People at Work vous en dit plus sur l’affichage environnemental

Quelles seront exactement les obligations des entreprises en termes d’affichage ? Selon quel calendrier ?

Il est utile de préciser tout d’abord la distinction entre affichage environnemental, qui fait référence à des informations quantifiées et factuelles, souvent normées et publiées de manière obligatoire, et allégation environnementale, souvent qualitative et qui s’inscrit dans une démarche volontaire de l’entreprise afin de valoriser un produit considéré plus performant que la moyenne d’un point de vue environnemental.

En France, quelques informations relèvent déjà de l’affichage environnemental obligatoire sur certains produits, comme l’étiquette énergie ou l’indice de réparabilité. La loi Climat et résilience prévoit par ailleurs un dispositif d’affichage environnemental sur les produits textiles et alimentaires, pour l’instant expérimental, mais destiné à être rendu obligatoire. Il pourrait s’agir d’un affichage présent sur le produit ou dématérialisé informant le consommateur des impacts du produit, calculé sur l’ensemble de son cycle de vie. Prévue pour 2022, cette régulation a été repoussée et le calendrier n’est pas encore fixé. Les expérimentations touchent cependant à leur fin, ce qui laisse présager des publications proches.

Plusieurs projets de directives européennes sont également en train de voir le jour, principalement pour réguler les allégations environnementales. La dernière en date est la directive « Empowering consumers » [1], adoptée en mai, et qui interdit toute allégation environnementale insuffisamment fondée factuellement et scientifiquement. Son entrée en vigueur est immédiate, avec deux ans prévus pour la transposition par les Etats membres. Elle sera complétée par la directive « Green Claims »[2] qui devrait quant à elle être effective en 2027, et renforcera les exigences méthodologiques de l’affichage environnemental.

Quelles catégories de produits seront concernées par ces réglementations ?

En France, les catégories concernées pour l’instant sont principalement les secteurs agro-alimentaire et textile, ainsi que certains produits électriques et électroniques dans le cadre de l’indice de réparabilité. La liste des catégories concernées est amenée à évoluer pour inclure davantage de produits au fil des ajustements méthodologiques.

La loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite loi AGEC) prévoit également que les produits soumis à une responsabilité élargie du producteur (REP) comprennent des informations sur des caractéristiques environnementales précises, comme le pourcentage de contenu en recyclé ou la recyclabilité du produit. C’est le cas des emballages ménagers par exemple, mais aussi de certains produits d’ameublement, d’emballages, de jouets…

Quelle sera la méthodologie de calcul de l’impact d’un produit ?

Les méthodologies sont encore en cours de définition.

En France, l’ADEME a lancé pour expérimentation l’outil Ecobalyse[3], qui permet pour les secteurs textile et agro-alimentaire de calculer l’empreinte environnementale d’un produit. Une méthode de calcul définitive devrait ainsi voir le jour d’ici la fin de l’année 2023.

Au niveau européen, le projet de directive « Green claims » vise à formaliser la méthodologie de certification des allégations environnementales. Elle inclut des critères comme la prise en compte de l’intégralité du périmètre du cycle de vie du produit et de ses impacts environnementaux, ou le recours à des standards scientifiques reconnus. Elle prévoit l’interdiction de communiquer sur la neutralité carbone d’un produit ou d’une activité si celle-ci est fondée exclusivement sur la compensation des émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, une entreprise qui émet des gaz à effet de serre mais en compense une partie en plantant des arbres ne pourra pas « déduire » de son bilan carbone ces émissions, ni prétendre que son produit est « neutre en carbone » alors qu’il a bien émis du gaz à effet de serre lors de sa production.

Les sources de données à utiliser sont également précisées par le régulateur, qui indique de privilégier autant que possible les données « primaires », c’est-à-dire issues directement de l’entreprise ou les données des fournisseurs, et seulement si nécessaire des informations plus génériques telles que des données sectorielles ou des bases de données tierces.

Est-ce que cela va vraiment aider le consommateur à se repérer ?

L’objectif des évolutions réglementaires sur l’affichage environnemental et l’encadrement des allégations est bien de permettre aux consommateurs de faire des choix de consommation éclairés, tout en mettant fin aux pratiques commerciales trompeuses ! En supprimant les allégations trop génériques ou peu fiables (« vert », « responsable ») au profit d’un affichage environnemental factuel, il sera aussi plus facile d’identifier les produits effectivement plus performants.

Pour le régulateur français, il s’agit d’orienter les consommateurs vers les produits les plus performants au sein d’une même catégorie (par exemple, quel est le meilleur gel douche d’un point de vue environnemental ?), mais aussi – et surtout – d’orienter les choix de consommation vers les catégories à moindre impact sur la base de caractéristiques comparables (en comparant un savon liquide et un savon solide par exemple ou diverses sources de protéines entre elles). Dans les deux cas, cela implique d’avoir pour chaque produit des données suffisamment précises pour permettre la différentiation.

Pour informer correctement le consommateur, il faudra mettre à disposition plusieurs niveaux de résultats : un affichage simple sur le produit, l’emballage ou la page web, qui permet de guider le geste d’achat instantanément, par exemple via une notation A,B,C,D ou une note sur 100 ; des résultats plus détaillés accessibles de manière déportée (en ligne) pour les consommateurs qui voudraient plus de précisions.

Quels sont les risques de Greenwashing qui subsistent malgré ces nouvelles réglementations ?

Le but de la réglementation est justement de lutter contre le greenwashing et les allégations pouvant induire le consommateur en erreur. Définir une méthodologie de construction des allégations précise et claire permet en effet de réduire ces risques en garantissant la fiabilité des informations ainsi que la comparabilité entre produits différents. Le recours à des vérificateurs indépendants sur un large panel de produits peut représenter pour l’entreprise un coût important qui ne peut toujours être intégralement reporté sur les consommateurs. Une solution alternative consiste à encourager la vérification par les pairs, par exemple via des consortiums sectoriels, et de stimuler le rôle de vigies réalisé par des ONG ou association de consommateurs.

Comment transformer ces contraintes réglementaires en axe de différentiation par rapport aux concurrents ?

L’encadrement des allégations environnementales peut être un levier de différentiation pour les entreprises à plusieurs points de vue : tout d’abord en prenant les devants : anticiper ces réglementations pour faire partie des précurseurs de la communication environnementale est déjà un facteur différentiant en soi. Par ailleurs, les produits les plus performants d’un point de vue environnemental seront naturellement mis en valeur par l’affichage, leur conférant un avantage auprès des consommateurs. Alors que 76% des consommateurs se déclarent en faveur d’une consommation responsable[4], un affichage environnemental mettant en avant la performance d’un produit permettra de mieux s’aligner à ces exigences croissantes.

