« Les addictions sont une maladie à part entière »

Pensez-vous que les addictions doivent être traitées comme des risques psychosociaux (RPS) classiques ?

Les addictions, sans répondre nécessairement à la définition de RPS relèvent néanmoins de la santé mentale. Aujourd’hui, on sait que les addictions, quelles qu’elles soient, ont un impact direct sur la santé mentale ou sont la résultante de problèmes de santé mentale. Nous avons intégré cette dimension dans nos formations et nos actions. Les addictions sont une maladie à part entière, avec des conséquences sur la santé physique, mentale et sociale sans compter l’impact sur la sécurité au travail. Nous avons intensifié notre sensibilisation sur ce sujet, surtout depuis la pandémie, qui a aggravé les addictions.

Les pratiques addictives semblent donc être en augmentation, en particulier en télétravail. Quelle en est, selon vous, la raison ?

Le télétravail, surtout à temps plein, accentue certaines fragilités. Le manque d’interactions sociales, l’isolement familial ou amical, peuvent être des facteurs aggravants. Les études montrent une hausse de l’absentéisme au-delà de deux jours de télétravail par semaine. D’ailleurs à l’ANDRH (association nationale des DRH), nous avons toujours recommandé un maximum de deux jours de télétravail par semaine. Il est important de maintenir un équilibre entre télétravail et présentiel pour préserver le collectif de travail et limiter ces dérives.

Le télétravail fait son retour dans le débat public. Cela vous surprend-il ?

Pas vraiment. Le problème vient souvent du manque de règles précises. Certaines entreprises ont laissé les salariés décider seuls de leur rythme de télétravail, ce qui a généré des dérives. Dans notre entreprise, c’est le manager qui valide les demandes de travail occasionnel à distance vues en amont avec ses collaborateurs. Pour rappel, le télétravail doit être structuré, surtout pour préserver la cohésion d’équipe. Il y a eu des erreurs d’appréciation du sujet dans certaines structures, mais le retour en présentiel, même partiel, est crucial pour maintenir un collectif solide.

Peut-on dire que les contraintes de l’entreprise conduisent parfois à des comportements addictifs ?

Les raisons des addictions sont souvent multifactorielles. Elles ne sont pas uniquement liées au travail, même si ce dernier peut y contribuer dans certains cas. Notre rôle est de détecter collectivement les signaux faibles des personnes souffrant d’addictons afin de les orienter vers les personnes qui sauront les prendre en charge. Ce n’est pas toujours facile, car ces troubles peuvent être subtils, mais notre responsabilité est d’agir.

Certaines entreprises semblent encore réticentes à aborder frontalement le sujet des addictions. Pourquoi, selon vous ?

Ce n’est pas vraiment un tabou, mais c’est un sujet délicat. Il est essentiel de mettre en place des politiques de prévention primaire pour sensibiliser les équipes. Chaque individu peut être concerné, que ce soit par l’alcool, les écrans, ou d’autres formes d’addiction. L’essentiel est de ne pas fermer les yeux et d’agir en amont.

Une addiction particulière : le workaholisme. Comment l’entreprise peut-elle gérer ce type de comportement ?

C’est effectivement une addiction particulière. Elle est souvent encouragée par des contextes de surcharges de travail. En France, nous avons la chance d’avoir un cadre légal avec le droit à la déconnexion qui a donné lieu à l’écriture de chartes au sein des organisations. Cela permet de limiter les excès. Il faut savoir faire la diffé rence entre un moment de surcroît d’activité et une obsession permanente. Un bon management est essentiel pour détecter ces situations. Le manager doit savoir dire stop quand cela est nécessaire. Il est important de réguler ces comportements pour éviter que les personnes ne s’épuisent.

Jean Agulhon, DRH de la RATP : « Nous devons travailler la question du sentiment d’appartenance des salariés »

La RATP a 75 ans : quel rapport les Franciliens ont-ils avec ce réseau historique ?

La RATP n’est pas qu’une entreprise francilienne. C’est aussi une entreprise qui intervient dans 15 pays sur 5 continents. On parle souvent des 45 000 personnes qui travaillent en région parisienne et pas suffisamment des 26 000 autres personnes qui opèrent dans les bus, trains, métros automatiques, téléphériques et navettes fluviales, ailleurs. Mais c’est vrai qu’il y a une histoire intime entre l’Île-de-France et la RATP. Et je crois que cet attachement a trouvé un nouveau motif de se solidifier à l’occasion des Jeux Olympiques. La RATP a pris sa place dans la réussite de l’événement.

La RATP prépare son ouverture à la concurrence d’ici 2025. Comment votre nouvelle promesse RH soutient-elle cette transition, en termes de gestion des talents et d’acquisition de compétences clés ?

Notre promesse RH offre à la fois un cadre de travail sûr et stimulant. Le besoin de sécurité-S- était sous-estimé et sous-investit ces dernières années. Et pourtant, il  est centrale. Il est multidimensionn, cela englobe la stabilité de l’emploi, la sécurité dans les conditions d’exercice du travail. Dans le cas de la RATP, quand la plupart de nos collaborateurs sont en contact régulier avec le public, on mesure combien les agents des services sont connectés à la société dans son ensemble. Mais la sécurité, c’est aussi pouvoir bénéficier d’un logement digne, suffisamment proche de son lieu de travail. Nous avons également à cœur les enjeux de santé à la RATP puisque nous avons un dispositif qui permet d’offrir aux salariés un accès privilégié à la médecine générale et à toutes les médecines de spécialité, dans des délais extrêmement réduits et à des conditions financières tout à fait accessibles. Le second pilier se trouve dans un cadre le plus émancipateur possible. Nous avons des recrutements dans toutes les catégories sociales et professionnelles de la société. Nous sommes très attachés aux perspectives d’ascenseur social ou de parcours professionnel, parmi les 230 métiers que le Groupe exerce. L’instauration d’un cadre de travail émancipateur, c’est-à-dire qui favorise la responsabilité de chacun, la capacité d’initiative, le goût de l’action au service d’une mission partagée, c’est enfin tout le sens de la mission des managers du Groupe.

Peut-on s’arrêter un instant sur le logement des salariés, sur lequel votre accord insiste ?

Il n’échappe à personne que la responsabilité du premier conducteur de bus, de métro ou du premier agent qui ouvre une station, c’est d’offrir la possibilité aux premiers salariés du matin ou au dernier salarié du soir de pouvoir accéder à leur lieu de travail. Ceux-là mêmes qui n’ont pas la chance de pouvoir compter sur leur infrastructure. La question de la proximité du lieu de travail et du lieu de résidence pour des gens qui ne peuvent pas bénéficier d’un transit est importante pour des raisons de disponibilité comme de confort de vie. Nous avons également perçu que, dans certains métiers, il pouvait y avoir une relation entre des temps de transport et une certaine forme d’absentéisme. Quand vous êtes dans des situations monoparentales, plus vous diminuez le temps de transport, plus vous offrez aux personnes qui doivent s’occuper d’un enfant ou d’un proche aidant, une meilleure qualité de vie. Enfin, quand on est dans un territoire économique où le coût du logement est important, c’est un sujet RH. La question du logement est donc particulièrement prégnante à la RATP.

Pouvez-vous nous en dire plus sur l’accord QVCT signé cette année ?

Deux éléments saillants. L’ouverture à la concurrence fait que la promesse employeur, qui reposait à tort ou à raison sur la garantie de l’emploi et le régime spécial des retraites, disparaît, puisque, même si l’on gagne les appels d’offres, ce n’est plus par l’EPIC qu’on pourra y répondre, mais par des filiales qui n’ont pas ces deux attributs. Il faut que l’on reformule une forme de contrat social pour attirer les personnes. Par ailleurs, nous avons une proportion de salariés exposés à des conditions de travail particulièrement éprouvantes, avec des contraintes horaires et des cycles de travail pas forcément compatibles avec les vies de famille, les vies sociales, etc. C’est pour cela qu’au sein de notre réflexion QVCT, nous avons des expérimentations de semaines de travail en 4 jours, ce qui permet de mettre plus de prévisibilité dans les cycles de travail. Et on commence à voir que cela produit des effets importants.

Avant cet accord, la RATP possédait un texte relatif à la prévention des risques psychosociaux : il n’était pas suffisant ? À partir de quand avez-vous senti qu’il fallait le moderniser ?

Il y a trois ou quatre ans, les RPS devaient être identifiés comme tels, car nous étions confrontés, comme toute la société, à une nouvelle typologie de risques, c’est-à-dire l’insécurité. Avec ce nouvel accord, nous souhaitions apporter des réponses avec une vision systémique à cette question de la nature du lien que l’on veut organiser entre un salarié et une entreprise. Plus on est spécifique, plus on perd cette dimension systémique. Notre accord QVCT, notre politique RH marchent sur deux jambes- le renforcement du besoin de sécurité et l’instauration de cadres de travail propices à l’émancipation-. C’est un besoin et une aspiration humaine fondamentale.

S’agissant de la fin du régime spécial des retraites. Comment l’appréhendez-vous ?

Le salarié qui est entré avec un régime spécial de retraite en bénéficiera jusqu’au bout. Les gens qui entrent maintenant ne l’auront jamais connu. Ce changement est moins vécu individuellement que collectivement. Notre défi est d’arriver à faire fonctionner, à l’avenir, des populations dont un élément du contrat social n’est plus tout à fait le même. Il va falloir que l’on travaille à une hybridation plus importante de nos politiques RH. Peut-on continuer à avoir une même politique de rémunération quand une partie de la population bénéficie d’un contrat avec une forme de rémunération différée par le régime spécial de retraite, tandis qu’une autre ne l’a plus ? Cela va nous amener à nous poser la question des fins de carrière. Nous devons aussi travailler la question du sentiment d’appartenance des salariés au groupe, et non plus seulement à chacune des entités du groupe. Notre engagement, via la marque employeur, est de favoriser la mobilité, et cet engagement devra traverser les frontières de chacune de nos entités. De plus en plus, les salariés devront naviguer d’une entité à une autre. Aujourd’hui, l’EPIC est constitué de 45 000 personnes, dont 19 000 travaillent sur les bus. Du fait de l’ouverture à la concurrence, ces personnes seront transférés dans 13 lots, et chacun de ces lots sera exploité par une filiale de a RATP, de Transdev, de Keolis, etc. Toutes les personnes des filiales du groupe RATP devront bénéficier des mêmes possibilités de parcours de carrière.

Le travail, le rapport au travail, à l’entreprise, les attentes vis-à-vis de l’entreprise ont évolué : quel est votre regard sur ces sujets sociétaux et, presque, anthropologiques ?

La RATP recrute beaucoup, chaque année, entre 2 000 et 6 000 personnes sur un bassin territorial sommes toute réduit. Comme nous avons une politique de recrutement inclusive, nous avons la chance d’accueillir la totalité de la diversité de la société. Nous sommes le reflet de tout ce que vous pouvez observer de ce que la société produit : un peu de mixité, un peu de fragmentation, de l’individualisme, un nouveau rapport au travail, à l’autorité, à la légitimité, mais aussi de la générosité, de la solidarité… L’entreprise reste un des lieux privilégiés où l’on doit refaire société. La chance de la RATP, c’est qu’elle propose une finalité mobilisatrice : au service de l’intérêt général, consistant à être un des acteurs de la transition écologique. Mais ce moteur puissant d’unification n’est pas suffisant. Pour refaire société, nous souhaitons adapter notre management aux attentes des personnes, faire évoluer notre cadre de travail pour qu’il soit encore plus en phase avec les aspirations.

Je crois savoir que vous allez lancer d’ici début 2025 une enquête sur l’engagement des collaborateurs. Peut-on en savoir un peu plus ?

