant de l’alcool peut voir ses capacités de réflexion, d’organisation et d’exécution de tâches complexes diminuer, ce qui entraîne une baisse de la productivité. L’alcoolisme accroît considérablement les risques d’accidents sur le lieu de travail, surtout dans des secteurs à risques comme l’industrie, la construction ou le transport. Le manque de coordination et de vigilance peut être fatal. L’alcoolisme peut altérer le comportement, rendant la personne plus irritable, moins collaborative, voire agressive, entraînant des tensions avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques. Certains salariés consomment de l’alcool en cachette, ce qui peut échapper à la vigilance des collègues et des employeurs. Ils dissimulent souvent cette dépendance en essayant de ne pas montrer de signes extérieurs de consommation.

  • Drogues et médicaments

Une étude menée par l’INPES (Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé) en 2017 a révélé que 3 % des salariés français déclaraient avoir consommé des drogues au moins une fois au travail. L’usage de drogues est plus fréquent dans certains secteurs, notamment ceux où les conditions de travail sont stressantes ou physiquement éprouvantes, comme le BTP, les transports, ou l’hôtellerie- restauration. Aussi, bien que le vapotage soit souvent perçu comme moins nuisible que le tabagisme, il peut encore générer une perception négative parmi les collègues et même si le vapotage est généralement considéré comme moins nocif que la cigarette, des études ont montré que certaines substances présentes dans les e-liquides peuvent avoir des effets nocifs sur la santé (irritations pulmonaires, problèmes respiratoires). Un employé qui vapote intensivement pourrait être exposé à des problèmes de santé, entraînant des absences répétées ou des arrêts maladie. Une étude de Public Health England (2018) indique que bien que le vapotage soit moins dangereux que la cigarette, environ 20 % des vapoteurs réguliers peuvent développer une dépendance à la nicotine comparable à celle des fumeurs traditionnels. En 2021 , aux États-Unis, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a publié un rapport indiquant que le vapotage était particulièrement répandu parmi les jeunes adultes (18-24 ans), un groupe qui entre souvent sur le marché du travail. enquête de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives (MILDECA), le taux de consommation de cocaïne est plus élevé dans ces secteurs que dans la moyenne nationale. Certains salariés consomment des drogues, telles que le cannabis ou des stimulants (cocaïne, ecstasy), lors de soirées ou le weekend. Bien que cette consommation puisse sembler séparée de la vie professionnelle, elle peut avoir un impact sur les performances au travail, notamment en cas de fatigue, de gueule de bois ou de manque de concentration. L’usage de drogues avant ou pendant le travail est autrement plus problématique. Il concerne souvent des substances comme la cocaïne, les amphétamines (speed), ou même certains médicaments détournés (Ritaline, tranquillisants). Ces drogues sont parfois consommées pour « tenir le coup », booster la productivité ou pour réduire le stress. Toutefois, elles entraînent des effets négatifs à long terme, comme une dépendance accrue, une baisse de la vigilance et des comportements inadaptés. La question de la performance est en jeu : dans des environnements de travail compétitifs, certains salariés consomment des stimulants ou des nootropiques pour améliorer leurs performances cognitives, leur concentration ou leur endurance. Les amphétamines, par exemple, sont utilisées dans ce cadre. Si cela peut procurer un avantage à court terme, cela engendre rapidement des problèmes de santé, de dépendance et une perte d’efficacité. Le recours à des médicaments tels que les anxiolytiques, les antidépresseurs ou les opioïdes peut également conduire à une forme d’addiction. Ces substances, souvent prescrites pour traiter des symptômes de stress ou de douleur, peuvent être utilisées en excès, créant une dépendance qui affecte les capacités du salarié à fonctionner normalement au travail. La consommation de drogues peut altérer l’humeur, entraîner de l’irritabilité, de l’agressivité ou des comportements imprévisibles.

  • Vapotage

Bien qu’elle soit un phénomène relativement récent cette addiction présente des caractéristiques similaires aux autres dépendances liées à la nicotine. D’une part, la majorité des liquides de cigarettes électroniques contiennent de la nicotine, une substance hautement addictive. Comme avec les cigarettes traditionnelles, les utilisateurs réguliers peuvent développer une tolérance, un besoin croissant et une dépendance psychologique et physique à la nicotine. Le vapotage étant souvent perçu comme plus discret que la cigarette classique (absence de fumée et d’odeur forte), certaines personnes peuvent vapoter fréquemment, même dans des environnements où il est socialement ou professionnellement inapproprié. Enfin, comme pour toute addiction à la nicotine, l’arrêt du vapotage peut entraîner des symptômes de sevrage tels que l’irritabilité, la difficulté à se concentrer, l’anxiété, et une envie impérieuse de vapoter. Impact spécifique : de nombreuses entreprises ont des politiques strictes concernant le vapotage et le tabagisme sur le lieu de travail, notamment à l’intérieur des locaux.  Aussi, bien que le vapotage soit souvent perçu comme moins nuisible que le tabagisme, il peut encore générer une perception négative parmi les collègues et même si le vapotage est généralement considéré comme moins nocif que la cigarette, des études ont montré que certaines substances présentes dans les e-liquides peuvent avoir des effets nocifs sur la santé (irritations pulmonaires, problèmes respiratoires). Un employé qui vapote intensivement pourrait être exposé à des problèmes de santé, entraînant des absences répétées ou des arrêts maladie. Une étude de Public Health England (2018) indique que bien que le vapotage soit moins dangereux que la cigarette, environ 20 % des vapoteurs réguliers peuvent développer une dépendance à la nicotine comparable à celle des fumeurs traditionnels. En 2021 , aux États-Unis, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a publié un rapport indiquant que le vapotage était particulièrement répandu parmi les jeunes adultes (18-24 ans), un groupe qui entre souvent sur le marché du travail.

Addictions comportementales

  • Sport

Une étude publiée dans Sports Medicine en 2019 indique que l’addiction au sport, appelée bigorexie concerne environ 3 à 7 % des personnes pratiquant une activité physique régulière. Dans un cadre d’entreprise, cette forme d’addiction pourrait avoir un impact sur les performances, la santé mentale des employés, et même sur la dynamique de travail. Certains salariés peuvent prolonger leurs séances d’entraînement au point de perturber leur emploi du temps professionnel ou d’empiéter sur leurs responsabilités professionnelles. L’addiction au sport peut mener à un surentraînement, entraînant des problèmes de santé (blessures répétitives, fatigue chronique) qui entraînent la productivité et l’absentéisme. Les personnes atteintes de bigorexie peuvent développer une obsession pour le sport, négligeant les interactions avec leurs collègues, voire devenant irritables ou anxieuses s’il leur est impossible de faire du sport. Certaines entreprises proposent des salles de sport ou des abonnements à des installations sportives. Dans ces cas, certains employés peuvent en faire une utilisation excessive.

  • Achat

La facilité d’accès aux sites de commerce électronique incite certains employés à faire du shopping, même pendant leur temps de travail, affectant leur concentration et leur productivité. Le désir d’acheter peut relever de l’obsession (oniomanie): les salariés peuvent être constamment préoccupés par l’idée d’acheter de nouveaux articles, ce qui nuit à leur capacité de se concentrer sur les tâches professionnelles. Cela peut aussi engendrer des comportements d’anxiété ou d’irritabilité s’ils ne parviennent pas à satisfaire cette impulsion. L’utilisation inappropriée des ressources de l’entreprise peut être relevée : dans certains cas, les employés peuvent utiliser les ressources professionnelles (ordinateurs, réseaux, voire fonds d’entreprise) pour faciliter ou financer leurs achats personnels, ce qui pourrait entraîner des sanctions disciplinaires ou juridiques. Plusieurs études montrent que les émotions négatives comme l’anxiété, la dépression et le stress sont des facteurs importants dans le développement de cette addiction. Une étude du Journal of Behavioral Addictions a constaté que l’oniomanie est souvent utilisée pour compenser des émotions négatives, notamment dans le contexte du travail. Enfin, selon une étude du RescueTime (2019), environ 30 à 50 % des employés utilisent régulièrement Internet à des fins personnelles pendant leurs heures de travail, dont une partie significative pour des activités de shopping en ligne.

  • Alimentation

Les employés peuvent avoir tendance à grignoter ou manger en grande quantité, souvent en réponse au stress ou à l’ennui. Certains peuvent développer une dépendance à des aliments spécifiques, comme les produits sucrés ou gras, souvent disponibles dans les distributeurs automatiques ou lors des réunions. Cela inclut la recherche constante de nourriture, même lorsqu’il n’y a pas de vraie faim, ou la consommation excessive pendant les pauses. Une addiction alimentaire peut mener à des problèmes de santé, tels que l’obésité, le diabète, et des troubles alimentaires, ce qui peut affecter la performance et la présence au travail. Selon une étude de l’American Psychological Association (APA), le stress au travail peut augmenter les comportements alimentaires compulsifs, avec 40 % des travailleurs se tournant vers la nourriture comme mécanisme de gestion du stress. Une enquête de l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES) a révélé que les habitudes alimentaires peuvent être influencées par l’environnement de travail et les pauses-café, ainsi que la disponibilité des snacks.

  • Travail

L’addiction au travail, Workaholism, se manifeste par un besoin compulsif de travailler de manière excessive. Les personnes touchées ont souvent du mal à se détacher de leurs tâches pro f e s s ionnelles, sacrifiant leur temps personnel et leur santé pour répondre aux exigences du travail. Cette addiction est souvent liée à un besoin de validation ou à une incapacité à gérer l’anxiété autrement que par le surinvestissement professionnel. En Europe, une étude de l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (EU-OSHA) a révélé que près de 30% des travailleurs européens présentent des signes de surmenage liés à une surcharge de travail, un facteur prédictif du workaholism.

  • Numérique

(Internet, réseaux sociaux, jeux vidéo) La dépendance au numérique se manifeste par une utilisation excessive et compulsive d’Internet, des réseaux sociaux, ou des jeux en ligne, souvent au détriment du travail. Cette addiction peut être liée à un besoin d’évasion ou à un moyen de compenser un manque de satisfaction dans d’autres domaines de la vie. Avec la généralisation du télétravail, cette forme d’addiction devient de plus en plus courante. Une étude de Deloitte a montré que 56% des employés en télétravail ont admis passer du temps sur des activités numériques non liées au travail pendant leurs heures de travail, ce qui peut entraîner une baisse significative de la productivité. Si un employé passe une grande partie de sa journée à vérifier ses réseaux sociaux ou à jouer en ligne, cela nuit à ses responsabilités professionnelles et réduit son efficacité. Ce comportement entraîne un désengagement croissant et une déconnexion progressive des objectifs de l’entreprise.

  • Pouvoir ou réussite

Certains cadres peuvent devenir obsédés par la réussite ou le pouvoir, au point de développer une addiction. Cette obsession peut être un moyen de compenser des insécurités ou un sentiment de vide intérieur. Ces individus peuvent se sentir valorisés uniquement par leurs succès professionnels, ce qui peut conduire à des comportements agressifs ou manipulateurs. Bien que les données précises soient difficiles à obtenir, des études sur le leadership en entreprise montrent que 20% des dirigeants présentent des tendances narcissiques, souvent corrélées avec une addiction au pouvoir. Un dirigeant peut mettre en place des stratégies agressives et risquées pour surpasser ses concurrents, ignorant les risques pour l’entreprise. Cela finit par causer des tensions internes, un turnover élevé, et des pertes financières importantes, sapant la cohésion et la motivation au sein de l’équipe.

Les addictions sont-elles des RPS comme les autres ?

Le terme « risques psychosociaux » (au travail) englobe l’ensemble des risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. En toute rigueur, une addiction ne devrait donc être considérée comme un RPS d’origine professionnelle que si un lien avec le travail peut être établi. Or, dans un certain nombre de cas, l’addiction préexiste au travail, et prend sa source à l’extérieur — par analogie, c’est donc plutôt le paradigme du trouble mental ou de la maladie chronique qui devrait être mobilisé.

Les addictions sont-elles des RPS comme les autres ?

La réponse, clairement négative, requiert un triple niveau d’analyse : 1) les enjeux, sécuritaires, de l’addiction préexistante au travail sur le lieu de travail, 2) le travail comme source d’addiction, et 3) le travail comme addiction. Cette double caractéristique explique que l’addiction, problème de santé publique fréquent, questionne le contexte de travail à la fois sous l’angle sécuritaire et sous l’angle sanitaire.

Le processus addictif

Le mot « addiction » désigne l’ensemble des relations de dépendance à une substance psychoactive (drogue, alcool, tabac, médicaments…) ou à une pratique (jeux d’argent, internet et jeux vidéo, achats incontrôlés répétés, activité sexuelle, activité sportive, dépendance au travail…). On retiendra du processus addictif deux points-clés, nécessairement simplificateurs mais utiles à la suite de notre propos :

• sa finalité : l’addiction vise à produire du plaisir et/ou à soulager un malaise intérieur.

• la répétitivité et la perte de contrôle qui, dès lors que l’état de manque se fait sentir, peuvent conduire à des comportements irascibles, agressifs ou agités. Cette double caractéristique explique que l’addiction, problème de santé publique fréquent, questionne le contexte de travail à la fois sous l’angle sécuritaire et sous l’angle sanitaire. Addictions et travail : impacts sécuritaires L’addiction pose, en contexte professionnel, de multiples questions de sécurité, dont certaines se doublent d’une dimension psychosociale.

• L’addiction modifie la perception de la réalité et altère les réflexes et la prise de décision, qu’il s’agisse d’amoindrir la vigilance (cannabis, alcool…) ou d’induire une agitation improductive (cocaïne…). L’addiction est, par ailleurs, parfois associée à des modes de vie susceptibles de conduire aux mêmes effets : l’addiction aux écrans ou aux jeux vidéo peut conduire à une vie nocturne induisant rapidement une dette de sommeil, avec une fatigue qui, au travail, produit les mêmes conséquences cognitives, émotionnelles et comportementales. Le risque d’accident s’en trouve accru, chez les conducteurs de machines ou de véhicules par exemple.

• L’addiction suppose des moyens financiers. Le caractère incoercible du besoin et la levée des interdits moraux qu’il induit peuvent pousser à des larcins, commis au détriment de l’entreprise ou de ses usagers, surtout s’ils sont vulnérables (personnes âgées…). Les métiers ayant accès à des valeurs (convoyeurs de fonds, commerçants…) ou à des substances psychoactives (médecins, pharmaciens…) sont davantage exposés à un risque de violences du fait d’un tiers décidé à les leur subtiliser.

• L’addiction accroît donc le risque d’atteinte non seulement aux biens, mais aux personnes. La difficulté à garder le contrôle, l’agitation et l’irritabilité sont des facteurs de violences sur les collègues et les tiers, que ces violences soient verbales, physiques, ou sexistes et sexuelles. L’on voit ainsi comment, de problématique de santé individuelle et extérieure au travail, l’addiction se mue en problème organisationnel, l’addiction d’un salarié devenant un facteur de RPS pour les autres.