De plus la mise en place dans l’entreprise d’une mesure d’impact des produits est à l’origine d’un cercle vertueux en termes de réduction des impacts et d’innovation. En effet, l’affichage environnemental requiert une connaissance plus fine du cycle de vie de ses produits, ce qui conduit à mieux comprendre où sont les principaux impacts et à innover pour les réduire. Ce cercle vertueux a pu être observé dès 2011, lors du bilan sur l’affichage environnemental réalisé par EY pour le ministère de l’Environnement sur un panel de plus de 150 entreprises[5]. 70% des entreprises ayant participé avaient ainsi déclaré mieux connaître les points faibles et forts de leur produits suite à l’expérimentation.

Communiquer sur la durabilité de ses produits est un moyen de renforcer sa marque en intégrant la durabilité dans son positionnement global. Des messages crédibilisés par des données robustes issues de l’affichage environnemental sont à même de renforcer la confiance des consommateurs envers la marque.

Plus largement, quel sera le rôle de l’Etat et des institutions pour donner confiance aux consommateurs ?

L’Etat détient un rôle structurant indispensable ; fournir un cadre méthodologique et légal précis garantissant une information claire, utile, comparable et une concurrence loyale. C’est également à lui que revient la responsabilité de pousser les entreprises à fournir cette information, d’informer le consommateur de ce dispositif exigeant et de créer la confiance d’ensemble en mettant en place les garde-fous pour écarter tout greenwashing. Enfin, en cas de non-respect de la réglementation, il reviendra enfin à l’Etat de s’assurer que des sanctions dissuasives soient appliquées !

Qu’en est-il de la mise en place d’un affichage environnemental au niveau européen ?

Un écolabel européen officiel existe déjà depuis plus de 30 ans pour une trentaine de catégories de produits seulement, ce qui le rend anecdotique. Sa certification, basée sur une analyse de cycle de vie, est volontaire. Un projet de passeport produit (Digital Product Passeport) est en cours d’élaboration, qui devrait permettre un accès facilité via un QR code à des données telles que la composition, l’origine et la réparabilité d’un produit. Ce passeport numérique pourrait entrer en vigueur dès 2026 pour les premières industries concernées (textile, piles, électroménager).

Des expérimentations sont également en cours depuis une dizaine d’année afin d’établir une méthodologie commune pour l’affichage environnemental : le PEF, pour Product Environmental Footprint. Basé sur une analyse de cycle de vie et 16 impacts environnementaux, le PEF n’a finalement pas été retenu comme méthode privilégiée dans le cadre de la proposition de directive Green Claims (sortie en mars 2023), qui laisse plutôt la main aux Etats pour définir leurs propres méthodologies, mais il n’en reste pas moins un cadre de référence dont les entreprises peuvent et doivent s’inspirer en raison de son approche par le cycle de vie très intéressante.

 

[1] Directive 2022/0092

[2] Directive 2023/0085

[3] Ecobalyse – Ecobalyse (gitbook.io)

[4] ADEME, « Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? », baromètre Greenflex-ADEME, 2023, accessible en ligne : Consommation responsable : s’engager sans renoncer ? – ADEME Infos

[5] Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, de l’Energie, Affichage environnemental des produits de grande consommation, 2013, accessible en ligne : 134000775.pdf (vie-publique.fr)

IA : que dit la loi en 2023 ?

Les récentes avancées en matière d’intelligence artificielle (IA) représentent « une grave menace pour les droits humains » (alerte du 18 février par le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’Homme). L’inquiétude de l’ONT est-elle justifiée ?

L’inquiétude est élevée car la réglementation n’est pas encore claire en termes de classification des risques et de mise en œuvre et la surveillance par les autorités compétentes. La menace que l’on vit est celle du changement de valeurs de l’humanité, par des décisions qui sont de plus en plus automatisées. L’IA, à terme, peut ébranler notre sécurité, voire, notre santé mentale, notre façon de vivre. Les relations interpersonnelles sont également touchées, j’en veux pour preuve, le succès de certains algorithmes de recommandations, employés sur les réseaux sociaux. Cela nous donne une idée précise : de ce que certaines décisions indicible, impalpable, immatérielle, peuvent avoir comme conséquence.   En outre, l’UE ne peut ignorer les risques incertains, ceux auxquels les générations futures seront confrontées. Nous avons besoin d’une bonne gouvernance pour résoudre ce problème, et je ne suis pas sûr que la proposition actuelle de loi sur l’IA y réponde. Au niveau de l’entreprise, les travailleurs devraient également disposer de cette capacité critique.

IA : Beaucoup de collaborateurs se disent préoccupés. De quels outils dispose-t-on pour protéger leurs données personnelles ?

La loi sur la vie privée qui existe depuis longtemps, et récemment mis à jour au niveau de l’UE. Il s’agit du RGPD . C’est un aspect fondamental du droit humain., qui a une connotation d’extra-territorialité. D’autres pays ont importé les dispositions  de la RGPD dans leurs juridictions telles que l’Australie, le Canada, le Chili, ou bien le Japon. Un autre outil consiste à sensibiliser chaque individu à la protection de ses propres données personnelles et à sa capacité à s’interroger de manière critique sur l’opportunité de fournir ses données personnelles aux nombreuses entreprises qui les collectent pour leur propre profit.

Quelles propositions pourraient-être faites pour que l’Europe assume une position de leader numérique en garantissant les droits fondamentaux des salariés ?

L’Europe est un leader numérique au niveau de la gouvernance. C’est la première juridiction  à avoir fait passé des lois sur des systèmes d’IA, c’est très pertinent en termes de positionnement géopolitique . Au niveau technique, l’Europe n’est pas séduisante comme l’Asie ou l’Inde ou bien les les États-Unis. Elle veut faire une sorte de contre-poids, mais l’UE ne peut se contenter de proposer de nombreuses directives et règlements, le véritable pouvoir résidera dans leur mise en œuvre effective. La proposition législative actuelle sur la prise de décision et la surveillance algorithmique ne s’appliquera qu’aux travailleurs des plateformes. Les législateurs ont la responsabilité d’étendre ces dispositions à tous les travailleurs afin qu’ils bénéficient d’une prévention et d’une protection réelles sur leur lieu de travail.  Je pense qu’un nouveau cadre juridique dans le contexte de l’emploi est nécessaire. Les travailleurs ne devraient pas avoir des droits « théoriques », mais des droits qu’ils peuvent effectivement exercer à l’ère de l’IA. La Course à l’IA est économique.

Le Grand Entretien : Julie Walbaum, CEO de « Maisons du Monde »

Vous dirigez Maisons du monde depuis juillet 2018. Que signifie le « management inclusif » pratiqué par votre entreprise ?

