Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Jeunes diplômés en quête d’expériences

Comme lors des précédentes crises économiques, les jeunes diplômés sont la première catégorie d’actifs à faire les frais des restrictions de recrutement. Pourtant, selon une étude de JobTeaser, un site d’offres d’emploi spécialisée dans le recrutement des jeunes diplômés, ces derniers continuent d’être optimistes pour leur avenir professionnel. Ils sont 45 % en moyenne à se déclarer confiants, voire très confiants, un chiffre qui monte à 53 % pour les diplômés d’écoles d’ingénieur et qui tombe néanmoins à 38 % pour ceux issus de formations professionnelles. Et parmi leurs principales inquiétudes, les doutes concernant leur orientation prennent la première place, loin devant la difficulté à trouver un emploi ou à en changer.

Une « génération Covid » très pragmatique

Face à cette situation, ces 750 000 personnes entrant cette année sur le marché du travail (dont 210 000 avec un Bac + 3 ou plus) refusent de se considérer comme une « génération sacrifiée ». Certes, nombre d’entre elles doivent revoir à la baisse certaines de leurs ambitions de salaire, de contrat ou de poste, mais elles savent faire preuve de pragmatisme, de flexibilité et de résilience en n’hésitant pas à changer de secteur d’activité et de métier pour parvenir à décrocher leur premier emploi. Certains préfèrent poursuivre leurs études le temps que passe la crise, mais ce choix n’est évidemment pas possible pour tous. D’autres encore décident de trouver un travail alimentaire afin d’obtenir une expérience et de pouvoir démontrer leur employabilité.

Mais pour ceux ayant la possibilité de décrocher des entretiens et des propositions d’embauche, les critères de sélection mettent de plus en plus en avant la qualité de vie au travail. Selon une étude de l’agence d’intérim Walters People, si l’attractivité d’un poste reste principalement déterminée par le sens de la mission et la rémunération, la fidélisation des jeunes talents dépend avant tout de l’ambiance de travail. Et en cette période où le télétravail est de mise, les liens entretenus par les équipes et les supérieurs deviennent de plus en plus déterminants, notamment pour les salariés en début de carrière.

La qualité de vie au travail, un élément central dans les aspirations des jeunes

Selon l’étude de JobTeaser, les candidats à l’embauche se montrent de plus en plus intéressés par l’environnement de travail, leur poste et les missions de l’entreprise, des points qu’ils n’hésitent pas à questionner pendant les entretiens de recrutement. Ainsi, les conditions de travail prennent depuis l’automne 2020 la première place des préoccupations des jeunes diplômés (65 %), devant l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle (45 %), le salaire (38 %) et l’accompagnement dans l’intégration (31 %). Les jeunes montrent clairement qu’ils attendent de leur entreprise qu’elle contribue à leur bien-être, en mettant les relations humaines au centre de la vie professionnelle. Néanmoins, l’importance prise par ces critères relègue au second plan les formations délivrées dans l’entreprise (17 %), mais aussi certains engagements sociaux, tels que l’égalité hommes-femmes (16 %) ou la politique de diversité (8 %).

En voulant trouver un job qui ait du sens, travailler dans une ambiance conviviale et bienveillante, avec des supérieurs qui sont là pour les aider à mieux s’intégrer et à devenir plus performants, mais surtout en ayant la garantie de pouvoir prendre du plaisir dans leur métier, les néotravailleurs et leurs aspirations devraient accélérer la transition des entreprises vers une meilleure qualité de vie au travail.

Une remise en cause des processus de recrutement ?

Selon l’étude de JobTeaser, les jeunes candidats à l’embauche pointent du doigt certaines faiblesses des processus de recrutement. S’ils sont 67 % à se déclarer satisfaits de la qualité des échanges lors des entretiens, ils sont 19 % à affirmer que les descriptions de poste ne sont pas assez claires et 55 % à avancer que le processus est trop long. Dans une période où le droit à l’erreur est encore plus faible, le défi pour les RH d’embaucher la bonne personne et de la faire s’épanouir devient d’autant plus élevé.

Société Générale, la RSE est une colonne vertébrale

« L’entreprise doit être le lieu de création et de partage de sa valeur. La loi Pacte permet de redéfinir la raison d’être des entreprises et de renforcer la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux liés à leur activité », écrit le ministère français de l’Économie, des Finances et de la Relance sur son site Internet. Partie intégrante d’une démarche RSE (responsabilité sociétale des entreprises), la notion de raison d’être prend de plus en plus de sens face à la crise sanitaire et au choc financier que le monde traverse.

Créée il y a plus de cent cinquante ans afin de « favoriser le développement du commerce et de l’industrie en France », la banque au carré rouge et noir a été l’une des pionnières en la matière. Quelques mois seulement après l’adoption de la loi Pacte, elle s’est dotée de sa raison d’être, en janvier 2020. « Elle agira comme la clé de voûte de nos choix stratégiques et la boussole pour guider nos actions au quotidien », précisait alors Frédéric Oudéa, directeur général du groupe. Le rapport intégré de la Société générale 2019-2020 ajoute que cette raison d’être affirme « l’ambition [de la banque] de continuer à jouer un rôle moteur dans les transformations positives du monde. Elle [la] projette dans le long terme, en [l’]inscrivant dans un monde où le développement économique est devenu indissociable du progrès environnemental et social ».

Cette nouvelle « colonne vertébrale » du groupe, qui emploie plus de 138 000 collaborateurs dans 62 pays, a été le fruit d’un long processus, auquel a participé l’ensemble des parties prenantes. Le projet a ensuite été analysé par le comité de direction, puis validé par le conseil d’administration. « Nous nous sommes appuyés sur 85 000 contributions de collaborateurs, recueillies dans le monde entier, des top managers jusqu’aux collaborateurs sur le terrain », précise Martine Lassègues, directrice RSE de la banque de détail de la Société générale en France, qui a elle-même participé à l’élaboration du projet. L’enquête interne a finalement fait émerger trois mots : « innovation », « clients » et « responsabilité », que l’on retrouve dans le choix final. « Chaque terme a été mûrement réfléchi pour que cette raison d’être reflète à la fois les attentes des collaborateurs mais aussi ce que la banque souhaite faire de ses activités, à savoir accompagner le développement de l’économie dans la durée à travers des solutions innovantes. »

Attractivité

Ces dernières années, l’opinion publique est de plus en plus attentive à l’image que reflète l’entreprise au sein de la société. « C’est d’autant plus vrai pour les jeunes générations, davantage sensibles à l’engagement environnemental et sociétal de celui qui les emploie », souligne Martine Lassègues. Plus des deux tiers des entreprises du CAC 40 se sont dotées de cet élément stratégique, même si toutes ne l’ont pas inscrit dans leurs statuts. La banque BNP Paribas consacre ainsi son engagement dans une économie « responsable et durable », tandis que le Crédit agricole assure « agir chaque jour dans l’intérêt de [ses] clients et de la société ». Une manière d’attirer de nouveaux salariés, à l’heure où le secteur bancaire souffre d’une perte d’attractivité (3 % des salariés en CDI ont démissionné en 2018 pour quitter le secteur ou rejoindre un autre établissement).

« Il faut néanmoins que l’entreprise tienne ses promesses et ses engagements, que ce ne soit pas que des paroles en l’air ! » précise Martine Lassègues. Selon une étude de l’Ifop pour No Com, Tikehau Capital et l’Essec, publiée en novembre 2019, plus des trois quarts des 1 500 salariés interrogés considèrent que leur entreprise joue, au-delà de son activité économique, un rôle important dans la société et qu’il est désormais de leur responsabilité de défendre ce rôle (73 %). Et si la plupart sont prêts à s’engager dans la démarche de la raison d’être, près de sept salariés sur dix craignent qu’elle ne soit qu’une « opération de communication ».