Le travail comme source d’activation : les effets du contexte

Mais le travail peut aussi constituer la porte d’entrée vers l’addiction. D’abord, parce qu’il peut fournir l’occasion d’être en contact avec des produits addictogènes. Tel est le cas des professions de santé ayant accès à des substances psychoactives, ou des salariés de l’hôtellerie- restauration, en contact avec un stock de boissons alcooliques. Ensuite, parce que, comme tout lieu de socialisation, le travail peut favoriser l’apprentissage inadapté d’une consommation ou d’une pratique, ou au contraire protéger des addictions en encourageant des pratiques saines. Le besoin d’intégration ou d’appartenance à un groupe et, a contrario, la crainte d’y être marginalisé, peuvent être associés à une initiation, généralement à l’alcool ou au tabac, parfois au cannabis ou à la cocaïne. Les repas d’affaires et les multiples occasions de convivialité qu’offre la vie en entreprise (du pot de départ à la convention nationale) confrontent eux aussi à divers toxiques (alcool, tabac…). Par ailleurs, le travail est un lieu où règne la recherche de performance. Par émulation ou concurrence au sein du collectif, ou par souci de se démarquer et de progresser dans la hiérarchie, un salarié peut être tenté par diverses stratégies de dopage. Si les plus banales ne sont guère associées à l’addiction alors qu’elles en partagent pourtant nombre de caractéristiques (café, sodas, boissons énergisantes, produits sucrés…), la consommation de tabac est corrélée à l’intensité de la tâche perçue, et la cocaïne et les amphétamines font partie des psychostimulants fréquemment utilisés pour booster la performance. Enfin, le travail peut être la cause de souffrances psychiques de natures et d’intensités diverses, allant du stress à l’ennui, ou liées aux difficultés managériales ou relationnelles ; il peut aussi être le lieu de conditions de travail pénibles (travail de nuit, exposition à la chaleur…) ou répétitives. Ces différentes sources de souffrance au travail peuvent elles aussi ainsi conduire à consommer de l’alcool ou des drogues, à des fins anxiolytiques, pour anesthésier la douleur. Le travail comme addiction : le workaholism Impossible d’explorer les liens entre addiction et travail sans évoquer le cas de figure où le support de l’addiction est le travail lui-même. Le workaholism constitue de fait une addiction pernicieuse, qui peut longtemps rester inaperçue et même être socialement valorisée, en passant pour de l’engagement au travail. Mais le travailleur engagé se distingue du workaholic par une caractéristique fondamentale : l’absence de compulsion au travail, pour lui, le travail est plaisir, et non pulsion irrésistible.

Obsédé par son travail dont il ne parvient pas à « débrancher » même lorsqu’il en est éloigné par les vacances ou le week-end, le workaholic laisse libre cours à un perfectionnisme parfois maladif, allant jusqu’à se créer de la tâche, complexifiant artificiellement un projet, s’imposant des contraintes de temps inutiles ou refusant de déléguer la moindre parcelle de dossier. L’absence de plaisir au travail est manifeste : le workaholic manifeste d’ailleurs globalement un faible niveau de bien-être et n’apparaît généralement pas satisfait ni de son salaire ni des relations avec ses collègues. Conséquence : le workaholism est un facteur de risque avéré pour le burn-out, tandis que l’engagement semble au contraire en protéger. Signe et source de souffrance pour le sujet lui-même, le workaholism s’avère nocif également pour son entourage professionnel et l’organisation qui l’emploie. Les relations aux collègues apparaissent généralement dégradées, et la performance n’est pas nécessairement au rendez-vous. Enfin, l’obsessionnalité et le temps de travail excessif engendrent immanquablement un déséquilibre marqué entre vie professionnelle et vie personnelle, à l’origine de conflits familiaux plus fréquents. Au travail, l’addiction constitue au final un risque psychosocial à part, où le salarié — en souffrance dans tous les cas de figure — et l’employeur apparaissent tous les deux comme victime et bourreau. Le salarié, parce qu’il peut tout aussi bien sombrer dans l’addiction à cause du travail qu’être l’auteur de faits délictueux. L’employeur, parce qu’il est contraint de gérer une situation à laquelle il est possiblement totalement étranger mais qui le contraint à sanctionner un salarié pour protéger le reste des collaborateurs, ou dont il est au contraire pleinement responsable juridiquement et éthiquement.

Le Grand Entretien : Clarisse Magnin, DG de McKinsey France

J’ai beaucoup lu et écouté sur McKinsey et sur vous-même. Mais j’avais le sentiment que ces deux entités n’étaient pas liées. Entre McKinsey, la tour d’ivoire, éminence grise décrite dans la presse, et Clarisse, produit de la méritocratie, brillante, sincère… Peut-on réconcilier les choses ?

Certains ne valorisent pas notre profession de conseil parce qu’ils ne la comprennent pas. Pour ceux qui la connaissent, ils vont l’associer uniquement à l’intelligence analytique, la rigueur intellectuelle, les diplômes des grandes écoles, le raisonnement.

Mais je pense qu’il y a de multiples types d’intelligence, dont beaucoup sont nécessaires dans ce métier. La vie est plus compliquée qu’une équation à résoudre et quand on intervient auprès des clients, il faut aussi savoir faire preuve de beaucoup d’intelligence émotionnelle.

Une entreprise, c’est une organisation humaine avec une utilité sociale, des objectifs. Dans le conseil aux dirigeants et pour transformer une organisation, si on n’est pas capable de comprendre les enjeux, de faire preuve d’écoute, d’empathie et de conviction, et d’élargir le périmètre des solutions à considérer, la réponse analytique pure n’aura pas l’impact escompté.

C’est pour cela que parmi les profils des collaborateurs McKinsey, il est si important pour nous d’avoir plusieurs types d’intelligences complémentaires. Nous proposons certes une expertise, mais aussi un accompagnement. Pour qu’un dirigeant accepte d’être accompagné par un consultant, il faut qu’il ait envie de passer un moment avec lui ou elle. La finalité d’une mission, ce n’est jamais la remise d’un rapport : selon les cas, c’est une transformation engagée, un grand projet mis sur des rails, un cap stratégique défini…Et, de notre part, c’est à chaque une contribution intellectuelle et humaine. C’est ce que je trouve passionnant dans ce métier, nous conseillons des hommes et des femmes avec leurs convictions, leurs inquiétudes… Sans conscience de cela, on peut voir le conseil comme une activité froide et vidée de son sens. Ce qui fait un bon consultant c’est cette aspiration à trouver une réponse, des solutions, qui permettent à l’entreprise d’être plus forte et résiliente après notre accompagnement.

Vos collaborateurs sont-ils formés dans ces différentes dimensions ?

Nous recrutons beaucoup de jeunes et, effectivement, ils sont formés sur la structuration des problèmes, les aspects analytiques mais aussi sur la prise de parole, la façon d’interagir, la qualité d’écoute et de compréhension d’une organisation. Cerveau droit et cerveau gauche.

McKinsey France a 60 ans. Vous aimez dire qu’un consultant, c’est un docteur d’entreprise. On n’irait pas jusqu’à dire que les entreprises sont malades ?

Il y a la médecine d’urgence et la médecine préventive… Certaines entreprises font appel à nous car elles traversent des difficultés. Dans un monde complexe et imprévisible avec de multiples dimensions (géopolitiques, environnementales), je ne connais pas de dirigeants qui n’ont pas des doutes quotidiens. Et les meilleurs d’entre eux sont souvent ceux qui doutent le plus.

Nous accompagnons beaucoup de ces entreprises « en questionnement », dans la prévention, la préparation et la transition. Parfois sur des sujets de stratégie, d’ajustement de leur organisation, sur leurs opérations commerciales ou industrielles, sur des sujets de risque ou d’acquisition. Le périmètre est large.

Mais nous accompagnons aussi, et dans une proportion très large, des entreprises en excellente santé et qui ambitionnent de l’être plus encore. Beaucoup de nos interventions portent sur des stratégies de croissance, d’expansion internationale, de développement ou de modernisation des actifs industriels en Europe, de création d’activité nouvelles, et en particulier des activités nativement peu polluantes.

Pouvez-vous nous résumer la fiche d’intervention d’un consultant ?

Il y a l’expertise et l’expérience. L’expertise est technique, l’expérience, c’est le fait pour un expert d’avoir rencontré un problème donné peut-être 20 fois à titre individuel et 300 fois à titre institutionnel, et d’être capable d’exploiter cette expérience au profit du besoin spécifique d’un client. L’alliage des deux nous permet d’apporter des connaissances et du support pour accompagner le dirigeant et son équipe.

Il faut aussi avoir beaucoup de courage et d’indépendance car il arrive parfois qu’on contredise complètement la conviction initiale du dirigeant sur ce qu’il convenait de faire. La plupart du temps, cette indépendance est valorisée. Il arrive que l’intervention du consultant soit confirmatoire, mais parfois aussi contradictoire.

Et après le conseil ? Y a-t-il une sorte de « service après-vente » ?

Après la phase de stratégie et de conseil au dirigeant, vient la phase de structuration des équipes, de l’organisation, des compétences et de la technologie pour y arriver. Et ensuite, il faut assurer les conditions de la mise en oeuvre. En France, nous avons monté une filiale de mise en œuvre opérationnelle des transformations. Son objectif est d’accompagner les équipes dans la durée, jusqu’à la fin de la phase projet de l’entreprise. De plus en plus, notamment en France, nous restons mobilisés jusqu’à la fin, jusqu’au « bout du geste » de la décision qui a été prise.

Quelle est votre valeur ajoutée en tant que cabinet ?

Il faut savoir que les entreprises les plus performantes au monde sont celles qui sont le plus consommatrices de conseils. En France, nous accompagnons près de 90 % des entreprises du CAC 40, 60 % des entreprises du SBF 120. Nous conseillons la plupart de nos clients depuis plus de 5 ans.

Notre métier repose sur notre capital humain. Nous n’avons pas d’usines, pas de camions. Notre véritable actif, ce sont nos consultants. Il nous est donc essentiel de détecter et recruter les talents, puis de les développer. Nous constituons ensuite des équipes en fonction des caractéristiques et expertises de chacun pour répondre sur mesure aux besoins de notre client.

En fonction de leurs compétences et appétences, nos consultants multiplient les projets dans des secteurs variés. Cela leur permet d’engendrer une expérience solide, tant analytique qu’organisationnelle et humaine.

Tous les grands groupes font appel à des conseils en stratégie. Pourquoi n’a-t-on pas encore inventé un conseil en stratégie interne ?

C’est une excellente question. Les entreprises disposent bien souvent de services internes en stratégie, que nous sommes d’ailleurs souvent amenés à compléter et avec lesquels nous travaillons par ailleurs régulièrement.

Mais notre position d’externe comprend également des avantages : le recul, l’indépendance et l’expérience.

Il est difficile pour des équipes en interne, aussi compétentes soient-elles, de prendre du recul sur les problématiques qu’elles vivent au quotidien. Nous arrivons avec la distance qui permet de faire des analyses objectives, sans être influencés par les dynamiques internes.

La diversité des secteurs et des problématiques auxquelles nos consultants font face d’un projet à l’autre renforce également notre capacité à proposer des solutions innovantes et adaptées à chaque situation.

Vous êtes entrée en stage chez McKinsey et y avez fait toute votre carrière. Comment peut-on conseiller une entreprise sans en avoir l’expérience ?

C’est ce qui est incroyable dans notre secteur : un nouvel arrivant sort de l’école avec une tête bien faite, des qualités interpersonnelles certaines, mais il ne connaît pas encore la vie de l’entreprise.

Pour la connaître et la comprendre, il a besoin d’entrainement. J’aime faire la comparaison avec le sport. Les talents qui arrivent chez McKinsey ont un entraîneur personnel, une formation intensive qui leur permet très vite, au bout de six mois, d’avoir les bons réflexes. Ils atteignent alors un plateau de performance et une capacité à être productif, à faire des analyses de mise en pratique et à savoir utiliser toutes les ressources de notre cabinet. Notre savoir-faire, c’est de développer la connaissance et la compétence dans des temps très raccourcis.

Par ailleurs, en 2024, la moitié de nos recrutements concernent des profils expérimentés qui connaissent déjà le monde de l’entreprise.

Ces jeunes talents restent-ils chez vous ?

Ils sont évidemment très demandés. Mais McKinsey est un sésame, comme un diplôme supplémentaire. Notre cabinet porte un modèle de développement et d’apprentissage loué par les grandes entreprises ou les licornes. McKinsey est une école du leadership qui apprend à tous ses talents avant tout à générer de l’impact pour aider les dirigeants à résoudre leurs grands enjeux. Cette valeur ajoutée fait qu’ils sont très demandés. Ce n’est pas un problème pour nous mais plutôt une fierté. Nous             avons un réseau d’alumni qui reste très soudé et continuons à former les prochains !

C’est ce qui explique sans doute que notre attractivité auprès des jeunes ne se dément pas voire s’amplifie : nous avons déjà reçu plus de 16 000 candidatures en 2024 en France (15 000 en 2023, 11 000 en 2022 et 2021), et plus d’un million au niveau mondial.

McKinsey est une école du leadership qui apprend à tous ses talents, avant tout, à générer de l’impact pour aider les dirigeants à résoudre leurs grands enjeux.

Cela ne vous manque-t-il pas de ne pas diriger de manière exécutive les entreprises que vous conseillez ?

Beaucoup d’entre nous passent de l’autre côté, acceptent des fonctions dans des entreprises. D’ailleurs, beaucoup de jeunes se sont lancés dans la French Tech : 200 alumni de McKinsey France en font désormais partie. Beaucoup de dirigeants sont d’anciens de McKinsey.

Pour ma part, j’aime beaucoup mon métier.

Pour le challenge qu’il comporte : pour revenir sur la métaphore sportive, la marque du cabinet vous permet de jouer, vous qualifie pour les jeux, mais c’est ensuite à vous de performer sur la piste.

Mais également car il porte une grande part d’humilité : ce n’est pas vous qui êtes dans la lumière, c’est votre client.

Nous avons aussi l’opportunité de vivre des aventures extrêmement variées et de rencontrer des profils d’horizons différents. Car si les clients nous choisissent, nous les choisissons aussi. Il faut avoir envie d’aider. Pour ma part, j’ai choisi d’aider des entreprises qui portent une ambition sociale forte ou des dirigeants que je trouve inspirant par leurs engagements et leur leadership. D’une certaine façon je les choisis autant rationnellement qu’avec le cœur.

Avez-vous le sentiment d’exercer un métier qu’il faut encore expliquer, voire justifier ?

Je pense effectivement que c’est un métier qui n’est pas encore compris. Déjà car il existe énormément de types de conseils, peut-être une quinzaine, et je ne suis pas certaine que tout le monde fasse la distinction. Et c’est là que je reviens sur l’expérience et l’expertise : personne ne donne des conseils sur tout, seulement ce sur quoi il ou elle est légitime.

Il est clair que nous devons faire un travail de pédagogie, même si nous avons une nécessité de confidentialité.

Au-delà de l’incompréhension, il y a la méfiance. McKinsey a cristallisé une énorme défiance vis-à-vis des cabinets de conseils. Que pouvez-vous répondre à cela ?

Notre nom a malheureusement parfois été instrumentalisé durant la dernière campagne présidentielle. Les attaques ont été fortes, violentes et répétées dans un contexte très politique. Beaucoup d’inexactitudes, d’approximations et même de contre-vérités ont été propagées.

Nous avons été cités 500 fois dans un rapport du Sénat de 220 pages[i]. Nous avons lu ici et là que notre présence était tentaculaire auprès de l’État, ce qui n’était pas reflété dans les faits. Notre activité dans le secteur public n’était pas un enjeu économique pour nous en tant que cabinet en France, car représentant moins de 5% de notre chiffre d’affaires, sans évolution notable dans le temps. Et le rapport du Sénat montrait bien, dans son diagramme, que nous étions 20ème cabinet sur 22 avec une part de marché de l’ordre de 1%. Nous l’avons dit et redit mais l’attention médiatique est restée sur nous.