 

Un management inclusif repose avant tout sur une entreprise à l’écoute, qui sait que sa valeur vient des femmes et des hommes qui la composent, en particulier dans le secteur de la vente au détail qui est le sien. La diversité est une force, et de là vient la plus grande performance de Maisons du monde, une entreprise très féminine : deux tiers de nos collaborateurs sont des femmes, celles-ci dirigent trois quarts des magasins et constituent la moitié du comité exécutif. L’entreprise souhaite comprendre et incarner au quotidien la richesse de la diversité. C’est une responsabilité de tous les jours et de chacun que de promouvoir et de préserver celle-ci.

 

Auparavant, vous étiez la directrice digital et marketing client de l’entreprise. Pourquoi vous êtes-vous portée candidate à ce poste et qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

 

Je connaissais Maisons du monde depuis 2014. Le numérique faisant partie de son évolution depuis de nombreuses années, on voyait bien l’accélération du modèle dans ce sens. J’ai donc participé à l’introduction en Bourse de l’entreprise, en 2016, aux côtés du directeur général de l’époque. En 2018, alors que j’avais trois enfants en bas âge, ce n’était pas un choix évident, mais j’avais un projet pour Maisons du monde. Cette entreprise était tellement attachante, avec des femmes et des hommes très engagés, que je me suis lancée. Je pensais que je pouvais entretenir notre longueur d’avance sur le digital. Je souhaitais aussi faire évoluer certains pans de l’organisation, par exemple, donner un nouvel élan à l’offre, poursuivre la croissance rentable, en y combinant plus de « responsabilité ».

 

L’emploi du temps d’une DG est dense. Avez-vous mesuré les contraintes, les obligations quand vous avez candidaté à ce poste, en tant que mère de famille habitant à Paris et non à Nantes, où se situe le siège ?

 

Je crois que l’on ne mesure jamais toutes les données avant d’y arriver… Surtout dans un secteur qui se transforme rapidement et dans un contexte macroéconomique qui a tout de même bougé ces derniers temps. Je crois aussi que, dans la vie, il faut réfléchir… mais pas trop. Je me suis fiée à mon intuition. Pour prendre ce type de responsabilités, cela demande beaucoup d’engagement : il faut avoir un projet et qu’il vous passionne. J’ai pu me lancer dans cette aventure, car mon mari, qui a lui aussi une carrière très remplie, a su et voulu réorienter ses responsabilités au sein de notre famille. Il s’est organisé dans un périmètre plus local, il a moins voyagé. Et cela a finalement enrichi notre expérience familiale.

 

La famille reste votre priorité…

 

Oui, mon mari et moi-même nous sommes donné quelques petites règles familiales. Je ne passe jamais plus de deux nuits consécutives hors de mon foyer. Chaque jour, nos enfants sont réveillés ou couchés par l’un de nous deux. Aux vacances scolaires, je prends une semaine de congé et j’encourage les membres du comité exécutif et les collaborateurs de l’entreprise à en faire de même. Vous savez, ce n’est pas très sain de créer une distinction entre le corps dirigeant et le reste des collaborateurs. C’est justement parce que ces derniers me voient avec les mêmes problématiques qu’eux, comme des réunions zoom avec mon fils de trois ans sur les genoux, que cela permet de créer une atmosphère détendue, de dire les choses quand cela ne va pas ou le contraire.

 

Vous parlez avec beaucoup de sincérité de cette répartition entre vos deux « vies ». C’est assez rare dans le monde des grands dirigeants. C’est un choix assumé ?

 

Les collaborateurs de l’entreprise se donnent beaucoup. En tant que dirigeante, je me dois, en retour, de donner du sens à leur travail et de leur accorder de la confiance. Et cela passe par une attitude transparente. J’aime beaucoup ce proverbe africain : « It takes a village to raise a child », « Il faut un village pour élever un enfant ». Cela signifie que tout le monde a un rôle à jouer dans l’aventure et que des liens authentiques, fondés sur la transparence et l’entraide autour d’une vision commune, conduisent à une culture forte et, je le crois, au succès.

 

Avez-vous dû faire face à quelques réticences ? Avez-vous senti que vous deviez faire vos preuves ?

 

Cette question m’est régulièrement posée et, étonnamment, on la pose beaucoup plus aux femmes qu’aux hommes. L’idée est d’assumer pleinement ce que l’on est, sans tomber dans les excès. Je crois que mon rôle de maman et ma vie personnelle m’aident à être une meilleure dirigeante. Car cela m’oblige à prioriser, à donner un cadre très clair aux équipes. Celles-ci doivent être efficaces parce que, moi-même, j’ai besoin d’être efficace. Cela remet aussi l’église au centre du village (toujours lui !) : quand, dans ma vie professionnelle, il m’arrive d’être tendue, la famille me rappelle la vraie valeur des choses et le sens des priorités. Enfin, il me semble important de montrer aux femmes de l’entreprise qu’il ne leur est pas nécessaire d’afficher la panoplie du super-héros dévoué à sa carrière : je gère, je n’ai aucune contrainte extraprofessionnelle, etc. La vie pour moi est faite de vases communicants. L’important est de conserver un engagement et une exigence élevés. Pour le reste, l’adaptabilité est ma meilleure amie. Moins on se met de barrières mentales sur ce que l’on peut et ne peut pas, plus on a de chances de réussir sa vie professionnelle.

 

La bonne gestion de cet équilibre pro-perso est un moteur formidable : pourquoi n’en avait-on pas conscience auparavant ?

 

Parce que le travail était vu comme une fin en soi. Pendant longtemps, on a évolué dans des valeurs masculines assez fortes : la réussite professionnelle avait une fonction statutaire importante. Ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés européennes. En Scandinavie, par exemple, c’est tout à fait différent. On avait auparavant une vision très linéaire de la vie des gens, avec des études, un travail… Les générations actuelles nous apprennent à cultiver plus de circularité, avec plus d’équilibre entre les différents pans de notre existence. Et c’est tant mieux !

 

Les grands mots de cette année sont « flexibilité » et « agilité ». J’ai entendu dire que vous demandiez à vos collaborateurs de faire preuve d’une grande efficacité dans les réunions, mais aussi de travailler en autonomie…

 

L’autonomie est une valeur forte chez nous, car Maisons du monde est une entreprise entrepreneuriale. Notre mode de fonctionnement est « agile », dans le sens où nos salariés sont engagés dans les projets et les portent. L’année 2020 a été particulière : je n’ai pas demandé plus d’efficacité à mes équipes, car elles se sont adaptées seules. En tant que dirigeante, j’ai un devoir de vigilance avec mon comité exécutif afin de ne pas privilégier la productivité avant tout.