Mon premier défi est d’avoir un taux de participation assez significatif. C’est la première fois que l’on mènera une enquête à l’échelle des 15 pays concernés. Je suis heureux de pouvoir permettre à toutes les voix de s’exprimer et curieux de percevoir la nature et le degré d’attachement des salariés à cette grande entreprise. Nous allons bientôt lancer ce baromètre à l’échelle de tout le Groupe.

Que dites-vous à vos salariés quand vous montez dans un bus ou un métro ?

« Merci » et « comment ça va ? ». Mais d’abord, j’essaie de ne pas déranger un conducteur en pleine conduite !! Savez-vous pourquoi ces personnes se lèvent le matin ce qui fait le sel de leur métier? J’ai entendu cette réponse de multiples fois : déposer un enfant devant l’école, accompagner une personne âgée sur un itinéraire vers un soin ou un service public qui lui est nécessaire, cela fait partie de leur raison d’être. Nos salariés se sentent investis d’une mission du quotidien.

Tribune : la fin est proche

 Le DRH est habitué à porter les mauvaises nouvelles de tous côtés. Aux candidats (« nous n’avons pas retenu votre candidature »), aux salariés (« nous allons devoir nous séparer »), aux dirigeants (« pour attirer les talents, faudra les payer plus que ça »). Il lui revient de les formuler le plus positivement possible, sans hypocrisie. Autant de compétences qui en font l’un des meilleurs ambassadeurs de la RSE dans l’entreprise.

La RSE est un sujet « people » par excellence. 

Elle est vectrice d’attractivité et de rétention. Elle s’incarne dans des projets individuels et collectifs. Elle soulève des questions de gestion des temps, de mobilité. Surtout, elle met en jeu la dialectique entre intérêt corporate, intérêt personnel et intérêt général, que l’on retrouve au cœur de la fonction RH.

Le DRH, agent de transformation culturelle

La responsabilité sociale et environnementale recouvre tout ce que l’entreprise peut faire en réponse aux malheurs de ce monde : précarité, pauvreté, réchauffement climatique…

L’environnement est le thème RSE sur lequel l’information, la prise de conscience, la culture partagée jouent le rôle le plus important. Mobilités douces, gestion des déchets, achats responsables, adaptation de l’offre, sobriété énergétique : l’efficacité de ces politiques dépend de leur appropriation par tous. La fonction RH est ici à l’œuvre via le recrutement, la marque employeur, l’intégration, le dialogue avec les salariés et le management sur ces questions.

Rappel : la guerre de Troie a bien eu lieu

Si l’entreprise veut projeter une image d’acteur sincère sur les questions RSE, elle doit s’engager et tenir ses promesses. Le DRH, souvent, joue un rôle difficile de VRP de l’image employeur, enthousiaste mais craignant d’être lâché par la troupe, trahi par la réalité de l’entreprise. Veut-il en plus se charger du rôle de prophète de malheur sur l’environnement ? J’ai envie de dire oui, n’ayez pas peur, allez-y. C’est le sens de l’Histoire.

Le DRH n’a rien à perdre à jouer les Cassandre de l’environnement. Car Cassandre, ne l’oublions pas, avait vu juste. Mais comme L’Iliade nous le rappelle, il ne suffit pas d’avoir raison… encore faut-il savoir convaincre. C’est là où le DRH doit être plus malin. Si Troie avait eu un bon DRH, l’histoire aurait sans doute été bien différente.

L’IÉSEG et RSE : causes communes

«C’est une école où la dimension humaine, sociale et sociétale est super-poussée », nous déclare Bernard Coulaty, DRH pendant une trentane d’années et aujourd’hui reconverti dans le consulting et l’enseignement, pour nous expliquer son choix de rejoindre l’IÉSEG en 2020. « Mais ce n’est pas seulement pour la prise en compte des enjeux RH et RSE, c’est aussi parce que le statut associatif et non lucratif de l’école lui confère des valeurs particulières, et les deux sont liés. La stratégie RSE de l’école vient des dirigeants et de leurs convictions personnelles, elle est ancrée depuis longtemps. Les stratégies RSE sont plus effectives dans les organisations ayant une vision à long terme avec de vraies valeurs de responsabilité et d’engagement, c’est beaucoup plus facile à implémenter dans ces ce type de culture. Concernant l’IÉSEG, il y a un écosystème culturel autour de l’école qui montre que c’est assez authentique et sincère. »

La stratégie RSE de l’IÉSEG s’articule autour de deux points principaux : « Il y a à la fois l’établissement IÉSEG, qui réunit le personnel enseignant et administratif, sur deux campus à Lille et à Paris, où beaucoup de choses sont faites. Et puis il y a le cursus académique en tant que tel et donc les cours dispensés aux étudiants :  les enseignements RSE sont incessants sur les cinq années du cursus, dans une approche interdisciplinaire, on ne lâche pas un instant nos étudiants sur le sujet et ils savent que nous formons des changemakers ! » Ainsi, dans le cadre du Plan Transition 2026, 100 % du personnel de l’IESEG est formé pendant dix-huit mois aux enjeux de la RSE, à travers différents modules. Et tous participent à la construction de cette stratégie, à travers des groupes de travail : « J’ai été très impressionné de voir cela dans une grande école, je ne m’y attendais pas. Cela donne une ambiance, une coloration et un engagement des collaborateurs que je trouve assez exceptionnels. »

La formation des étudiants à la RSE est également devenue un pilier de l’école, qui attire de nombreux candidats : « C’est rare qu’ils ne citent pas cet aspect changemaker quand ils postulent. Cela commence au niveau du Bachelor et se poursuit jusqu’au niveau du Mastère. Pendant cinq ans, il n’y a pas une année sans focus sur ces enjeux sociétaux. » La RSE occupe aussi une place importante dans le nouveau Mastère spécialisé « Direction Transformation et Développement Humain », que Bernard Coulaty dirige depuis la rentrée, et où ses participants, au profil expérimenté, collaborent avec des étudiants du Programme Grande École sur divers ateliers intergénérationnels : « La RSE n’est pas un sujet laissé aux jeunes, c’est un sujet intergénérationnel : il faut aussi créer du lien à travers cet enjeu. »

People at Work vous en dit plus sur l’affichage environnemental

Quelles seront exactement les obligations des entreprises en termes d’affichage ? Selon quel calendrier ?

Il est utile de préciser tout d’abord la distinction entre affichage environnemental, qui fait référence à des informations quantifiées et factuelles, souvent normées et publiées de manière obligatoire, et allégation environnementale, souvent qualitative et qui s’inscrit dans une démarche volontaire de l’entreprise afin de valoriser un produit considéré plus performant que la moyenne d’un point de vue environnemental.

En France, quelques informations relèvent déjà de l’affichage environnemental obligatoire sur certains produits, comme l’étiquette énergie ou l’indice de réparabilité. La loi Climat et résilience prévoit par ailleurs un dispositif d’affichage environnemental sur les produits textiles et alimentaires, pour l’instant expérimental, mais destiné à être rendu obligatoire. Il pourrait s’agir d’un affichage présent sur le produit ou dématérialisé informant le consommateur des impacts du produit, calculé sur l’ensemble de son cycle de vie. Prévue pour 2022, cette régulation a été repoussée et le calendrier n’est pas encore fixé. Les expérimentations touchent cependant à leur fin, ce qui laisse présager des publications proches.

Plusieurs projets de directives européennes sont également en train de voir le jour, principalement pour réguler les allégations environnementales. La dernière en date est la directive « Empowering consumers » [1], adoptée en mai, et qui interdit toute allégation environnementale insuffisamment fondée factuellement et scientifiquement. Son entrée en vigueur est immédiate, avec deux ans prévus pour la transposition par les Etats membres. Elle sera complétée par la directive « Green Claims »[2] qui devrait quant à elle être effective en 2027, et renforcera les exigences méthodologiques de l’affichage environnemental.

Quelles catégories de produits seront concernées par ces réglementations ?

En France, les catégories concernées pour l’instant sont principalement les secteurs agro-alimentaire et textile, ainsi que certains produits électriques et électroniques dans le cadre de l’indice de réparabilité. La liste des catégories concernées est amenée à évoluer pour inclure davantage de produits au fil des ajustements méthodologiques.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) prévoit également que les produits soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) comprennent des informations sur des caractéristiques environnementales précises, comme le pourcentage de contenu en recyclé ou la recyclabilité du produit. C’est le cas des emballages ménagers par exemple, mais aussi de certains produits d’ameublement, d’emballages, de jouets…

Quelle sera la méthodologie de calcul de l’impact d’un produit ?

Les méthodologies sont encore en cours de définition.

En France, l’ADEME a lancé pour expérimentation l’outil Ecobalyse[3], qui permet pour les secteurs textile et agro-alimentaire de calculer l’empreinte environnementale d’un produit. Une méthode de calcul définitive devrait ainsi voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

Au niveau européen, le projet de directive « Green claims » vise à formaliser la méthodologie de certification des allégations environnementales. Elle inclut des critères comme la prise en compte de l’intégralité du périmètre du cycle de vie du produit et de ses impacts environnementaux, ou le recours à des standards scientifiques reconnus. Elle prévoit l’interdiction de communiquer sur la neutralité carbone d’un produit ou d’une activité si celle-ci est fondée exclusivement sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre mais en compense une partie en plantant des arbres ne pourra pas « déduire » de son bilan carbone ces émissions, ni prétendre que son produit est « neutre en carbone » alors qu’il a bien émis du gaz à effet de serre lors de sa production.

Les sources de données à utiliser sont également précisées par le régulateur, qui indique de privilégier autant que possible les données « primaires », c’est-à-dire issues directement de l’entreprise ou les données des fournisseurs, et seulement si nécessaire des informations plus génériques telles que des données sectorielles ou des bases de données tierces.

Est-ce que cela va vraiment aider le consommateur à se repérer ?

L’objectif des évolutions réglementaires sur l’affichage environnemental et l’encadrement des allégations est bien de permettre aux consommateurs de faire des choix de consommation éclairés, tout en mettant fin aux pratiques commerciales trompeuses ! En supprimant les allégations trop génériques ou peu fiables (« vert », « responsable ») au profit d’un affichage environnemental factuel, il sera aussi plus facile d’identifier les produits effectivement plus performants.

Pour le régulateur français, il s’agit d’orienter les consommateurs vers les produits les plus performants au sein d’une même catégorie (par exemple, quel est le meilleur gel douche d’un point de vue environnemental ?), mais aussi – et surtout – d’orienter les choix de consommation vers les catégories à moindre impact sur la base de caractéristiques comparables (en comparant un savon liquide et un savon solide par exemple ou diverses sources de protéines entre elles). Dans les deux cas, cela implique d’avoir pour chaque produit des données suffisamment précises pour permettre la différentiation.

Pour informer correctement le consommateur, il faudra mettre à disposition plusieurs niveaux de résultats : un affichage simple sur le produit, l’emballage ou la page web, qui permet de guider le geste d’achat instantanément, par exemple via une notation A,B,C,D ou une note sur 100 ; des résultats plus détaillés accessibles de manière déportée (en ligne) pour les consommateurs qui voudraient plus de précisions.

Quels sont les risques de Greenwashing qui subsistent malgré ces nouvelles réglementations ?

Le but de la réglementation est justement de lutter contre le greenwashing et les allégations pouvant induire le consommateur en erreur. Définir une méthodologie de construction des allégations précise et claire permet en effet de réduire ces risques en garantissant la fiabilité des informations ainsi que la comparabilité entre produits différents. Le recours à des vérificateurs indépendants sur un large panel de produits peut représenter pour l’entreprise un coût important qui ne peut toujours être intégralement reporté sur les consommateurs. Une solution alternative consiste à encourager la vérification par les pairs, par exemple via des consortiums sectoriels, et de stimuler le rôle de vigies réalisé par des ONG ou association de consommateurs.