Ce fut un moment difficile pour tous de voir le nom de notre entreprise instrumentalisé et notre travail caricaturé. Aujourd’hui, l’essentiel c’est que nos clients nous font confiance et que les étudiants souhaitent toujours nous rejoindre.

La crise réputationnelle que vous avez eue est donc due, selon vous, à un manque de connaissance ?

Une incompréhension de qui nous sommes et de notre apport. Il est primordial que les cabinets, en lien avec le Syntec, veillent à expliquer simplement le rôle des cabinets de conseil, la réalité de notre métier et de nos missions.

Est-ce justement pour cela que vous communiquez beaucoup : par nécessité, par goût aussi je présume ?

Un peu des deux. C’est un choix, car j’avais envie de montrer qu’une femme normale et simple peut faire ce métier sans arrogance et avec intégrité. Montrer qu’on peut réussir, être considérée, conseiller des dirigeants en étant une femme… J’ai d’ailleurs toujours considéré qu’être une femme est un avantage dans ma vie professionnelle, même si le milieu des affaires, en général, est très difficile pour les femmes. Le développement de ma carrière s’est toujours fait « avec » et jamais « contre » les hommes. Mon entourage personnel et professionnel, aussi composé d’hommes, a été d’un soutien très précieux pour m’affirmer en tant que leader.

Des progrès ont été faits mais restent mineurs, les biais demeurent. L’acceptation des femmes qui réussissent n’est pas évidente. Heureusement, les jeunes générations avancent tout de même sur ce sujet. Un exemple : les jeunes hommes parlent plus de parentalité que de maternité. Et quand ils sont interrogés sur leurs priorités de vie, 80 % d’entre eux avancent la parentalité comme une priorité. Passer du temps avec leurs enfants change leurs représentations, et même leur relation de couple est un peu différente. L’empathie vis-à-vis des femmes qui ont réussi est donc beaucoup plus forte.

Je crois qu’il est de la responsabilité de chaque entreprise de créer un environnement propice à l’avancement de carrière des femmes : développement de programmes de mentoring, lutte contre les biais inconscients, contestation des préjugés, des stéréotypes et de la discrimination… Il est indispensable d’embarquer les hommes sur l’ensemble de ces dimensions.

Mais à ces hommes, on ne leur pose pas encore cette question « marronnier » : comment faites-vous pour concilier votre vie de parent et votre vie professionnelle ?

J’ai pris de longs congés maternité pour mes quatre enfants car je le voulais et car mon entreprise me le permettait. Pour moi, personnellement, l’attachement avec mes enfants petits était très fort et cela a modifié ma façon de travailler. J’avais besoin d’être beaucoup plus efficace pour rentrer plus tôt et être auprès d’eux. J’ai dû m’organiser autrement, limiter les dîners et les déplacements, par choix et par nécessité. Malgré cela, quitter mes enfants chaque matin restait un vrai crève-cœur !

Cette culpabilité, bien souvent, intrinsèque des mamans : comment faire pour la dépasser ? Est-ce le rôle de la société, des entreprises ?

La question est : comment libère-t-on les énergies et permet-on à chacun d’exprimer tout son potentiel ? La parentalité est un passage. Ma fille de 18 ans vient de quitter la maison, cela nous a fait comprendre, à son papa et à moi-même, que nos enfants ne resteront pas toute leur vie avec nous. Nous aurons une vie après, en tant que couple et en tant que famille.

La culpabilité n’est pas toujours une mauvaise chose car c’est aussi un rappel aux fondamentaux. Ce qui est bon, c’est de repenser le rapport au travail et en cela, nous partageons le but de votre publication People at Work. La vie est longue, elle est séquencée en plusieurs moments.

Le problème pour les femmes, c’est qu’il faut tout donner autour de la quarantaine… S’est-on jamais posé cette question : certaines femmes ne seraient-elles pas au pic de leur performance à 50 ou 55 ans en étant déchargées de beaucoup de considérations, en sachant ce qu’elles veulent, sur le plan professionnel et personnel ? Il y a des moments dans la vie où l’on s’arrête, où l’on repart.

À votre poste d’observatrice, les services de ressources humaines sont-ils assez mûrs pour considérer la vie professionnelle nourrie de plusieurs trajectoires ?

C’est assez hétérogène. Les nombreuses réflexions à ce sujet sont rarement suivies des faits. Pourtant les entreprises qui investissent dans leur capital humain surperforment ! Nous avons consacré une recherche approfondie à ce sujet central. Celle-ci démontre que les entreprises qui parviennent, dans leur modèle d’organisation comme dans leur stratégie, à se focaliser à la fois sur l’humain et la performance enregistrent des réussites sans commune mesure avec celles de leurs homologues.

Elles surperforment sur toutes les dimensions de la santé et de la performance de l’entreprise : rentabilité, stabilité, résilience, fidélisation des talents… L’innovation est la clé : la considération des trajectoires de vie, la place des seniors, la gestion de la parentalité, la montée en compétences des jeunes… Je pense que toutes ces innovations sociales seront une source de différenciation.

En France, la retraite est considérée comme un Graal quand les gens sont malheureux au travail…

Nous observons une petite reprise du phénomène de « grande démission ». La première raison est le manque de perspective de développement professionnel. La question « comment je peux progresser, faire quelque chose de différent dans 5 ou 10 ans ? » est centrale. Le manque de perspective est parfois lié à un niveau d’études qui ne permet pas de progression ultérieure, mais aussi à une sorte de « marquage » quand on entre dans une entreprise ou une filière.

Ce manque de mobilité sociale est très prégnant en France. En matière de mobilité interne, les entreprises françaises ont tendance à mettre l’accent sur les savoirs techniques, attestés par des seuils exigeants de niveau d’étude, là où les entreprises d’autres régions du monde accordent davantage d’importance aux compétences sociales et à l’expérience pour sélectionner et promouvoir les managers.

Pour permettre l’ascenseur social, un autre moyen est de faire jouer la mobilité latérale en proposant aux collaborateurs de bénéficier de l’effet « motivant » d’une promotion, par exemple en permettant les changements de géographies ou de typologies de métiers. Cette mobilité interne, même sans passer par des mécanismes de promotions, permet d’encourager collaborateurs à l’initiative, d’accélérer leur développement en leur permettant d’acquérir de nouvelles expériences professionnelles.

Les entreprises peuvent également faire fructifier leur capital humain en investissant dans la formation ou le développement des pratiques managériales.  Ces orientations sont corrélées avec plusieurs dimensions de la performance économique, ainsi que des externalités positives pour les collaborateurs eux-mêmes. Pour en assurer toute l’efficacité, ces investissements doivent s’accompagner d’une transformation organisationnelle qui vise à tirer tous les avantages de l’enrichissement du capital humain, y compris en termes de productivité et d’innovation.

Notre dossier de couverture est consacré aux RPS, sous l’angle addiction : l’entreprise a-t-elle un rôle à jouer dans la santé mentale des travailleurs ?

Absolument. Les entreprises ont une grande responsabilité en matière de bien-être mental de leurs employés, surtout chez les jeunes générations. Ce que nous constatons dans nos études, c’est que le stress, l’anxiété et parfois même la dépression touchent de plus en plus de jeunes actifs. L’entreprise doit offrir un environnement de travail sain, avec un soutien psychologique disponible, des horaires de travail flexibles et une culture d’entreprise qui permet l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle. Les programmes de bien-être, tels que les séances de coaching, les moments de déconnexion ou encore la promotion d’une culture d’inclusion, sont des leviers essentiels. Le tabou autour de la santé mentale doit être levé, et l’entreprise a un rôle crucial à jouer dans ce changement.

L’inclusion sous toutes ses formes (ethnique, sexuelle, etc.) fait des progrès dans les entreprises. Comment définissez-vous la méritocratie, un concept qui vous est cher ?

La méritocratie, pour moi, signifie que chaque individu doit être évalué et récompensé en fonction de ses compétences, de ses efforts et de ses résultats, indépendamment de son origine, de son genre ou de toute autre caractéristique personnelle. C’est une valeur que je défends ardemment. Dans les entreprises, il est essentiel que tout le monde ait les mêmes opportunités de réussir et de progresser. Cela nécessite une culture d’équité, où les biais, y compris inconscients sont identifiés et éliminés. Il est également important de reconnaître que certaines personnes partent avec plus d’obstacles que d’autres, et qu’il faut parfois des mesures supplémentaires pour permettre à tous d’atteindre leur plein potentiel.

Vous avez une belle histoire personnelle, une maman naturopathe, un papa professeur et une vocation humanitaire. Quelle est la cohérence dans ce parcours qui vous a menée à McKinsey ?

Je crois que le fil rouge de mon parcours est l’envie d’aider, d’apporter de la valeur là où je passe, que ce soit par l’humanitaire ou par le conseil en stratégie. Mes parents m’ont inculqué des valeurs d’écoute, de curiosité intellectuelle et de partage. Ces valeurs me suivent dans tout ce que je fais. Aujourd’hui, même si je ne suis plus directement engagée dans l’humanitaire, mon métier me permet d’accompagner des entreprises dans leur transformation, souvent en faveur d’une plus grande responsabilité sociale et environnementale. C’est une autre manière de contribuer à un changement positif dans la société.

[i]Dans la presse, « l’affaire McKinsey » est une polémique concernant les liens supposés entre le gouvernement de la République française et le cabinet de conseil américain McKinsey & Company depuis les élections présidentielles françaises de 2017, jusqu’à la gestion de la crise Covid de 2020-2021

Et si je prenais soin de mes managers ?

Pourquoi prendre soin de ses managers ?

Prendre soin de ses managers, c’est tout d’abord être à l’écoute de leurs besoins. C’est également leur donner les outils et les clés pour un management réussi. Enfin, c’est les aider à s’épanouir tout simplement. Car qui dit manager serein, confiant et épanoui, dit automatiquement manager motivé et donc performant. Cette motivation souvent associée à une attitude positive et joviale, se répand dans toute l’équipe, ainsi que dans l’entreprise. La motivation et la bonne humeur, c’est contagieux. Et inversement. Un manager sous pression, épuisé et démotivé reportera la pression sur son équipe favorisant ainsi mauvaise ambiance et épuisement professionnel. En tant que manager, nous avons pour mission de porter notre équipe, c’est à nous de motiver, rassembler et soutenir. Or, comment puis-je rassembler si je n’en ai pas la force ? Comment puis-je motiver si moi-même j’ai perdu la motivation ? Comment puis-je soutenir si moi-même je me sens abandonné et lâché dans la fausse aux lions ? Car oui, le rôle de manager peut être ingrat : souvent positionné entre la direction et les salariés, le manager fait office de tampon. Il écoute et reçoit les insatisfactions de la direction et c’est vers lui que viennent les salariés pour se plaindre. Un rôle complexe donc, et dont nous ne mesurons pas toujours l’importance, ni la difficulté.

Burnout en entreprise : le rôle du management.

Durant ces trois dernières années, j’ai accompagné de nombreux salariés et managers en situation de burnout professionnel et j’ai pu constater deux choses : la première est que ces personnes avaient toutes un point commun, elles étaient en effet incapables de s’arrêter, de dire stop et de se mettre des limites. C’est incapacité vient du fait qu’elles étaient déconnectées de leur corps dans un premier temps et que l’écoute de soi ne fait pas partie de notre société occidentale. Car, en prenant conscience de notre mal-être à temps, nous pourrions sans problème prévenir le burnout.

La deuxième chose est que dans de nombreux cas, ces salariés ont affaire à un mode de management pyramidal et c’est précisément le management qui est en cause puisque celui-ci favorise la plupart du temps un travail sous pression, une autorité omniprésente ainsi qu´un manque d’équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Autrement dit, le manager joue un rôle très important dans le quotidien d’un salarié et a toujours une part de responsabilité en cas de burnout professionnel : épuisement physique et mental dû au stress, manque de confiance en soi et d’estime de soi, anxiété… tous ces maux sont le résultat d’un manque d’accompagnement, mais j’irai même jusqu’à dire un manque de bienveillance et d’humanité. Nous devrions plutôt manager avec le cœur et donc avec empathie plutôt qu’avec la tête fixée sur des objectifs la plupart du temps irréalisables ou alors atteignables, mais à quel prix pour les managers et les salariés ?  Le COVID aura permis certaines prises de conscience, et beaucoup se sont rendus compte qu’ils s’étaient perdus dans leur travail et leurs responsabilités. Aujourd’hui, en tant que manager et salarié d’une entreprise, nous ne souhaitons plus sacrifier notre bien-être, ni notre vie de famille pour un job, aussi passionnant qu’il puisse être.

Dans notre société, manager est une récompense, pas une compétence

Le burnout en entreprise, que ce soit chez les managers ou les salariés, est souvent la conséquence d’un manque d’expérience. Car, dans notre société, dans notre culture, être manager est une récompense pas une compétence. Devenir manager est une promotion. On justifie souvent une hausse de salaire en confiant plus de responsabilités à un cadre, notamment la gestion d’une équipe. Or, ce n’est pas parce que l’on est un excellent ingénieur ou commercial que l’on fera un bon manager. Ne blâmons pas les managers pour leur manque d’expérience en management d’équipe, mais trouvons plutôt le moyen de les y préparer. Car un manager qui n’est pas armé pour cette mission et qui n’a pas forcément les compétences nécessaires fonce droit dans le mur. Il en va de sa santé mentale et physique, et par conséquent de celle des membres de son équipe.

Qu’est-ce qui fait un bon manager ?

Manager une équipe requiert des compétences bien précises. Manager une équipe, c’est manager des hommes avant tout, des êtres humains tous différents les uns des autres, qui ont des besoins, expriment et ressentent des émotions, sont parfois heureux, parfois tristes, parfois fatigués.

Le manager, s’il souhaite pouvoir comprendre et guider son équipe d’êtres humains, doit pouvoir faire preuve d’adaptabilité, d’indulgence, de bienveillance, d’écoute et d’empathie. Il doit savoir trouver les bons mots pour rassurer et motiver, mais il doit être également capable de déceler les problèmes avec anticipation. Prenons le cas d’un salarié peu performant et démotivé pendant quelques jours. Certains s’empresseraient de critiquer, de juger et de réprimander. Cependant, il serait bon de privilégier la communication et de faire preuve de bienveillance avant d’émettre toute conclusion, car cet employé est peut-être malade mais a tout de même souhaité venir au bureau. Peut-être a-t-il de graves problèmes personnels et a-t-il besoin du soutien de son employeur ?

Prendre soin de ses managers, c’est donc dans un premier temps s´assurer qu’ils aient les compétences nécessaires pour l’être et dans le cas contraire les y préparer grâce à des formations ou du coaching par exemple.

Les accompagner en amont puis pendant leur mission

Comme cité précédemment, il est primordial de les accompagner en amont, grâce à des formations, puis régulièrement avec des séances de coaching en management que l’on pourrait assimiler à de la supervision. Il s’agit là d’un espace d’une heure pendant lequel le manager se confie sur certaines difficultés rencontrées et demande des conseils et ceci en toute confidentialité.

Autre élément important, il doit se sentir soutenu et écouté par sa direction. Ayant une place à part dans l’équipe, il arrive en effet qu’il se sente parfois isolé. Faites donc des points réguliers, formels et informels.