Pour éviter ce risque, les salariés considèrent que la raison d’être doit constituer un levier de décisions dans l’intérêt des clients. À la Société générale, justement, Martine Lassègues assure que tous les clients de la banque de détail en France – particuliers, professionnels, entreprises et investisseurs institutionnels – sont au centre des préoccupations : « Nous menons de vastes enquêtes auprès d’eux pour connaître les sujets sur lesquels ils nous attendent afin de répondre par des offres adaptées à leurs besoins et à leur préoccupation en matière de RSE. En tant que banque engagée dans la transition énergétique, nous souhaitons avant tout renforcer notre leadership dans ce domaine, aux côtés de nos clients. »

Déterminé à combattre le réchauffement climatique depuis les accords de Paris de 2015, le groupe s’est par exemple engagé à sortir du secteur du charbon thermique à l’horizon 2030 pour les entreprises issues de l’Union européenne ou de l’OCDE, et à l’horizon 2040 pour celles du reste de la planète. « Certains prêts verts ont d’ores et déjà été accordés à des entreprises en fonction de leurs critères de transformation vers une activité plus durable et écologique. L’ensemble de nos agences bénéficient d’électricité verte, et nous menons une vaste politique de verdissement de notre flotte automobile », ajoute Martine Lassègues. Au cours de 2019, la Société générale a été classée première banque mondiale sur l’environnement (RobecoSAM) et récompensée par le trophée de meilleure banque en matière de RSE en Afrique par Euromoney, l’un des plus gros magazines européens de finance internationale.

Sur le terrain, la Société générale propose également une formation RSE à ses collaborateurs, à laquelle 1 500 personnes ont déjà participé en 2020. « En plus de renforcer le sentiment d’appartenance au sein de nos équipes, la RSE permet d’aborder des sujets neufs sur lesquels les banques n’étaient pas forcément attendues par les clients auparavant. C’est un véritable tournant, qui donne aux groupes bancaires un nouveau rôle sociétal, si difficile à ancrer dans l’imaginaire de la population », conclut Martine Lassègues.

« Et n’oublions pas l’aspect social aussi important pour nous. Nous voulons donner au plus grand nombre les moyens d’avoir un impact positif sur l’avenir. Par exemple, plus de 2 600 collaborateurs de notre réseau en France se sont mobilisés pour participer à des actions d’intérêt général en 2019, preuve de l’engagement ancien et durable de nos équipes sur ce volet social de la RSE », poursuit-elle.

« Vision 2025 »

« C’est une nouvelle étape majeure pour nos activités de banque de détail que nous annonçons ce matin : le lancement du projet de rapprochement de nos réseaux Crédit du Nord et Société générale », pouvait-on lire sur une publication de Sébastien Proto, directeur général adjoint de la banque rouge et noire, le 7 décembre. Après plus de deux mois de consultations en interne, les conseils d’administration des deux groupes ont validé ce projet baptisé Vision 2025.

La responsabilité sociale et environnementale sera au cœur de ce nouveau modèle avec l’ambition, pour la Société générale, de devenir une banque de référence à impact positif au cœur des territoires. Les équipes porteront pleinement ces engagements en région, avec notamment le déploiement d’une offre adaptée aux enjeux de la transition énergétique et le développement des échanges avec les décideurs locaux, privés et publics. Le groupe se positionne déjà comme la première des grandes banques françaises à proposer une offre unique de solutions d’épargne et d’investissement en architecture ouverte s’appuyant essentiellement sur une large gamme de produits ISR.

Quelle empreinte émotionnelle vais-je laisser dans mon entreprise ?

Quelle empreinte émotionnelle vais-je laisser dans mon entreprise ? C’est une question qui taraude bon nombre de dirigeants qui ne parviennent pas toujours à mesurer leur impact émotionnel sur les autres. Chip Conley, entrepreneur et auteur à succès, a quantifié le degré de « contagiosité » du boss au niveau de son équipe : selon lui, 50 % à 70 % du climat émotionnel d’une équipe dépendent directement des émotions que dégage le ou la chef.

Autrement dit, si le chef ressent une émotion particulière, que ce soit de la sérénité ou de la colère, l’équipe a de fortes chances de la ressentir à son tour. Pourquoi ? Tout simplement car le niveau d’attention que l’on prête à son supérieur hiérarchique, souvent par comparaison sociale ou simplement par intérêt, rend les émotions de ce dernier plus facilement détectables et donc contagieuses.

Le problème, c’est quand un dirigeant émet constamment des émotions toxiques, c’est-à-dire des émotions inappropriées, qui ne jouent pas leur rôle d’aide à la socialisation, ne bénéficient aucunement à autrui, altèrent la qualité de la relation avec l’autre, et placent l’autre en situation d’inconfort et/ou d’infériorité, etc. Car ces émotions sont, pour le « contaminé », très compliquées à décrotter, comme le plastique, qui met beaucoup de temps à se décomposer. L’empreinte émotionnelle de ce type de dirigeant est déplorable, marquée par les tonnes de déchets émotionnels qu’il balance chaque année dans son entreprise et qui polluent tout l’écosystème !

Si l’on part du principe que l’émotion est un virus qui circule de cerveau à cerveau, de corps à corps, et que le dirigeant est plus contagieux que la moyenne, les questions que je vous pose, à vous dirigeants, sont les suivantes : Quel type d’« agent pathogène » avez-vous envie d’être dans votre entreprise ? Un pourvoyeur d’émotions toxiques ou d’émotions bénéfiques ? Une « enflure toxique » qui démontre un haut niveau de toxicité émotionnelle ? Ou un maître Jedi, capable de diffuser autour de lui des émotions bénéfiques permettant d’entraîner dans son sillage, et de la meilleure manière qui soit, une communauté d’individus ?

Ces questions sont cruciales, qui plus est en temps de crise tant économico-sanitaire que psychologique, que l’humanité tout entière, et les entreprises en particulier, traverse aujourd’hui. Une crise marquée par ce que j’appelle un « hum émotionnel négatif », comprenez un surplus de négativité qui plombe le moral des troupes, les énergies créatrices, la motivation, le liant interpersonnel, les dynamiques constructives. Ainsi le dirigeant devrait s’employer, jour après jour, à diffuser au sein de son entreprise des émotions bénéfiques pour renverser ce mauvais « hum ».

Partons du principe que les collaborateurs forment un tout émotionnel, une sorte de champ psychique invisible qui les relie émotionnellement les uns aux autres, un peu comme des gouttes dans l’océan, formant une vaste mer d’énergies vibratoires. Les émotions des autres nous imprègnent tous, d’une manière ou d’une autre, et influent sur nos états d’âme, nos comportements et souvent le cours de nos vies. C’est pourquoi ces « petits biens » peuvent se répandre comme une traînée de poudre… Le dirigeant peut d’ailleurs les produire intuitivement, quasi systématiquement et à haute dose, s’il s’emploie à développer son intelligence émotionnelle (IE). Il s’agit là d’une forme d’intelligence à part entière qui permet de traiter les émotions comme des informations utiles afin de composer au mieux avec son environnement.

Faire suivre des programmes de développement personnel – autour de la thématique de l’IE – aux dirigeants et aux futurs dirigeants d’une entreprise permettra d’augmenter la qualité de leur empreinte émotionnelle, et donc celle de l’entreprise tout entière, en affaiblissant significativement le niveau de toxicité émotionnelle. Car oui, il est possible de développer cette compétence, grâce à la plasticité cérébrale. Concrètement, il convient de leur faire passer, avant toute chose, un test d’IE fiable, comme le QEPro (Q pour quotient, E pour émotionnel), un outil spécifiquement dédié aux managers et aux dirigeants en France et que nous avons développé pendant deux ans à L’école de management emlyon business school, à Lyon. Nos résultats de recherche révèlent d’ailleurs que les dirigeants obtenant un score élevé à ce test sont moins toxiques, comparés à ceux avec score plus bas. Plus globalement, le QEPro donne une photographie à un instant T de leur profil émotionnel et, donc, des pistes précises pour un accompagnement sur mesure par des coachs certifiés QEPro. À guerre psychologique, armes psychologiques !