Comment transformer ces contraintes réglementaires en axe de différentiation par rapport aux concurrents ?

L’encadrement des allégations environnementales peut être un levier de différentiation pour les entreprises à plusieurs points de vue : tout d’abord en prenant les devants : anticiper ces réglementations pour faire partie des précurseurs de la communication environnementale est déjà un facteur différentiant en soi. Par ailleurs, les produits les plus performants d’un point de vue environnemental seront naturellement mis en valeur par l’affichage, leur conférant un avantage auprès des consommateurs. Alors que 76% des consommateurs se déclarent en faveur d’une consommation responsable[4], un affichage environnemental mettant en avant la performance d’un produit permettra de mieux s’aligner à ces exigences croissantes.

De plus la mise en place dans l’entreprise d’une mesure d’impact des produits est à l’origine d’un cercle vertueux en termes de réduction des impacts et d’innovation. En effet, l’affichage environnemental requiert une connaissance plus fine du cycle de vie de ses produits, ce qui conduit à mieux comprendre où sont les principaux impacts et à innover pour les réduire. Ce cercle vertueux a pu être observé dès 2011, lors du bilan sur l’affichage environnemental réalisé par EY pour le ministère de l’Environnement sur un panel de plus de 150 entreprises[5]. 70% des entreprises ayant participé avaient ainsi déclaré mieux connaître les points faibles et forts de leur produits suite à l’expérimentation.

Communiquer sur la durabilité de ses produits est un moyen de renforcer sa marque en intégrant la durabilité dans son positionnement global. Des messages crédibilisés par des données robustes issues de l’affichage environnemental sont à même de renforcer la confiance des consommateurs envers la marque.

Plus largement, quel sera le rôle de l’Etat et des institutions pour donner confiance aux consommateurs ?

L’Etat détient un rôle structurant indispensable ; fournir un cadre méthodologique et légal précis garantissant une information claire, utile, comparable et une concurrence loyale. C’est également à lui que revient la responsabilité de pousser les entreprises à fournir cette information, d’informer le consommateur de ce dispositif exigeant et de créer la confiance d’ensemble en mettant en place les garde-fous pour écarter tout greenwashing. Enfin, en cas de non-respect de la réglementation, il reviendra enfin à l’Etat de s’assurer que des sanctions dissuasives soient appliquées !

Qu’en est-il de la mise en place d’un affichage environnemental au niveau européen ?

Un écolabel européen officiel existe déjà depuis plus de 30 ans pour une trentaine de catégories de produits seulement, ce qui le rend anecdotique. Sa certification, basée sur une analyse de cycle de vie, est volontaire. Un projet de passeport produit (Digital Product Passeport) est en cours d’élaboration, qui devrait permettre un accès facilité via un QR code à des données telles que la composition, l’origine et la réparabilité d’un produit. Ce passeport numérique pourrait entrer en vigueur dès 2026 pour les premières industries concernées (textile, piles, électroménager).

Des expérimentations sont également en cours depuis une dizaine d’année afin d’établir une méthodologie commune pour l’affichage environnemental : le PEF, pour Product Environmental Footprint. Basé sur une analyse de cycle de vie et 16 impacts environnementaux, le PEF n’a finalement pas été retenu comme méthode privilégiée dans le cadre de la proposition de directive Green Claims (sortie en mars 2023), qui laisse plutôt la main aux Etats pour définir leurs propres méthodologies, mais il n’en reste pas moins un cadre de référence dont les entreprises peuvent et doivent s’inspirer en raison de son approche par le cycle de vie très intéressante.

 

[1] Directive 2022/0092

[2] Directive 2023/0085

[3] Ecobalyse – Ecobalyse (gitbook.io)

[4] ADEME, « Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? », baromètre Greenflex-ADEME, 2023, accessible en ligne : Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? – ADEME Infos

[5] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, de l’Energie, Affichage environnemental des produits de grande consommation, 2013, accessible en ligne : 134000775.pdf (vie-publique.fr)

Le fonds d’investissement CapMan publie son rapport pour l’année 2022 : focus sur la transition vers une société durable

Investir dans les énergies renouvelables et réduire les émissions de CO2

« Nous avons parcouru un long chemin en termes de développement de nos processus et d’amélioration de nos connaissances. Je suis très heureux de présenter notre travail et nos réalisations. Pour atteindre nos objectifs, nous travaillons en parallèle à trois niveaux différents : développer des approches circulaires et positives à long terme, prendre des mesures pour atteindre des objectifs à moyen terme comme fixer et suivre des objectifs ambitieux de réduction des émissions de CO2, tout en investissant simultanément le temps pour renforcer les capacités de CapMan et de notre portefeuille afin de soutenir le changement et de répondre à la demande croissante de transparence et de reporting », déclare Pia Kåll, PDG de CapMan.

« Conformément à notre vision, nous avons décidé de ne pas investir uniquement dans des actifs déjà durables, car nous pensons que nous pouvons créer plus de valeur en soutenant le développement et la transition vers des modèles d’exploitation durables dans tous les secteurs et industries », ajoute Anna Olsson, responsable de CapMan. ESG.

Pour l’année 2022, les progrès vers nos objectifs de développement durable comprennent, entre autres, les résultats suivants :

Cibles environnementales :

  • Cibles basées sur la science validées pour CapMan
  • +17% d’émissions de GES CapMan Scope 1-2 (objectif de réduction de 51% d’ici 2032)
  • –28 % de l’intensité des émissions de GES de l’immobilier commercial (de service) (réduction de 72% d’ici 2032)
  • +7% de l’intensité des émissions de GES de l’immobilier résidentiel (réduction de 50 % d’ici 2032)
  • 11% des sociétés du portefeuille ont fixé des objectifs ou se sont engagés dans le SBTi (54,5% d’ici 2027, 100 % d’ici 2032)

Cibles sociales :

  • 58 eNPS pour CapMan (plus de 50)
  • 3,8/5 de satisfaction moyenne des employés dans les sociétés du portefeuille (plus de 3,5)
  • 3,7/5 satisfaction globale des locataires dans l’immobilier (4,0)
  • +2 500 nouveaux emplois créés (métrique suivie)

Objectifs de gouvernance :

  • Le plan d’actions de performance et la rémunération variable de CapMan ont été liés aux objectifs ESG
  • 34% des sociétés du portefeuille ont lié la rémunération aux objectifs ESG (lien par toutes les nouvelles sociétés dans l’année suivant l’acquisition)
  • 69% des sociétés du portefeuille ont adopté une politique des droits de l’homme (adoption par toutes les nouvelles sociétés dans l’année suivant l’acquisition)
  • 23% du parc immobilier (m²) a obtenu la certification bâtiment vert (75% d’ici 2026)

Pour accéder au rapport : www.capman.com/sustainability

Réforme des retraites : et maintenant, quel impact social pour les entreprises ?

À l’heure où il est question de travailler jusqu’à 64 ans et plus, la majorité des répondants considèrent que l’on est senior dès 50 ans. Seulement 10 % des interrogés considèrent que l’on devient senior à partir de 60 ans.

A l’inverse, 20 % estiment que le seuil de 45 ans enclenche la séniorité, alors que cet âge est plutôt celui de la mi-carrière. Malgré une perception majoritairement positive à leur égard
(58%), les seniors ne sont toutefois pas perçus comme un ‘atout’ pour 1/3 des DRH et DG interrogés. Au-delà des réponses attendues sur leurs capacités de transmission (80 % et +), de leur fiabilité et de leur autonomie (89%), les seniors sont également perçus comme plus productifs selon la majorité des répondants (54%), alors qu’ils sont souvent considérés comme plus coûteux. Le point de vue reçu du management dénonce les a priori sur les seniors : ils ne sont pas moins compétents (78%), pas plus malades (78%), pas moins engagés (76%) et pas moins productifs (73%).

A l’inverse, les managers soulignent les difficultés liées à l’emploi des seniors : résistance au changement (76%), surcoût (75%), difficultés face aux technologies (63%), moindre mobilité (57%). Enfin, les seniors seraient mis en difficulté par leur propre image (39%).

Mesures de maintien dans l’emploi des seniors

Il semblerait que lorsque l’entreprise ‘pense’ senior, elle privilégie une vision, voire une prévision de sortie des effectifs, plus qu’une gestion de cette nouvelle partie de carrière. C’est ainsi que l’on retrouve logiquement des actions de transmission et de sortie de l’entreprise sur le podium des mesures plébiscitées pour l’emploi de ces salariés expérimentés (80 % et +). Un accès privilégié à la formation serait la première mesure concrète recommandée par les interrogés pour favoriser le développement de l’employabilité de cette catégorie de salariés (70%). Viennent ensuite des mesures propres à la gestion de la carrière : entretiens professionnels adaptés, bilan de carrière,
mobilité interne… (60 à 67%).

Puis arrive en dernière position, la prise en charge de la pénibilité : aménagement d’horaires, modulation des objectifs, aménagement de postes de travail … (39 à 57%).
Le maintien dans l’emploi des seniors passerait par une combinaison judicieuse de mesures aux
niveaux culturel (56%), RH (54 à 56%) et économique (50%).

De plus pour dépasser les préjugés sur les seniors, 90 % des répondants estiment qu’il faut commencer par former les managers. En parallèle, 80 % des répondants estiment qu’il faut inciter les partenaires sociaux et les directions à se mettre autour de la table pour discuter d’accords spécifiques(pénibilité, GEPP, prévention et santé …) au sein de l’entreprise. Enfin, pour 70 % des répondants, la mise en place d’un index senior n’aurait qu’un impact modéré, voire pas d’impact.

Accompagnement et protection des seniors dans les licenciements

La retraite progressive (à 84%) ou la préretraite (à 70%) seraient les mesures préférées des DRH pour sécuriser la séparation professionnelle. Pour favoriser le retour à l’emploi des seniors, les répondants plébiscitent l’outplacement (83%) ainsi que les aides à la création d’entreprise (63%) et la prise en charge des formations (62%). Dans un contexte de marché de l’emploi dynamique, les DRH reconnaissent que le retour à l’emploi des seniors continue malgré tout à s’apparenter à un réel parcours d’obstacles, et souhaitent apporter un soutien spécifique aux seniors. Quant aux mesures coercitives pour éviter les licenciements, les répondants considèrent à 38 % qu’une interdiction aurait un impact fort alors que 33 % d’entre eux l’estiment sans impact. La pénalité financière renvoie le même écho de la part des répondants.

Comment inciter les entreprises à recruter des seniors ?

Les mesures jugées les plus efficaces pour favoriser le recrutement de seniors seraient majoritairement d’ordre financier : suppression ou baisse des cotisations sociales (88%), crédit
d’impôt (79%). On constate ainsi dans les réponses que pour lever des freins au recrutement des seniors ou lutter contre les a priori, la recommandation des répondants ressemble à l’installation d’une « discrimination positive ». A noter également que la création d’un outil de mesure du taux de recrutement des seniors parait plus efficace (66%) aux yeux des répondants que la mise en place d’un index senior. Par ailleurs, le rejet de l’interdiction de l’âge sur le CV (74%) montre à quel point la portée semble symbolique et non génératrice d’effets concrets.

Le CDI senior, invalidé par le Conseil Constitutionnel dans le texte sur la réforme des retraites, est massivement plébiscité par 75 % des DRH et DG répondant  à l’enquête. Enfin, l’idée de l’obligation du recrutement de seniors au sein de la fonction publique (68%) est largement mise sur la table !