 

Les entreprises sont davantage des lieux moraux que physiques. Comment vous adaptez-vous ?

 

Il faut arriver à préserver et à renforcer la culture d’entreprise. Nous sommes passés à deux jours de télétravail par semaine. Nous n’avons pas souhaité aller plus loin, car le temps collectif est essentiel pour l’aspect interrelationnel, pour les espaces de liberté induits, pour favoriser la créativité, une valeur importante chez nous. Ces valeurs d’entreprise définissent le quotidien entre les équipes et le management de proximité. Le comité exécutif et moi-même réfléchissons à valoriser ces temps d’interaction, en présentiel mais aussi à distance. À l’occasion de 2020, nous avons lancé une initiative nommée les MDMTalks : le comité exécutif prend la parole auprès de l’ensemble des collaborateurs du siège et des magasins, directeurs et adjoints. On discute de l’actualité de l’entreprise, des difficultés qui sont les nôtres. On met le plus possible en lumière d’autres collaborateurs de l’entreprise. Le discours de transparence, l’échange sur la base d’un jeu de questions-réponses sont au cœur de cet exercice. Je trouve que le Covid nous a permis de cultiver des liens rapprochés avec nos collaborateurs, avec nos équipes en magasin. Quand on a 350 sites en Europe, on ne peut pas avoir la même proximité tout le temps.

 

Comment le numérique peut-il nous amener à développer toujours plus de proximité, sans se substituer à la qualité du temps physique en entreprise ?

 

Avant de prendre mes fonctions, j’ai fait durant trois mois le tour des magasins en Europe, visité plus de 70 sites, participé à 40 dîners avec des directeurs régionaux et de magasins, ce qui m’a permis de sentir le pouls de l’entreprise. Aujourd’hui encore, ces interactions me portent. J’accorde énormément d’importance à la voix de nos équipes en magasin, qui sont au contact de nos clients. À chaque événement, confinement, déconfinement, période de Noël ou autre, le comité exécutif et moi-même étions présents en magasin. C’est important d’aller cultiver le lien vivant : le numérique ne fait pas tout, loin de là.

 

Vous êtes vue sur les sites, vous privilégiez le tutoiement : la perception du PDG a-t-elle changé ?

 

La simplicité de la relation avec le management est, pour moi, la base du rapport de confiance qu’il est possible de nouer avec les collaborateurs. J’ai commencé ma carrière dans des entreprises américaines, donc, probablement, cela laisse des traces. Je tutoie tous les collaborateurs et vice versa. Je pose naturellement beaucoup de questions, car c’est en interrogeant des collaborateurs à plein de niveaux différents que je construis ma perception de ce que doit être l’entreprise de demain. Je vais au contact de façon très large. Le fait de rendre le management accessible est important, d’autant plus dans cette période. Cela passe par la communication. On doit s’appuyer sur un management de proximité pour que chacun endosse la responsabilité de donner du sens à son collaborateur. Le devoir d’exemplarité est pour cela essentiel.

 

Quels sont vos grands projets à la tête de Maisons du monde ?

 

Poursuivre la croissance et y associer plus de durabilité. Ce projet a un soubassement RH très important, car la durabilité porte un pan social et un pan environnemental. Nous sommes une marque-enseigne et nous avons une affinité très forte avec nos clients. Cette marque passe par notre offre. Nous avons donc à cœur de faire croître nos équipes de création. Au-delà du côté tendance et stylé, il faut donc miser sur la durabilité : par exemple, 68 % de notre offre en bois est certifiée. On a lancé pour la première fois du textile certifié Oeko-Tex. En une année, on a atteint 25 % de notre offre textile certifiée de la sorte. On fait la combinaison entre « aller chercher des produits qualitatifs avec un double enjeu d’expérience clients et de durabilité » et « aller chercher des matières toujours plus responsables ». Le produit reste au cœur de nos modèles. S’agissant de l’approche « omnicanal » – qui vise à multiplier les interactions avec le consommateur, à l’heure où le digital prend de plus en plus de place –, l’idée est de continuer à accélérer dans ce sens, mais en affirmant toujours l’importance du magasin, qui crée beaucoup plus de valeur qu’une simple transaction numérique. Tout l’enjeu est de faire évoluer le rôle du magasin dans un modèle omnicanal, avec une marque forte, vers un point de vente qui offre une expérience et un service.

Enfin, notre dernier pan de croissance s’appuie sur le développement des services. En 2019, nous avons pris une participation majoritaire dans Rhinov, une start-up qui fait du conseil professionnel en décoration d’intérieur, 100 % numérique. Ce sont des architectes d’intérieur : vous leur soumettez le petit quiz déco que vous avez rempli, un budget pour votre pièce, et là vous avez des planches déco réalisées par de vrais professionnels. Nous avons l’ambition de démocratiser la déco. Par les produits, bien sûr, mais aujourd’hui aussi par les services. C’est un axe de création de valeur pour nos clients, et c’est aussi une création de valeur durable, qui ne nécessite pas de produire de la matière supplémentaire.

 

Justement, vos intérêts pour les problématiques de RSE sont connus : comment sont-ils incarnés dans Maisons du monde ?

 

 

Avez-vous une feuille de route en fonction de ces engagements ?

 

Oui, s’agissant de l’offre, nous sommes concentrés sur plus d’écoconception, plus de matériaux recyclés ou durables. Plus de réparation aussi : nous avons un atelier d’ébénisterie dans nos entrepôts, avec des artisans qui réparent les produits pour éviter qu’ils ne soient jetés. Ainsi 18 000 meubles ont été remis à neuf cette année. C’est deux fois plus qu’en 2020. De même, Maisons du monde se situe dans une économie circulaire et solidaire : nous sommes l’un des premiers partenaires d’Emmaüs, à qui nous donnons des dizaines de milliers de produits à l’état neuf issus des retours de nos clients, afin de leur offrir une seconde vie.

 

Dans la thématique de la durabilité, le pôle social est important : comment les collaborateurs sont-ils associés à cet effort ?

Maisons du monde est une entreprise qui crée du profit : notre responsabilité est donc de dégager des contributions dans un système positif. Être collaborateur de Maisons du monde, c’est faire partie d’une entreprise où chaque personne compte, c’est se sentir nécessaires les uns aux autres, construire ensemble une entreprise qui ressemble à ses équipes et les rassemble, c’est avoir la liberté d’être soi-même et avoir la conscience intime d’être au bon endroit. Pour faire vivre cet esprit, notre politique RH allie une proposition adaptée à chaque étape clé du parcours des collaborateurs et des engagements sociaux forts. Nous ambitionnons de créer une école de formation et de devenir une entreprise apprenante pour tous ceux qui partagent les valeurs de la marque. Par ailleurs, Maisons du monde souhaite être un employeur de référence grâce à des engagements responsables forts. Une feuille de route a été formalisée en matière de bien-être, d’inclusion des personnes en situation de handicap et des jeunes, d’égalité hommes-femmes, de dialogue social.