Raison d’être et être bien : effet miroir ou effet d’optique ?

Au début de 2021, on ne peut que constater que le concept de « raison d’être » en entreprise est devenu un nouveau sujet à la mode dans le domaine du management des organisations. Ainsi, la loi Pacte de mai 2019 a consacré un nouveau statut juridique aux entreprises à mission, tandis que beaucoup voient dans la réaffirmation de la raison d’être des entreprises un moyen de renouveler les thématiques RSE, voire un ressort d’engagement des collaborateurs et donc de performance.

On pourrait expliciter la notion de raison d’être par la question proverbiale de Leibnitz : « Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ? » Autrement dit : quelle est la raison pour laquelle existe cette organisation ? Un peu comme si la raison d’être explicitait ce qui aurait manqué à la société si cette entreprise n’avait pas existé. Ce terme suggère qu’il existe une intention sous-jacente à l’existence d’une entreprise.

Dans la même ligne, le terme de « mission » (qui vient du fait d’être « envoyé », mandaté, en latin) suggère que l’entreprise est mue par un sentiment de contribution qui la dépasse.

Dans les deux cas, ces notions renvoient à une intention entrepreneuriale, ou à la vision fondatrice ou réformatrice d’un dirigeant. L’usage de ces deux notions semble postuler implicitement que l’intention de faire du profit n’est pas en soi

suffisante à expliquer pourquoi cette entreprise produit ces biens et ses services aujourd’hui.

Ainsi, pour une entreprise, expliciter sa mission ou sa raison d’être, c’est :

– rendre lisible la manière dont les biens et services qu’elle produit contribuent à apporter une valeur à la société, au monde, à l’environnement dans lequel elle s’inscrit ;

– un guide pour la stratégie, un moyen de prioriser ses activités, mais aussi un puissant moyen de communication et d’adhésion à la marque ;

– un moyen pour les salariés de répondre à la question : « Quel monde je contribue à façonner par mon travail ? »

En période de Covid, un exemple d’engagement suscité par une mission et une raison d’être fortes a été fourni par l’hôpital public. Nous avons tous pu mesurer l’engagement des services hospitaliers, déjà fortement fragilisés par des décennies de coupes budgétaires. On voit dans ce cas que la conscience de la mission d’une organisation est pour celle-ci un facteur de résilience et lui donne la capacité de perdurer dans des conditions fortement perturbées.

On peut débattre de savoir si les entreprises qui sont portées par une raison d’être forte sont plus résilientes et ont plus de succès. Mais une chose est sûre, elles favorisent un engagement plus fort de la part de leurs salariés, qui trouvent plus directement dans leur travail un sens qui les dépasse.

Pourrait-on sans dommage considérer qu’expliciter la raison d’être d’une entreprise est le meilleur moyen d’engager les salariés ? Une vision cynique consisterait à considérer que le travail sur la raison d’être des entreprises est avant tout un moyen d’exploiter la veine militante et engagée des jeunes générations, une manière de « repeindre » les entreprises en ONG… La focalisation récente sur la raison d’être des entreprises serait-elle donc un nouveau levier d’exploitation des salariés ?

Une entreprise peut-elle être porteuse d’une contribution sociétale ou d’une mission à impact positif, sans tenir compte de l’impact interne de son fonctionnement sur ses collaborateurs ?

La question est d’autant plus pertinente que l’hôpital a été le premier lieu d’observation du burn-out dans les années 1970. Le phénomène a été étudié pour la première fois par un psychologue américain chez les infirmières d’une clinique. À force d’abnégation, de renoncement à soi et à son équilibre au service de ses valeurs et d’une mission plus haute, ce dernier a constaté des attitudes

cyniques et des attitudes dégradantes vis-à-vis des patients. Pour la première fois, il a identifié ces comportements comme symptômes annonciateurs d’une usure pathologique.

Dès lors que l’entreprise s’engage dans une démarche authentique, l’explicitation de la raison d’être apparaît donc comme une formidable opportunité de questionnement sur le sens d’une organisation, sur sa contribution à la société. Elle permet aux collaborateurs de se recentrer sur ce qu’ils apportent à la société, de prendre conscience, dans certains cas, de la grandeur de leur mission. Mais le risque est aussi de considérer la raison d’être de l’entreprise comme un pur levier d’engagement, de dévouement, au détriment de l’équilibre des collaborateurs et donc de la durabilité de cet engagement. Engagement et bien-être au travail sont donc deux composantes indissociables d’un investissement durable des personnes au sein de leur organisation.

Valérie Decaux, Directrice des ressources humaines du groupe La Poste

Très tôt, vous épousez une carrière dédiée aux ressources humaines. Pourquoi ce choix ?

Ce choix est le produit de la vie. Le hasard ayant bien fait les choses, j’ai choisi de ne pas le contrarier. J’ai fait des études de finances et de marketing et, à l’époque, dans les écoles de commerce, la partie RH était peu développée. J’ai commencé à travailler aux Nouvelles Messageries de la presse parisienne (NMPP), rebaptisées Presstalis en 2009 : j’avais la charge d’un portefeuille d’éditeurs de presse pour lesquels nous faisions du conseil en marketing et du conseil en matière de distribution. Deux dimensions du métier me convenaient : le contact et la réflexion. À l’occasion d’un gros projet d’entreprise – la mise en place d’un système d’information commerciale –, on m’a demandé de développer et de mener le volet formation. C’est comme cela que j’ai basculé au sein de la direction des ressources humaines. Une fois ce projet terminé, j’ai naturellement rejoint la fonction RH de plein exercice, et c’est comme cela que les choses ont commencé.

Quel souvenir gardez-vous de ces dix années au sein des NMPP ?

J’ai eu le temps de « me muscler » sur tous les aspects de la fonction RH. Une facette de cette expérience m’a été utile ensuite : quand vous distribuez de la presse au quotidien, il n’est pas question que les journaux arrivent en retard. J’ai donc expérimenté la gestion des salariés et le « flux tendu ». J’ai retrouvé celui-ci dans la suite de mon parcours dans l’intérim, à VediorBis, devenu Randstad.

Le milieu du travail temporaire vous a-t-il permis d’affiner la face « sociale » de votre métier ?

À cette époque, le travail temporaire était en pleine évolution et n’avait pas très bonne réputation. Avec Manpower et Adecco, nous avons réussi à en faire un véritable acteur de l’emploi et à le faire savoir. Nous avons développé des politiques sociales qui n’existaient pas jusqu’alors. J’ai notamment conçu et mis en œuvre des politiques d’insertion et de formation à destination des salariés intérimaires. Quand une entreprise a besoin d’intérimaires, c’est, en général, dans des délais extrêmement courts. J’ai dû m’habituer à travailler vite et à avoir une notion d’efficacité très marquée.

Comment préserve-t-on le capital humain quand on a une telle exigence de réactivité ?

Vous savez, l’image fantasmagorique du DRH qui reçoit quatre personnes dans la journée autour d’un thé est totalement fausse. Je ne l’ai jamais connue ! J’ai toujours eu à cœur d’être en ligne avec l’activité des entreprises : dans son développement, ses restructurations, son rythme, ses besoins. La fonction RH, de mon point de vue, si elle ne suit pas cela, est « hors sol ». Le fait d’être ancré dans la réalité de l’activité de l’entreprise, c’est une forme de garantie d’efficacité de la fonction, une fonction de service aux opérationnels. Le DRH est dans le quotidien de l’activité et de la vie de l’entreprise, chaque jour.

Avec sa signature « Être bien en entreprise », People at Work souhaite se démarquer du côté « mode » et « promotionnel » de l’expérience collaborateur en entreprise. Quelle en est votre définition ?