La mise en place d’une politique senior dans l’entreprise

A l’heure où la réforme des retraites a été définitivement adoptée et à l’aube de la loi « plein emploi », 73 % des répondants affirment n’avoir toujours pas engagé de politique senior dans leur entreprise. La priorité à court terme pour 21% d’entre-deux serait de mettre en place des actions de sensibilisation du management pour lutter contre les a priori et les préjugés liés à l’âge. Un quart des répondants n’envisagent cependant pas d’engager des actions spécifiques. Seulement 12 % envisagent de lancer une négociation sur les conditions de travail des seniors.

IA : que dit la loi en 2023 ?

Les récentes avancées en matière d’intelligence artificielle (IA) représentent « une grave menace pour les droits humains » (alerte du 18 février par le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme). L’inquiétude de l’ONT est-elle justifiée ?

L’inquiétude est élevée car la réglementation n’est pas encore claire en termes de classification des risques et de mise en œuvre et la surveillance par les autorités compétentes. La menace que l’on vit est celle du changement de valeurs de l’humanité, par des décisions qui sont de plus en plus automatisées. L’IA, à terme, peut ébranler notre sécurité, voire, notre santé mentale, notre façon de vivre. Les relations interpersonnelles sont également touchées, j’en veux pour preuve, le succès de certains algorithmes de recommandations, employés sur les réseaux sociaux. Cela nous donne une idée précise : de ce que certaines décisions indicible, impalpable, immatérielle, peuvent avoir comme conséquence.   En outre, l’UE ne peut ignorer les risques incertains, ceux auxquels les générations futures seront confrontées. Nous avons besoin d’une bonne gouvernance pour résoudre ce problème, et je ne suis pas sûr que la proposition actuelle de loi sur l’IA y réponde. Au niveau de l’entreprise, les travailleurs devraient également disposer de cette capacité critique.

IA : Beaucoup de collaborateurs se disent préoccupés. De quels outils dispose-t-on pour protéger leurs données personnelles ?

La loi sur la vie privée qui existe depuis longtemps, et récemment mis à jour au niveau de l’UE. Il s’agit du RGPD . C’est un aspect fondamental du droit humain., qui a une connotation d’extra-territorialité. D’autres pays ont importé les dispositions  de la RGPD dans leurs juridictions telles que l’Australie, le Canada, le Chili, ou bien le Japon. Un autre outil consiste à sensibiliser chaque individu à la protection de ses propres données personnelles et à sa capacité à s’interroger de manière critique sur l’opportunité de fournir ses données personnelles aux nombreuses entreprises qui les collectent pour leur propre profit.

Quelles propositions pourraient-être faites pour que l’Europe assume une position de leader numérique en garantissant les droits fondamentaux des salariés ?

L’Europe est un leader numérique au niveau de la gouvernance. C’est la première juridiction  à avoir fait passé des lois sur des systèmes d’IA, c’est très pertinent en termes de positionnement géopolitique . Au niveau technique, l’Europe n’est pas séduisante comme l’Asie ou l’Inde ou bien les les États-Unis. Elle veut faire une sorte de contre-poids, mais l’UE ne peut se contenter de proposer de nombreuses directives et règlements, le véritable pouvoir résidera dans leur mise en œuvre effective. La proposition législative actuelle sur la prise de décision et la surveillance algorithmique ne s’appliquera qu’aux travailleurs des plateformes. Les législateurs ont la responsabilité d’étendre ces dispositions à tous les travailleurs afin qu’ils bénéficient d’une prévention et d’une protection réelles sur leur lieu de travail.  Je pense qu’un nouveau cadre juridique dans le contexte de l’emploi est nécessaire. Les travailleurs ne devraient pas avoir des droits « théoriques », mais des droits qu’ils peuvent effectivement exercer à l’ère de l’IA. La Course à l’IA est économique.

RH : un terrain de jeu pour l’IA

Des fantasmes entourent l’intelligence artificielle. Le concept est très clivant : comment l’expliquez-vous ?

En fait, il faut se poser les bonnes questions : pourquoi l’IA se développe-t-elle aussi vite dans nos organisations ? L’une des raisons en est tout simplement qu’elle nous aide à dompter la complexité de notre environnement et qu’elle nous permet de nous adapter collectivement à un monde qui se transforme de plus en plus vite.

L’IA est à la croisée de multiples chemins : la reconnaissance de textes, de la voix, des visages, des émotions ; la capacité à extrapoler des données et d’en déduire des cheminements, d’être prédictifs sur certains domaines et, plus récemment encore de générer des textes, des images, des contenus. Forcément, quand on parle d’IA, il y a une myriade de possibles, et, forcément, dans l’imaginaire, cela ne se matérialise pas de la même façon. Dans ce domaine, chacun est tenté d’expérimenter des choses. La détection, par exemple dans les espaces publics, est l’un usage qui peut être assez effrayant et dont les dérives sont évidentes. Il est nécessaire cependant de distinguer la réalité du fantasme et, dans le domaine du réel, de porter toute notre attention sur ce qui est souhaitable, et pas seulement sur ce qui est possible. Entre les deux, il y a le cadre éthique, la réglementation et les limites managériales que l’on se fixe.

Ces limites restant floues, la « peur de perdre le contrôle » est donc bien légitime…

L’IA, déjà, c’est un algorithme ou un modèle mathématique conçu pour imiter la façon dont les humains pensent et résolvent des problèmes. Cet algorithme est entraîné sur la base de millions d’enregistrements de données pour produire les prédictions le plus précises possible. Plus on le « nourrit », plus on le « corrige », plus il apprend et devient conforme et précis. Donc ce n’est pas figé, c’est un produit qui, lui-même, est évolutif.

Il y a déjà une première inquiétude : qui va nourrir cet algorithme ? Ces données seront-elles le reflet de ce que l’on souhaite ou de ce que l’on a fait dans le passé ? Je vous donne un exemple concret : dans une entreprise où des cadres masculins étaient davantage recrutés que des femmes, si on alimente l’algorithme de l’IA avec ce type d’historique, celle-ci va considérer que le critère « être un homme » est plus favorable pour obtenir la position de manager. Le premier biais de l’IA est donc directement lié à l’historique des données. Deuxième réticence : une fois que cette IA s’est formée, elle produit des réponses, mais le raisonnement concernant celles-ci n’est pas analysable ni explicable. Cet effet black box a pendant très longtemps été l’un des freins majeurs, car la réponse était produite avec un taux de fiabilité, certes très bon, mais sans que l’on puisse dire pourquoi il l’était et selon quel critère. La troisième réticence est liée à l’impact que l’IA pourrait avoir sur notre travail, sur notre place d’être humain, sur notre collaboration possible dans un monde où elle travaillerait à nos côtés. C’est clairement la peur d’être cannibalisé par ce type de solutions, d’observer des dérives éthiques ou morales qui risqueraient de porter atteinte au socle de confiance que nous développons entre êtres humains.

Chez Oracle, nous avons réalisé une étude, avec Odoxa, pour discerner les usages acceptés ou non dans le domaine des RH. Nous avons détecté trois catégories d’usage de l’IA : dans le premier cas, ceux qui apportent une forme d’augmentation des capacités humaines sur les tâches répétitives et à faible valeur ajoutée. L’IA peut prendre en charge ces tâches qui nous semblent rébarbatives, et, dans ce cas, le taux d’acceptation est de l’ordre de 70 % des sondés. Le second domaine est celui du matching. Le matching, c’est quoi ? La mise en correspondance d’une offre avec une demande, avec un ratio d’adéquation plus ou moins élevé. Je viens avec une liste d’informations personnelles concernant mon profil, mes souhaits, et l’IA va me faire des suggestions de carrière ou de formation, par exemple. Dans notre étude, nous avons eu un retour mitigé sur ce type d’usage. Ce qui se joue, c’est le deal : est-ce que je suis prêt à me dévoiler davantage pour accéder plus rapidement à des suggestions qui me sembleraient pertinentes ? Nous ne sommes pas tous prêts à cela pour le moment. Troisième point : on laisse l’IA autonome, dans un certain périmètre, pour évaluer le niveau de performance d’un collaborateur ou pour prendre une décision RH importante. Et là, la majeure partie des personnes sondées expriment leur réticence et ne veulent pas être tributaires de l’IA dans un périmètre qui impacte directement les collaborateurs.

En quoi l’IA peut-elle permettre aux RH de se libérer de leurs tâches dites techniques pour se recentrer sur la dimension humaine du poste, voire pour réévaluer le périmètre RH ?

Nous évoluons dans un contexte où les candidats et les collaborateurs ne souhaitent plus seulement avoir un job, mais plutôt vivre une expérience professionnelle qui soit engageante, épanouissante, personnalisée.

De leur côté, les DRH n’ont jamais eu accès à autant d’informations personnelles, administratives, qualitatives liées à la performance, aux appétences, aux souhaits, à la rémunération des collaborateurs. Ces données sont malheureusement souvent disjointes et difficiles à réconcilier. L’enjeu est donc immense pour une direction RH qui, à effectifs constants, doit préserver l’équité, offrir cette flexibilité attendue par les collaborateurs, ou ce niveau de synthèse nécessaire aux managers pour prendre des décisions éclairées concernant leur équipe. On pourrait qualifier ce contexte de perfect storm pour l’IA. Si tant est qu’une organisation entreprenne les efforts suffisants pour normaliser ses référentiels de données RH, ce que l’on dénomme souvent le CoreHR (organisation, métiers, compétences, sites, hiérarchie, etc.), alors s’ouvre un champ immense d’usages de l’IA en soutien des RH, des managers et des employés. Les usages les plus évidents vont des suggestions de mise à jour des profils des collaborateurs à la détection de compétences, suggestions de formation ou de mentor. Du côté des managers, l’IA peut aider à accéder aux bonnes informations, consolidées lors d’étapes importantes, comme les promotions ou l’attribution d’augmentations salariales ou de bonus, afin de favoriser la rémunération de la performance, l’équité, l’inclusion, par exemple.

Du côté des RH, des usages comme l’automatisation ou l’accélération de la création des réponses aux demandes RH dans le centre de services partagés, l’accès à l’assistant digital pour consulter des compteurs de temps, de congés, ou la génération de reporting et des commentaires automatiques de ces reportings, ou encore l’analyse de textes (comme les raisons de départ des collaborateurs) sont autant d’outils qui améliorent la productivité et permettent de dégager du temps destiné à l’échange, à la stratégie et à la prise de décision.

Vous faites bien la différence entre « IA forte » et « IA faible »…

L’IA faible ne sait traiter que ce pour quoi elle a été conçue. L’IA forte est l’IA capable de s’adapter à des situations nouvelles, d’élaborer des solutions complexes. C’est l’IA telle que vous l’imaginez dans les films de science-fiction. C’est le fantasme absolu d’une machine qui se comporterait comme un être humain. L’IA forte n’en est qu’à ses balbutiements, notamment dans le domaine des jeux en ligne quand on affronte des « joueurs IA », mais aussi dans les robots ou les voitures autonomes, où de multiples sources d’information doivent être analysées dans des contextes renouvelés sans cesse. Ou encore dans des formes avancées de chat et de génération de texte, ChatGPT par exemple. Même si cette IA forte donne le sentiment d’approcher une forme de conscience, nous en sommes très loin, et il n’y a aucune IA forte qui concerne le domaine des RH aujourd’hui.

Qu’est-ce que l’IA peut apporter à l’expérience collaborateur ou à l’expérience candidat ?