 

Pour une expérience collaborateur optimale, le management de proximité est essentiel…

 

Justement, le groupe a décidé d’intégrer à sa feuille de route RSE des objectifs RH sur le renforcement du management de proximité et sur l’amélioration des conditions de travail pour les équipes. Ce plan d’action s’enrichit des retours des collaborateurs collectés lors de l’enquête sociale réalisée en septembre 2019 et renouvelée tous les deux ans. La hiérarchie présente sur place est un élément clé pour mieux accompagner les collaborateurs. Dans cette optique, la formation des cadres est essentielle. Chaque année, un plan spécial est déployé avec des modules où l’on apprend l’importance de créer des rituels managériaux ou commerciaux pour diffuser l’information et mobiliser les équipes. De même, dans un souci de proximité, les équipes ont été dimensionnées à taille « humaine », cette organisation ayant pour conséquence le renforcement du nombre de managers de proximité afin de garantir une meilleure connaissance des équipes et une amélioration de la qualité de la relation de travail.

 

J’entends une forme d’aplanissement de la hiérarchie, un management de proximité renforcé, des solutions apportées aux problématiques RSE, des avancées en matière d’inclusion : tous ces éléments contribuent-ils à construire des valeurs attrayantes pour les plus jeunes ?

 

Pour tous ! Nos valeurs d’audace, de passion, d’engagement et d’exigence sont illustrées ainsi. Notre « raison d’être » est en cours de construction, il est aujourd’hui temps de la formaliser et de lui apporter des éléments de preuve à travers des plans d’action dans tous les métiers. Nous souhaitons que cette raison d’être s’incarne et se vive au quotidien. Nous avons tous besoin de sens au travail. Aujourd’hui, plus que jamais.

 

Quelles seront les tendances QVT de demain ?

 

Le télétravail est là pour durer, même s’il l’est de façon mesurée. Nous passerons donc plus de temps à la maison. Nous chercherons également du sens dans l’activité et l’expérience professionnelle au sens large. Un nouvel équilibre devra être trouvé, entre métier et vie personnelle, entre productivité et déconnexion. Et sur le lieu de travail même, le bureau devra être repensé, les rythmes également. Le temps collectif pourrait être réservé à la création, à l’innovation et au développement des liens entre collaborateurs. La culture devra être renforcée, car ce sera le liant de la société. Les manageurs de demain devront appréhender ces réalités dans une démarche holistique 

 

 

Jeunes diplômés en quête d’expériences

Comme lors des précédentes crises économiques, les jeunes diplômés sont la première catégorie d’actifs à faire les frais des restrictions de recrutement. Pourtant, selon une étude de JobTeaser, un site d’offres d’emploi spécialisée dans le recrutement des jeunes diplômés, ces derniers continuent d’être optimistes pour leur avenir professionnel. Ils sont 45 % en moyenne à se déclarer confiants, voire très confiants, un chiffre qui monte à 53 % pour les diplômés d’écoles d’ingénieur et qui tombe néanmoins à 38 % pour ceux issus de formations professionnelles. Et parmi leurs principales inquiétudes, les doutes concernant leur orientation prennent la première place, loin devant la difficulté à trouver un emploi ou à en changer.

Une « génération Covid » très pragmatique

Face à cette situation, ces 750 000 personnes entrant cette année sur le marché du travail (dont 210 000 avec un Bac + 3 ou plus) refusent de se considérer comme une « génération sacrifiée ». Certes, nombre d’entre elles doivent revoir à la baisse certaines de leurs ambitions de salaire, de contrat ou de poste, mais elles savent faire preuve de pragmatisme, de flexibilité et de résilience en n’hésitant pas à changer de secteur d’activité et de métier pour parvenir à décrocher leur premier emploi. Certains préfèrent poursuivre leurs études le temps que passe la crise, mais ce choix n’est évidemment pas possible pour tous. D’autres encore décident de trouver un travail alimentaire afin d’obtenir une expérience et de pouvoir démontrer leur employabilité.

Mais pour ceux ayant la possibilité de décrocher des entretiens et des propositions d’embauche, les critères de sélection mettent de plus en plus en avant la qualité de vie au travail. Selon une étude de l’agence d’intérim Walters People, si l’attractivité d’un poste reste principalement déterminée par le sens de la mission et la rémunération, la fidélisation des jeunes talents dépend avant tout de l’ambiance de travail. Et en cette période où le télétravail est de mise, les liens entretenus par les équipes et les supérieurs deviennent de plus en plus déterminants, notamment pour les salariés en début de carrière.

La qualité de vie au travail, un élément central dans les aspirations des jeunes

Selon l’étude de JobTeaser, les candidats à l’embauche se montrent de plus en plus intéressés par l’environnement de travail, leur poste et les missions de l’entreprise, des points qu’ils n’hésitent pas à questionner pendant les entretiens de recrutement. Ainsi, les conditions de travail prennent depuis l’automne 2020 la première place des préoccupations des jeunes diplômés (65 %), devant l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle (45 %), le salaire (38 %) et l’accompagnement dans l’intégration (31 %). Les jeunes montrent clairement qu’ils attendent de leur entreprise qu’elle contribue à leur bien-être, en mettant les relations humaines au centre de la vie professionnelle. Néanmoins, l’importance prise par ces critères relègue au second plan les formations délivrées dans l’entreprise (17 %), mais aussi certains engagements sociaux, tels que l’égalité hommes-femmes (16 %) ou la politique de diversité (8 %).

En voulant trouver un job qui ait du sens, travailler dans une ambiance conviviale et bienveillante, avec des supérieurs qui sont là pour les aider à mieux s’intégrer et à devenir plus performants, mais surtout en ayant la garantie de pouvoir prendre du plaisir dans leur métier, les néotravailleurs et leurs aspirations devraient accélérer la transition des entreprises vers une meilleure qualité de vie au travail.

Une remise en cause des processus de recrutement ?

Selon l’étude de JobTeaser, les jeunes candidats à l’embauche pointent du doigt certaines faiblesses des processus de recrutement. S’ils sont 67 % à se déclarer satisfaits de la qualité des échanges lors des entretiens, ils sont 19 % à affirmer que les descriptions de poste ne sont pas assez claires et 55 % à avancer que le processus est trop long. Dans une période où le droit à l’erreur est encore plus faible, le défi pour les RH d’embaucher la bonne personne et de la faire s’épanouir devient d’autant plus élevé.