Le DRH reste une cheville ouvrière entre le management et les collaborateurs. C’est une fonction que l’on ne peut pas exercer n’importe comment, qui ne peut pas être exercée par n’importe qui. Il faut avoir une colonne vertébrale de valeurs extrêmement fortes, car le DRH est tiraillé entre des impératifs financiers et le corps social de la société. Il doit avoir une vraie vision de l’équilibre d’une entreprise. Pour ma part, je n’ai jamais opposé le business, d’un côté, et les salariés, de l’autre, ça ne marche pas comme cela. Au contraire, il faut trouver les points d’intérêt mutuels. Le travail peut être vu comme une contrainte, mais c’est aussi un vrai moyen de se réaliser. Je vais grossir le trait, mais on ne peut pas opposer les « gentils salariés » et le « méchant employeur qui cherche le profit », ça n’est pas vrai, cela n’existe pas. Il y a longtemps que je fais ce métier, et je n’ai jamais rencontré un patron qui pense cela : il est important de ne pas se mettre dans des dialectiques d’opposition parce qu’elles sont fausses. Les dirigeants ont envie que leur entreprise réussisse. Et chacun sait qu’on ne peut pas poursuivre ce but sans l’adhésion et l’engagement de tous, sans une forme de « bien-être au travail ». Sans fierté, sans engagement, on n’y arrive pas. Le DRH tend à être ce point d’équilibre et de réconciliation entre un monde qui a besoin d’être efficient, de faire du profit, tout en embarquant son corps social de la meilleure façon possible. Ma conception de la qualité de vie en entreprise, c’est l’équilibre entre toutes les parties.

En 2008, vous rejoignez la Saur. Vous dites que vous avez choisi le dirigeant, Olivier Brousse, plus que l’entreprise. Pouvez-vous nous expliquer quelle distinction vous faites, en quelques mots ?

Je suis très sensible à la cause environnementale. Les problématiques d’eau potable, de traitement des eaux et des déchets sont au cœur de notre monde, et je trouvais que ce poste avait un véritable attrait, en tant que DRH. Ce qui montre bien que je ne perçois pas ma fonction comme n’accordant pas d’intérêt à l’activité de l’entreprise. La rencontre avec Olivier Brousse a en effet été une rencontre personnelle, sympathique, et elle fut le déclencheur pour rejoindre cette entreprise. Je ne venais pas du secteur de l’environnement et, pourtant, ce dirigeant m’a choisie, considérant que j’avais la capacité à m’adapter à d’autres domaines d’activité.

L’année 2013 vous mène vers une marque emblématique, Monoprix… Qu’avez-vous le plus apprécié dans cette expérience ?

J’ai apprécié de découvrir le monde de la vente au détail. C’était la première fois que j’étais dans une entreprise de B to C, avec des problématiques d’expérience client et de développement de l’e-commerce. Je mesurais au quotidien l’importance de travailler pour une maison historique, Monoprix ayant été fondée en 1932, et pour une marque proche des gens, présente dans toutes les grandes villes. Les métiers du retail sont à la fois difficiles et attachants, comme ceux de La Poste. Le secteur de la grande distribution était déjà en grande mutation quand j’y suis entrée, et cela influait sur les exigences de transformation des comportements au travail de l’ensemble des salariés. Rappelons-nous, il y a quelques années, on attachait moins d’importance au service client. Aujourd’hui, dans les magasins, les produits sont disponibles en rayon, et des femmes et des hommes peuvent vous renseigner ou vous livrer. La notion de service client est devenue un véritable top of mind.

Le Groupe Casino se distingue par la mise en place d’un « management bienveillant ».

J’étais DRH de Monoprix, qui fait partie du Groupe Casino, quand cette politique a été mise en place. Nous avons créé le réseau des « bienveilleurs », ces salariés qui veillent sur les autres et lancent l’alerte quand un collègue ne va pas bien[1]. Et je trouvais que, dans cet univers difficile et exigeant où l’on commence tôt le matin, c’était une attention portée aux salariés qui me semblait indispensable pour les managers de proximité, les directeurs de magasin et les employés. Nous devions soutenir cette exigence mentale et physique envers les salariés. J’ai moi-même participé à décharger des cagettes, à mettre en rayon, à l’aube, des produits frais. Je peux vous dire que le travail est considérable. Quand on n’est pas entraîné, au bout d’une journée on est cuit ! De même, la relation aux clients est difficile, on le voit avec la montée des incivilités. Mettre en œuvre la démarche de « management bienveillant », qui est une forme de care, était assez puissant.

Et puis l’opportunité de devenir DRH de La Poste s’offre à vous. Vous intégrez un groupe en plein bouleversement. Le grand enjeu est d’accompagner les postiers dans la transformation de leur entreprise et de leur profession. Comment pourriez-vous définir le rôle qui est le vôtre ?

Le cœur du métier de DRH est d’offrir des possibilités en matière d’évolution de carrière, de parcours professionnel et de formation, de façon à permettre l’évolution des métiers qui sont en attrition, comme c’est le cas à La Poste, car le courrier baisse de façon drastique. Ce phénomène est d’autant plus prégnant depuis le début de la crise sanitaire, car 85 % des expéditions de courrier viennent des entreprises. La fermeture des entreprises, particulièrement durant le premier confinement, a accéléré cette baisse, qui était déjà réelle depuis une dizaine d’années. Le trafic du courrier baisse en moyenne, de 7 % à 8 % par an. Nous commençons l’année 2021 avec une « baisse du double ». Tout le sujet de la DRH de La Poste que je suis est de regarder comment nous pouvons faire évoluer les carrières des postiers vers des fonctions en développement et comment leurs compétences peuvent être valorisées. Deux compétences transverses me semblent aujourd’hui majeures. Tout d’abord, les entreprises doivent porter le rôle sociétal de former leurs salariés aux outils numériques. À La Poste, la proximité humaine est quotidienne, et si nous souhaitons que nos facteurs puissent aider nos clients sur différents sujets, cela suppose qu’ils soient à l’aise avec ces outils. La seconde compétence transverse, c’est la posture client. Celle-ci doit exister pour les fonctions de service mais aussi pour les fonctions supports, car c’est le gage d’un bon fonctionnement et d’une coopération réussie. La transition numérique et la posture client sont des compétences de demain et des clés pour les transformations des entreprises.

Nous avons relaté les grandes étapes de votre parcours. Quels ont été les grandes évolutions du métier de DRH depuis vos débuts ?

La fonction est plus exigeante et protéiforme. Le niveau attendu est plus élevé qu’il y a quinze ans. Aujourd’hui, un DRH doit rester un bon expert, un bon technicien de sa fonction. Tous les aspects réglementaires se sont considérablement complexifiés. La fonction doit aussi être nourrie d’une vision stratégique plus forte, car nous évoluons dans un monde incertain et cela suppose d’avoir une sorte de vista. Un DRH doit sentir comment le monde du travail évolue : vers quoi il va aller et vers quoi l’entreprise peut s’orienter en faisant évoluer son corps social.

[1] Voir à ce sujet, notre interview de Franck-Philippe Georgin, Secrétaire Général du groupe Casino – People at Work n°1

Louis Jauneau Directeur expérience collaborateur chez GreenFlex

Pouvez-vous nous présenter votre rôle ?