Dans son rapport au collaborateur, devenant un client interne, le monde RH s’est de plus en plus inspiré des approches historiques du marketing. La notion de marketing RH est même assumée. La création du concept de marque employeur en est un autre exemple. L’employee experience s’impose, comme la customer experience (CX) avant elle. Les analogies sont évidentes. Les outils utilisés côté CX le sont côté RH désormais. Pour suivre l’analogie, et pour faire face à la pénurie de talents et à la difficulté à attirer les candidats, nous avançons désormais vers une notion de nurturing, qui consiste à « nourrir » le candidat, parfois encore passif, avec des informations ciblées qui vont l’aider à développer de l’intérêt pour l’entreprise. Ces approches RH sont en fait réalisées avec les mêmes outils que ceux utilisés en marketing pour alimenter des prospects qui deviendront de futurs clients et le vocabulaire peut être lui-même transposé : on parle de campagne, de pipe, de conversion, etc. L’IA, dans ce contexte, se révèle particulièrement utile et efficace pour automatiser la sélection et l’envoi des contenus vers les candidats, au bon moment pour eux.

Vous pouvez aussi imaginer que les outils qui permettent d’analyser les sentiments des consommateurs, qui scrutent leurs avis en texte libre, ceux utilisés par des marques pour cibler leurs acheteurs, par exemple, sont aujourd’hui utilisés dans le domaine RH pour exploiter les informations issues des entretiens annuels ou professionnels.

Les analogies entre les mondes RH et CX sont aussi visibles dans la gestion des compétences…

Pour la première fois dans les sondages, le sujet de l’identification des compétences est devenu la priorité #1 des RH, devant même la recherche de productivité et de performance. Or, depuis des années, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences se confrontent à l’obsolescence extrêmement rapide des référentiels de métiers et de compétences qui prennent des années à construire. Ce phénomène s’est accentué avec la réduction progressive de la durée de vie moyenne des compétences, aujourd’hui estimée à deux ans par l’OCDE. La plupart des projets de cartographie de compétences ont ainsi échoué face à l’ambition d’être exhaustif, ou lors des phases d’adoption et de déclaration des profils par de collaborateurs débordés par des listes infinies de compétences référencées. Cela crée un terrain de jeu intéressant pour l’IA, car elle répond à cet enjeu à deux niveaux : l’accélération de la création d’un référentiel de compétences et le matching. Chez Oracle, par exemple, nous avons compilé des millions d’enregistrements de données publiques, concernant des CV, des postes à pourvoir, des missions, des référentiels de compétences publiques et nous en avons déduit un référentiel de 130 000 compétences et de 16 000 postes déclinés en compétences requises. Sur cette base, le client peut personnaliser le référentiel pour l’adapter à sa culture propre, à ses métiers. Dans la seconde étape, le matching, on va consommer les contenus individuels des collaborateurs, des postes, des formations, et on va les faire correspondre avec les compétences identifiées. L’IA les soumet au collaborateur, et ce dernier décide s’il détient ou souhaite développer cette compétence, et déclare éventuellement son niveau. Cette approche permet d’obtenir le meilleur compromis entre la préservation de la culture de l’entreprise, la capacité du collaborateur à garder la main sur ce qu’il déclare, tout en bénéficiant de l’accélération et de l’évolutivité du référentiel offerte par l’IA.

Quelle place l’IA occupe-t-elle dans le domaine de la formation ?

La connexion que l’on peut faire avec le sujet des compétences, la mobilité et l’évolution de poste, là où l’IA peut vraiment apporter de l’aide, c’est tout ce travail de matching, de mise en relation d’un besoin reconnu et exprimé avec une ressource disponible, qu’elle soit matérielle ou autre. Dans la formation, l’une des grandes difficultés que l’on peut avoir côté RH, c’est de mettre à disposition des collaborateurs l’ensemble des formations du catalogue dans un format accessible. L’IA peut justement suggérer, parmi des milliers de sessions, de contenus, la dizaine de modules les plus pertinents par rapport à des objectifs de développement exprimés, et ce, même si l’information a été saisie en dehors du module formation, durant l’entretien de performance par exemple. L’IA peut aussi être utilisée pour analyser la progression d’un collaborateur dans l’assimilation de certaines connaissances afin de cadencer les bons contenus.

Pour reprendre l’exemple du marketing, il y a ce moment assez agaçant, où vous consultez en ligne votre magazine préféré et où surgit une suggestion d’achat qui correspond à une recherche effectuée quelques minutes plus tôt… C’est ce qui pourrait être irritant dans l’IA…

Cette notion d’« explicabilité », de lisibilité pour l’être humain de la raison pour laquelle l’IA me fait telle suggestion est capitale. Ainsi lorsqu’on suggère une compétence dans le profil d’un collaborateur, on indique en sous-titre : « parce que les collaborateurs ayant le même profil que vous déclarent cette compétence » ou « parce que vous avez actuellement tel poste »… Ces explications facilitent l’acceptation et ramènent l’IA à sa force de calcul et de synthèse des multiples sources de données, en limitant l’irritation liée au sentiment de perte de contrôle.

Quels sont les travers que l’on peut imaginer ?

C’est clairement le côté normatif de l’IA, car elle fonctionne bien pour identifier des archétypes puis proposer des suggestions à un profil en fonction de son niveau de correspondance avec un archétype. Cela peut avoir un effet normatif en poussant des profils très divers vers des contenus devenus normés ou stéréotypés. L’IA vous ramènera souvent sur le chemin le plus emprunté. Or la richesse humaine, c’est aussi sa diversité, son originalité, sa créativité face des situations nouvelles. Pousser les collaborateurs vers des profils normés serait prendre le risque de vulgariser un mode de pensée convenu. Or l’IA n’est pas très efficace pour gérer des approches hétérogènes ou des profils atypiques.

Il faut donc être vigilant pour continuer à promouvoir les parcours atypiques, les croisements de compétences et d’expériences, l’esprit critique, et notre capacité à sortir des sentiers battus…

Quelles sont les applications avant-gardistes de l’IA appliquée aux RH ?

Les champs d’utilisation sont innovants dans la partie reconnaissance faciale, analyse des comportements, de l’état émotionnel, ou encore dans l’analyse automatique du niveau de langue des collaborateurs. J’imagine qu’à l’avenir ce qui se développera aussi ce sont les assistants digitaux, un peu plus experts que les chabots, qui ont des possibilités limitées. Vous pourrez probablement leur demander une multitude d’actions. Chaque collaborateur pourrait avoir son assistant pour écrire un e-mail, obtenir une information, réaliser une recherche, une analyse. Suivons de près les usages émergents autour de ChatGPT, la fameuse application de chat boostée à l’IA, ils seront certainement précurseurs de ce que nous verrons en entreprise.

Certains usages de l’IA sont prometteurs mais sont-ils tous souhaitables ?

L’IA augmente le potentiel des organisations humaines et leur vitesse d’exécution, de développement, de collaboration. Ses capacités et ses usages s’accroissent jour après jour. Mais l’IA nous met aussi devant nos responsabilités quant aux risques de dérive sur le plan éthique et moral. Il est donc de notre responsabilité collective d’établir un cadre réglementaire qui conditionne les usages, définisse les limites et les droits, avant que nous ne tombions dans une escalade portée par la seule recherche d’efficacité ou de compétitivité.

Ce n’est pas une tâche aisée, mais c’est le grand enjeu des organisations humaines du début du XXIe siècle.

L’IA à la Une de People At Work #8 : au sommaire ?

Intelligence Providentielle ?

IA : atout ou danger pour l’Expérience Collaborateur ?

C’est avec cette question que la rédaction de People at Work a entamé ses travaux pour ce numéro, il y a quelques semaines. À ce moment-là est intervenu le raz-de-marée ChatGPT. Et comme tout le monde, nous l’avons testé. À la question qui nous occupait, sa réponse :

« Cela dépend de la façon dont elle est utilisée et de la manière dont elle est intégrée dans l’environnement de travail. L’utilisation de l’IA peut aider les employés à se concentrer sur des tâches à plus haute valeur ajoutée. Par exemple, l’utilisation des chatbots peut leur permettre de répondre aux demandes des clients, ce qui peut améliorer la satisfaction des clients et la motivation des employés. Cependant, il est important de veiller à ce que l’utilisation de l’IA ne se fasse pas au détriment de l’emploi et de la QVT. Si elle est mal utilisée, l’intelligence artificielle peut entraîner la suppression de certains emplois et une augmentation de la pression sur les employés qui restent. Il est donc important de mettre en place des mesures pour gérer l’intégration de l’intelligence artificielle de manière équitable et responsable. »

Tout est dit.
À nos lecteurs de décider s’ils feraient la différence entre un éditorial « signé de la patte d’un vrai journaliste » ou un texte « tout droit sorti d’un ordinateur », comme disait l’un de mes anciens patrons de presse.

Anne-Cécile Huprelle,
Rédactrice en chef de People At Work

main robot

Au sommaire de People At Work #8 – IA, tout va bien se penser

Dans le dossier spécial IA

UN GRAND ENTRETIEN : Benoît Coquart, DG du Groupe Legrand

UN VISIONNAIRE :  Cédric Villani

UN EXPERT : Sylvain Letourmy, directeur stratégie applications chez Oracle

 

DES FOCUS :

-MANAGEMENT : Premiers pas avec l’IA, par Myriam Faivre, PDG de la Coopérative d’entrepreneurs CAE CLARA et CLARAbis

-MÉTIERS BOULEVERSÉS : focus en entreprise avec Agnès Duroni, fondatrice d’Adevea et spécialiste du futur du travail, et dans l’industrie avec Xavier Brucker, spécialiste de l’IA dans l’industrie, et Jean-Baptiste Latour, philosophe d’entreprise

BCG X : à l’assaut des transformations digitales

-La transition numérique de Sanofi

-Le leadership génératif selon Fanny Potier-Koninckx Partner & Director, Boston Consulting Group

EDF : une IA pour améliorer l’expérience candidat

-Tribune : comment j’utilise ChatGPT dans mon recrutement ? Par Dan Guez, président du cabinet de recrutement opensourcing.com

-Legislation et IA : que dit la loi en 2023 ? Avec Aida Ponce Del Castillo, avocate

-IA et éthique :  avec Laetitia Orsini Sharps, directrice grand public d’Orange France et présidente de POSITIVE IA

-L’OEIL DE : Luc Ferry, « l’IA forte est une utopie, un pur fantasme ».

 

& aussi

DE LA PROSPECTIVE : Les promesses organisationnelles de l’IA

DES CAS D’ENTREPRISES GREAT PLACE TO WORK

EXPERTISE : La RSE Version BUT

UN DÉBAT : Manager, un poste en désamour ?

 

LA BOITE À OUTILS d’Ilona Boniwell

ENVIRONNEMENTS : le bureau totem

PORTRAIT : Michel Haas, le DRH Pèlerin

Acheter et s’abonner à « People at Work »

People At Work #8, le nouveau numéro spécial IA
14,90€ sur monmag.fr

Couverture du magazine People At Work n°8, robot intelligence artificielle

 

Témoignage : j’ai posé un congé pour faire Saint-Jacques-de-Compostelle

Pourquoi avoir décidé maintenant de faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ?

Cette prise de décision est intervenue 4 ans après  mon arrivée à Storengy. En tant que DRH, ces années ont été  très intenses avec la mise en place d’une nouvelle organisation, un repositionnement stratégique, la gestion de la crise Covid. J’ai ressenti le besoin de marquer une pause. J’ai eu cette petite lumière au fond de moi qui me chuchotait que c’était le moment. Il était impératif pour moi de prendre du recul sur les questionnements que j’avais par rapport à ma vie. L’émergence de ces pensées m’a amené à sérieusement envisager  d’entreprendre la démarche de partir. Et c’est ma directrice générale qui a fini par me convaincre, en me déculpabilisant : « 3 mois, ce n’est pas plus long qu’un congé maternité ». C’est ainsi que je me suis mis en route.

