Quelles sont les principales missions du Laboratoire ?
Elles concernent, pour la majeure partie d’entre elles, des travaux de recherche-action avec des partenaires, des organisations qui ont envie de comprendre leur impact social et souhaitent le mesurer. Notre vision, c’est que l’évaluation de l’impact social doit se faire à l’aide d’un outil de pilotage, tout comme une organisation tient sa comptabilité. Nous accompagnons nos partenaires dans la mise en place d’une démarche d’évaluation d’impact social, mais aussi dans l’« acculturation » de leurs collaborateurs pour que ceux-ci trouvent des outils de gestion de cet impact compatibles avec leur stratégie et leurs process internes. Notre deuxième activité consiste à créer de la connaissance, à travers l’écriture d’articles scientifiques et de rapports, avec la production de publications. Et la troisième activité concerne la diffusion de cette connaissance et la mise en place d’un certain nombre de formations.
Que mesure-t-on quand on parle d’impact social ?
Il faut garder en tête que lorsqu’on mesure un impact social on mesure un changement. Pour la partie qualitative, on ne parlera pas d’indicateurs mais de grands changements qui ont pu toucher les personnes, des changements ayant fait l’objet d’une stratégie qui visait à avoir des effets sociaux positifs sur un certain nombre d’entre elles. Pour la partie quantitative, si on pense au retour à l’emploi par exemple, nous allons essayer de compter le nombre de personnes qui, deux ou trois ans après l’accompagnement, se sont maintenues dans un emploi durable. Mais, si on veut mesurer l’impact plus largement, on va considérer les retombées qu’il y a pu y avoir sur la stabilité de ces personnes, leur santé physique et psychique, leur pouvoir d’achat, le logement…
En quoi l’acculturation des collaborateurs à cette démarche est-elle importante ?
Nous réalisons beaucoup d’entretiens avec les collaborateurs et nous constatons cette envie de comprendre l’impact de leur travail.
L’une des conditions d’appropriation d’une démarche d’évaluation d’impact social par les équipes est clairement la conduite du changement. L’évaluation d’impact social repose sur une collecte de données inhabituelle, qui n’existe pas dans les organisations, et cette dynamique peut rencontrer pas mal de résistances, notamment en raison de la crainte de la part des collaborateurs d’être évalués sur leurs performances plutôt que sur l’efficacité de l’action mise en place dans la stratégie de l’organisation. Alors nous les accompagnons pour mettre en place ces démarches sans qu’elles soient menaçantes, pour qu’ils adoptent des postures de praticiens chercheurs. Il s’agit vraiment d’une conduite du changement qui doit se faire avec bienveillance et avec des ressources qui représentent un investissement à long terme pour que les équipes se les approprient en interne et en autonomie.λ
Comment parler de « qualité de vie au travail” aujourd’hui, en pleine crise sanitaire, économique et sociale ?
Il faut non seulement en parler mais semer les petites graines qui vont nous permettre de résister aux tensions qui risquent de s’exacerber dans notre pays dans les mois qui viennent. Durant le confinement, en tant que secteur considéré comme “vital”, nous avons continué notre activité. Sur un plan RH, il nous fallait préserver la cohésion au sein de nos équipes et éviter une rupture entre les collaborateurs des magasins et des entrepôts qui se situaient “en première ligne” et la “base arrière”, c’est-à-dire les sièges et les directions qui étaient pour une large majorité en télétravail. Notre préoccupation était également de garder le lien avec nos salariés : des personnes pouvaient développer énormément d’anxiété, s’agissant de leur santé et du devenir de la société dans son ensemble.
C’est pourquoi, quasiment quotidiennement, nous adressions une communication en interne : vidéos, outils de formation, mise en avant de nos actions en magasins ou à caractère philanthropique, comme lorsque nous avons fait don de deux millions de masques aux hôpitaux français. L’idée était de montrer que la première ligne et la base arrière étaient dans le même bateau. Nous avons aussi déployé des conférences en ligne sur le management bienveillant, avec l’installation d’un fil d’écoute anonyme pour les cadres. Je crois que ces dispositifs étaient nécessaires et le seront encore, c’est pourquoi nous les maintenons.