Je suis chargé de faciliter les relations entre les collaborateurs et l’entreprise. Mon périmètre d’action touche donc autant à la communication interne qu’au facility management, c’est-à-dire à l’accès aux installations, aux équipements et aux infrastructures de la société. Je dois également avoir des notions en knowledge management, à savoir la gestion des outils, les méthodes et les modes d’organisation pour faciliter la conservation et surtout le partage des connaissances réparties dans l’entreprise. J’accompagne également la direction générale et le CoDir sur des missions spécifiques. L’expérience collaborateur consiste à accompagner le salarié tout au long de sa vie dans la société. Quand il arrive, quand il part, je suis là pour activer tout ce que le salarié vit chez GreenFlex et pour faciliter son accès à des sujets directs, comme son espace de travail, ou plus éloignés, comme son appropriation de la « responsabilité sociale » de notre entreprise, son implication dans la « raison d’être » de celle-ci. De manière plus concrète, je crée des animations pour favoriser la cohésion de groupe, comme des teams building engages, rencontres inspirantes, sensibilisation, et j’organise des concours d’innovations ou encore des présentations des engagements personnels des collaborateurs.

Pourquoi, à un moment ou à un autre, une entreprise décide-t-elle de se doter d’un responsable expérience salarié ?

Cela se fait naturellement. Mais cela dépend aussi de la mentalité même de l’entreprise. GreenFlex est une structure d’une dizaine d’années qui a bénéficié d’une croissance importante en très peu de temps, il était donc important de s’adapter aux nouveaux défis tout en préservant le capital humain. Les sociétés qui accueillent sans cesse de nouveaux collaborateurs, qui acquièrent des structures susceptibles de bouleverser leurs écosystèmes ont besoin de s’adapter très vite. L’expérience collaborateur part de cela, de la nécessité de répondre aux défis de la transformation, tout en ménageant la productivité des équipes.

La crise sanitaire engendre isolement et risques psycho-sociaux liés au télétravail et à la difficulté de manager à distance… Je suppose que votre poste est central en cette période ?

Depuis une année, il a fallu réagir vite et bien. Deux ans avant le développement de la pandémie, nous avions déjà mis en place deux jours de télétravail par semaine. Nous vivions dans une logique de flex-office, avec des règles précises construites avec les collaborateurs. Cette adaptation ne s’est donc pas faite dans la précipitation. D’un point de vue fonctionnel : quand les décideurs politiques nous ont imposé le confinement en quarante-huit heures, malgré les problèmes de réseaux, tout le monde était donc opérationnel, sans que le collectif soit fragilisé. Nos événements et animations habituellement situés dans nos locaux ont été dématérialisés. Parallèlement, nous avons mis en place une politique de communication interne intensive : alors que des « points d’échanges » étaient ritualisés chaque trimestre par équipe et chaque semestre pour le groupe, nous avons accéléré le processus pour communiquer, tous les quinze jours, en fonction de l’actualité, avec l’ensemble de GreenFlex. Tout ce qui était « physique » a pu être dématérialisé : les cours de yoga, les séances de massage et d’automassage. Tout ce qui ordinairement appartenait au domaine du bien-être du salarié au sein de l’entreprise a été transporté au domicile. C’était une façon de garder un lien vertueux, de rassurer les collaborateurs. Enfin, nous avons intensifié notre politique de randomcoffee, ce qui permet de connecter les collaborateurs entre eux grâce à une mise en relation ciblée. L’idée est de préserver le lien entre le collaborateur et l’entreprise mais aussi de préserver la relation entre les salariés eux-mêmes… Mon poste a été et est donc central dans la crise. Mais le responsable expérience collaborateur n’est jamais seul, il a besoin d’être associé aux ressources humaines, à la direction, au service RSE. Sinon, cela ne tient pas debout. Ce métier englobe les sujets que peuvent traiter les chiefs happiness officers [CHO] ou les feel good manager ailleurs. Même si, personnellement, je n’ai jamais cru que j’étais responsable du bonheur des gens, je sais qu’au sein de l’entreprise je peux y contribuer. GreenFlex a été fondée sur une base théorique : comment l’entreprise peut-elle se construire avec des collaborateurs sereins ? Cette question est prégnante. Chaque jour, nous essayons d’y apporter des réponses. C’est un défi au quotidien.

La valeur ajoutée de votre métier est de créer une culture d’entreprise propice à l’engagement.

Le poste est d’être garant de la raison d’être de l’entreprise et de ses valeurs. C’est autant de la communication managériale que de la communication interne. J’ai la chance d’avoir fait partie du démarrage de GreenFlex, cette petite société de 3 collaborateurs qui est devenue un réseau de plus de 500 professionnels. J’accompagne et j’accueille toutes les personnes nouvelles arrivant chez GreenFlex, cela fait partie de leur expérience. Celle-ci commence le jour où la personne signe son contrat, jusqu’à la fin d’un processus d’onboarding. Cette « intégration » semble assez classique, et, pourtant, il y a pas mal d’entreprises pour lesquelles ça ne l’est pas tant que ça. Un mois avant son premier jour, on appelle le collaborateur et on organise son parcours d’arrivée : un pack lui est remis avec l’historique de la société, la définition de ses valeurs. Je lui donne tout ce qui ne se trouve pas sur le site Web. Je lui donne de la matière et de la vie avec une présentation de l’organigramme, des équipes, j’organise une visite des locaux, d’autant que nos bureaux ont été co-construits par les collaborateurs. Nous travaillons en flex-office, nous bénéficions d’un grand co-working et d’espaces de convivialité. La culture de notre entreprise est retranscrite dans cet aménagement intérieur. Il est très important de se sentir accueilli. Cela nous permet d’échanger des émotions. Chaque salarié passe par cette porte d’entrée, qu’il soit stagiaire ou directeur. Dès le début, les valeurs de l’entreprise lui sont transmises.

Votre approche de l’intégration des collaborateurs est très « start-up ».

Oui, mais nous ne sommes pas dans le cliché de la start-up avec des flamants roses à l’accueil. Tout a un sens : oui, nous avons un baby-foot comme n’importe quelle start-up qui se respecte, mais ce baby-foot a été choisi avec les collaborateurs : c’est un projet qui a été voté, on l’a acheté de seconde main car GreenFlex fait du développement durable, on a été jusqu’à choisir la forme des poignées – longues plutôt que rondes – et on l’a posé à un endroit où on peut y jouer à n’importe quel moment… Donc, il y a le symbole du baby-foot, qui est un grand classique, et il y a son message implicite : « Tu peux jouer au baby-foot quand tu veux, je ne te surveille pas, je te fais confiance, mais je compte sur toi. » Cela change beaucoup de choses. Il y a beaucoup de clichés autour du CHO, de l’expérience collaborateur, chacun appelle cela comme il le souhaite. Or, la différence, c’est le sens qu’on y met. L’expérience collaborateur n’est ni un gadget ni un effet de mode, c’est un sujet de fond qui répond à des enjeux d’engagement, de transformation et de performance globale et durable.

Quel est le profil idéal du responsable expérience collaborateur ?

C’est une très bonne question parce qu’il n’y a pas de parcours type. Ce sont souvent des professionnels de la communication, de l’assistanat de direction ou des ressources humaines qui cherchent à faire évoluer leur carrière. En matière de philosophie d’esprit, il faut être éminemment empathique, optimiste, flexible aussi. Tout part de l’idée d’engagement : comment je mets à l’honneur les collaborateurs, comment ils se sentent considérés. Moi, j’ai commencé ma carrière de feel-good manager avec les glaces Mister Freeze. Nous étions situés dans nos tout premiers locaux, rue du Faubourg-Poissonnière, à Paris. De très grandes verrières réchauffaient la pièce. Et un été, c’était intenable. Un jour de canicule, je suis donc allé acheter des Mister Freeze pour les quinze collaborateurs qui étaient avec moi. Et, jusqu’à la fin de cet épisode de chaleur, à tour de rôle, nous allions chercher une glace pour les autres. Je me suis emparé de cet esprit de responsabilité collective, j’ai adoré cela. À l’époque, j’étais responsable marketing et j’ai de plus en plus été animé par cet esprit de groupe. Peu à peu, je me suis occupé des collaborateurs, sans être un RH mais en étant à la frontière des nouveaux métiers, des nouvelles compétences qui vont regrouper des parties RH, des parties de communication interne, de communication managériale aussi. Le responsable expérience collaborateur fait le pont entre toutes ces instances.