Quelle a été la réaction de vos équipes quand vous leur avez annoncé la raison de votre congé ?

Dans ce cas précis, je ne parlerais pas de congés, mais plutôt de « projet ». Il a été très bien accueilli par l’ensemble de mes équipes en suscitant un intérêt sincère, voire de l’admiration et parfois de l’envie ! Au moment de partir, nous avons organisé un moment de convivialité  entre nous… Mes collègues m’ont fait passer une petite carte avec un mot. Dans l’une d’elles quelqu’un a écrit : « C’est formidable ce que tu fais, car tu nous prouves que c’est possible ».

Vous êtes parti de chez vous, comme le veut la tradition ?

J’habite à Saint-Cloud, et je suis parti de la tour Saint-Jacques, à Paris, le 2 octobre au matin. Je voulais avoir le tampon de la tour Saint-Jacques avec sa coquille, sur ma Crédenciale, le passeport du pèlerin de Compostelle. Puis, je me suis lancé dans ce périple de deux mois et demi jusqu’à Compostelle.

Votre voyage a été fait dans les règles de l’art, avez-vous été au-delà de Saint-Jacques de Compostelle ?

Tout dans les règles de l’art ! Oui en effet, jusqu’au cap Finisterre, l’étape après Saint-Jacques.

Avez-vous fait des rencontres ?

La période en France  a été marquée par une marche de 12 jours où j’étais tout seul pendant la journée et le soir lors de mes arrêts dans les hébergements… Malgré tout, mon chemin n’était pas que solitaire, ponctué de rencontres dans les villages traversés. Au fil des jours, je me suis aperçu, en lisant les messages laissés dans les livres d’or des  haltes jacquaires,  qu’un pèlerin me précédait de  deux ou trois jours. Et un soir, à la halte jacquaire de Sainte Maur de Touraine, j’ai eu le plaisir de le retrouver. Ce pèlerin, parisien comme moi était parti quelques jours plus tôt.  Nous avons ensuite  marché jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle ensemble. En Espagne, il y a beaucoup plus de pèlerins,  provenant de pays parfois très lointains : des Sud-Coréens, des Taïwanais, des Néerlandais, des Allemands…

Quelles ont été les difficultés de votre voyage ? Votre épreuve était-elle plus physique ou morale ?

Pour ma part, j’ai dû faire face après dix jours de marche à des soucis physiques qui m’ont amené à revoir ma manière de marcher. Plus tard, en Espagne, cela faisait plus d’un mois et demi que je marchais, j’ai connu une période d’épuisement physique et mental. Enfin j’avoue que les jours de mauvais temps le moral en prend un coup ! Mais finalement j’ai su trouver les ressources physiques et morales pour surmonter ces difficultés.

Est-ce que vous attendiez des choses particulières à travers ce périple ? Ou vous n’attendiez rien et c’est le cheminement qui vous a amené des réponses ?

J’ai 54 ans et je suis au mitant de ma vie. J’avais donc ce besoin de me retrouver seul avec moi-même et de prendre le temps de cette introspection. J’attendais aussi ce petit quelque chose d’excitant qu’est l’aventure. Enfin, j’avais envie de me prouver que j’étais capable de me surpasser. Et ces objectifs-là, je les ai atteints. Il  y a plein de choses que je ramène du voyage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Je reviens transformé. J’ai appris durant ce cheminement à mieux écouter les réactions de mon corps et mon esprit. Quand vous marchez, vous avez mal aux pieds et aux jambes, aux genoux et au dos. J’ai pu constater qu’à certains moments, je ne me sentais pas bien, j’étais fatigué, je commençais à m’épuiser. Cette capacité à s’écouter n’était pas quelque chose que je faisais spontanément. Et d’un point de vue professionnel, eh bien je me suis aperçu que les équipes avaient su s’organiser et que mon organisation était suffisamment résiliente pour faire face à mon absence.  J’ai pu ainsi  décrocher,  remettre les choses à plats et dans le bon ordre. À mon retour au bureau, j’ai recommencé doucement, en évitant les sur-sollicitations.

Au bureau, votre rapport aux autres, votre gestion du personnel a-t-elle évolué ?

Je constate que mon aventure est perçue comme le signe que dans mon entreprise, il est possible de vivre une passion ! J’espère que cela donnera envie à des collègues d’oser prendre un temps de pause dans leur parcours professionnel pour réaliser un projet qui leur tient à cœur. Je reviens de Saint Jacques de Compostelle avec un rapport au temps et aux autres transformé.

Quelle part de vous-même avez-vous laissé / gardé sur le chemin ?

J’espère avoir laissé sur le chemin un peu de mes peurs, de ce qui m’empêche d’oser, d’aller vers l’inconnu. Je sais que je suis capable de me dépasser et que je peux avoir confiance dans ma capacité à réussir. Je voudrais conserver une certaine capacité à prendre du recul, à observer et à écouter. Peut être même à vivre plus lentement ?

A votre retour, vous avez eu envie de témoigner de votre expérience sur LinkedIn. Un post qui a beaucoup fait réagir…

J’ai eu envie de partager ma joie d’avoir réussi à marcher plus deux mois et près de 2 000 kilomètres. J’avais envie également de témoigner du support que j’avais trouvé auprès de mes collègues et de ma direction. Sans eux je n’aurais pas pu partir aussi longtemps. J’ai eu des réactions d’admiration mais également, je crois que mon témoignage a pu contribuer à encourager certains à envisager de vivre une aventure ou de réaliser un rêve.  Cela dit je reste modeste car je n’ai pas le sentiment d’avoir réalisé un exploit comparable à une traversée de l’Atlantique en solitaire !

Quelques mois après votre retour,  êtes-vous dans un état d’esprit similaire à celui de Compostelle, ou les choses ont-elles évolué ?

Le retour est un moment délicat et intéressant à observer. Je suis passé par différentes phases.  Quand je suis rentré, j’étais très heureux de retrouver les miens, mais en même temps, j’étais nostalgique. C’est comme quand vous quittez un endroit que vous avez aimé. J’étais un peu stressé et inquiet du retour, de la réadaptation.  Il faut fournir un effort pour se réintéresser aux sujets professionnels et personnels. Aujourd’hui, je suis dans un autre état d’esprit qu’il y a encore quelques semaines. Je me pose des questions plus profondes sur ce chemin, au-delà des beaux paysages, des personnes que j’ai rencontrées et des souvenirs. C’est un chemin que je commence et qui va m’occuper pendant un petit moment !

Volvo, ou l’art de la QVT à la suédoise

En quoi le groupe fait-il la différence avec son programme d’accompagnement à la parentalité ?

Le « Lien familial par Volvo Cars » est un dispositif qui accorde à l’ensemble des membres du personnel ayant au moins une année d’ancienneté un total de vingt-quatre semaines de congé à 80 % de leur salaire de base. Ce congé peut être pris à tout moment au cours des trois premières années de parentalité. Reconnaissons-le, cette politique générale est plus inclusive et solidaire que bon nombre de politiques existantes à travers le monde, notamment dans le secteur automobile, et elle inclut l’ensemble des parents légalement enregistrés, y compris les parents adoptifs, les familles d’accueil et de substitution, ainsi que les parents non biologiques au sein de couples de même sexe. Certains pays n’offrent aucun congé rémunéré aux nouveaux parents ou excluent certains groupes de parents, ce dernier cas étant particulièrement vrai concernant les pères… Notre congé parental rémunéré vient aussi à la suite d’un projet pilote de congé parental, lancé dans la région EMEA (Europe Middle East & Africa) de Volvo en 2019, où 46 % de l’ensemble des demandeurs étaient des pères. Après avoir analysé le bilan de son projet pilote de congé parental, l’entreprise a découvert que les membres du personnel appréciaient cette politique pour son caractère non sexiste, inclusif et adaptable aux besoins personnels. Rappelons que certains des obstacles qui entravent la prise du congé parental incluent les préoccupations des parents concernant l’impact potentiel que cela pourrait avoir sur leur équipe, les craintes vis-à-vis des opportunités de carrière à long terme, et une habitude culturelle concernant ce que l’on attend des pères sur le lieu de travail et à la maison.

Ce congé parental est pionnier…

En effet, mais pas uniquement en France. Au niveau européen, puis au niveau mondial, la volonté conjointe a été de savoir comment nous allions approcher cette nouvelle politique et le lien familial, comment nous allions dépasser le clivage hommes-femmes, comment les collaborateurs allaient s’investir dans leur vie professionnelle. Ce travail a aussi été effectué au niveau régional avec les managers. Ce n’est pas uniquement un travail de ressources humaines. La people expérience ne peut se mener seul. C’est un travail d’ensemble.

On se souvient d’une façon de concevoir, voire de supprimer le travail à la chaîne dans les années 1980, de l’invention de la ceinture de sécurité[1], sans parler de l’engagement 100 % électrique : le souci du bien-être des collaborateurs et des usagers de la marque n’est pas une nouveauté chez le constructeur suédois…

Tout est pensé autour de l’Homme, dans son sens le plus large, au niveau de nos clients comme au niveau de nos collaborateurs. Cela se décline ensuite de façon diverse et localisée en fonction des pays. Tout cela est imprégné d’une grande culture suédoise autour de l’humain. En effet, l’origine suédoise de Volvo Cars donne une coloration à un certain nombre de choses dans l’entreprise, particulièrement dans l’équilibre souhaitable entre la vie professionnelle et la vie personnelle, avec une philosophie qui n’est pas liée à l’équilibre hommes-femmes mais à la façon dont Volvo envisage la parentalité au sein de la structure.

Le mariage chinois de Volvo Cars a-t-il changé des choses dans ce comportement, dans cette attitude nordique ?

Si l’on reprend toute l’histoire de Volvo Cars, il y a déjà eu des mariages et des fiançailles qui, en aucun cas, n’ont terni l’ADN de la marque. Que ce soit avec les États-Unis, la France ou la Chine, Volvo a toujours su garder son identité et ses valeurs.

Dans la définition de votre poste, on ne parle plus de « RH » mais de « People Experience, Network & Competence Development »…

Volvo Cars offre à ses collaborateurs la possibilité de se développer. C’est véritablement une approche « gagnant-gagnant », avec une vigilance accordée au bon équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Nous sommes aussi particulièrement attentifs à la bonne intégration. À son arrivée, chaque collaborateur va vivre un parcours de découverte de la marque pour s’imprégner de la culture de Volvo. Les formations techniques et commerciales, autant internes qu’à destination du réseau de concessionnaires, font ainsi partie de mes prérogatives.

Comment Volvo Cars pourrait-il aller encore plus loin ?

Sans être intrusifs, nous cherchons à accompagner chacun de nos collaborateurs dans les étapes de sa vie. Nous pourrions ainsi avoir le même type de réflexion pour les proches aidants : nos collaborateurs travaillent de plus en plus tard et peuvent se retrouver à accompagner un membre de leur famille en perte d’autonomie.

La pandémie que nous venons de vivre a-t-elle révélé une nouvelle façon de concevoir les relations humaines chez Volvo Cars, des forces et des faiblesses aussi peut-être ?

Effectivement, elle a mis un certain nombre d’éléments en exergue et a renforcé le dialogue social que nous pouvons avoir en interne. Il a fallu expliquer bon nombre de choses et être très présents dans les mauvais comme dans les bons moments. Une grande souplesse a été nécessaire pour s’adapter aux différentes situations. Pendant le confinement, un jeune collaborateur seul dans un studio de la région parisienne n’a pas du tout vécu la même chose qu’un collaborateur dans une maison en province. Le besoin de lien social était différent. Notre réponse a été de s’adapter aux contraintes des uns et des autres avec la flexibilité nécessaire.