Groupe CASINO : La force du discret

Comment parler de « qualité de vie au travail” aujourd’hui, en pleine crise sanitaire, économique et sociale ?

Il faut non seulement en parler mais semer les petites graines qui vont nous permettre de résister aux tensions qui risquent de s’exacerber dans notre pays dans les mois qui viennent. Durant le confinement, en tant que secteur considéré comme “vital”, nous avons continué notre activité. Sur un plan RH, il nous fallait préserver la cohésion au sein de nos équipes et éviter une rupture entre les collaborateurs des magasins et des entrepôts qui se situaient “en première ligne” et la “base arrière”, c’est-à-dire les sièges et les directions qui étaient pour une large majorité en télétravail. Notre préoccupation était également de garder le lien avec nos salariés : des personnes pouvaient développer énormément d’anxiété, s’agissant de leur santé et du devenir de la société dans son ensemble.

C’est pourquoi, quasiment quotidiennement, nous adressions une communication en interne : vidéos, outils de formation, mise en avant de nos actions en magasins ou à caractère philanthropique, comme lorsque nous avons fait don de deux millions de masques aux hôpitaux français. L’idée était de montrer que la première ligne et la base arrière étaient dans le même bateau. Nous avons aussi déployé des conférences en ligne sur le management bienveillant, avec l’installation d’un fil d’écoute anonyme pour les cadres. Je crois que ces dispositifs étaient nécessaires et le seront encore, c’est pourquoi nous les maintenons.

Dans un contexte d’incertitude générale croissante, les collaborateurs en situation de fragilité doivent être identifiés puis accompagnés au sein de l’entreprise. Concrètement, depuis plusieurs années maintenant, nous avons mis en place un réseau de “bienveilleurs”. Plus que jamais, aujourd’hui, ce réseau est utile.

Ces 1000 bienveilleurs, en magasins ou dans les sièges, sont sensibilisés et formés pour identifier leurs collègues en situation de vulnérabilité et les aiguiller vers des structures adaptées, ou, tout simplement, les écouter et leur apporter du réconfort et davantage d’humanité dans leur quotidien.

“Bienveillance” n’est pas un terme commun dans le monde de l’entreprise. Comment vous êtes-vous approprié ce vocabulaire, tranchant nettement avec l’univers “processisé” que l’on peut imaginer ?

Nous avons opté pour le mot “bienveillance” car c’était la traduction, dans un seul et même terme, d’un héritage des politiques RH conduites par le groupe Casino depuis de très nombreuses années et jusqu’à maintenant. Et si la promotion du management bienveillant fonctionne dans le groupe Casino, c’est parce qu’il est totalement en accord avec l’histoire même du groupe.

À juste titre, la grande distribution est perçue comme un secteur plus difficile que d’autres, entre des négociations commerciales que l’on perçoit comme étant très dures, des mises en rayons qui sont des tâches lourdes, et donc des relations sociales qui peuvent être tendues, un taux de rotation du personnel qui est peut-être plus élevé que dans d’autres secteurs.

Donc, spontanément, on associe peu le terme de “bienveillance” et celui de “grande distribution” : c’est tout le pari que nous avons fait. C’est de dire : “Nous, groupe Casino, avons mis en œuvre depuis 120 ans des politiques sociales innovantes, maintenant il faut accompagner l’encadrement.” Un travail de fond a donc été mené pendant plusieurs années : sensibilisation, formation des cadres, des managers, des directeurs d’établissement et de siège, création d’un réseau de bienveilleurs qui relaient nos politiques et nos actions à un échelon encore plus opérationnel.

Quelles sont les qualités requises pour devenir bienveilleur au sein du groupe Casino ?

De l’écoute, de l’empathie, de l’humilité. Cette capacité de comprendre son collègue, au sens humain du terme. Il faut des qualités de médiateur aussi, pour faire remonter des informations, expliquer des cas, des contextes. C’est une implication au quotidien.

N’avez-vous pas craint de susciter frustrations et crispations en nommant des collaborateurs bienveilleurs et d’autres non ?

Nous avons joué la carte du volontariat. Et la sélection des candidats s’est faite en lien avec les ressources humaines. On ne m’a jamais remonté de tensions de la sorte.

Les secteurs dédiés au personnel, les DRH, syndicats, médecins du travail, n’ont- ils pas vécu l’apparition des bienveilleurs comme un échec ?

L’échec, c’est ne rien faire. Donc si l’on peut ajouter une petite aide dans un océan de solitude pour certains, tout le monde ne peut que le voir positivement. Il n’y a pas de pré carré dans la prévention de la souffrance. Le bienveilleur n’est pas un médecin, ni un psychologue, ni le N+1, ni le “gentil organisateur de soirée du vendredi”. C’est un petit peu de tout cela. Et, donc, il ne fait pas d’ombre aux corps de métiers plus “traditionnels” ou statutaires.

Où s’arrête le rôle de l’entreprise dans l’écoute et le soin apportés aux personnes ?

Le rôle du bienveilleur est d’écouter et, au besoin, d’aiguiller le collaborateur vers des dispositifs adaptés (psychologue, médecin du travail, assistante sociale…). Ce sont les salariés qui fixent la limite. Certains vont avoir tendance à se renfermer sur eux-mêmes, d’autres seront plus expansifs. Nous proposons avant tout une écoute et une aide si le collaborateur le souhaite. Nous essayons de faire connaître largement le dispositif des bienveilleurs et de le dédramatiser, de façon qu’il n’y ait pas de tabou. De même, nous garantissons la confidentialité dans la remontée d’informations.

En moins d’une année, nous sommes passés d’une situation d’urgence à une période de crise sur le long terme. Quelles sont les pistes d’action pour éviter que les relations de travail ne se détériorent, pour maintenir la cohésion d’équipe ?

Le groupe Casino est engagé dans une politique de RSE depuis de longues années. “Nourrir un monde de diversité”, notre signature, est aussi une feuille de route collective que nous fixons à tous les échelons. Nos équipes sont en contact direct avec le public, nous devons apporter des produits de qualité au meilleur prix. Face à la crise, aux perspectives de transformations, il est capital de renforcer la communication interne, pour donner du sens.

portrait de Franck-Philippe Georgin secrétaire général du groupe Casino
Franck-Philippe Georgin, secrétaire général du groupe Casino

En 2019, plus de 30 hypermarchés ou supermarchés ont été cédés. Début 2020, la vente de 567 magasins et de trois entrepôts Leader Price a été conclue… Comment les collaborateurs peuvent-ils recevoir ces évolutions de manière sereine ?