Dans un contexte d’incertitude générale croissante, les collaborateurs en situation de fragilité doivent être identifiés puis accompagnés au sein de l’entreprise. Concrètement, depuis plusieurs années maintenant, nous avons mis en place un réseau de “bienveilleurs”. Plus que jamais, aujourd’hui, ce réseau est utile.
Ces 1000 bienveilleurs, en magasins ou dans les sièges, sont sensibilisés et formés pour identifier leurs collègues en situation de vulnérabilité et les aiguiller vers des structures adaptées, ou, tout simplement, les écouter et leur apporter du réconfort et davantage d’humanité dans leur quotidien.
“Bienveillance” n’est pas un terme commun dans le monde de l’entreprise. Comment vous êtes-vous approprié ce vocabulaire, tranchant nettement avec l’univers “processisé” que l’on peut imaginer ?
Nous avons opté pour le mot “bienveillance” car c’était la traduction, dans un seul et même terme, d’un héritage des politiques RH conduites par le groupe Casino depuis de très nombreuses années et jusqu’à maintenant. Et si la promotion du management bienveillant fonctionne dans le groupe Casino, c’est parce qu’il est totalement en accord avec l’histoire même du groupe.
À juste titre, la grande distribution est perçue comme un secteur plus difficile que d’autres, entre des négociations commerciales que l’on perçoit comme étant très dures, des mises en rayons qui sont des tâches lourdes, et donc des relations sociales qui peuvent être tendues, un taux de rotation du personnel qui est peut-être plus élevé que dans d’autres secteurs.
Donc, spontanément, on associe peu le terme de “bienveillance” et celui de “grande distribution” : c’est tout le pari que nous avons fait. C’est de dire : “Nous, groupe Casino, avons mis en œuvre depuis 120 ans des politiques sociales innovantes, maintenant il faut accompagner l’encadrement.” Un travail de fond a donc été mené pendant plusieurs années : sensibilisation, formation des cadres, des managers, des directeurs d’établissement et de siège, création d’un réseau de bienveilleurs qui relaient nos politiques et nos actions à un échelon encore plus opérationnel.
Quelles sont les qualités requises pour devenir bienveilleur au sein du groupe Casino ?
De l’écoute, de l’empathie, de l’humilité. Cette capacité de comprendre son collègue, au sens humain du terme. Il faut des qualités de médiateur aussi, pour faire remonter des informations, expliquer des cas, des contextes. C’est une implication au quotidien.
N’avez-vous pas craint de susciter frustrations et crispations en nommant des collaborateurs bienveilleurs et d’autres non ?
Nous avons joué la carte du volontariat. Et la sélection des candidats s’est faite en lien avec les ressources humaines. On ne m’a jamais remonté de tensions de la sorte.
Les secteurs dédiés au personnel, les DRH, syndicats, médecins du travail, n’ont- ils pas vécu l’apparition des bienveilleurs comme un échec ?
L’échec, c’est ne rien faire. Donc si l’on peut ajouter une petite aide dans un océan de solitude pour certains, tout le monde ne peut que le voir positivement. Il n’y a pas de pré carré dans la prévention de la souffrance. Le bienveilleur n’est pas un médecin, ni un psychologue, ni le N+1, ni le “gentil organisateur de soirée du vendredi”. C’est un petit peu de tout cela. Et, donc, il ne fait pas d’ombre aux corps de métiers plus “traditionnels” ou statutaires.
Où s’arrête le rôle de l’entreprise dans l’écoute et le soin apportés aux personnes ?
Le rôle du bienveilleur est d’écouter et, au besoin, d’aiguiller le collaborateur vers des dispositifs adaptés (psychologue, médecin du travail, assistante sociale…). Ce sont les salariés qui fixent la limite. Certains vont avoir tendance à se renfermer sur eux-mêmes, d’autres seront plus expansifs. Nous proposons avant tout une écoute et une aide si le collaborateur le souhaite. Nous essayons de faire connaître largement le dispositif des bienveilleurs et de le dédramatiser, de façon qu’il n’y ait pas de tabou. De même, nous garantissons la confidentialité dans la remontée d’informations.