Bien-être en entreprise

Favoriser le bien-être en entreprise est devenu primordial fort heureusement et de nombreuses entreprises ont déjà progressé sur le sujet. Si l´on s’en tient ici aux managers, veillez à ce qu´eux aussi puissent avoir le temps de profiter des séances de sport, de sophrologie, de méditation que vous pourriez proposer et qu’ils soient également inclus dans les activités de team building, afterworks ou autres.

Les éduquer à la gestion du stress et de la pression est également un excellent moyen de les aider à faire face à certaines difficultés de leur quotidien. Double bénéfice ici : ils pourront transmettre ces compétences de gestion du stress à leurs collaborateurs.  Là encore, coachs en gestion du stress et pleine conscience ou encore sophrologues sont de plus en plus nombreux à intervenir en entreprises : séances individuelles ou collectives, workshop… les possibilités sont nombreuses, n’attendez pas la journée annuelle de la QVT pour faire appel à eux. Le bien-être en entreprise doit être une priorité tout au long de l’année et non une seule fois par an.

De nombreux progrès ont été fait ces deux dernières années concernant l’instauration de meilleures conditions de travail, en tout cas dans les start-up et grandes entreprises avec par exemple l’autorisation du télétravail, avec des limites bien sûr, des boissons gratuites à volonté voire même des espaces détente intégrés directement dans les locaux. Il est en effet nécessaire que le manager se sente également à l´aise au bureau et qu’il puisse y travailler dans les meilleures conditions. Car ceci a un impact conséquent sur sa motivation.

Télétravail et réduction du temps de travail

En ce qui concerne le télétravail occasionnel, il permet de favoriser un équilibre vie pro et vie perso. Cet équilibre est essentiel pour chacun d’entre nous. Comment demander à nos employés de prendre soin de leur santé physique et mentale s’ils n’ont aucune possibilité de pratiquer une activité physique ou de passer du temps en famille ?  Le temps, c’est ce qui nous manque à tous. Quelle place reste-t-il dans une journée si nous consacrons 8 à 10h au transport et à notre activité professionnelle ? Le peu de temps disponible étant dédié aux tâches ménagères ou obligations familiales, il est extrêmement difficile de trouver un moment pour soi. Le télétravail occasionnel peut permettre de dégager du temps, mais si nous allons plus loin, pourquoi ne pas proposer des postes à temps partiel ?

En effet, chez nos voisins allemands par exemple, il n’est pas rare pour des managers, ingénieurs ou encore chefs de projet de ne travailler que quatre jours par semaine. Ainsi, le cinquième jour est une journée libre que l’on consacre à sa famille ou à diverses activités et surtout au repos.

Il est important également d’aborder le cas des parents : connaissez-vous beaucoup de managers qui ont la possibilité d’avoir leur mercredi après-midi de libre ? Ou que l’on ne juge pas s´ils quittent le bureau à 16h pour aller chercher les enfants à l’école ? J’ai la naïveté de penser qu’il est possible de s’épanouir à la fois personnellement et professionnellement.  Laissez vos managers s’épanouir dans leur vie personnelle et ils vous le rendront bien. Car un collaborateur heureux est un collaborateur motivé, impliqué, efficace et performant. N’oubliez pas que la santé physique et mentale de vos managers est la vitrine de l’entreprise : à eux de véhiculer une image positive de la direction et de la culture d’entreprise, que ce soit auprès des salariés ou auprès des intervenants externes tels que des clients.

Objectifs réalistes, liberté et confiance

Si nous nous penchons sur les tâches du manager à proprement parler, celui-ci doit la plupart du temps atteindre des objectifs souvent fixés par le manager n+1 ou la direction. Là encore, ses objectifs sont source de stress et de pression s´ils sont surréalistes : fixez donc des objectifs atteignables et adaptez-les en cours d’année si le contexte est particulier. Car la pression ressentie par le manager est automatiquement transmise à son équipe, que ce soit volontairement ou inconsciemment.

Enfin, si vous choisissez de confier un poste de manager à l’un de vos collaborateurs, jouez le jeu jusqu’au bout et laissez-le voler de ses propres ailes. Je résumerais en deux mots : liberté et confiance. Donnez-lui bien-sûr des objectifs à atteindre. Mais faites-lui confiance concernant les moyens utilisés pour y arriver. N’imposez ni les moyens ni la façon de faire, car il n’y a rien de plus difficile ni de désagréable pour un manager que de transmettre des messages qui ne sont pas les siens. Cette mission d’imposer une vision qui n’est pas la sienne est en réalité très complexe pour les managers et ce décalage peut être ressenti par les clients, les fournisseurs, les journalistes ainsi que les salariés.

Ainsi, manager n’est pas chose facile, et il ne tient qu’à vous dirigeants, de redonner envie aux hommes et aux femmes d’endosser le rôle de manager en les accompagnant et en rendant possible leur épanouissement aussi bien personnel que professionnel.

Dog-friendly attitude en entreprise : une bonne idée ?

Comment la présence de chiens au bureau influence-t-elle le bien-être des employés ?

Il y a eu plusieurs études sur le bienfondé des chiens en entreprise afin de convaincre les entreprises hésitantes à passer le cap comme de conforter dans leurs décisions celles qui ont « osé ». Parmi les bienfaits qui semblent avérés : C’est un atout pour la santé des collaborateurs. Les animaux favorisent le bien-être des collaborateurs, ils modifient l’organisation traditionnelle du travail. Du côté des maîtres, cela les oblige à faire des pauses « techniques » à leur chien qui leur font lever le pied sur le travail, relâcher la pression et « respirer », faire reposer ses yeux trop rivés sur son écran. Du côté des collaborateurs, ils peuvent aussi faire une pause « caresse » qui les apaise souvent (de leurs dire). Cela favorise un meilleur équilibre social : à l’heure où le travail est partagé entre le télétravail et le présentiel, les chiens font le lien entre vie professionnelle et la vie personnelle. Sur le lieu de travail, ils favorisent les échanges entre collaborateurs et donc les interactions. Les collaborateurs sont de meilleure humeur et travaillent plus volontiers avec leurs collègues de manière coopérative. Un baromètre réalisé en 2016 par le Banfield Pet Hospital a montré que 92% des salariés et des ressources humaines considèrent comme très positive la présence d’animaux en entreprise ; Un sondage IPSOS et Purina montre que 38% des propriétaires d’animaux de compagnie ont déclaré que la présence d’animaux au sein de l’entreprise favorisait un environnement de travail agréable. Cela favoriserait la productivité. C’est l’un des soucis des entreprises mais une étude Wamiz de 2017 a montré qu’elle ne baissait pas suite à l’ouverture des locaux aux animaux bien au contraire : 17% des collaborateurs s’estiment plus productifs et 80% déclarent que la présence d’animaux de compagnie a un impact positif sur leur travail. Une étude de la Commonwealth University de 2012 a montré que le chien n’était pas un facteur de distraction, mais de concentration. Au quotidien, je peux constater que les études disent vrai mais à condition de respecter une discipline appropriée : le lieu de travail n’est pas un parc à chiens et les collaborateurs ne cautionnent pas de la même façon leur présence. Le bien être des employés passent avant tout par ce respect et cette entente de bonne intelligence. Au delà de cela, c’est aussi un argument positif dans la présentation des nombreux avantages qu’offre le groupe, son image progressiste et sociale qui attire beaucoup la curiosité mais aussi les CV spontanés. Dentsu, en tant que société à mission, prouve aussi que les entreprises peuvent à la fois allier leurs objectifs de performances (et donc la productivité des salariés) et le bien-être des collaborateurs (il paraît qu’on travaille beaucoup mieux dans une atmosphère positive).

Quelles sont les principales étapes pour mettre en place une politique dog-friendly en entreprise ?

Il faut partir de l’idée que dentsu France est plutôt pionnier en matière de qualité de vie au travail et qu’un statut dogfriendly s’inscrit dans cet absolu besoin de bien-être. Tant que quelqu’un ne bouge pas les lignes en demandant si cela est possible, il ne se passe rien. Chez dentsu, nous bougeons les lignes en permanence quel que soit notre statut, du management au nouvel arrivant. Dans ce cas précis, tout a commencé par des remontées négatives sur la présence « gênante » de chiens jusqu’ici tolérée mais pas encadrée chez dentsu qui a correspondu au moment où nous avons remis à plat notre règlement intérieur. Comme le prérequis absolu est de garantir le respect de chaque collaborateur et d’assurer la sécurité de chacun, il a fallu considérer cette remontées faîte aux élus sociaux, et réfléchir à la définition d’un cadre règlementé pour permettre à tous les collaborateurs d’être à l’aise avec la mise en place d’une politique Dogfriendly. Cela a déclenché un processus « démocratique » avec un référendum qui a été soumis à l’ensemble des collaborateurs, avec l’accord de la Direction, des ressources humaines et des élus sociaux. L’objectif, conformément à nos valeurs : impliquer les collaborateurs au maximum de ce que leur entreprise souhaite faire pour eux et donc s’assurer que les collaborateurs souhaitent que dentsu soit officiellement « dogfriendly ». La question simple et unique était : « Acceptez-vous la présence des chiens dans les bureaux ? OUI Sans conditions / OUI Avec conditions : tenus en laisse, propres, en nombre limité, … / NON, vous n’acceptez pas les chiens chez dentsu». Les résultats ont été sans appel : près de 80% ont répondu OUI chez dentsu France. Chacun a ainsi le sentiment d’avoir été respecté. Mais le groupe a aussi entendu les 20% qui ont répondu un « non » qui a été notamment motivé par des problèmes d’allergies et de phobies mais aussi par la croyance qu’un chien n’aurait pas sa place en entreprise. La finalité étant de garantir de façon pérenne la bulle de sécurité et de bien-être de chacun pour ne pas qu’une mesure populaire ne le soit plus et divise parce qu’on n’a pas su respecter chaque position. Mission réussie ! Les scores ont explosé dans l’enquête Great Place to Work quelques semaines après le référendum interne avec 96% d’adhésion. Les collaborateurs ont sans doute été rassurés de voir qu’on encadrait le sujet sérieusement et que chacun a pu être entendu. Une fois validé, le statut « dogfriendly » a été officiellement inscrit dans le règlement intérieur de dentsu France dont les modalités ont été discutées et validées par l’ensemble des élus, de la direction et des ressources humaines : bien-être animal, équilibre vie professionnelle et vie personnelle ou bien encore les dégâts que pourrait occasionner un animal au sein de locaux. Cela vaut pour les bureaux parisiens mais aussi dans nos bureaux en régions : Marseille, Nantes, Lyon, Lille, Bordeaux et Toulouse. Pour rappel, le Code du travail et la loi sont assez libres sur le sujet : aucune mention n’interdit la présence d’animaux dans une entreprise excepté dans certains secteurs très spécifiques comme les établissements de santé (hormis les chiens participant à une thérapie avec un patient et habilités par la Haute Autorité de Santé) ; l’ensemble des entreprises du secteur alimentaire ; Les administrations publiques et bien entendu, restreint aussi à certaines races de chiens. En dehors, de ces cas particuliers, tout salarié peut théoriquement emmener son chien au travail si le règlement intérieur ne s’y oppose pas il est nécessaire de demander l’autorisation de l’employeur au préalable.

Quels types de réglementations sont nécessaires pour garantir que cette politique fonctionne harmonieusement ?

Le règlement intérieur compte désormais un article « dogfriendly » donc les mesures à respecter obligatoirement sont : La présence de chiens propres, sans dangers et tenus en laisse lors des déplacements dans les locaux. Le collaborateur propriétaire du chien doit fournir une attestation sur l’honneur précisant que le chien possède une puce électronique ainsi qu’un carnet de vaccination. Le collaborateur s’engage à transmettre chaque année la copie mise à jour du carnet de vaccination. Le collaborateur doit aussi être assuré pour couvrir les dommages éventuellement causés par son animal. Grâce à un outil propriétaire de gestion des taux d’occupation, le collaborateur doit obligatoirement déclarer au préalable la venue de son chien et dentsu n’autorise la présence que de 5 chiens maximum dans ses locaux afin de gérer les zones d’interaction avec le chien. De plus, chaque propriétaire doit prévoir une zone pour son animal, comprenant les accessoires pour animaux nécessaires tels que la laisse ou la gamelle. Grâce à ces mesures encadrées, aucun incident n’a été à déplorer depuis et aucune autre remontée n’est venue assombrir ce statut.

 

Comment dentsu France s’assure-t-elle que les règles dog-friendly sont respectées par tous les employés ?

Chaque collaborateur fournit tous les documents nécessaires au service EDT qui validera la possibilité pour le maître de venir avec son chien. Chaque collaborateur doit déclarer sa présence dans un outil propriétaire et pour les propriétaires de chiens, une option est activée pour que le chien soit aussi renseigné. Au delà de 5 chiens sur site, il n’est pas autorisé à venir et doit donc télétravailler. Cet outil fait foi dans la présence de chacun et ses autorisations liées. Dans le cas du non-respect des mesures « dogfriendly », la direction est les personnes habilitées peuvent retirer le droit au collaborateur de venir avec son chien. De même, supprimer l’article du règlement intérieur. Chez dentsu, nous sommes près de 1000 collaborateurs et au maximum 650 sur site en même temps : il faut donc faire appel au bon sens de chacun, au respect de chacun, et à la tranquillité de chacun, respecter les règles même les plus élémentaires, accepter qu’un collaborateur n’aime tout simplement pas les chiens, accepter par exemple de ne pas prendre un ascenseur en priorité si quelqu’un a peur de votre chien, donc descendre et attendre le suivant, etc. Un bon chien c’est aussi un bon maître… Nous ne sommes pas si nombreux à emmener notre chien malgré tout : il y a une quinzaine de collaborateurs qui tournent et qui ne viennent jamais en même temps car jusqu’à ce jour, il n’y pas eu d’« embouteillages » de chiens !

 

Quels ont été les impacts mesurables (absentéisme, productivité, satisfaction des employés) depuis l’adoption de cette politique chez dentsu France ?

L’absentéisme et la productivité qui seraient liés à la politique dogfriendly sont difficiles à mesurer, je dirais que c’est assez inexistant même ! Concernant la satisfaction des employés en revanche, on peut remettre en avant la progression des scores d’adhésion au « Dogfriendly » : nous sommes passés de 80% de « OUI » au référendum soumis le 29 septembre 2022 à 96% de réponse positive de l’enquête Great Place to Work sur le sujet en novembre 2022 soit 2 mois plus tard. Ce qui montre que les collaborateurs ont vu qu’ils avaient été respectés, quelles que soient leurs positions sur le sujet et qu’aucune remontée négative n’a été enregistrée. Tout se passe donc bien. Un exemple comportemental positif : pour ma part, ma chienne vient quasiment tous les jours au bureau avec moi, c’est un cocker américain donc de petite taille, au caractère facile et totalement inoffensive et je travaille quotidiennement avec un collaborateur cynophobique qui décidé de tenter de maîtriser sa phobie du chien. Au départ, je respectais des distances appropriées, la chienne en laisse courte et toujours en validation avec lui. Petit à petit, ce collaborateur a libéré sa confiance et accepte aujourd’hui de réduire la distance et de tenter des moments sans laisse même de prendre l’ascenseur avec elle. Même s’il n’a aucun contact physique avec la chienne, il est heureux de pouvoir, grâce à elle, surmonter sa peur.