Face à l’ampleur des transformations des modes de consommation, le groupe a fait un choix tourné vers l’avenir : se recentrer sur les formats porteurs (proximité, premium, e-commerce), accélérer la digitalisation, développer de nouvelles activités et anticiper les évolutions des métiers pour les accompagner. Cette démarche d’anticipation a été consacrée dans un accord groupe signé en 2019 avec nos organisations syndicales, avec pour philosophie d’accompagner les évolutions de nos métiers et de nos activités en favorisant la mobilité et la formation des collaborateurs, et donc leur employabilité.

Plus récemment, la branche hypermarchés et supermarchés a mis en place un plan d’accompagnement de ses hôtes et hôtesses de caisse au terme duquel, pendant trois ans, 6000 collaborateurs vont pouvoir être formés aux métiers du conseil et de la relation client. Et 700 directeurs de magasin et managers de caisse vont être formés à la conduite du changement. C’est un dispositif inédit et innovant dans le secteur de la grande distribution. Nous avons créé au sein du groupe un dispositif dédié à la mobilité (“C ma Carrière”), avec des référents mobilité qui accompagnent les collaborateurs dans leur démarche de mobilité. L’application mobile “C mon Groupe”, accessible à tous sur un smartphone, leur offre un accès à tous les postes disponibles, ainsi qu’à l’ensemble des dispositifs d’aide à la mobilité.

Comment encouragez-vous le “sentiment d’appartenance”, dont on sait qu’il est le ciment d’un collectif homogène ?

Nous communiquons auprès de nos collaborateurs sur les classements et “bonnes notes” qui nous sont attribuées, ou encore sur les actions ou les dispositifs innovants que nous mettons en place. Pourtant, ce n’est pas dans la culture du groupe Casino de se mettre en avant. Ce sont les partenaires sociaux qui nous ont encouragés à valoriser nos actions et nos succès. Le sentiment d’appartenance est un levier puissant pour fédérer les équipes, d’autant plus important dans le contexte actuel d’incertitude, voire d’angoisse collective, lié à la situation sanitaire et économique. C’est la fameuse “fierté du maillot”. La métamorphose footballistique est toute trouvée : Geoffroy Guichard, fondateur de notre groupe, a donné son nom au célèbre stade de Saint-Étienne et notre logo est de couleur verte… La fierté d’appartenance permet de nous embarquer dans un récit collectif de transformation.

Mais la grande distribution que l’on a connue hier n’est pas celle d’aujourd’hui…

Ni celle de demain… : digitalisation, automatisation des process, ouverture plus tardive des magasins le soir ou le week- end, automatisation des entrepôts, comme notre nouvel entrepôt intégrant la technologie Ocado à Fleury-Mérogis pour la livraison alimentaire chez les clients. Nous menons ces transformations en accompagnant l’évolution des emplois dans la démarche d’anticipation évoquée précédemment. Au sein du groupe, nous sommes depuis toujours attachés à un dialogue social de qualité, nous observons les métiers en croissance, ceux qui sont en décroissance, et nous levons les barrières internes entre les métiers, comme entre les postes d’encaissement et ceux liés aux services client.

Avez-vous donc adapté vos méthodes de recrutement ?

Nous essayons de recruter des profils spécialisés dans les nouvelles économies et sciences des données. En tant que distributeur, un large pan de notre activité liée à la connaissance du client est en forte croissance, notamment à travers notre filiale relevanC. Aujourd’hui, il est capital d’être en mesure de compiler des datas. Pour attirer ces profils spécifiques, il faut adapter nos méthodes de recrutement, en utilisant les réseaux sociaux, les vidéos ; il faut également considérablement simplifier le parcours, plutôt que de leur proposer des entretiens classiques dans des box, avec une personne qui va vous raconter l’histoire du groupe…

Par ailleurs, pour conserver le lien intergénérationnel dans le groupe, nous avons développé un dispositif de tutorat des nouvelles recrues. Ces mentorats sont réalisés par les personnes qui ont le plus d’expérience, pour relier le meilleur des deux mondes : la solidité, l’expérience, la “sagesse” des employés les plus anciens et l’engouement, l’énergie, la volonté des nouveaux arrivants.

J’imagine que ce système donne aux “tuteurs” un sens renouvelé à leur travail grâce à une transmission de compétences, et donc de valeurs ?

Oui, c’est une activité très valorisante. Et pour le collaborateur nouvellement recruté qui en bénéficie, c’est, en quelques semaines, un condensé de plusieurs dizaines d’années de vie d’entreprise, de gestion des conflits, de savoir-être. Nous connaissons beaucoup de succès sur ce dispositif de mentorat/tutorat.

En Amérique latine, où le groupe Casino possède des filiales, vous privilégiez le recrutement local. Comment homogénéisez-vous la culture d’entreprise, en partie basée sur la qualité de vie des collaborateurs ?

Au sein du groupe Casino, nous avons toujours souhaité conserver la diversité des enseignes et des cultures, en France et à l’international. Monoprix ne s’appelle pas Casino Supermarchés ; en Colombie, nos magasins s’appellent Exito Super ou Carulla ; au Brésil, Pao de Açucar ou encore Assai. L’attachement au groupe s’exprime au travers de valeurs transversales partagées, illustrées principalement dans nos politiques de ressources humaines en matière de diversité, d’égalité hommes-femmes, ou encore de préservation de l’environnement. L’attachement au groupe se traduit donc dans chaque pays et l’encadrement supérieur est chargé de faire vivre cette culture d’entreprise.

La politique QVT de Casino France peut-elle être implantée ailleurs ?

Il y a des attentes comparables. Toutefois, des intérêts prioritaires en matière d’engagement sociétal de l’entreprise priment dans ces pays. C’est le cas pour Exito, engagé contre la pauvreté infantile en Colombie, ou pour l’éducation des enfants au Brésil.

Vos actions en faveur du bien-être de vos collaborateurs sont très discrètes, peut-être à l’image des bienveilleurs, présents au sein de vos équipes, peut-être aussi à votre image. Alors même que la QVT est devenue un phénomène de mode, s’il y a dans ce domaine de bonnes intentions, il y a aussi des postures. Pourquoi le groupe Casino ne communique-t-il pas plus “à l’extérieur” sur ses réalisations concrètes ?

Il est vrai que l’interview que nous réalisons ensemble est une grande exception à la règle. Nous considérons notre politique QVT plus en profondeur. Elle porte ses fruits au quotidien. Elle est peut-être moins illustrative car nous sommes animés par une forme de prudence. On sait ce que l’on fait au quotidien, on sait ce que l’on peut faire de plus, on sait surtout que l’on y va la main tremblante car nous sommes sur de la matière humaine… Nous communiquons très peu sur ces sujets dans les médias, car il suffit qu’une information soit approximative ou fausse pour que notre intention soit retournée contre nous. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas figurer comme des donneurs d’exemples ou des censeurs.