En moins d’une année, nous sommes passés d’une situation d’urgence à une période de crise sur le long terme. Quelles sont les pistes d’action pour éviter que les relations de travail ne se détériorent, pour maintenir la cohésion d’équipe ?
Le groupe Casino est engagé dans une politique de RSE depuis de longues années. “Nourrir un monde de diversité”, notre signature, est aussi une feuille de route collective que nous fixons à tous les échelons. Nos équipes sont en contact direct avec le public, nous devons apporter des produits de qualité au meilleur prix. Face à la crise, aux perspectives de transformations, il est capital de renforcer la communication interne, pour donner du sens.
En 2019, plus de 30 hypermarchés ou supermarchés ont été cédés. Début 2020, la vente de 567 magasins et de trois entrepôts Leader Price a été conclue… Comment les collaborateurs peuvent-ils recevoir ces évolutions de manière sereine ?
Face à l’ampleur des transformations des modes de consommation, le groupe a fait un choix tourné vers l’avenir : se recentrer sur les formats porteurs (proximité, premium, e-commerce), accélérer la digitalisation, développer de nouvelles activités et anticiper les évolutions des métiers pour les accompagner. Cette démarche d’anticipation a été consacrée dans un accord groupe signé en 2019 avec nos organisations syndicales, avec pour philosophie d’accompagner les évolutions de nos métiers et de nos activités en favorisant la mobilité et la formation des collaborateurs, et donc leur employabilité.
Plus récemment, la branche hypermarchés et supermarchés a mis en place un plan d’accompagnement de ses hôtes et hôtesses de caisse au terme duquel, pendant trois ans, 6000 collaborateurs vont pouvoir être formés aux métiers du conseil et de la relation client. Et 700 directeurs de magasin et managers de caisse vont être formés à la conduite du changement. C’est un dispositif inédit et innovant dans le secteur de la grande distribution. Nous avons créé au sein du groupe un dispositif dédié à la mobilité (“C ma Carrière”), avec des référents mobilité qui accompagnent les collaborateurs dans leur démarche de mobilité. L’application mobile “C mon Groupe”, accessible à tous sur un smartphone, leur offre un accès à tous les postes disponibles, ainsi qu’à l’ensemble des dispositifs d’aide à la mobilité.
Comment encouragez-vous le “sentiment d’appartenance”, dont on sait qu’il est le ciment d’un collectif homogène ?
Nous communiquons auprès de nos collaborateurs sur les classements et “bonnes notes” qui nous sont attribuées, ou encore sur les actions ou les dispositifs innovants que nous mettons en place. Pourtant, ce n’est pas dans la culture du groupe Casino de se mettre en avant. Ce sont les partenaires sociaux qui nous ont encouragés à valoriser nos actions et nos succès. Le sentiment d’appartenance est un levier puissant pour fédérer les équipes, d’autant plus important dans le contexte actuel d’incertitude, voire d’angoisse collective, lié à la situation sanitaire et économique. C’est la fameuse “fierté du maillot”. La métamorphose footballistique est toute trouvée : Geoffroy Guichard, fondateur de notre groupe, a donné son nom au célèbre stade de Saint-Étienne et notre logo est de couleur verte… La fierté d’appartenance permet de nous embarquer dans un récit collectif de transformation.
Mais la grande distribution que l’on a connue hier n’est pas celle d’aujourd’hui…
Ni celle de demain… : digitalisation, automatisation des process, ouverture plus tardive des magasins le soir ou le week- end, automatisation des entrepôts, comme notre nouvel entrepôt intégrant la technologie Ocado à Fleury-Mérogis pour la livraison alimentaire chez les clients. Nous menons ces transformations en accompagnant l’évolution des emplois dans la démarche d’anticipation évoquée précédemment. Au sein du groupe, nous sommes depuis toujours attachés à un dialogue social de qualité, nous observons les métiers en croissance, ceux qui sont en décroissance, et nous levons les barrières internes entre les métiers, comme entre les postes d’encaissement et ceux liés aux services client.
Avez-vous donc adapté vos méthodes de recrutement ?