GreenFlex en chiffres

550 collaborateurs dans 20 bureaux, en France et en Europe.

Le Delta : un siège de + de 3 200 m², co-construit avec les collaborateurs.

Raison d’être, sens et… réalisation de soi

Le professeur Jean-Jacques Breton est un psychiatre canadien à l’origine de travaux sur les « facteurs de protection ». Il explique que, tout comme il existe des facteurs de risque en matière de suicide, il existe des facteurs de protection, utiles à mettre en œuvre. Il précise que « si l’on favorise ces “facteurs de protection”, les gens peuvent améliorer leurs capacités à faire face aux événements stressants ». Et parmi les facteurs de protection qu’il avance, il y a la présence d’objectifs dans la vie et… le sens que l’on donne à sa vie.

Nous pouvons transposer cette étude au monde de l’entreprise. Une personne vit mieux son travail quand elle prend conscience qu’elle est utile à ses collègues. Une aide-soignante, dans un hôpital, allant prévenir l’interne que tel patient souffre d’une réaction cutanée soudaine, ne vivra pas son travail de la même manière que si elle se contentait de faire la toilette du patient. Dans un document intitulé « Travail et santé », le professeur Philippe Davezies apporte une justification médicale à cet aspect : « La perception de l’activité d’autrui active, dans le cerveau, des réseaux de neurones qui réagissent à cette activité de la même façon que s’il s’agissait de la propre activité du sujet sur cet objet. » En une phrase, si l’on facilite l’activité de son collègue grâce à son propre travail, on en retire une satisfaction.

Le sens peut être aussi conçu d’une manière plus générale. Si le but poursuivi par le collaborateur est en harmonie avec des valeurs qui comptent pour lui, il le vivra beaucoup mieux. Cela est parfaitement illustré par Blake Mycoskie, le fondateur de Tom Shoes, une marque américaine de chaussures. Lorsque cette entreprise vend une paire de chaussures, elle en offre une autre à un enfant vivant dans un pays en voie de développement. Ainsi, les salariés et les clients deviennent les partenaires d’une action d’intérêt général.

Que cet intérêt soit général ou de proximité, il faut prendre le temps d’expliquer à chaque collaborateur en quoi son travail est utile. « Prendre le temps d’expliquer, ce n’est pas perdre du temps, c’est en gagner », écrivait Yves Desjacques, le DRH du Groupe Casino puis de La Poste.

Cette importance du sens dans la réalisation de soi pourrait être illustrée par la belle histoire des tailleurs de pierre.

Au Moyen Âge, un passant sur le chantier d’une cathédrale en construction interroge un premier tailleur de pierre sur ce qu’il fait. Celui-ci a la mine sombre et lui assène d’un ton amer : « Vous voyez bien, je casse des pierres ! J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et stupide. »

À la même question, un deuxième tailleur de pierre, au visage plus serein et aux gestes plus harmonieux, répond : « Je suis tailleur de pierre. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet de nourrir ma femme et mes enfants. »

Un troisième tailleur de pierre abat sa masse avec ardeur. Interrogé lui aussi par notre passant, il lui fait la réponse suivante avec un franc sourire : « Moi, je bâtis une cathédrale ! »

Entre le labeur de l’homme qui taille des pierres et le bonheur de l’homme qui contribue à bâtir une cathédrale, il y a le sens.

Entre l’hôte ou l’hôtesse de caisse qui encaisse et celui ou celle qui cultive du lien social en parlant aux personnes âgées esseulées, il y a le sens, avec des perceptions du travail très différentes. Dans un cas, on exécute une tâche, dans l’autre, on se réalise dans son travail.

En conclusion, il est essentiel que chacun comprenne à quoi il est utile vis-à-vis de ses collègues et, d’une manière générale, vis-à-vis de la société. Ainsi il sera en meilleure santé, se réalisera plus facilement dans son travail et sera aussi plus efficace.

La quête de sens aide chacun à se réaliser dans son travail. Il est donc logique que la perception de la finalité facilite l’engagement, et donc la réussite.

Raison d’être, antichambre de l’entreprise à mission

Selon les dernières annonces publiques, 55 % des entreprises du CAC 40 déclarent avoir une raison d’être. C’est le cas, par exemple, du groupe Carrefour[i] et du groupe Atos[ii].

Bien évidemment, les raisons d’être annoncées tiennent leurs promesses uniquement si celles-ci sont suivies d’actions concrètes. La raison d’être d’une entreprise se prouve par la mise en mouvement de ses engagements au quotidien, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’organisation. C’est l’objectif des entreprises les plus conscientes et les plus courageuses. Au-delà d’affirmer leur raison d’être, celles-ci ont choisi de devenir des « sociétés à mission » et ainsi d’améliorer notre société et notre environnement en mettant leur modèle économique au service d’un impact positif.

Actuellement, une seule entreprise cotée au CAC 40 s’est engagée dans ce sens : le groupe Danone (lire notre interview de Valérie Mazon p. XXX). Et celle-ci fait face à de nombreuses critiques depuis cette annonce. Pourtant, les analystes s’accordent à reconnaître que les entreprises qui ont le mieux résisté à la crise en 2020 sont les entreprises responsables. L’entreprise classique reçoit des pressions de toutes parts (ONG, clients, salariés et même actionnaires) et n’a plus d’autre choix que celui d’évoluer. Les consommateurs ont d’ailleurs bien compris qu’ils avaient souvent plus de pouvoir en « votant » avec leur carte bleue plutôt qu’avec leur bulletin de vote. Et ils savent ce qu’ils veulent : plus de la majorité des Français souhaitent que les entreprises prennent leurs responsabilités[iii] pour vivre dans un monde plus juste.

L’entreprise de demain sera responsable ou ne sera pas

Une nouvelle vague s’apprête déjà à déferler : la France compte aujourd’hui à peu près 100 sociétés à mission. Il y en aura 10 000 d’ici à dix ans. Pour obtenir ce statut, elles devront passer par quatre phases : tout d’abord, choisir une raison d’être et l’inscrire dans leurs statuts, définir ensuite une mission incluant des objectifs sociaux et environnementaux, préciser le plan d’action pour réussir cette mission et, enfin, le point décisif, faire appel à un organisme tiers indépendant pour vérifier que les actes sont à la hauteur des mots.

Alors une fois le cadre défini par la loi et la théorie maîtrisée, comment passer de la vision aux actes ? Les sociétés indépendantes ou familiales rencontreront sûrement moins de contraintes pour faire évoluer leur organisation. Par exemple, le Groupe Rocher a été l’un des premiers groupes internationaux à adopter le statut de société à mission. Avec pour raison d’être de « reconnecter les femmes et les hommes à la nature », il incarne sa mission en plantant des arbres avec ses parties prenantes. De plus, il n’a pas attendu les mesures coercitives prises par le gouvernement pour agir : arrêt des tests sur animaux dès 1988, soit quinze ans avant la législation française, et abolition des sacs plastiques en 2006, soit dix ans avant que la loi interdisant leur emploi n’entre en vigueur. Lors de son intervention au dernier Sustainable Paris Forum, son PDG, Bris Rocher, a encouragé les dirigeants à aller vers la société à mission et a rappelé, à juste titre, qu’il était nécessaire concrétiser la raison d’être « en passant du story telling au story doing ». Car, c’est bien de cela dont il s’agit : communiquer non pas sur ce qui va être fait, mais, bien sûr, ce qui a été fait concrètement.

L’entreprise à mission, un état d’esprit

Alors qu’en France un manager sur trois a déjà fait un burn out, les entreprises à mission proposent à leurs collaborateurs du sens, une « raison d’y être ».