 Comment les initiatives comme les politiques dog-friendly s’inscrivent-elles dans la tendance actuelle d’innovation et de modernisation des environnements de travail ?

Notez que cette réponse n’engage que moi et ma perception : En tant que société à mission, nous bousculons les ordres établis des modèles d’entreprise, nous sommes pionniers sur ce secteur en la matière et nous apprêtons à passer notre premier audit. Nous ne sommes pas devenus société à mission par hasard : le Covid nous a fait entièrement repenser nos modèles, libéré le télétravail, exigé le bien-être de tous et le respect de chacun. Nous avons pris pleinement conscience de la nécessité de protéger notre environnement que les mots « bien-être » et « qualité de vie » étaient plus que jamais, plein de sens. Cela passe aussi par des mesures qui semblent anecdotiques comme « Dogfriendly » mais qui révèle aussi la volonté de dentsu de converger vers une harmonie : nous ne partageons pas que des performances business mais aussi des connections, des interactions, des attitudes qui viennent décloisonner nos bureaux et libérer les frontières et qui rendent l’entreprise plus harmonieuse. Nous avons plus à offrir à nos clients, nos partenaires et nos collaborateurs, et tout en pilotant nos performances business, nous valorisons l’humain, l’environnement, le durable et les aspirations de bien-être car un collaborateur heureux au travail est un collaborateur plus performant. Notre Président, Pierre Calmard, a d’ailleurs écrit un livre à ce sujet : « L’entreprise harmonieuse ». Cela n’engage que moi ici mais cela pourrait aussi (ou un peu, ou raisonnablement et toute proportion gardée) passer par l’attractivité que procure le fait de pouvoir avoir un chien en entreprise. Plusieurs entreprises se consacrent d’ailleurs à accompagner des sociétés à basculer dans le Dogfriendly, comme par exemple « Poilu.s Paris », c’est le signe qu’il se passe quelque chose à ce niveau-là. Le sujet interpelle malgré son apparente légèreté car il laisse entrevoir que de nouveaux modèles sont possibles, que la tolérance accordée aux collaborateurs pour les rendre plus heureux est peut être un nouveau type de management.

5 conseils pour bien vivre le télétravail

1. Créez un Espace de Travail Dédié

L’un des aspects les plus cruciaux pour réussir en télétravail est de délimiter un espace de travail clair et dédié. Cela peut être une pièce entière ou simplement un coin de votre salon, mais cet espace doit être réservé uniquement au travail. Cela permet de dissocier vie professionnelle et vie personnelle, et de créer une routine. Un bon environnement de travail inclut une chaise confortable, un bureau à la bonne hauteur et une bonne luminosité, de préférence naturelle.

2. Établissez une Routine

Le télétravail peut vite devenir désordonné sans une routine bien établie. Essayez de maintenir des horaires fixes pour commencer et terminer votre journée de travail, comme vous le feriez en présentiel. Incluez des pauses régulières pour vous étirer, marcher un peu ou simplement vous détendre. Une routine structurée aide à rester concentré et productif tout en évitant la sensation d’être « toujours au travail ».

3. Fixez des Limites Claires

Lorsque l’on travaille de chez soi, il peut être tentant de répondre à un e-mail tard le soir ou de continuer à travailler au-delà des heures normales. Pour protéger votre bien-être mental, fixez des limites claires entre le travail et la vie personnelle. Informez vos collègues de vos heures de disponibilité et respectez-les. Éteignez les notifications de travail après vos heures de bureau pour vous permettre de déconnecter et de vous reposer.

4. Maintenez une Communication Efficace

Le télétravail peut parfois créer un sentiment d’isolement. Il est donc important de maintenir une communication régulière avec vos collègues et votre équipe. Utilisez les outils de communication disponibles, comme les messageries instantanées, les e-mails et les visioconférences, pour rester connecté. Participer activement aux réunions virtuelles et échanger régulièrement avec vos collègues sur l’avancement des projets contribue à renforcer le sentiment d’appartenance à l’équipe.

5. Prenez Soin de Votre Santé Physique et Mentale

Le télétravail peut facilement mener à un mode de vie sédentaire. Il est important de prendre soin de votre corps en faisant de l’exercice régulièrement, même si ce n’est qu’une courte promenade. Pensez également à votre bien-être mental en pratiquant la méditation, la relaxation ou en vous adonnant à des activités qui vous plaisent. N’oubliez pas de bien manger et de rester hydraté tout au long de la journée.

Le télétravail, lorsqu’il est bien géré, peut offrir une grande liberté et améliorer votre qualité de vie. En suivant ces conseils, vous pourrez non seulement être plus productif, mais aussi maintenir un bon équilibre entre travail et vie personnelle. N’oubliez pas que l’adaptation à cette nouvelle manière de travailler peut prendre du temps, mais avec une bonne organisation et des habitudes saines, vous en tirerez le meilleur parti.

Rentrée scolaire et bureau ne sont pas incompatibles !

1. Anticiper et planifier à l’avance

La clé pour réussir cette journée particulière est une bonne préparation. La veille de la rentrée, prenez le temps de tout organiser. Préparez les vêtements, le sac d’école, et assurez-vous que toutes les fournitures scolaires sont prêtes. Si possible, préparez également le petit déjeuner à l’avance pour gagner du temps le matin. Une bonne organisation permet de réduire le stress et d’aborder la journée avec plus de sérénité.

2. Négocier une flexibilité au travail

Si votre emploi le permet, essayez de négocier une certaine flexibilité avec votre employeur. Beaucoup de managers comprennent l’importance du jour de la rentrée pour les parents. Vous pourriez demander à commencer plus tard pour accompagner vos enfants à l’école, ou bien partir plus tôt pour les récupérer. Si le télétravail est une option, cela peut également vous permettre de gérer plus facilement les obligations scolaires et professionnelles.

3. Partager les tâches avec le partenaire

Si vous êtes en couple, il peut être judicieux de partager les responsabilités liées à la rentrée. L’un de vous peut s’occuper de l’accompagnement du matin, tandis que l’autre peut gérer le retour à la maison. Cette répartition des tâches permet à chacun de maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, tout en étant présent pour les enfants.

4. Impliquer les enfants dans la préparation

Impliquer les enfants dans la préparation de leur rentrée peut non seulement alléger votre charge mentale, mais aussi les rendre plus autonomes et responsables. Demandez-leur de préparer leur sac, de choisir leurs vêtements, ou même de vérifier qu’ils ont tout ce qu’il leur faut pour la première journée. Cela peut également renforcer leur enthousiasme pour le retour à l’école.

5. Accepter que tout n’est pas parfait

Il est important de se rappeler que tout ne se passera peut-être pas exactement comme prévu, et c’est tout à fait normal. Il se peut que le matin soit un peu chaotique ou que vous arriviez au travail avec un léger retard. L’essentiel est de ne pas vous mettre trop de pression. En acceptant une certaine marge d’imperfection, vous réduirez votre stress et celui de vos enfants.

6. Prioriser le bien-être des enfants

Enfin, il est crucial de garder à l’esprit que le bien-être des enfants est prioritaire en ce jour de rentrée. Leur offrir un départ calme et positif pour cette nouvelle année scolaire aura un impact durable sur leur attitude envers l’école. Même si cela signifie prendre un peu plus de temps le matin ou faire une pause dans votre journée de travail, ces moments de soutien sont essentiels pour eux.

La rentrée scolaire et le travail ne sont pas nécessairement incompatibles. Avec un peu de planification, de flexibilité et une bonne communication, il est possible de concilier ces deux aspects de votre vie. L’objectif est de commencer l’année scolaire sur une note positive pour vos enfants tout en maintenant votre engagement professionnel. En trouvant un équilibre entre ces deux mondes, vous pouvez transformer ce jour souvent stressant en une journée réussie pour toute la famille.

Préserver la santé financière de ses salariés : pilier clé trop souvent sous-estimé du bien-être au travail

L’aspect financier : un enjeu majeur à prendre en compte

Le stress financier est une réalité pour de nombreux collaborateurs, en particulier ceux en début et en milieu de carrière. Selon l’Insee, 6,3 % des salariés français vivent en situation de pauvreté. La charge financière des dépenses professionnelles, bien que temporaire, peut avoir des répercussions significatives sur certaines situations déjà compliquées.

Alors que 51 % des salariés français déclarent ressentir du stress à l’idée de devoir avancer des frais professionnels, cette situation est aggravée par l’inquiétude que l’employeur mette du temps pour les rembourser, une angoisse partagée par 16 % des salariés. Ces chiffres mettent en lumière l’impact émotionnel que les collaborateurs ressentent et l’importance de la perception de sécurité financière dans l’expérience collaborateur.

Santé financière et bien-être au travail : deux notions indissociables

Le lien entre bien-être financier et bien-être au travail ne peut être ignoré dans un contexte où un tiers des salariés estiment que leur employeur devrait se préoccuper de leur santé financière. Un chiffre révélateur des attentes modernes en matière de responsabilité sociale des entreprises.

D’ailleurs, la rigueur avec laquelle les salariés français gèrent leurs notes de frais démontre le souhait de fiabilité dans les relations employeur-employé, mais elle souligne également le stress sous-jacent qui pousse à une telle rigueur : seuls 8 % d’entre eux oublient de soumettre leurs dépenses et 5 % égarent leurs reçus – des chiffres qui contrastent fortement avec leurs voisins européens.

En parallèle, pour les collaborateurs d’entreprise où les voyages d’affaires sont fréquents et durent plusieurs jours par exemple, la note finale peut vite monter. Demander à ses salariés d’avancer les frais peut les mettre dans une situation financière difficile alors qu’ils ont leurs propres charges (courses, factures, loyer, etc.) à régler.

Quoiqu’il en soit, une organisation qui se soucie de ces préoccupations crée un environnement de confiance, renforce la motivation, la rétention et la performance de ses talents. En effet, des collaborateurs libérés de la charge de la gestion des notes de frais pourront se concentrer pleinement sur des tâches à plus forte valeur ajoutée, innover et contribuer positivement à la culture de l’entreprise.

Une responsabilité partagée par les entreprises

Il appartient aux employeurs de prendre des mesures pour atténuer cette source de stress. Les solutions technologiques apparaissent comme une réponse pertinente à cette problématique. En automatisant les processus de gestion des dépenses, les organisations peuvent réduire considérablement la charge mentale de leurs salariés. De nombreux outils permettent aux collaborateurs de scanner leurs reçus, d’automatiser les remboursements et de détenir des cartes d’entreprise pour leurs achats professionnels. Ces innovations simplifient non seulement les processus administratifs mais aussi le quotidien des salariés, qui n’ont désormais plus à avancer les dépenses professionnelles de leur poche.

Il est donc impératif pour les sociétés de reconnaître l’importance de la santé financière de leurs salariés comme un pilier du bien-être au travail. L’enjeu est de taille. En contribuant à préserver la santé financière de leurs collaborateurs, elles ne se contentent pas de répondre à une attente légitime ; elles investissent dans la pérennité et la performance de leur capital humain. Une approche proactive en matière de santé financière renforce l’engagement des salariés, améliore leur satisfaction et favorise une culture d’entreprise positive et performante où chacun se sent valorisé et soutenu.

Et maintenant le « Conscience Quitting »

La tendance du « Conscience Quitting » est liée à la prise de conscience des enjeux sociaux, environnementaux et éthiques, ainsi qu’à l’importance accrue accordée aux valeurs personnelles dans les choix de carrière. Le phénomène a pris de l’ampleur ces dernières années, en particulier chez les jeunes générations qui sont de plus en plus sensibles aux entreprises à impact ou au recrutement inclusif. Dan Guez, co-fondateur du groupe OpenSourcing a analysé le phénomène.

De quoi le « Conscience Quitting » est-il le nom ?

Il peut être considéré comme une manifestation de l’engagement croissant des salariés à agir pour un monde meilleur. Au Royaume Uni ou aux Etats-Unis c’est près de 30 % de salariés qui ont déjà succombé au « Conscience Quitting ». C’est un nouveau défi auquel les entreprises doivent faire face à qui la génération Z ou les millénials imposent de plus en plus leur propre vision du monde professionnel. Les raisons qui poussent les employés à quitter leur emploi peuvent être diverses. Certains sont en désaccord avec les pratiques écologiques ou sociales de leur entreprise, tandis que d’autres rejettent les politiques de diversité de leur entreprise. Les cas de harcèlement ou de discrimination sont également des raisons fréquentes de départ. Les travailleurs peuvent également être confrontés à des situations de conflit entre leurs valeurs personnelles et les valeurs de l’entreprise.

Le « Conscience Quitting » est-il le signe que l’entreprise et les travailleurs évoluent ?

Oui et il a des conséquences positives. Pour les uns, cela peut être une opportunité de trouver un emploi en phase avec leurs valeurs personnelles et de trouver une plus grande satisfaction au travail. Pour les autres, cela peut les inciter à travailler leur image employeur en repensant leurs pratiques environnementales et sociales et en prenant en compte les préoccupations de leurs employés actuels ou futurs en matière d’éthique et de diversité. Cependant le « Conscience Quitting » représente un coût non négligeable pour les employés, sensibles à ce phénomène, qui renoncent à leur salaire. D’après certaines études américaines, de nombreux salariés ont accepté une rémunération moins importante pour évoluer dans un cadre professionnel en ligne avec leurs valeurs personnelles. Le « Conscience Quitting » est une tendance qui illustre l’importance croissante accordée aux valeurs personnelles dans les choix de carrière. Cela peut être bénéfique pour les travailleurs et les entreprises, mais peut également présenter des défis. Les entreprises ont tout intérêt à prendre en compte les préoccupations de leurs employés en matière d’éthique et de responsabilité sociale afin de maintenir leur engagement et leur loyauté. Les employés, quant à eux, doivent prendre en compte les conséquences financières et professionnelles de leur décision de quitter leur emploi pour des raisons éthiques.

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RSE et marque employeur : pourquoi choisir ?

Certains avancent que le RSE est au service de la marque employeur. D’autres, qu’elle en est un levier et même une partie intégrante. Ces approches sont inexactes. Les deux sphères s’interpénètrent sur de nombreux sujets, et l’on peut fréquemment s’appuyer sur l’une pour soutenir l’autre. L’égalité femmes-hommes, l’emploi des séniors, le recrutement sans discrimination en sont des exemples. Cependant, là où la RSE s’attache à équilibrer l’environnemental, l’économique et le social, la marque employeur répond à un besoin lié au marché de l’emploi, centré sur le social, avec un impact bénéfique essentiellement pour l’entreprise. En revanche, les actions RSE visent à satisfaire les attentes de la société dans son ensemble et prennent en compte des évolutions à grande échelle. Si les deux domaines ont ainsi des implications politiques, leurs champs d’action et leurs préoccupations se recoupent… avec des finalités sensiblement différentes.

Avant tout, les deux concepts n’ont pas la même vie, pas le même rythme. Les termes de RSE et de marque employeur sont apparus à quarante-trois ans d’intervalle. La Corporate Social Responsability a été imaginée en 1953 par l’économiste américain Howard Bowen. La marque employeur est apparue en 1996 grâce aux Britanniques Simon Barrow et Tim Ambler.

La marque employeur a donc un « retard » chronologique par rapport à la RSE. Les entreprises n’ont pas toujours rencontré les difficultés d’attractivité et de fidélisation que nous connaissons.