Nous essayons de recruter des profils spécialisés dans les nouvelles économies et sciences des données. En tant que distributeur, un large pan de notre activité liée à la connaissance du client est en forte croissance, notamment à travers notre filiale relevanC. Aujourd’hui, il est capital d’être en mesure de compiler des datas. Pour attirer ces profils spécifiques, il faut adapter nos méthodes de recrutement, en utilisant les réseaux sociaux, les vidéos ; il faut également considérablement simplifier le parcours, plutôt que de leur proposer des entretiens classiques dans des box, avec une personne qui va vous raconter l’histoire du groupe…
Par ailleurs, pour conserver le lien intergénérationnel dans le groupe, nous avons développé un dispositif de tutorat des nouvelles recrues. Ces mentorats sont réalisés par les personnes qui ont le plus d’expérience, pour relier le meilleur des deux mondes : la solidité, l’expérience, la “sagesse” des employés les plus anciens et l’engouement, l’énergie, la volonté des nouveaux arrivants.
J’imagine que ce système donne aux “tuteurs” un sens renouvelé à leur travail grâce à une transmission de compétences, et donc de valeurs ?
Oui, c’est une activité très valorisante. Et pour le collaborateur nouvellement recruté qui en bénéficie, c’est, en quelques semaines, un condensé de plusieurs dizaines d’années de vie d’entreprise, de gestion des conflits, de savoir-être. Nous connaissons beaucoup de succès sur ce dispositif de mentorat/tutorat.
En Amérique latine, où le groupe Casino possède des filiales, vous privilégiez le recrutement local. Comment homogénéisez-vous la culture d’entreprise, en partie basée sur la qualité de vie des collaborateurs ?
Au sein du groupe Casino, nous avons toujours souhaité conserver la diversité des enseignes et des cultures, en France et à l’international. Monoprix ne s’appelle pas Casino Supermarchés ; en Colombie, nos magasins s’appellent Exito Super ou Carulla ; au Brésil, Pao de Açucar ou encore Assai. L’attachement au groupe s’exprime au travers de valeurs transversales partagées, illustrées principalement dans nos politiques de ressources humaines en matière de diversité, d’égalité hommes-femmes, ou encore de préservation de l’environnement. L’attachement au groupe se traduit donc dans chaque pays et l’encadrement supérieur est chargé de faire vivre cette culture d’entreprise.
La politique QVT de Casino France peut-elle être implantée ailleurs ?
Il y a des attentes comparables. Toutefois, des intérêts prioritaires en matière d’engagement sociétal de l’entreprise priment dans ces pays. C’est le cas pour Exito, engagé contre la pauvreté infantile en Colombie, ou pour l’éducation des enfants au Brésil.
Vos actions en faveur du bien-être de vos collaborateurs sont très discrètes, peut-être à l’image des bienveilleurs, présents au sein de vos équipes, peut-être aussi à votre image. Alors même que la QVT est devenue un phénomène de mode, s’il y a dans ce domaine de bonnes intentions, il y a aussi des postures. Pourquoi le groupe Casino ne communique-t-il pas plus “à l’extérieur” sur ses réalisations concrètes ?
Il est vrai que l’interview que nous réalisons ensemble est une grande exception à la règle. Nous considérons notre politique QVT plus en profondeur. Elle porte ses fruits au quotidien. Elle est peut-être moins illustrative car nous sommes animés par une forme de prudence. On sait ce que l’on fait au quotidien, on sait ce que l’on peut faire de plus, on sait surtout que l’on y va la main tremblante car nous sommes sur de la matière humaine… Nous communiquons très peu sur ces sujets dans les médias, car il suffit qu’une information soit approximative ou fausse pour que notre intention soit retournée contre nous. Par ailleurs, nous ne souhaitons pas figurer comme des donneurs d’exemples ou des censeurs.
Et vous, Monsieur Georgin, quelle est votre raison d’être professionnelle ?
Ce qui est important, c’est de donner de la lisibilité à son action propre. C’est se rendre au travail chaque matin non pas parce qu’il le faut, mais parce que l’on porte des chantiers que l’on a lancés et que l’on a le plaisir et la fierté de les voir aboutir. S’ajoute à cela le sentiment de faire partie d’une équipe unie. C’est cela la qualité de vie au travail, c’est de donner du sens à ce que l’on fait.
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