Et vous, Monsieur Georgin, quelle est votre raison d’être professionnelle ?

Ce qui est important, c’est de donner de la lisibilité à son action propre. C’est se rendre au travail chaque matin non pas parce qu’il le faut, mais parce que l’on porte des chantiers que l’on a lancés et que l’on a le plaisir et la fierté de les voir aboutir. S’ajoute à cela le sentiment de faire partie d’une équipe unie. C’est cela la qualité de vie au travail, c’est de donner du sens à ce que l’on fait.

1. Etude agence de notation Vigeo Eiris (filiale de Moody’s), réalisé auprès de 129 entreprises européennes du secteur-2020.

 

Voir aussi : L’Oréal : l’innovation sociale est un métier

Performance humainement durable

Performance. Humainement. Durable. Ces trois mots revêtent un sens fondamental à mes yeux.

• Performance : pour ancrer nos propos et nos investigations dans la réalité de l’entreprise d’aujourd’hui.

• Humainement : pour marquer l’angle résolument humaniste de nos engagements, avec l’idée essentielle d’un gagnant-gagnant à rechercher sans cesse entre l’entreprise d’une part, et les femmes et les hommes qui la composent d’autre part. Cette idée que j’exprime également en parlant d’un cercle vertueux entre le bien-être des personnes et la performance économique.

• Durable : qui évoque le développement durable, la soutenabilité des activités économiques à long terme. Pour ne pas dire leur raison d’être, enjeu clé fort judicieusement remis à l’honneur à la faveur de la loi PACTE de mai 2019.

La pandémie de Covid a mis en lumière l’importance de ce triptyque. En effet, dans les entreprises, l’organisation du travail et les pratiques managériales ont dû évoluer à vitesse accélérée pour préserver et promouvoir cette performance humainement durable.

Parmi les innombrables leviers qui permettent d’agir en ce sens, l’aide à la conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle fait désormais partie des incontournables. Dans ce domaine, les semaines de confinement ont fait apparaître de nouvelles problématiques pour les collaboratrices et les collaborateurs. Par exemple, elles les ont contraints à faire cohabiter leur profession et l’école à la maison.

Aujourd’hui, plus que jamais, le souci du suivi scolaire est donc prégnant. Le dernier-né des Guides pratiques de l’Observatoire de la qualité de vie au travail, conçu et publié en partenariat avec les éditions Nathan, est donc dédié aux “responsabilités éducatives”. Comme son nom l’indique, ce nouveau guide éclaire sur les pratiques des employeurs les plus innovants en matière d’aide apportée aux salariés concernant la réussite scolaire de leurs enfants.

Il s’agit d’un parfait exemple d’action qu’une entreprise peut mettre en œuvre dans une optique de performance humainement durable, et ce à double titre : parce que, tout d’abord, la réussite scolaire des enfants constitue un sujet de préoccupation, voire de stress intense, pour les parents, ce qui, dans certaines situations, peut les amener à ne pas pouvoir donner le meilleur d’eux-mêmes au travail ; ensuite parce qu’aider les collaborateurs qui sont parents dans l’exercice de leurs responsabilités éducatives, c’est permettre à la société tout entière de faire grandir ses futures “forces vives”. C’est donner aux entreprises la possibilité, demain, de recruter des personnes correctement formées par le système éducatif.

Le Guide Concilier vie professionnelle et responsabilités éducatives vise à sensibiliser les dirigeants d’entreprise et leurs équipes aux besoins rencontrés par les salariés-parents dans la conciliation de leur activité professionnelle et de leurs responsabilités éducatives. Il détaille aussi le comment : quelles actions concrètes une direction d’entreprise peut-elle déployer dans ce domaine ?

Ce guide est donc construit autour des principales situations rencontrées par les salariés parents :

• Se rendre disponible au quotidien pour aider ses enfants dans leurs devoirs et leurs révisions.
• Gérer l’épineuse question des écrans.
• Se rendre disponible pour participer à des réunions scolaires.
• S’organiser en cas de grève ou d’absence des enseignants.
• Être présent dans les temps forts de la scolarité, comme la rentrée scolaire, les examens ou les concours, la recherche d’un stage, l’orientation scolaire.
• Accompagner son enfant en cas de difficulté, qu’il s’agisse d’un problème de santé, de décrochage ou de harcèlement par exemple.

Des témoignages et de bonnes pratiques de décideurs RH des groupes BNP Paribas, La Poste ou Société Générale s’avèrent très éclairants. À titre d’exemples :

• La Poste propose notamment aux postiers “un accès gratuit à une plate-forme sur Internet composée d’enseignants qui aideront l’élève dans la compréhension de son cours et dans ses devoirs. Cette solution de soutien scolaire est accessible sur l’ensemble du territoire et pour tous les niveaux scolaires. Au-delà de l’aide aux devoirs, elle propose un accompagnement des enfants sur différentes problématiques liées à la scolarisation : coaching des enfants comme des parents (sur le suivi des devoirs), formulation des choix sur Parcoursup, rédaction de CV ou de lettres de motivation, mise en relation pour les stages de 3e… Des tarifs ont aussi été négociés avec deux prestataires proposant des cours particuliers et des stages de révision. Ainsi, chacun peut trouver la formule la plus adaptée à sa situation”.

• Chez BNP Paribas, l’accord sur “le temps à la carte” est “utilisé par un nombre important de collaborateurs qui peuvent ainsi organiser de manière plus souple leurs temps de vie professionnels et personnels. En effet, cet accord permet aux collaborateurs d’acquérir et d’utiliser au cours d’une année civile des droits à congés supplémentaires non rémunérés en plus de leurs congés payés. Les collaborateurs peuvent acheter entre 5 et 20 droits par an, permettant des accompagnements spécifiques pour les enfants ou l’aménagement des temps personnels supplémentaires”.

• La Société Générale met à la disposition des salariés parents une plate-forme qui “dispose d’un service d’aide aux devoirs avec plus de 25 000 profils de professeurs disponibles partout en France pour des cours particuliers à domicile dans plus de 20 matières”. Par ailleurs, le groupe bancaire organise chaque trimestre des conférences parentalité animées par des professionnels de l’enfance sur des thèmes variés : l’intelligence émotionnelle, la confiance, l’éducation positive, la fratrie… Enfin, la Société Générale verse une allocation d’études et/ou une allocation de vacances pour chacun des enfants à charge fiscale.

 

Voir aussi : Les chemins de l’épanouissement