Vous en dressez donc un bilan plutôt positif ?

Je pense même très positif si je prends en compte les nombreux retours que nous avons pu avoir. Notre organisation, numérique notamment, nous a permis de ne pas avoir de coupures. Nos outils de communication sont devenus de plus en performants. Nous avons anticipé un certain nombre de choses. Au fil de l’eau, le lien avec les collaborateurs comme avec le réseau a été permanent, avec une grande qualité d’écoute et d’interactivité. Nous avons, par exemple, créé des groupes WhatsApp et Teams spécifiques pour communiquer le plus rapidement possible. Cette pandémie a été un accélérateur de nombre d’éléments et un révélateur. Le management ne se fait plus, du tout, de la même façon. Des interrogations comme des remises en question ont été posées sur certains modes de fonctionnement. Nous n’ouvrons pas un lien Teams pour faire uniquement de l’échange d’informations. Le souci est de savoir créer le lien, de s’informer des uns et des autres. Les signaux faibles ne se perçoivent plus de la même façon. D’autres sens doivent être plus éveillés. L’écoute doit être plus active.

Nous parlons un peu d’intelligence artificielle ?

Oui, bien sûr. L’IA permet notamment à chacun de prendre conscience de la façon dont il s’exprime, comme de sa capacité d’écoute. Mais là encore, comme pour la sécurité d’une voiture Volvo, c’est au service de l’humain. Elle permet de se libérer de certaines tâches, peut-être pénibles, au profit d’autres. Elle permet une évolution des compétences et des métiers. Volvo Cars a ainsi nommé un expert en la matière, il est au service des différentes entités de l’entreprise.

Comment avez-vous conjugué votre expérience Apple avec celle de Volvo ?

Inconsciemment Volvo Cars bénéficie de cette expérience Apple, l’expérience d’une société très innovante qui a créé le futur. Son approche des ressources humaines est là pour faciliter la créativité comme l’épanouissement. Je dois avouer appliquer, peut-être inconsciemment, quelques recettes, notamment sur la diversité par exemple, sur la façon dont les personnalités des uns et des autres peuvent enrichir l’entreprise. Elle permet de sortir des sentiers battus. Ainsi, un environnement automobile ne peut pas être uniquement constitué d’hommes. Les femmes y apportent désormais de plus en plus leurs compétences. Le niveau d’exigence et de bienveillance doit y rendre le travail des plus agréables. Ainsi notre actionnaire chinois a été très respectueux de cette culture. Il en a gardé le meilleur. Et comme notre président, Yves Pasquier-Desvignes, est particulièrement connecté avec ses ressources humaines, c’est un binôme naturel, c’est une complémentarité dans les approches. Cela ne veut pas dire que ce soit un alignement permanent : les discussions régulières sont fructueuses. Tout cela crée aussi un climat serein pour avancer sur les sujets. J’ai beaucoup de chance, car il est très conscient de l’impact des ressources humaines sur l’organisation d’une entreprise. Ainsi, la transformation ne passe pas par les machines mais par les humains, par les changements de comportement et de management. Et cela prend du temps, demande de la bienveillance et de l’exigence quant à la destination visée.

Quels éléments vous permettent de dire que ce bien-être voulu rend les collaborateurs de Volvo plus performants ?

Quand nous effectuons un recrutement chez Volvo Cars nous avons l’habitude de dire que cela se fait à parts égales. C’est-à-dire que nous nous choisissons mutuellement sur la base d’un certain nombre d’éléments. Cela se veut encore gagnant-gagnant. Si la société en bénéficie, c’est aussi le cas des collaborateurs. Même en pleine crise mondiale, les récentes performances commerciales de Volvo sont là pour en témoigner, ce en France comme à l’international. Nous savons nous stimuler les uns et les autres, nous savons ne rien lâcher. Chaque collaborateur est ainsi une force de proposition. Un fort sentiment d’appartenance nous porte tous. L’équilibre entre ceux qui arrivent et ceux qui sont déjà là crée cet ensemble, une dynamique au service de la performance, de l’ambition, le tout avec élégance et sens de la responsabilité. Comme nous le disions en débutant, tout tourne toujours autour de l’humain.

Bio Express : Marie-Noëlle Pillot

Après un début de carrière RH dans l’industrie, Marie-Noëlle Pillot rejoint Apple en 1991. Elle y exerce les fonctions de responsable de l’administration du personnel. De 2002 à 2009, en qualité de responsable des ressources humaines des deux entités du groupe Apple en France, elle est plus particulièrement chargée des divisions, ventes et R&D, ainsi que des salariés internationaux. En 2011, elle intègre l’équipe de direction de Volvo Car France à Nanterre, avec la responsabilité des ressources humaines de la filiale ainsi que celle du développement des compétences des collaborateurs du réseau de concessionnaires Volvo. La qualité des formations délivrées par la filiale française à son réseau est reconnue comme un des points forts de Volvo Car France.

Volvo en quelques chiffres

  • 1927 : naissance.
  • 661 713 véhicules vendus en 2020 dans une centaine de pays.
  • 40 000 employés à plein temps.
  • Le siège social, le développement produit, le marketing et l’administration de Volvo Cars sont principalement situés à Göteborg, en Suède. Le siège de Volvo Cars en Chine se trouve à Shanghai.
  • Au cours de l’exercice fiscal 2020, le résultat d’exploitation de Volvo Car Group a atteint 8,5 milliards de SEK (soit 839 millions d’euros).

 

[1] Une invention que l’on doit à l’ingénieur suédois Nils Bohlin (1920-2002), qui a développé cet équipement de sécurité pour Volvo. La ceinture de sécurité à trois points se retrouve ainsi pour la première fois sur une voiture de série, la PV544, livrée à un client le 13 août 1959.

Les valeurs dites « féminines » ne sont plus taboues : elles sont tendance

Lorsqu’il y a plus de vingt ans la DRH de la division recherche et développement de Corning, entreprise américaine à l’origine du développement de la fibre optique, m’a demandé quelles étaient les inégalités de traitement que je pouvais observer entre les femmes et les hommes en Europe, j’avais éludé : « Écoute Randy, ici tout va bien, nous ne sommes pas aux États-Unis, pas besoin de charte ou de formation sur le sujet ! » Je le pensais sincèrement.

Corning est un groupe très avancé dans sa culture et ses pratiques RH, j’étais entourée de femmes managers, directrices de projet ou expertes désignées et reconnues dans leur spécialité scientifique. Et surtout je me sentais, jeune et titulaire d’un très beau poste RH, reconnue et valorisée dans cet environnement. Pourtant Randy m’a fait prendre conscience de certains détails. Par exemple, sur un document de consultants externes j’étais simplement « Emmanuelle » là où mon collègue financier du même âge et de la même formation était « M. Thierry M. », et cela ne choquait personne. Quelques années plus tard, dans le monde de la microélectronique, c’est la réaction d’une de mes recruteuses qui m’a interpellée : « C’est un poste qui demande de nombreux déplacements à l’étranger, difficile de prendre une femme qui a de jeunes enfants. » Ce genre d’affirmation était rarement asséné aux hommes.

Même si les mentalités évoluent, les pratiques sexistes sont encore légion. Seule femme au Comex du groupe industriel international Winoa, je garde un souvenir cuisant de ce séminaire où nous étions 4 femmes parmi 25 participants de toutes nationalités, au cours duquel un de mes collègues s’était illustré en clôturant son intervention d’un magnifique : « Désolé pour les femmes de l’assemblée qui n’ont sans doute pas tout compris à mon exposé technique ! » et nous avait offert à chacune, tout fier de lui, une mascotte en peluche de l’hôtel où nous résidions.

Oui, le monde de l’entreprise est façonné par et pour des hommes, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où nous sommes éduqués selon un système de valeurs élitiste qui favorise l’esprit de compétition et l’individualisme plutôt que l’entraide et le sens du collectif. Y réussissent celles et ceux qui s’y conforment. Ainsi voit-on fleurir des programmes de formation au leadership pour les femmes qui leur enseignent à se rendre plus visibles, à faire parler d’elles, à s’affranchir du syndrome de la bonne élève, à travailler leur réseau, bref à oser s’affirmer.

J’ai moi-même suivi récemment un programme de formation à la gouvernance des entreprises réservé aux femmes. J’ai été frappée de constater qu’elles sont de plus en plus nombreuses à souhaiter créer une entreprise et à travailler dans un cadre et surtout un système de valeurs différents. La motivation de nombre de mes camarades de promo à rejoindre un conseil d’administration tenait à leur envie de contribuer à changer le monde, et celui du travail en particulier, en questionnant le rapport au sens, au bien commun, au pouvoir, au salaire…

C’est à mon sens là que se situe la réponse au plafond de verre : la période de transformation que l’entreprise traverse face aux défis sociaux, environnementaux et sanitaires appelle à des changements profonds en matière de gouvernance, de raison d’être voire de mission, de management et d’organisation du travail. Et sur ce terrain, les valeurs dites « féminines » sont recherchées : recherche du bien commun, inclusion, éthique, harmonie entre le pro et le perso, performance sur le long terme… Ce n’est plus tabou, au contraire : c’est tendance. Les entreprises qui s’engagent dans une véritable stratégie RSE et veillent à la qualité de leur management le constatent dans leur capacité à attirer et à fidéliser les talents.

Il est réjouissant de voir que les grandes écoles évoluent en ce sens, comme GEM (Grenoble École de management), qui est devenue une entreprise à mission, et sa « chaire paix économique », qui se veut un contrepoint à la notion de guerre économique.

Ce changement dans la hiérarchie des valeurs est un véritable tremplin pour les femmes.

Au-delà des engagements de parité et d’égalité, portés par des actions RH et management concrètes et nécessaires visant à l’égalité salariale ou à l’accès à la formation, c’est la notion de mixité des profils, des personnalités, des parcours et des formations qui me semble importante. Source de questionnement et de renouvellement des pratiques, au sein des boards, par exemple, on parle de gouvernance hybride lorsque la présence d’administrateurs indépendants vient enrichir la réflexion stratégique. La mixité joue un rôle déterminant dans l’évolution de la culture d’entreprise, qui traduit au quotidien les véritables valeurs, celles qui s’incarnent dans les actes et les comportements.

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Valérie Decaux, Directrice des ressources humaines du groupe La Poste

Très tôt, vous épousez une carrière dédiée aux ressources humaines. Pourquoi ce choix ?

Ce choix est le produit de la vie. Le hasard ayant bien fait les choses, j’ai choisi de ne pas le contrarier. J’ai fait des études de finances et de marketing et, à l’époque, dans les écoles de commerce, la partie RH était peu développée. J’ai commencé à travailler aux Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), rebaptisées Presstalis en 2009 : j’avais la charge d’un portefeuille d’éditeurs de presse pour lesquels nous faisions du conseil en marketing et du conseil en matière de distribution. Deux dimensions du métier me convenaient : le contact et la réflexion. À l’occasion d’un gros projet d’entreprise – la mise en place d’un système d’information commerciale –, on m’a demandé de développer et de mener le volet formation. C’est comme cela que j’ai basculé au sein de la direction des ressources humaines. Une fois ce projet terminé, j’ai naturellement rejoint la fonction RH de plein exercice, et c’est comme cela que les choses ont commencé.

Quel souvenir gardez-vous de ces dix années au sein des NMPP ?