De plus, la société s’est vue fondamentalement transformée en quelques décennies, sous l’effet de la mondialisation, de la transformation digitale et des crises successives.

Le décalage temporel RSE-marque employeur est forcément à l’origine d’une différence d’appropriation de ces concepts par les entreprises. Celles-ci ont accepté la RSE bien avant la marque employeur, mais le progrès reste en marche. Nous l’avons particulièrement remarqué lors de l’après-Covid.

Dans les années 1970, l’économiste Milton Friedman avance l’idée que la responsabilité sociale des entreprises est d’augmenter leurs profits. Selon lui, « il y a une et une seule responsabilité des affaires : utiliser ses ressources financières et engager des activités désignées à accroître ses profits ».

Bien que la RSE ne puisse être aujourd’hui résumée à cet aspect, il existe encore trop d’entreprises qui n’en ont pas pris acte et estiment que la communication se suffit à elle-même : le greenwashing reste courant. Or, les conséquences néfastes de ce type de politique ne sont plus à prouver. Les attentes sociétales sont de plus en plus réelles et affirmées au fil des générations. L’engagement public et la déclinaison du discours en action sont au centre de toutes les attentions. L’appareil législatif évolue aussi et, à terme, toutes les entreprises devront rendre compte de leurs impacts sur la société et l’environnement.

Heureusement, de plus en plus d’organisations sont impliquées dans la démarche avec innovation et proactivité, et se déclarent « entreprises à mission » de façon à formaliser leur politique RSE de façon statutaire.

Pour la marque employeur, un chemin similaire se dessine peu à peu. Si le sujet était à l’origine traité par les agences de communication, il est majoritairement passé aux mains des services RH. On comprend aisément pourquoi : attirer et fidéliser les talents est bien l’une de leurs fonctions de plus en plus prégnante. Mais on constate aussi, parfois, les mêmes travers que pour la RSE. De nombreuses entreprises cherchent à « tricher », à afficher une image qui n’est pas la leur. Le discours n’y est qu’un vernis. Or, je l’ai toujours dit, il devrait être authentique et refléter la réalité pour porter ses fruits.

Néanmoins, pour le concrétiser, il est nécessaire de mettre en place de véritables stratégies et de se tourner vers des modèles de finance durable. En effet, dans un contexte où l’économie sociale et solidaire se développe, les entreprises ne peuvent plus ignorer leur rôle sociétal. Les services financiers doivent désormais prendre en compte les critères « extra-financiers ».

De fait, le reporting RSE devient peu à peu obligatoire pour toutes les entreprises et tend de plus en plus à se rapprocher du reporting financier. Bientôt il n’y aura plus de frontière entre les deux, et les rôles économiques et sociétaux des organisations seront pleinement solidarisés. Cette réalité est déjà très forte pour de nombreuses sociétés. D’après une récente étude de PwC, 73 % des directions financières prévoient de faire évoluer leur modèle de pilotage à l’horizon 2026, afin d’intégrer les dimensions RSE.

La fonction économique de l’entreprise reste bien évidemment au cœur de ses activités, mais elle doit aussi évoluer. Elle ne peut plus se cacher derrière un simple discours. Pour la RSE comme pour la marque employeur, la communication reste la partie visible de l’iceberg. Le plus gros travail à effectuer est sur la partie immergée et nécessite une implication de tous. L’action humaine, à chaque niveau de l’entreprise, permettra de réinventer le travail de demain. λ

Interview : La grande impatience

Votre livre s’intitule La Grande Impatience (celle des collaborateurs) : quelle est la nature de cette impatience ?

Depuis plusieurs mois, les articles et les études se succèdent pour décrire une société française fatiguée et démoralisée. Dans l’entreprise aussi on observe une distance vis-à-vis du travail, et un certain fatalisme. Dans ce climat généralisé d’insécurité et d’individualisme, je pense qu’il y a aussi de la place pour de nouvelles formes d’engagement. L’impatience est partout, car il y a une forme de trop-plein, un besoin de changement. Un besoin de sentir qu’on ne subit pas tout. Qu’on peut soi-même être utile, qu’on n’est pas seul, qu’ensemble on est plus forts. Bref il y a un besoin de liens et de collectif. On le voit dans le repli de chacun vers sa famille, ses amis, son couple, sa communauté. Je voulais montrer qu’il me semblait facile de restaurer cela dans le monde de l’entreprise. Très souvent des solidarités existent au niveau des équipes. Mais, précisément parce que l’entreprise est cloisonnée, ces liens se limitent à une petite échelle.

Capitalisme, responsabilité des entreprises, impact, profits à tout prix… Les collaborateurs le savent : c’est la fin d’un modèle. Quand l’avez-vous perçu ? Et si les salariés et les parties prenantes ne « poussaient pas », certaines entreprises seraient-elles aujourd’hui quand même en situation de transition ?

Les grandes entreprises sont pointées du doigt par les ONG et les médias pour leur rôle dans la crise écologique. Certains jeunes diplômés de grandes écoles appellent à une désertion des grandes entreprises et plaident pour une « sobriété professionnelle » en travaillant moins et dans des structures alternatives, au service de l’environnement. La question que cela pose : si l’on se met à l’écart de la société, comment participer à la changer ? Les grandes entreprises peuvent avoir un impact positif puissant sur la transition écologique, mais elles auront besoin de talents engagés pour faire avancer leur œuvre collective dans le bon sens pour notre planète.

Vous dites que les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement. Pouvez-vous nous expliquer en quoi ?

La reprise en main des grandes entreprises par les actionnaires, depuis les années 1970, a incité leurs dirigeants à privilégier des stratégies rentables à court terme, fût-ce au détriment du bien commun et de l’environnement. La multiplication des mécanismes de contrôle des dirigeants ainsi que des cadres, des règles et des process écarte les collaborateurs du cœur de métier de l’entreprise. L’œuvre collective y perd son sens. Les sujets RSE participent du renouveau de l’engagement, précisément parce qu’ils imposent un temps long.

On peut lire un joli passage sur les « bullshit jobs » : en quoi les responsables RSE et autres responsables Employee Experience peuvent-ils être préservés de cette critique ?

La crise liée au Covid a mis en lumière les métiers vraiment indispensables à la société, provoquant une quête de sens chez de nombreux salariés des grandes entreprises dont le métier et le rôle ne semblent pas toujours aussi essentiels pour nos vies. La question que cela pose : cette course au sens ne nous a-t-elle pas fait perdre la notion même de ce qu’est le sens au travail ? Participer à une œuvre collective plus grande que soi dans une entreprise, même si cette œuvre ne répond pas à une urgence vitale, devrait contribuer pleinement à donner du sens au travail.

Développement durable et responsabilité sociale et environnementale sont incontournables dans la communication et le fonctionnement d’une entreprise. Le message de l’urgence climatique n’est-il pas brouillé dans les autres sujets RSE : inclusion, égalité, solidarité, culture… ?

Non, on le voit bien avec les critères ESG [environnementaux, sociaux et de gouvernance], qui prennent en compte par exemple le niveau de réduction des émissions de CO2 mais aussi le turnover ou le nombre de procès aux prud’hommes… Non seulement ces sujets sont liés, mais il faut maintenant unifier ces critères à l’échelle européenne et créer un impact score ESG des entreprises qui prendrait en compte le coût des externalités négatives sociales ou environnementales.

Vous écrivez une belle phrase : « La planète est un bien commun, l’entreprise aussi. » Comment associer les deux dans une mission vertueuse ? Selon vous, « l’idée de faire œuvre utile, de participer à quelque chose de plus grand que soi participe pleinement du sens au travail » ?

Les collectifs d’entreprise sont une belle illustration de mission vertueuse au service du bien commun : Ecowatt, en 2022, ou Le collectif pour une économie plus inclusive, depuis 2018, qui a permis d’améliorer rapidement les achats inclusifs, la production durable, l’insertion… L’entreprise est un espace qui a le pouvoir d’influer sur le cours des choses, sur les enjeux sociétaux et environnementaux. Pour cela il faut inscrire la compétitivité de l’entreprise dans le temps long. L’impératif de croissance perpétuelle ne répond plus aux enjeux qui sont devant nous. Au coût psychologique lié à la sobriété, il faut opposer les coûts engendrés par la dégradation de l’environnement : pollution, incendies, cancers… Le réengagement au travail passe aussi par la reconnaissance des efforts, le fait que chacun ait voix au chapitre, que la valeur soit partagée…

Les exigences de productivité, les process, la digitalisation et, maintenant, l’IA : tout cela ébranle le « concret » attendu par les salariés. Comment redonner du sens, voire ramener du calme dans tout cela ?

Si Milton Friedman était convaincu que le rôle de l’entreprise était de faire le plus d’argent possible pour ses actionnaires, on a compris depuis la crise de 2008 que la théorie a atteint ses limites. Un rééquilibrage est nécessaire, comme l’ont signifié Muhammad Yunus (Building Social Business) ou Jean Tirole (Économie du bien commun) il y a déjà plusieurs années. Mais si la volonté de manager par les valeurs est désormais affichée, on observe en effet un renforcement des contrôles et la multiplication des reportings. Plus les crises s’accumulent, plus on entretient l’illusion de maîtriser les risques. Ce triomphe de la « gouvernance par les nombres » se fait au détriment d’une dimension incalculable mais essentielle du travail : la créativité. Permettre à chaque salarié de comprendre comment il peut à sa manière augmenter son impact dans l’entreprise est une voie intéressante pour lui donner envie de participer efficacement au succès collectif. Reconnaître les singularités de chacun en est une autre. Encourager solidarité et partage entre les générations est aussi important dans cet univers de l’entreprise qui est un des rares lieux où coexistent quatre générations.

Un passage intéressant aussi concerne la langue managériale. « Elle a perdu pouvoir et crédibilité », selon vous. Que s’est -il passé ? La communication managériale sur l’entreprise respectueuse de l’environnement n’est pas tout le temps sincère… Comment faire la différence ?

On n’a jamais autant parlé de « raison d’être », mais si l’entreprise tient un discours qui ne s’incarne pas dans ses modes de management et de partage de la valeur, le fossé se creusera davantage entre les promesses et la réalité, jusqu’à laisser s’installer la défiance. Une défiance du type de celle que l’on observe vis-à-vis du monde politique. Les difficultés de recrutement, les formes de désengagement qui se multiplient nous interrogent et nous obligent. Les dirigeants d’entreprise comme les politiques se disent attentifs à la parité et à la diversité, mais, dans la pratique, la standardisation prime, les organisations sont de plus en plus normatives, et l’expression de toute créativité est de plus en plus limitée. Les paroles doivent être lisses, les doutes dissimulés, et les critiques avalées. Ma conviction, c’est que pour susciter de l’engagement l’entreprise doit redevenir un espace où la liberté et la confiance sont possibles. Cela passe aussi par un discours de vérité et de transparence.

La question de l’utilité du travail est au centre de la grande impatience que vous diagnostiquez. La RSE est-elle l’une des solutions ?

Avec le télétravail, la demande croissante de liberté et d’autonomie a conduit en 2021 à la création de 1 million d’entreprises, essentiellement des micro-entreprises, souvent des petits boulots qui traduisent une nouvelle forme de précarisation du travail, sans apporter de sécurité, et en favorisant le repli sur soi. Le télétravail a fait disparaître la dimension collective de la sphère professionnelle, les temps informels, l’entraide, la solidarité… Il a aussi généré un monde du travail à deux vitesses qui augmente les inégalités. La RSE est l’une des « solutions » parce qu’elle incarne un engagement collectif, mais on voit bien que la question de l’utilité passe par la compréhension de son impact individuel. Comprendre la finalité de ce que l’on fait, dans une perspective de temps long, avec la conviction de contribuer utilement à l’effort collectif, c’est essentiel.

Quel est le bon signal pour une entreprise : à quelle place la préoccupation climatique et la décarbonation doivent-elles être mises  ? Au niveau de la direction, du comité exécutif, des RH, des finances ?

Elle doit être à tous les niveaux dans l’organisation, mais les convictions du CEO et son engagement font la différence.

Comment faire pour que les collaborateurs refassent leurs la mission et la culture de leur entreprise ? D’ailleurs, l’attachement à l’entreprise n’est-elle pas une valeur dépassée ?

Je pense que pour que la société soit vivable la relation aux autres doit être au minimum satisfaisante, dans sa vie professionnelle comme dans sa vie privée. Or depuis la pandémie, les priorités ont changé. Le point extrêmement positif, c’est que plus personne n’a envie de tout sacrifier, soit à son travail, soit à sa vie personnelle. L’équilibre entre les deux est devenu essentiel. Nous sommes dans cette période charnière qui voit la confiance devenir le point de bascule. La confiance dans sa valeur propre, dans son avenir, dans la reconnaissance que les autres peuvent vous témoigner. Je pense que la confiance passe par la proximité, l’entraide, l’écoute. Dans le monde du travail, elle passe aussi par la manière dont on comprend son rôle dans une organisation, et par la valorisation de ce rôle. C’est cela qui est au cœur de la question du sens au travail : la reconnaissance.

Les consommateurs, les salariés, les parties prenantes « poussent » pour que leur entreprise soit « responsable », défende des valeurs, se transforme en profondeur… Les « raisons d’être » et les statuts de « société à mission » sont-ils des bons indicateurs ? Sont-ils utiles, suffisants ou déjà dépassés ?

Pour l’entreprise, s’inscrire dans une action responsable est un enjeu d’attractivité, de crédibilité et même de survie. Pour le public, toutefois, l’engagement des entreprises reste largement insuffisant, encore souvent considéré comme l’instrument d’une posture au service de l’image employeur. En cause : la confusion entre « responsabilité sociale » et « réceptivité sociale », qui fait énoncer des raisons d’être en écho à des idéaux et qui se révèlent éloignées de l’objet de l’entreprise. Or la définition de la raison d’être constitue une opportunité unique de réinscrire le métier de l’entreprise dans son utilité pour la société. La valeur de l’œuvre collective s’en trouve alors éclairée sous un nouveau jour.

On parle beaucoup d’entreprise « résiliente », « régénérative » : qu’est-ce que cela vous évoque ?

L’idée que l’entreprise incarne un projet collectif et en porte la responsabilité, en participant au bien commun.

L’idée aussi que le local rassure : l’échelon local donne le sentiment que ses intérêts propres seront mieux pris en compte. C’est une échelle à laquelle il est plus facile d’avoir un impact mesurable.

L’entreprise est donc bien moteur d’un changement. Et les politiques, alors ?

Les jeunes, spécifiquement, veulent donner leur temps à des entreprises qui ont un impact positif sur l’environnement et la société  : ils se rendent compte que leurs entreprises tentent de faire moins mal, mais que ce n’est pas suffisant. D’où l’impatience. C’est à la fois un désenchantement mais aussi le sentiment d’être impuissant à pouvoir réellement faire évoluer le modèle économique. Le bruit ambiant dans lequel on évolue, celui des opinions et du déclinisme, prend le dessus sur le vivre-ensemble. Or le vivre-ensemble suppose d’arrêter d’attendre quelque chose des institutions, de ne pas se contenter d’un civisme ordinaire. La politique des petits pas est préférable à l’indifférence, dans l’entreprise comme à l’échelle de la société.

Au boulot, pourquoi la génération Z a tout compris

La dernière enquête Opinion Way réalisée pour le compte d’Indeed et portant sur le rapport des plus jeunes au travail dresse un portrait à contre-courant des collaborateurs appartenant à la génération Z.