Par exemple, l’entreprise française Veja réinvente la fabrication d’un produit que nous consommons tous : la basket. Chez eux, pas de stratégie RSE, l’écoresponsabilité est directement au cœur de tous les métiers. Cela se traduit par une culture de l’engagement qui alimente les rêves à atteindre ensemble, plutôt que les bilans carbone à réaliser seul dans son coin. Ensemble, les équipes de Veja se lancent régulièrement des challenges à relever pour se stimuler. Le dernier en date : créer la première basket de l’ère post-pétrole !

Le Groupe Rocher et Veja sont deux exemples d’entreprises en adéquation avec leur ADN et en résonance avec les attentes de leurs talents : l’authenticité et la responsabilité. Ces entreprises à mission ont compris que le capital humain était la force la plus précieuse à leur disposition pour accomplir leur mission.

À l’heure où nos modèles de société nous conduisent inéluctablement dans des impasses économiques, sociales et environnementales, les entreprises ont le devoir de faire converger valeurs, objectifs économiques et bien commun. Reste à déployer ce mouvement de l’impact positif et à définir un standard pour mesurer les retombées des actions promises afin que les entreprises soient à la hauteur des enjeux de notre époque.

[i] Raison d’être de Carrefour : « Notre mission est de proposer à nos clients des services, des produits et une alimentation de qualité et accessibles à tous à travers l’ensemble des canaux de distribution. Grâce à la compétence de nos collaborateurs, à une démarche responsable et pluriculturelle, à notre ancrage dans les territoires et à notre capacité d’adaptation aux modes de production et de consommation, nous avons pour ambition d’être leader de la transition alimentaire pour tous. »

[ii] Raison d’être d’Atos : « Avec nos compétences et nos services, nous supportons le développement de la connaissance, de l’éducation et de la recherche dans une approche pluriculturelle et contribuons au développement de l’excellence scientifique et technologique. »

[iii] 51 % des Français considèrent qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble, devant ses clients (34 %), ses collaborateurs (12 %) ou ses actionnaires (3 %). [Source : Ifop, agence Terre de Sienne, enquête « La valeur d’utilité associée à l’entreprise », 15 septembre 2016.]

Le Grand Entretien: Denis Machuel, Directeur général de Sodexo

La crise sanitaire et la généralisation du télétravail modifient-elles l’implication et la présence de Sodexo dans les entreprises ?

L’année qui vient de s’écouler a changé la donne dans le monde du travail. Cette nouvelle situation est un bouleversement et une opportunité pour Sodexo, groupe présent dans le secteur public – hôpitaux, écoles ou maisons de retraite – comme dans les entreprises privées. Aujourd’hui, nous accélérons notre transformation de deux manières pour répondre aux consommateurs qui privilégient la flexibilité.

Tout d’abord, le « anyfood, anytime, anywhere » se renforce, puisque nombre d’entreprises se posent aujourd’hui la question de l’accompagnement de leurs salariés quand ils sont chez eux. Comment garantir le bien-être dans cette vie partagée entre domicile et bureau ? C’est là que la puissance de frappe de Sodexo va être mise en évidence. Aujourd’hui, nous sommes capables de proposer à un même collaborateur une offre de restauration sur place lorsqu’il est au bureau, et une offre de livraison de repas ou de carte restaurant lorsqu’il est en télétravail. Depuis le début de la crise, et avec l’essor du télétravail, cette offre intégrée séduit de plus en plus ceux de nos clients qui veulent améliorer la qualité de vie de leurs collaborateurs.

La deuxième tendance, c’est l’accélération de la transformation des espaces de travail. Aujourd’hui, 80 % de nos clients voient leur bureau comme un lieu pour nourrir la culture d’entreprise. Cet espace doit muter pour devenir un endroit de partage et de convivialité, et ce malgré les restrictions sanitaires. C’est l’objet de l’initiative Rise With Sodexo, que nos équipes ont développée au plus fort de la crise sanitaire avec un objectif : celui d’aider nos clients à rebondir et à se relancer en leur offrant une palette de services essentiels. Il s’agit, entre autres, d’assurer la sécurité sanitaire grâce à des services sans contact, à des protocoles de désinfection des surfaces de travail, des boutons d’ascenseur, des poignées de porte…

À la fin de 2020, Sodexo a annoncé un projet de plan de sauvegarde de l’emploi « qui impliquerait la suppression nette de 2 083 postes », soit près de 7 % de ses effectifs en France, « en majorité dans le segment services aux entreprises ». Vous êtes le premier employeur privé français dans le monde. C’est une lourde responsabilité ?

Oui, c’est une grande responsabilité pour un groupe qui possède des valeurs fortes. Cette décision a été prise au regard des changements structurels des entreprises, avec l’avènement du télétravail, qui impacte une partie de notre activité sur sites de façon durable. De même, dans la mesure où certains pays ne possèdent pas de mécanisme d’activité partielle comme c’est le cas en Europe, nous avons dû malheureusement ajuster nos effectifs. Cette décision n’a pas été facile à prendre. C’est pour cela que nous avons mis en place un programme de soutien de nos salariés, à hauteur de 30 millions d’euros, grâce à la contribution des principaux dirigeants de l’entreprise. Cela nous a permis d’accompagner les collaborateurs quittant nos structures, ainsi aux États-Unis, où leur couverture sociale a été maintenue, ou au Brésil, où des bons de nourriture et des bons d’achat ont été distribués.

Y a-t-il des mobilités internes ?

Absolument. Notre volonté première est de limiter autant que possible l’impact de ce plan sur l’emploi. Nous travaillons beaucoup aux reclassements des hommes et des femmes de Sodexo, grâce à un mécanisme de formation et de reconversion. Près de 850 postes ont été ouverts en France afin de faciliter le transfert interne de nos employés du segment des entreprises qui étaient impactées vers les hôpitaux ou les maisons de retraite qui ont besoin de main-d’œuvre. Nous avons souhaité également favoriser les mobilités externes : nous sommes en contact étroit avec d’autres entreprises qui recrutent des salariés, comme Korian, pour développer des passerelles qualifiantes afin que nos collaborateurs retrouvent un emploi.

La crise révèle-t-elle les qualités et les failles d’un groupe ?

Cette crise nous permet d’aller chercher profondément nos forces. Nous possédons trois valeurs fondamentales : l’esprit d’équipe, l’esprit de service et l’esprit de progrès. L’esprit de service nous indique la voie à suivre : quoi qu’il arrive, nous continuerons de servir nos clients, en Asie, en Europe et ailleurs. Nous n’avons jamais interrompu notre activité et avons eu à cœur de soutenir nos clients et nos consommateurs, en gardant des crèches ouvertes en France pour accueillir les enfants des personnels soignants, ou encore en adaptant nos services en Asie pour que nos grands clients pharmaceutiques puissent poursuivre leurs activités dans des conditions de sécurité maximales. Je tiens à remercier encore nos équipes qui font preuve d’une grande agilité dans un contexte instable. Par exemple, aux États-Unis, nous avons aidé à rouvrir un hôpital fermé, hors service, le St. Vincent’s Hospital, qui est devenu le Los Angeles Surge Hospital, dédié uniquement à la Covid, et ce en moins de quinze jours !

Sodexo réalise régulièrement des enquêtes d’engagement auprès de ses collaborateurs.

L’écoute des collaborateurs est fondamental dans un groupe de 420 000 personnes, où l’humain est la principale richesse. Pour cette raison, nous organisons régulièrement des enquêtes d’engagement depuis de nombreuses années. En 2020, au plus fort de la crise, nous avons voulu prendre le pouls des équipes avec plusieurs sondages éclair pour recueillir l’avis et l’état d’esprit des collaborateurs. En est ressorti un mélange de fierté et d’anxiété. En parallèle, une enquête d’engagement a effectivement été réalisée à la rentrée. Résultat : le taux d’engagement a atteint 80 % et nos salariés sont formidablement investis dans leur mission. Nos métiers sont essentiels, ce que la crise a clairement démontré. Lors du premier confinement, quand nous applaudissions les gens, le soir, aux fenêtres, nous pensions, chez Sodexo, non seulement aux soignants des hôpitaux mais aussi à nos collègues, aux femmes et aux hommes qui étaient sur le pont, contre vents et marées, pour servir les clients dans les entreprises ouvertes, pour nettoyer les chambres de patients atteints de la Covid dans les hôpitaux, pour prendre soin des personnes âgées dans les Ehpad ou à domicile.

