Pourquoi cette connexion inhabituelle ? Pourquoi maintenant ?
Notre environnement et les problèmes à résoudre dans ce contexte sont d’une telle complexité qu’il faut les aborder à 360° pour éviter les angles morts et limiter les biais de perception au maximum. Le statu quo n’est par ailleurs plus possible pour l’entreprise qui doit se réinventer en permanence. On voit se multiplier les méthodes créatives comme le design thinking, dont le but est d’appliquer la démarche d’un designer pour répondre à un projet d’innovation ou les cartes cognitives et mentales du mind mapping.
Les artistes font partie des profils pluridisciplinaires à inclure dans ces démarches de divergence-convergence. Ils ont généralement fait le choix assumé de développer le fameux cerveau droit créatif. Ils apportent un regard latéral et sensible dans la résolution de problèmes complexes et, à cet égard, sont de formidables capteurs de tendances et d’innovation. Enfin, le processus de création artistique est un processus d’exploration ouvrant la place à la répétition de l’essai, au choix de nouvelles voies de développement devant l’échec, à l’acceptation de la vulnérabilité devant l’inconnu.
L’intervention artistique en entreprise existe depuis longtemps et prend différentes formes plus ou moins transformationnelles : la collection d’art en entreprise, les résidences d’artistes visant à la poursuite par l’artiste d’un projet de création, les démarches d’art thinking plus maillées pouvant conduire à la production d’une œuvre collective mais visant également un apprentissage méthodologique pour l’organisation.
S’inscrivant dans cette tradition d’accueil des artistes en entreprise, le Boston Consulting Group (BCG) reçoit « en résidence » Jeanne Bloch, artiste-chorégraphe et chercheuse, maker dans le cadre de sa recherche artistique « L’impact de la pollution lumineuse sur les capacités humaines d’imagination ».
Jeanne Bloch, en quoi consiste votre résidence au BCG ?
Ma recherche danse et lumière se construit depuis une dizaine d’années à travers la mise en place d’installations interactives et immersives, de performances et par l’écriture d’articles de recherche. En m’intéressant à l’impact de la pollution lumineuse sur l’imagination, j’aborde d’une part, le rôle de l’expérience, ici, l’expérience de la lumière comme lieu de production de connaissances, et, d’autre part, la prise en compte de la subjectivité de chacun à travers ses capacités d’imagination. Je me questionne sur l’omniscience de la lumière dans nos vies surexposées. Par exemple, les écrans LED qui nous entourent projettent une lumière « perdue » qui efface les zones obscures de nos intérieurs. À travers ma recherche artistique, je souligne la nécessité ambiguë de conserver à la fois l’obscurité et la lumière, aussi bien dans nos intérieurs que dans les espaces extérieurs.
Les points de rencontre entre l’entreprise et l’artiste se trouvent avant tout dans une écoute et une ouverture à l’autre, sans objectif utilitariste, une respiration féconde. Pour le BCG, mon travail sur la pollution lumineuse d’intérieur fait écho à des enjeux de qualité de vie au travail. L’entreprise a choisi de réfléchir à des questions liées à la lumière dans les bureaux (est-elle susceptible de stimuler l’imagination des collaborateurs ?) ou concernant le développement d’espaces de restauration de l’énergie plus riches que la traditionnelle salle de repos.
Par ailleurs, j’ai proposé de partager avec les équipes de l’entreprise les méthodes de travail collaboratif utilisées dans les rencontres d’artistes, de performeurs mais également au sein d’autres organisations : Bâton de parole, Forum ouvert (ou OST, Open Space Technology), U Theory, Permaculture sociale, etc. La « mise en scène » n’est pas neutre pour un performeur, et la possibilité de s’installer en cercle pour faire circuler un tour de parole est tellement simple mais encore souvent inhabituelle alors qu’elle produit une addition très efficace des intelligences en présence. Produire du sens et de la valeur à partir d’éléments considérés comme disparates constitue l’un des savoir-faire principaux de la démarche artistique à laquelle tout un chacun peut s’entraîner.
Ainsi, imaginer le travail de l’organisation de demain en abordant la distinction entre réalité et virtualité à partir de l’expérience que nous vivons plutôt que de la technologie que nous utilisons ouvre le jeu aux imaginaires et permet de créer du sens à partir de chacun de nous et pour chacun de nous.
Quelles règles à suivre pour la mise en place d’une résidence d’artiste en entreprise ?
L’intervention artistique en entreprise compte de nombreux succès. Un tel rapprochement comporte également son lot de défis, à anticiper pour garantir l’atteinte des résultats souhaités (créativité, transformation, engagement et affiliation des salariés)…
- Accepter de ne pas connaître la valeur créée à l’avance.
- Pour autant, cadrer le périmètre de l’intervention et les livrables artistiques et organisationnels souhaités, sachant qu’il s’agit d’un cadrage de concepts, l’enjeu de la collaboration artistique étant précisément d’inventer ceux-ci.
- Réussir la greffe de l’artiste au collectif.
C’est tout sauf évident. Cela demande de la médiation, de la facilitation, des méthodes, des outils, de la préparation, de l’écoute et du respect. À cet égard, s’appuyer là encore sur les artistes via leur faculté d’observation et leur expérience du processus créatif.
Plus généralement, au travers des initiatives comme la résidence de Jeanne Bloch au BCG, nous développons l’aspect expérientiel de notre offre, afin que le conseil ne soit pas réduit à sa dimension analytique, mais qu’au contraire les clients puissent avoir une vision concrète et immersive de ce qu’est la transformation.