En effet, les 1 138 salariés français interrogés (dont 335 âgés entre 18 et 30) se montrent plutôt dubitatifs envers leurs plus jeunes collègues, qu’ils jugent positivement exigeants (pour 65 % d’entre eux), confiants (61 %), détachés (56 %), que ce soit envers les entreprises (51 %), ou envers leurs collègues (44 %).

Les plus jeunes sont également plus enclins à faire des commentaires sur leur entreprise sur les réseaux sociaux et à la quitter par inadéquation de valeurs. 20 % des 18-30 ans ont en effet avoué avoir déjà critiqué leur entreprise sur les réseaux sociaux, contre 16 % des plus de 30 ans, et ils sont 18 % à avoir médiatisé leur démission sur les réseaux, contre 11 % des plus de 30 ans. 71 % des 18-30 ans déclarent également être restés dans leur emploi alors qu’ils étaient complètement démotivés, et 41 % des personnes de cette tranche d’âge interrogées affirment avoir quitté volontairement une entreprise en raison d’inadéquation de valeurs, contre 35 % des plus de 30 ans.

Pour expliquer cette contradiction d’une génération Z à la fois très exigeante et plus rapidement lassée, Indeed avance le décalage certainement trop grand entre d’un côté les attentes de sens et d’épanouissement et de l’autre la réalité de ce que le monde du travail peut leur proposer. Un constat que partagent une grande majorité des personnes interrogées, puisqu’elles sont 60 % à affirmer que les plus jeunes salariés recherchent des perspectives réjouissantes pour s’investir dans leur travail…

Comment réussir à se déconnecter pendant les vacances ?

Il est primordial d’arriver à lever le pied pendant ses vacances, pour se ressourcer et préserver son équilibre de vie. Chaque salarié peut faire valoir son droit à la déconnexion (article L2242-17 du Code du travail). Rencontre avec Valérie Lacoste, Directrice de la practice Technologies et Digital au sein du groupe Oasys & cie.

Face à la frontière poreuse entre vie professionnelle et vie privée, comment arriver à se déconnecter ?

La connexion permanente avec l’entreprise est un phénomène bien documenté, et ce sentiment de sur-sollicitation est amplifié lorsque l’on s’éloigne physiquement de son lieu de travail. Ainsi, en vacances, l’une des principales difficultés à se déconnecter réside dans l’acceptation de ne pas être informé de tout. Il est important d’intégrer que l’information peut être partagée au sein de son équipe, en privilégiant la délégation et le partage des responsabilités. Une fois que ce prérequis est intégré, le travailleur peut alors se permettre de faire le vide pour se détendre pleinement. Pour une régénération complète, il est essentiel de faire le plein d’énergie et de nouvelles ressources. Deux éléments clés contribuent à cette régénération : l’aération et l’inspiration. L’aération consiste à briser les routines, à abandonner les habitudes pendant les vacances. L’inspiration, quant à elle, implique de lâcher prise et de s’ouvrir à la liberté et à la découverte.

En quoi la déconnexion durant les vacances peut venir alimenter les pratiques managériales ?

Durant cette période estivale, l’adoption d’une approche différente de la temporalité peut favoriser l’instauration de comportements propices au lâcher-prise et à une posture réfléchie dans la gestion quotidienne. En se déconnectant, les salariés laissent libre cours à leur imagination, leur créativité et leur sensibilité. Cette ouverture d’esprit peut créer de nouveaux espaces de découverte, de réflexion et de prise de décision. Par ailleurs, l’exploration de nouvelles activités sportives, créatives ou artistiques stimule l’audace et la spontanéité. Ces expériences renforcent leur capacité à adopter un style de management plus créatif, favorisant une acceptation plus marquée du risque.

Comment intégrer la déconnexion à sa routine professionnelle ?

Intégrer la déconnexion dans sa routine professionnelle est essentiel pour maintenir un équilibre sain entre vie personnelle et vie professionnelle. Il faut planifier et organiser des moments sacrés, des « bulles personnelles », où la déconnexion est privilégiée. Ces moments réguliers offrent l’occasion de réinitialiser son état d’esprit, de regagner de l’énergie et de trouver de nouvelles idées. Ensuite, la déconnexion peut s’intégrer naturellement dans son quotidien professionnel, pour veiller à établir un équilibre adéquat avec notre vie personnelle. Il est crucial de disposer de moments de déconnexion totale en dehors des heures de travail pour maintenir cet équilibre essentiel.

Quelques conseils pour se déconnecter ?

D’abord, il est utile de prévenir tous ces contacts internes et externes avant son départ en vacances pour régler les derniers sujets. Ils seront également au courant de vos dates d’absence et ne les perturberont pas, sans raisons urgentes. Dans le message automatique d’absence que vous aurez paramétré depuis votre boîte e-mail, précisez bien qui il est possible de contacter pendant votre période de congé. Bien entendu, cela veut dire que vous avez identifié auparavant cette personne et vous lui avez donné accès à toutes les informations nécessaires. Faites de même avec votre messagerie téléphonique et désactivez la fonction permettant de laisser un message. Désactivez également l’ensemble de vos notifications que cela soit celles des boîtes email ou whatsapp de plus en plus utilisé dans le monde professionnel. Ainsi, vous ne serez pas tenté de consulter les messages et d’intervenir. Si vous ne voulez pas vous tenir au courant de l’actualité, faites de même avec les applications des journaux professionnels. Se ressourcer, c’est aussi avoir l’esprit serein et peut-être que votre fonction ne vous permet pas de vous déconnecter totalement pendant plusieurs semaines. A ce moment-là, faites en sorte de traiter uniquement vos messages téléphoniques de la part de la personne qui vous remplace. Elle seule, jugera l’importance de vous déranger. Et enfin, profitez !

Deux salariés français sur trois seraient heureux dans leur travail

SD Worx, spécialiste européen de la paie et des RH, a voulu connaître à travers son enquête « A Worker’s Journey »[1], l’état d’esprit des salariés vis-à-vis de leur travail en ce début d’année 2022. « Blue Monday » ou pas, les salariés français semblent généralement heureux au travail, 59% en seraient fiers et plus de la moitié (52%) le considère comme une passion.

Le « Blue Monday », le jour le plus déprimant de l’année, tombera le 17 janvier prochain. Pour la plupart des gens, il représente à la fois le premier jour de la semaine et une période qui fait suite aux fêtes de fin d’année et parfois aux vacances. Et même si les bonnes résolutions ont été prises (et parfois déjà abandonnées), le temps est morose et les prochaines vacances au soleil sont encore loin.

Pourtant, au travail, les choses ne se passent pas si mal et de nombreux employeurs parviennent encore à maintenir le niveau de satisfaction et d’engagement de leurs employés. L’enquête SD Worx « A Worker’s Journey », révèle qu’environ 59 % des salariés français apprécient leur travail. Ils sont 79 % aux Pays-Bas, 66 % en Belgique, et enfin 64 % en Allemagne. C’est au Royaume-Uni qu’ils sont les moins enthousiastes avec seulement 53 %.

D’après Patrick Barazzoni, Directeur Général chez SD Worx France : « Seuls 2,4 % des salariés européens ne prendraient pas de plaisir au travail. La fréquence varie évidemment d’un pays à l’autre, mais pour la majorité des collaborateurs, travailler reste quelque chose de plaisant. Ce constat est particulièrement positif, et montre à de nombreux employeurs qu’il est possible d’offrir à leurs employés un travail stimulant et varié dans un environnement agréable. »

61% des salariés français trouvent leur travail utile

Non seulement les salariés ont à cœur que leur travail soit agréable, mais aussi qu’il soit utile. Ce serait d’ailleurs le cas pour 61 % des salariés français (et 68 % en Europe). Aux Pays-Bas, pas moins de 8 salariés sur 10 considèrent leur travail comme utile au moins une fois par semaine, contre 71 % en Belgique, 69 % en Allemagne et seulement 58 % au Royaume Uni.

Le fait d’être passionné ou fier de son travail est également un axe intéressant à étudier quand on veut en savoir plus sur le degré de satisfaction des salariés. Au total, 68 % des Européens actifs (et 60 % des actifs français) sont fiers de leur travail chaque semaine, et cette tendance est à peu près la même dans l’ensemble des pays qui figurent dans l’étude. Ce pourcentage dépasse 60 % dans tous les pays. Une fois de plus, les Pays-Bas obtiennent le meilleur score avec 77 %.

Patrick Barazzoni poursuit : « très majoritairement, les salariés français sont passionnés par leur travail, et sont par conséquent particulièrement engagés dans leurs tâches du quotidien ».

Mêmes s’ils sont engagés, les Français sont 34 % à penser que leur travail est mentalement stressant

De façon générale, plus d’un salarié sur trois ressent une trop grande pression mentale dans son travail au moins une fois par semaine. Par ailleurs, ils sont presque 20 % à éprouver ce sentiment au moins plusieurs fois par semaine en France. Ce pourcentage est plus élevé sur le marché du travail belge (41 %), contrairement au Royaume-Uni (36 %), à l’Allemagne (35 %), et aux Pays-Bas qui se situent tous aux alentours de la moyenne européenne (36 %).

Un salarié sur 4 subit également des contraintes physiques liées à son travail une ou plusieurs fois par semaine. En France, c’est le cas pour 3 salariés sur 10. Vient ensuite le Royaume-Uni avec 28% des salariés, puis la Belgique avec 27%. Ce chiffre est légèrement inférieur en Allemagne et aux Pays-Bas (22%).

« Bien que la plupart des résultats de l’enquête semblent traduire un certain degré de satisfaction professionnelle chez les salariés européens, le travail reste encore stressant et difficile pour un bon nombre de collaborateurs. Dans ce contexte actuel si particulier, le bien-être des employés devrait figurer en tête des priorités pour les entreprises. Une autre enquête menée par SD Worx avait déjà souligné qu’il s’agira de l’un des principaux défis auxquels seront confrontés les responsables RH dans les années à venir », conclut Patrick Barazzoni.

Les vertiges de l’(in)utile

Nous faisons tous un travail pour une raison. Par habitude, par nécessité, par hasard, parce que la vie nous a poussés là, parce qu’on a suivi ce qu’on nous a dit… Cette réalité fait partie de notre vie, et nous avons à l’habiter du mieux possible. La clé pour cela est toujours le sens, le sens que l’on donne à ce travail qui occupe tant de notre vie. Si ce sens est toujours très personnel, il est alimenté par plusieurs sources, et la société n’est pas d’une moindre influence. Après-guerre, le sens donné au travail était de faire repartir l’économie du pays. Dans les années 1980, c’était de gagner de l’argent. Aujourd’hui le but, et parfois même l’injonction, c’est que le travail ait du sens.

Ce qui introduit une question : qu’est-ce qui dit que cela a un sens ou non ? Quels sont les critères du sens ? Avec le Covid, où presque toute l’activité s’est arrêtée, cela nous a démontré et fait vivre dans notre quotidien que certaines choses étaient utiles, vraiment utiles, et d’autres pas, voire pas du tout. Cela nous a confrontés à cette réalité : tout travail ne produit pas nécessairement quelque chose d’utile. Il y a encore deux cents ans, si avoir un métier inutile était rare, la société d’hyperconsommation orientée sur les loisirs en est truffée. Et cela peut donner le vertige. Car les critères de sens pris « à l’extérieur » ne tiennent plus, n’ont plus la même cohérence et n’assurent plus à l’être le même soutien.

Où chercher ce soutien ? Ce sens (re)trouvé dans son travail qui en fait une source de satisfaction, car il est une expression de soi ?

La réponse est à l’intérieur. Quand l’extérieur ne donne plus de réponse parce qu’il bouge trop, c’est une occasion en or d’aller chercher de la stabilité en soi. De nous poser la question de nos piliers intérieurs conscients et non conscients sur lesquels nous nous sommes construits.

Ce qu’est le travail pour soi part toujours du cadre de référence dans lequel on a grandi. Qu’on le veuille ou non, quand nous apprenons à parler, nous prenons par mimétisme l’accent de nos parents, de notre entourage. Il en est de même pour ce qui est pour nous un « bon travail » ou un « mauvais travail ». Cette vision du monde est présente en chacun de nous, par construction, et on ne peut échapper à cette situation de départ. Pour autant il est possible d’en faire évoluer le cadre, de l’ajuster en fonction de soi aujourd’hui, et ce, en prenant conscience de la conception du travail avec et dans laquelle on a grandi. Quels étaient les métiers autorisés dans la famille, et ceux dévalorisés ou dont on ne parlait pas ? Quelles ont été les injonctions reçues, de manière non verbale, non explicite ? De quoi ne parlait-on pas ? Dans certaines familles, faire des études supérieures n’est jamais envisagé, dans d’autres, ne pas faire d’études supérieures n’est pas une possibilité. Et cela n’a rien à voir avec le bonheur dans le travail, cela a à voir avec les stratégies mises en place et valorisées de manière consciente et inconsciente dans notre famille pour être heureux.

Cette notion d’utilité du travail est aussi largement influencée par notre cadre de référence familial. Pour certaines familles, un travail utile est un travail qui aide les gens, pour d’autres, ce sera celui qui fera tourner l’économie, et pour d’autres encore, ce sera un travail manuel parce qu’à la fin de la journée « quelque chose a été produit ». Aucune de ces manières de voir n’est parole d’Évangile, et chacune est vraie à un certain niveau. La question est d’identifier celles dont vous avez hérité. Les sources de cet « héritage » sont nombreuses : la famille bien sûr, les études, et aussi les rencontres, le milieu professionnel dans lequel on évolue, etc. Le travail est un formidable lieu d’expression de qui l’on est, et cela, indépendamment du contenu. Ainsi on peut très bien être gestionnaire dans un métier dit créatif et créatif dans un métier dit de gestion.

Je ne suis pas mon travail, pourtant mon travail c’est moi

Même si un jardin ressemble toujours à son jardinier, le jardinier n’est pas le jardin. Ni le jardinage. Quand je regarde mon travail, mon jardin, je vois alors l’expression de qui je suis aujourd’hui. Ce travail que je fais, visible et extérieur à moi, me donne l’occasion de voir en miroir qui je suis, et me confronte aussi aux choix que je fais pour nourrir qui je suis.

De fait, le travail est un lieu privilégié d’expression de soi, de son identité. Cette identité est mouvante, et nous pouvons la choisir, l’alimenter de manière consciente. Si je suis gestionnaire, comment puis-je mettre plus de gestion dans mon activité ? Si je veux être utile, comment puis-je mettre plus d’utilité dans ma vie, que cela passe ou non par le travail rémunéré ?

Quand je mets de la conscience et de l’énergie à faire qu’il y ait plus de moi dans mon travail, alors je reçois un double cadeau : travailler devient à la fois un lieu d’expression de qui je suis, et source d’énergie et de satisfaction, car cela est en phase avec mon identité.

C’est cette rencontre, et cette attention à permettre, à nourrir cette rencontre qui va nous motiver, et nous donner l’élan de travailler. Parce que cet élan aura été regardé, choisi et alimenté. Quand le travail devient un lieu d’expression de mon identité, alors le faire n’est plus sujet au vertige d’une (in)utilité dictée par l’extérieur ou par notre héritage culturel.

Travailler devient un lieu d’expression de soi, de sa puissance. Notre job à chacun d’entre nous est non pas de trouver LE travail qui répond à toutes nos attentes, mais d’habiter et de choisir notre travail en conscience afin qu’il alimente qui nous avons envie d’être.