Quelles sont les perspectives en matière de qualité de vie au travail pour les prochaines années et décennies ?

C’est en prenant soin des gens que l’on contribuera à ce qu’ils améliorent leurs performances. Leurs univers physiques et digitaux doivent être optimaux. Chez Sodexo, notre façon d’envisager la qualité de vie au travail se fait dans deux domaines. Tout d’abord à travers les moments de restauration, qui sont des moments qualitatifs. Et un sujet est essentiel : la qualité des produits que nous proposons. Les consommateurs veulent plus de local, plus de bio, plus de produits certifiés et labellisés. C’est pour cela que nous investissons dans la pêche durable, depuis plus de vingt ans, et que nous menons des travaux sur l’huile de palme durable depuis dix ans. Autre sujet : la réinvention des espaces de vie et de travail. Le travail traditionnel est déstructuré. On voit bien que les visioconférences ont une vraie utilité pour certains sujets et moins pour d’autres. Quand vous êtes en réunion de créativité, le côté transactionnel d’une visio est pénalisant. En revanche, une business review se fait très bien à distance. Cette réappropriation des espaces participe du bien-être des salariés. Enfin, la sécurité sanitaire restera critique dans les prochaines années. Notre expertise dans les domaines de la désinfection des lieux, du nettoyage, des protocoles à mettre en place dans les espaces de vie commune sera donc essentielle.

Vous proposez un outil d’aménagement de l’espace de travail, nommé Wx. L’idée est d’améliorer l’expérience du collaborateur, pouvez-vous nous en dire plus ?

Aujourd’hui, ce n’est plus le collaborateur qui s’insère dans le cadre de l’entreprise, c’est cette dernière qui doit s’adapter à lui. Notre objectif est de comprendre les aspirations de chacun pour que chacun ressente cette qualité de vie au travail. La société doit réfléchir aux parcours individuels des collaborateurs, de chez eux à leur bureau, en passant par leurs interactions avec leurs collègues. En effet, l’expérience collaborateur démarre déjà à la maison, par exemple avec Klaxit, pour proposer du covoiturage, ou encore avec l’élargissement des choix de restauration, grâce à la carte restaurant ou à la livraison de repas, qui peut se faire à domicile. Sur site, avec Wx, nous accompagnons également nos clients dans la conception des espaces de travail et dans la gestion de ceux-ci au quotidien, par exemple pour créer des espaces de convivialité ou pour permettre de géolocaliser par des capteurs les collègues dans des espaces de flex office. Grâce au digital, on peut réserver des salles de réunion, des espaces, mais aussi optimiser l’occupation des lieux. Vous le voyez, grâce à l’ensemble des solutions que nous proposons, nous favorisons des environnements beaucoup plus fluides, adaptés aux nouvelles attentes des consommateurs.

Activité de conciergerie, garde d’enfants, support pour les aidants familiaux : l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle est-il recherché aujourd’hui plus qu’hier ?

La crise et le développement du télétravail ont effacé les frontières entre vie professionnelle et vie personnelle. Notre ambition est de restaurer un sentiment de normalité en favorisant le bien-être et en minimisant la charge mentale. C’est pourquoi nous avons mis en place des cellules d’accompagnement et adapté notre conciergerie Circles, avec l’offre Be Connected, qui vise à maintenir la cohésion des équipes à distance tout en contribuant à leur performance. Notre marque Liveli est un autre exemple : nous proposons aux parents d’accéder à une crèche différente de leur crèche habituelle si cela leur convient mieux dans le contexte actuel de télétravail.

S’agissant des sujets de diversité et d’inclusion : comment cette politique est-elle menée équitablement dans tous les pays où vous êtes présents ?

La diversité et l’inclusion sont vecteurs de performance et d’engagement des équipes. Nous avons toujours été sensibles à l’harmonisation des différentes pratiques que nous mettons en œuvre auprès de nos salariés. Aujourd’hui, nous avons un certain nombre de standards que nous mettons en place grâce au concours des ressources humaines locales. Nos engagements en matière de diversité et d’inclusion sont, par exemple, déclinés dans tous les pays. Pour ce faire, nous nous appuyons notamment sur le réseau SoTogether, un conseil consultatif dédié, pour assurer un meilleur équilibre entre les genres à tous les niveaux de l’organisation. Lancé en 2009, il rassemble 35 dirigeants, femmes et hommes, de 15 nationalités différentes. Des actions de formation ou de mentorat se mettent ainsi en place à tous les niveaux de l’organisation, à travers 21 réseaux mixtes dans le monde. Nous avons également des leads régionaux et des ambassadeurs dans les pays pour travailler avec nos clients et faire respecter nos politiques ou mener des actions de sensibilisation sur le terrain. À titre d’exemple, nous avons un protocole d’« accueil et de reconnaissance » en Australie et une communauté d’« ambassadeurs inclusion » aux États-Unis : leur mission est de donner une voix aux collaborateurs sur site, de promouvoir des opportunités et un travail constructif, en collaboration avec les DRH de nos clients.

Sophie Bellon, présidente du Conseil d’administration de Sodexo, décrit ainsi la mission du groupe : « Améliorer la qualité de vie des personnes que nous servons tout en contribuant au développement économique, social et environnemental des villes, régions et pays où nous opérons. C’est mon père, Pierre Bellon, qui l’a inscrite dans nos gènes il y a cinquante ans, et nous n’avons pas eu besoin de la loi Pacte pour nous interroger sur notre “raison d’être”. » Avez-vous néanmoins une raison d’être inscrite dans vos statuts ?

Depuis plus de cinquante ans, la mission de Sodexo est double : améliorer la qualité de vie des personnes que nous servons et celle de nos collaborateurs, et contribuer au développement économique, social et environnemental des territoires sur lesquels nous opérons. Cette colonne vertébrale pourrait nous dispenser de détailler une raison d’être, de manière juridique. Nos collaborateurs connaissent le sens et la direction de leur travail. Cela dit, la crise nous a encouragés à moderniser notre raison d’être. C’est un travail mené par Sophie Bellon, le conseil d’administration et le comité exécutif. Nous nous inscrirons ainsi dans la continuité de notre mission.

Allez-vous inclure cette raison d’être redéfinie dans vos statuts ?

C’est une possibilité. Mais ce qui fait la réalité de cette raison d’être, c’est la conscience et la fierté des collaborateurs. En 1968, l’entreprise avait deux ans, et Pierre Bellon, alors président du Centre des jeunes dirigeants, avait déclaré : « L’entreprise n’est pas l’entreprise, elle est la communauté de ses salariés, de ses clients, de ses actionnaires. » C’était la loi Pacte avant l’heure. Cette empreinte de notre fondateur est toujours présente. Ce qui insuffle de l’énergie à nos salariés, c’est le fait de donner le meilleur d’eux-mêmes, dans la profonde compréhension de notre mission.

Quelle est votre raison d’être personnelle ?

Permettez-moi de répondre par un chiffre : 24 % des salariés français de Sodexo sont issus de quartiers prioritaires de la ville, notre politique d’insertion et de diversité est importante et participe au développement des communautés dans lesquelles nous intervenons. C’est un exemple parmi d’autres : j’ai la chance de diriger une entreprise nourrie d’âme et de sens, qui impacte positivement de plus en plus de gens, des collaborateurs aux clients.