J’ai eu le temps de « me muscler » sur tous les aspects de la fonction RH. Une facette de cette expérience m’a été utile ensuite : quand vous distribuez de la presse au quotidien, il n’est pas question que les journaux arrivent en retard. J’ai donc expérimenté la gestion des salariés et le « flux tendu ». J’ai retrouvé celui-ci dans la suite de mon parcours dans l’intérim, à VediorBis, devenu Randstad.

Le milieu du travail temporaire vous a-t-il permis d’affiner la face « sociale » de votre métier ?

À cette époque, le travail temporaire était en pleine évolution et n’avait pas très bonne réputation. Avec Manpower et Adecco, nous avons réussi à en faire un véritable acteur de l’emploi et à le faire savoir. Nous avons développé des politiques sociales qui n’existaient pas jusqu’alors. J’ai notamment conçu et mis en œuvre des politiques d’insertion et de formation à destination des salariés intérimaires. Quand une entreprise a besoin d’intérimaires, c’est, en général, dans des délais extrêmement courts. J’ai dû m’habituer à travailler vite et à avoir une notion d’efficacité très marquée.

Comment préserve-t-on le capital humain quand on a une telle exigence de réactivité ?

Vous savez, l’image fantasmagorique du DRH qui reçoit quatre personnes dans la journée autour d’un thé est totalement fausse. Je ne l’ai jamais connue ! J’ai toujours eu à cœur d’être en ligne avec l’activité des entreprises : dans son développement, ses restructurations, son rythme, ses besoins. La fonction RH, de mon point de vue, si elle ne suit pas cela, est « hors sol ». Le fait d’être ancré dans la réalité de l’activité de l’entreprise, c’est une forme de garantie d’efficacité de la fonction, une fonction de service aux opérationnels. Le DRH est dans le quotidien de l’activité et de la vie de l’entreprise, chaque jour.

Avec sa signature « Être bien en entreprise », People at Work souhaite se démarquer du côté « mode » et « promotionnel » de l’expérience collaborateur en entreprise. Quelle en est votre définition ?

Le DRH reste une cheville ouvrière entre le management et les collaborateurs. C’est une fonction que l’on ne peut pas exercer n’importe comment, qui ne peut pas être exercée par n’importe qui. Il faut avoir une colonne vertébrale de valeurs extrêmement fortes, car le DRH est tiraillé entre des impératifs financiers et le corps social de la société. Il doit avoir une vraie vision de l’équilibre d’une entreprise. Pour ma part, je n’ai jamais opposé le business, d’un côté, et les salariés, de l’autre, ça ne marche pas comme cela. Au contraire, il faut trouver les points d’intérêt mutuels. Le travail peut être vu comme une contrainte, mais c’est aussi un vrai moyen de se réaliser. Je vais grossir le trait, mais on ne peut pas opposer les « gentils salariés » et le « méchant employeur qui cherche le profit », ça n’est pas vrai, cela n’existe pas. Il y a longtemps que je fais ce métier, et je n’ai jamais rencontré un patron qui pense cela : il est important de ne pas se mettre dans des dialectiques d’opposition parce qu’elles sont fausses. Les dirigeants ont envie que leur entreprise réussisse. Et chacun sait qu’on ne peut pas poursuivre ce but sans l’adhésion et l’engagement de tous, sans une forme de « bien-être au travail ». Sans fierté, sans engagement, on n’y arrive pas. Le DRH tend à être ce point d’équilibre et de réconciliation entre un monde qui a besoin d’être efficient, de faire du profit, tout en embarquant son corps social de la meilleure façon possible. Ma conception de la qualité de vie en entreprise, c’est l’équilibre entre toutes les parties.

En 2008, vous rejoignez la Saur. Vous dites que vous avez choisi le dirigeant, Olivier Brousse, plus que l’entreprise. Pouvez-vous nous expliquer quelle distinction vous faites, en quelques mots ?

Je suis très sensible à la cause environnementale. Les problématiques d’eau potable, de traitement des eaux et des déchets sont au cœur de notre monde, et je trouvais que ce poste avait un véritable attrait, en tant que DRH. Ce qui montre bien que je ne perçois pas ma fonction comme n’accordant pas d’intérêt à l’activité de l’entreprise. La rencontre avec Olivier Brousse a en effet été une rencontre personnelle, sympathique, et elle fut le déclencheur pour rejoindre cette entreprise. Je ne venais pas du secteur de l’environnement et, pourtant, ce dirigeant m’a choisie, considérant que j’avais la capacité à m’adapter à d’autres domaines d’activité.

L’année 2013 vous mène vers une marque emblématique, Monoprix… Qu’avez-vous le plus apprécié dans cette expérience ?

J’ai apprécié de découvrir le monde de la vente au détail. C’était la première fois que j’étais dans une entreprise de B to C, avec des problématiques d’expérience client et de développement de l’e-commerce. Je mesurais au quotidien l’importance de travailler pour une maison historique, Monoprix ayant été fondée en 1932, et pour une marque proche des gens, présente dans toutes les grandes villes. Les métiers du retail sont à la fois difficiles et attachants, comme ceux de La Poste. Le secteur de la grande distribution était déjà en grande mutation quand j’y suis entrée, et cela influait sur les exigences de transformation des comportements au travail de l’ensemble des salariés. Rappelons-nous, il y a quelques années, on attachait moins d’importance au service client. Aujourd’hui, dans les magasins, les produits sont disponibles en rayon, et des femmes et des hommes peuvent vous renseigner ou vous livrer. La notion de service client est devenue un véritable top of mind.

Le Groupe Casino se distingue par la mise en place d’un « management bienveillant ».

J’étais DRH de Monoprix, qui fait partie du Groupe Casino, quand cette politique a été mise en place. Nous avons créé le réseau des « bienveilleurs », ces salariés qui veillent sur les autres et lancent l’alerte quand un collègue ne va pas bien[1]. Et je trouvais que, dans cet univers difficile et exigeant où l’on commence tôt le matin, c’était une attention portée aux salariés qui me semblait indispensable pour les managers de proximité, les directeurs de magasin et les employés. Nous devions soutenir cette exigence mentale et physique envers les salariés. J’ai moi-même participé à décharger des cagettes, à mettre en rayon, à l’aube, des produits frais. Je peux vous dire que le travail est considérable. Quand on n’est pas entraîné, au bout d’une journée on est cuit ! De même, la relation aux clients est difficile, on le voit avec la montée des incivilités. Mettre en œuvre la démarche de « management bienveillant », qui est une forme de care, était assez puissant.

Et puis l’opportunité de devenir DRH de La Poste s’offre à vous. Vous intégrez un groupe en plein bouleversement. Le grand enjeu est d’accompagner les postiers dans la transformation de leur entreprise et de leur profession. Comment pourriez-vous définir le rôle qui est le vôtre ?

Le cœur du métier de DRH est d’offrir des possibilités en matière d’évolution de carrière, de parcours professionnel et de formation, de façon à permettre l’évolution des métiers qui sont en attrition, comme c’est le cas à La Poste, car le courrier baisse de façon drastique. Ce phénomène est d’autant plus prégnant depuis le début de la crise sanitaire, car 85 % des expéditions de courrier viennent des entreprises. La fermeture des entreprises, particulièrement durant le premier confinement, a accéléré cette baisse, qui était déjà réelle depuis une dizaine d’années. Le trafic du courrier baisse en moyenne, de 7 % à 8 % par an. Nous commençons l’année 2021 avec une « baisse du double ». Tout le sujet de la DRH de La Poste que je suis est de regarder comment nous pouvons faire évoluer les carrières des postiers vers des fonctions en développement et comment leurs compétences peuvent être valorisées. Deux compétences transverses me semblent aujourd’hui majeures. Tout d’abord, les entreprises doivent porter le rôle sociétal de former leurs salariés aux outils numériques. À La Poste, la proximité humaine est quotidienne, et si nous souhaitons que nos facteurs puissent aider nos clients sur différents sujets, cela suppose qu’ils soient à l’aise avec ces outils. La seconde compétence transverse, c’est la posture client. Celle-ci doit exister pour les fonctions de service mais aussi pour les fonctions supports, car c’est le gage d’un bon fonctionnement et d’une coopération réussie. La transition numérique et la posture client sont des compétences de demain et des clés pour les transformations des entreprises.

Nous avons relaté les grandes étapes de votre parcours. Quels ont été les grandes évolutions du métier de DRH depuis vos débuts ?

La fonction est plus exigeante et protéiforme. Le niveau attendu est plus élevé qu’il y a quinze ans. Aujourd’hui, un DRH doit rester un bon expert, un bon technicien de sa fonction. Tous les aspects réglementaires se sont considérablement complexifiés. La fonction doit aussi être nourrie d’une vision stratégique plus forte, car nous évoluons dans un monde incertain et cela suppose d’avoir une sorte de vista. Un DRH doit sentir comment le monde du travail évolue : vers quoi il va aller et vers quoi l’entreprise peut s’orienter en faisant évoluer son corps social.

[1] Voir à ce sujet, notre interview de Franck-Philippe Georgin, Secrétaire Général du groupe Casino – People at Work n°1

La Raison d’être selon Veolia

Parlez-nous de la genèse de la raison d’être de Veolia.

Le PDG du groupe, Antoine Frérot, en est le principal moteur. Il s’investit depuis plusieurs années déjà dans une réflexion autour de la place des parties prenantes de l’entreprise. L’élaboration de notre raison d’être a donc été un prolongement naturel. Les activités de Veolia et la sensibilité de notre groupe aux questions d’empreinte environnementale et de développement durable étaient également en phase avec la construction d’une raison d’être. Le texte est le fruit de concertations denses, réalisées avec le management, les représentants du personnel, une grande partie des salariés et les membres du conseil d’administration. Le texte a été voté par le conseil d’administration, puis présenté à l’assemblée générale des actionnaires. Enfin, d’autres parties prenantes ont été impliquées, comme notre comité de « critical friends ». C’est un groupe composé d’une quinzaine de personnalités extérieures à l’entreprise qui viennent d’ONG, de l’économie sociale et solidaire ou du monde universitaire.

Comment les représentants du personnel se sont-ils impliqués ?

D’une manière totale. La contribution des salariés, par la voix des représentants, a nourri le texte pour une meilleure prise en compte des aspects liés aux ressources humaines. Les collaborateurs sont par exemple à l’origine de l’engagement selon lequel « Veolia favorise, notamment au sein des instances représentatives du personnel, le dialogue social qui participe à l’appropriation par les salariés de notre projet collectif ».

Comment fait-on vivre une raison d’être au quotidien dans l’entreprise ?

On l’utilise comme un outil. En effet, il ne suffit pas de faire un beau texte, il faut le faire vivre et l’utiliser. Pour certains pays d’implantation du groupe, ou certains métiers, la raison d’être est facile à appréhender. Lorsque vous réalisez des branchements et des distributions d’eau pour des populations en difficulté en Équateur, elle prend une dimension très concrète. Mais pour d’autres salariés, comme ceux des fonctions support, c’est plus compliqué. Nous avons beaucoup communiqué en interne sur la raison d’être, pour la présenter, l’expliquer et avec l’ambition que tous nos salariés pouvaient l’appréhender. Nous avons constitué une communauté de travail où chacun pouvait trouver, en plus d’un revenu et du respect de sa santé et de sa sécurité au travail, un sens à son activité. La raison d’être est aussi animée par l’engagement dans une démarche collective valorisante et un épanouissement personnel. Par des programmes de formation, Veolia souhaite s’assurer du développement des compétences de ses salariés qui sont dans leur grande majorité des ouvriers et des techniciens. L’entreprise s’appuie sur leur responsabilité et leur autonomie à tous les niveaux et dans tous les pays, et promeut l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.