Flexibility made in Britain

Après avoir reçu les recommandations d’un groupe de travail tirant le bilan de la crise sanitaire sur l’organisation du travail, le gouvernement britannique souhaite inciter les entreprises à adopter après la crise des modes de travail hybrides et à favoriser la flexibilité, notamment à travers le télétravail, dont 71 % des entreprises admettent qu’il a dynamisé la productivité.

La principale décision serait de donner le droit à chaque employé, dès son entrée dans une société, de demander à organiser son travail de manière flexible, alors qu’il doit aujourd’hui avoir une ancienneté d’au moins six mois pour y prétendre.

Travailler en Ehpad au temps du Covid

Aides-soignants ou auxiliaires de vie, intervenant dans des établissements ou au domicile des personnes dépendantes : chez ces professionnels, la lassitude et la souffrance s’expriment quotidiennement, et les raisons en sont à la fois multiples et connues de tous.

« Les risques psycho-sociaux en Ehpad sont pratiquement inhérents à l’activité elle-même, résume une ancienne directrice d’établissement de soins qui n’a pas souhaité que son nom soit cité. Le travail est exigeant, les enjeux sont graves, le personnel est confronté en permanence à la maladie, à l’isolement et parfois au décès des résidents… Bien sûr beaucoup sont en souffrance, d’ailleurs le taux d’absentéisme est très élevé dans ces structures. »

Dans les établissements, c’est souvent le manque de temps et de personnel qualifié qui pèse le plus aux salariés, au point de compliquer l’accomplissement de la moindre tâche. « La distribution des médicaments, par exemple, est un casse-tête, poursuit l’ex-directrice. En théorie, la dose de chaque patient doit être préparée dans une salle à part, au calme. En pratique, la personne qui s’en charge est interrompue en permanence. Ensuite, certains patients ont du mal à prendre leurs médicaments, et en milieu de journée vous retrouvez des comprimés par terre… C’est une des nombreuses “situations-problèmes” que j’avais identifiées en m’appuyant sur les méthodologies développées par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il y en a, hélas, beaucoup d’autres. »

Quant aux professionnels qui interviennent au domicile des patients, environ 3 millions de salariés, leur sort n’est pas plus enviable. « Ces personnes, des femmes à 91 %, commencent leur journée à 6 h 30, détaille Lucas Fialaire, cofondateur en 2019 de la société Keradom, qui propose de digitaliser le recrutement et la formation des professionnels de l’aide aux personnes dépendantes. En milieu de matinée leur travail est terminé et il ne reprend que vers 16 heures, jusqu’à 20 heures. Mais, comme les salaires sont très bas (le smic pour une auxiliaire de vie) et qu’à peine un tiers d’entre elles sont défrayées de leurs kilomètres, elles ne rentrent pas chez elles, patientent sur des parkings de centres commerciaux… »

« Le métier ne fait pas rêver. Les salaires sont bas parce que les tarifs fixés par les départements sont faibles, et les perspectives d’évolution professionnelle, médiocres, développe Lucas Fialaire. Résultat : il manque aujourd’hui 200 000 personnes qualifiées, et le chiffre sera de 500 000 en 2040, tandis que les écoles sont vides. » Une étude menée en 2010, la dernière en date sur ces professions, relevait aussi que le métier d’auxiliaire de vie et d’aide à domicile comptait le plus fort taux d’arrêts de travail, devant le BTP.

Le tableau était donc déjà bien sombre lorsque la pandémie de Covid-19 a commencé à se répandre. Un virus dont on a découvert rapidement qu’il était particulièrement dangereux pour les personnes âgées ou à la santé déjà fragile – la fameuse notion, passée dans le langage courant, de « comorbidité ». De nouveau, les professionnels de l’aide aux personnes dépendantes se sont trouvés en première ligne, souvent dans des conditions déplorables. Dans les Ehpad, il a fallu organiser les visites des familles, isoler les éventuels patients positifs, gérer la situation de membres du personnel potentiellement exposés au virus lorsqu’ils quittaient l’établissement.

Pour le personnel effectuant des visites à domicile, il a d’abord fallu faire avec la pénurie généralisée de masques et de gants. Fallait-il prendre le risque de visiter les patients à risque malgré tout ? Tenir compte de l’avis des familles qui ne souhaitaient plus qu’une personne âgée ouvre sa porte ? Insister face aux personnes dépendantes réticentes, ou « oubliant » de signaler qu’elles étaient cas contact ?

Les premiers mois ont été difficiles. « Pour les personnels qui vont au domicile des patients, souligne Lucas Fialaire, la consigne a été de ne plus passer à l’agence qui les emploie pour éviter le “brassage.” Les gens se sont donc retrouvés seuls, ne pouvaient plus échanger avec leurs collègues ou leur hiérarchie, décompresser… » En Ehpad, des mesures drastiques et souvent inapplicables ont été annoncées à mesure que la pandémie progressait. La dernière salve date de novembre 2020, avec une liste de consignes rendues publiques par la ministre déléguée chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon : dépistage hebdomadaire systématique pour le personnel, visites des proches strictement encadrées, installation de « sas de déshabillage » à l’entrée, maintien en poste des salariés testés positifs mais asymptomatiques s’ils étaient jugés « non remplaçables »… Des mesures difficiles, alors que plus de 1 600 Ehpad, soit 1 sur 5, recensaient au moins un cas de Covid parmi ses pensionnaires.

Puis est arrivée la question de la vaccination, dont les personnes âgées sont censées bénéficier en priorité. « On demande aux structures de vacciner, de recueillir le consentement, de recruter du personnel pour des dates précises, et au final, souvent, les doses ne sont pas livrées le jour dit », résume Lucas Fialaire. Une tâche d’autant plus compliquée que, selon un sondage publié en février 2021 par l’entreprise Bluelinea, spécialisée dans la téléassistance pour les seniors, si 40 % des pensionnaires d’Ehpad veulent être vaccinés, 40 % n’ont pas fait leur choix, et 20 % refusent catégoriquement. Quant au personnel, qui est lui aussi censé être prioritaire, tous ne sont pas sur un pied d’égalité : si les soignants doivent effectivement bénéficier rapidement du vaccin, rien n’est prévu pour les auxiliaires de vie.

Et pourtant la pression est forte : le 9 février, un avocat parisien a annoncé pour la première fois le dépôt d’une plainte pour « homicide involontaire » contre un hôpital de la capitale, à la suite du décès d’un patient octogénaire admis pour une pneumopathie et dont la famille estime qu’il n’a pas reçu les soins adéquats.

Face à un tel tableau, parler de « qualité de vie au travail » relèverait presque de la provocation, et les recruteurs en sont conscients. L’âge moyen des professionnels du secteur est de 48 ans, et même de 51 ans en zone rurale. Départs à la retraite et reconversions aidant, ce sont 4 millions de postes qu’il faudra pourvoir d’ici à 2040, et les profils qualifiés n’existent pas en nombre suffisant. « Tout le monde le sait, c’est une vraie bombe à retardement. Aujourd’hui déjà, 20 % des demandes d’accompagnement déposées par les familles sont refusées, faute de personnel disponible », martèle Lucas Fialaire.

Des solutions ? Dans les structures comme les Ehpad, on estime qu’il faut commencer par travailler sur le management. Comprendre les conditions de travail réelles du personnel, privilégier la discussion et les échanges de groupe, veiller à remplacer les salariés absents. Plus largement, c’est surtout la question de la revalorisation de ces professions qui se pose. Une revalorisation qui passe largement par la formation, afin de faire évoluer des professionnels qui débutent souvent tout en bas de l’échelle. Sans doute en recourant plus massivement à l’enseignement à distance et à l’e-learning.

« Le monde d’après » : pour les salariés aussi ?

Chance et YouGov ont réalisé une étude sur les motivations des salariés après le confinement du printemps. 

63 % des sondés estiment que leur travail manque de sens. 75 % se déclarent motivés à l’idée de changer de travail s’ils
gagnent en équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie personnelle.

Les raisons de se reconvertir sont : la diminution du stress (66 %), la volonté de changer de région (41 %), le besoin de reconnaissance (72 %) chez les femmes, 64 % chez les hommes) et l’envie de se lancer de nouveaux défis (75 %).

Parmi les freins à la reconversion : on trouve l’âge (39 % chez les femmes et 35 % chez les hommes), la crainte de ne pas avoir l’expérience nécessaire (31 %) et le changement de rythme de travail (27 %).

Osons l’optimisme !

Finalement, je m’y risque parce que c’est le sentiment qui m’a envahie quand j’ai découvert le contenu de ce magazine. Chaque jour, des salariés et des professionnels agissent avec la conviction qu’ils peuvent participer à leur contemporanéité et améliorer la société en améliorant leurs sociétés. Les mettre en avant dans un même magazine est formidable pour notre moral !

Plus que jamais le “vivre ensemble” est un sujet au cœur de toutes les préoccupations sociétales. Ainsi, la qualité de vie au travail se doit d’être envisagée par l’entreprise comme un devoir citoyen. Il n’est plus l’heure de se cacher derrière des “réglementations” et d’attendre des textes normalisant le “bien-être” au travail. Il y a urgence à agir pour le définir comme une colonne vertébrale de l’entreprise.

À l’heure de la distanciation sociale qui nous fait risquer une société en perte de liens, c’est aujourd’hui que l’entreprise doit se rappeler de sa puissance en tant que collectif. Une responsabilité citoyenne s’impose à chaque salarié qui se doit de veiller sur ses collègues, parfois isolés dans leur vie personnelle.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire peser une injonction de plus sur des managers ou des DRH eux-mêmes souvent en souffrance. L’entreprise doit simplement rappeler à chaque salarié qu’il a un rôle à jouer dans le bien commun. Une culture d’entreprise ne se décrète pas mais se crée ensemble. Hélas ! La cocréation s’apprend rarement à l’école, on y stimule plus la quête du “bon point” que l’écoute des autres.

Par ailleurs, la passivité vécue en classe se traduit à l’âge adulte par des collaborateurs “consommateurs” de leur entreprise plutôt que parties prenantes. Avouons que les managements pyramidaux infantilisants n’arrangent rien.

Si je suis optimiste, c’est que je suis convaincue que le moment que nous vivons va permettre aux salariés de se rendre compte de leur importance dans le collectif. Souvent, je m’interroge sur ce terme : “travail”. Je me rêve à penser qu’il suffirait de remplacer le mot “travailler” par le mot “œuvrer” pour que chacun prenne la mesure de sa mission et que le narratif du collectif soit réinventé. C’est sur cette question que je vous retrouverai dans le prochain numéro.

 

Voir aussi : Managers, prenez soin de vous !

Et si l’entreprise n’était plus un lieu physique ?

En raison de la crise sanitaire que nous sommes en train de traverser, le télétravail semble s’installer durablement dans les mœurs des entreprises. Certains se réjouissent de cette évolution en ce qu’elle consacre une évolution manifeste du management : ce qui compte, désormais, c’est ce que l’on fait et non le lieu où on le fait. Mais quel impact sur notre vision de l’entreprise ? Jusqu’à aujourd’hui, les locaux de l’entreprise étaient le lieu de cet échange “travail contre salaire”, qui a lieu entre le salarié et son entreprise.

Désormais, le travail s’effectue de plus en plus en dehors de la zone de contrôle du manager de proximité qui représente l’entreprise pour le salarié. Est-ce à dire que les “adresses” des sièges sociaux d’entreprise vont bientôt devenir de simples boîtes aux lettres, des coquilles vides ? Quel impact sur le sens du travail et du collectif lorsque nous envisageons des “entreprises-cloud”, sans locaux ou presque ?

Certes, quand nous parlons d’“entreprise” comme “lieu du travail”, notre modèle de référence reste marqué par les représentations issues des épopées industrielles et entrepreneuriales de la première révolution industrielle. Celle-ci avait déjà profondément changé la nature du travail (de l’artisanat aux processus collectifs de production). Mais depuis le milieu des années 1990 et selon une constante accélération, la révolution numérique a progressivement transformé le visage tant du travail que de l’entreprise. Internet a contribué à transformer des chaînes de production et d’approvisionnement en réseaux complexes, à l’échelle du “monde-village”.

Les entreprises sont désormais partout où elles atteignent leurs clients. Et depuis quelque temps déjà, le “cloud” semble avoir ringardisé la notion de “lieu de travail”. Même si l’entreprise était de moins en moins un “lieu physique”, le bureau restait le premier lieu de son “incarnation”.

Mais dans un monde Covid, l’“espace virtuel”, réseau tissé de relations numériques, est en passe de se substituer de plus en plus au “lieu de travail et de collaboration physique” qu’était l’espace de bureau. Pourtant, l’espace et le temps sont des paramètres fondamentaux de l’action humaine. En partageant le même espace de travail, nous partageons un même environnement (exposition aux aléas de la climatisation, aux nuisances sonores, etc.) : nous sommes “dans le même bateau !”. Au contraire, à distance, nous le constatons tous, naissent les difficultés de “synchronisation” entre collègues, à être sur la même longueur d’onde, ainsi que la difficulté à créer de la valeur collectivement en coordonnant notre action.

Alors, nous affranchir de l’unité de lieu ne nous fait-il pas courir un risque ? Celui de nous affranchir par la même occasion de l’unité de temps et d’action, qui sont les deux autres piliers du récit dramatique selon Aristote ? Autrement dit : quelle histoire commune pourra encore se raconter si cette unité d’action et de temps ne s’inscrit plus dans une unité de lieu ? Quelle conscience pouvons-nous encore avoir de vivre une aventure commune ? Ou, dit de façon plus moderne : quel story telling est encore possible pour l’entreprise-cloud ?

Poser cette question, c’est dire combien cette transformation des usages ne va pas de soi : elle correspond à une transformation de la vision du travail ainsi que de notre façon de construire le collectif.
Si l’entreprise est une entité juridique, c’est aussi un collectif unifié par une aventure commune qui dépasse chacun de ses membres (d’ailleurs parfois uniquement “de passage”).

Paradoxalement, le télétravail impose donc à l’entreprise de prendre à bras le corps les sujets de collaboration si elle veut éviter son délitement progressif. Celle-ci gagnerait à définir ses “règles du jeu”, notamment pour garantir l’unité de temps et d’espace. Quand être disponible et connecté ? Comment les équipes se repèrent-elles et se situent-elles mutuellement dans ce nouvel “espace virtuel” ? Comment des rituels qui ponctuent le temps, par leur fréquence, pourraient-ils compenser l’éloignement spatial des salariés les uns des autres ? Que veut dire manager “en proximité” selon la culture propre de cette entreprise ?

Finalement, il s’agit d’inventer non seulement les outils de communication à distance, mais aussi les compétences humaines qui seront nécessaires pour garder le lien avec le collectif. De même, le télétravail devrait aller de pair, non pas avec une suppression, mais avec une redéfinition du sens de l’espace de l’entreprise. Celui-ci ne serait plus avant tout un espace de travail, un lieu englobant, structuré selon une opposition entre le “dedans” et le “dehors”, mais avant tout un lieu d’ancrage : le lieu de la reconnaissance d’une appartenance, le lieu du rituel dont le rôle est de ponctuer la monotonie du “business as usual” par les temps forts de la célébration, de la rencontre où se rend visible à tous l’appartenance à une même aventure collective.

 

Pour aller plus loin : Les vrais problèmes posés par le télétravail