Pourquoi parler d’addictions en entreprise ?

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), environ 15% des adultes sont touchés par une forme d’addiction, un chiff re qui inclut aussi les travailleurs. Ces comportements peuvent avoir des répercussions signifi catives sur la performance, la sécurité, et le bien-être des employés, entraînant des coûts considérables pour les entreprises en termes de productivité perdue, d’absentéisme, et de turnover.

Créer un environnement de travail sain

La gestion des addictions en entreprise nécessite une approche proactive, bienveillante, et informée. La direction et les RH jouent un rôle crucial dans la prévention, l’identifi cation, et la prise en charge des addictions. En créant un environnement de travail où le bien-être des employés est une priorité, et en off rant des ressources adaptées, les entreprises peuvent non seulement aider leurs employés à surmonter leurs défis, mais aussi renforcer la productivité et la cohésion au sein des équipes. Des études montrent que la mise en place de programmes de soutien peut réduire de 40% l’absentéisme lié aux addictions et améliorer de 20% la satisfaction au travail. En investissant dans ces initiatives, les entreprises construisent non seulement un lieu de travail plus sain, mais aussi plus résilient, capable de s’adapter aux défi s d’un monde professionnel en constante évolution. La clé est de traiter chaque cas avec discrétion, empathie, et détermination pour soutenir les employés dans leur cheminement vers la guérison et le bien-être.

Quelles prises en charge thérapeutiques et stratégies de gestion ?

Un Programme d’Aide aux Employés (PAE) offre un soutien confidentiel aux employés qui rencontrent des problèmes personnels, y compris des addictions. Ce programme peut inclure des conseils, des thérapies, ou des références vers des spécialistes. Le PAE permet aux employés de se sentir soutenus sans jugement, ce qui est crucial pour encourager l’utilisation des services proposés. Mise en place : les RH peuvent promouvoir le PAE lors des formations et en garantissant une confidentialité absolue pour encourager les employés à y avoir recours. Une campagne de sensibilisation interne pourrait inclure des témoignages anonymes pour illustrer l’efficacité du programme.

Sensibilisation et formation

La sensibilisation des cadres et employés aux risques d’addiction, ainsi que la formation sur la gestion du stress et du bien-être, sont essentielles pour prévenir les addictions. Ces formations renforcent la résilience des employés face aux pressions du travail. Mise en place : organiser des ateliers réguliers sur la gestion du stress, les risques de l’addiction, et l’équilibre vie professionnelle/vie privée. Les formations devraient inclure des experts en santé mentale pour aborder les aspects psychologiques et proposer des outils concrets.

Des entretiens de support individuels

Les RH peuvent organiser des entretiens individuels pour discuter des difficultés rencontrées par l’employé. L’objectif est d’offrir un espace de parole sans jugement et de proposer un accompagnement adapté. Ces entretiens peuvent aider à identifier des problèmes sous-jacents tels que le stress chronique ou des conflits internes qui pourraient mener à des comportements addictifs. Par exemple, un employé manifestant des signes de burn-out pourrait bénéficier d’un aménagement de son temps de travail ou d’une réévaluation de ses responsabilités. Les entretiens réguliers permettent d’ajuster ces aménagements en fonction des progrès réalisés.

La collaboration avec des spécialistes de la santé mentale

Pour les cas d’addictions sévères, la collaboration avec des psychologues, psychiatres, ou thérapeutes spécialisés est indispensable. Cette approche permet de traiter la cause profonde de l’addiction, plutôt que de se concentrer uniquement sur les symptômes visibles. Mise en Place : Les entreprises peuvent établir des partenariats avec des professionnels de santé pour off rir des consultations directement sur le lieu de travail ou via des plateformes en ligne. Une ligne d’assistance téléphonique anonyme pourrait également être mise en place pour les employés hésitant à demander de l’aide en personne.

Une politique de Bien-être en entreprise

Mettre en place une politique qui favorise le bien-être, incluant des horaires de travail flexibles, des espaces de détente, et des initiatives pour réduire le stress. Sur le plan psychologique, ces mesures montrent aux employés que leur bien-être est une priorité, ce qui peut réduire les comportements à risque. Exemple : une entreprise pourrait instaurer des journées sans réunion, des pauses régulières, et promouvoir une culture où le surmenage n’est pas valorisé. La mise en place de programmes de mindfulness ou de yoga peut également aider à réduire le stress et prévenir les addictions.

Les addictions les plus courantes en entreprise.

  • Tabac

Selon une étude de l’Institut National du Cancer (INCa) en France, environ 30 % des fumeurs affirment que la cigarette est une source de réconfort dans un environnement de travail stressant. L’addiction au tabac se manifeste par une dépendance physique : les personnes ressentent un besoin biologique de nicotine, avec des symptômes tels que l’irritabilité, l’anxiété, ou encore la difficulté de concentration. Il existe également une dépendance psychologique : les fumeurs associent souvent la cigarette à des moments particuliers (pause, stress, fin de repas), et ces associations renforcent l’habitude de fumer dans certains contextes, comme celui du travail. Dans le cadre professionnel, cela peut se traduire par des pauses régulières pour fumer, des difficultés à se concentrer en l’absence de cigarette, ou une consommation augmentée sous l’effet du stress professionnel. Les pauses fréquentes pour fumer peuvent entraîner des interruptions répétées du travail.

Une étude réalisée par BMC Public Health a montré que les fumeurs prennent en moyenne des pauses de 20 à 30 minutes de plus par jour que les non-fumeurs, ce qui peut diminuer la productivité globale. Tobacco Control a révélé que les fumeurs sont absents en moyenne 2 à 3 jours de plus par an que les non-fumeurs. Une étude de BMC Public Health a montré qu’en moyenne, les fumeurs passent 1,25 heure de plus en pause par jour que les non-fumeurs. Cela représente plus de 5 heures par semaine, soit un impact direct sur le temps de travail effectif. Des études menées en Grande-Bretagne ont révélé que l’absentéisme des fumeurs est de 33 % plus élevé que celui des non-fumeurs, ce qui contribue à une baisse de productivité à long terme.

  • Alcool

De nombreuses études ont exploré l’impact de l’alcoolisme sur le lieu de travail, notamment en France. Une étude menée par l’INRS indique qu’environ 5 % des salariés français consomment de l’alcool quotidiennement au travail. Selon un rapport de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives (MILDECA), 10 % des salariés en France consomment de l’alcool de manière à risque. L’alcoolisme en entreprise coûte cher à l’économie. Selon l’INRS, les coûts indirects comme l’absentéisme, la baisse de productivité, les accidents seraient de l’ordre de 2 à 3 % du PIB, soit environ 30 à 40 milliards d’euros par an. Enfin, selon l’INRS, environ 10 % des accidents mortels au travail en France sont associés à une consommation d’alcool. L’addiction à l’alcool peut se manifester de plusieurs façons dans le cadre du travail. Un salarié peut consommer de l’alcool de manière régulière, avant, pendant ou après les heures de travail. Cela inclut aussi la participation fréquente à des événements professionnels où l’alcool est présent, comme les déjeuners d’affaires ou les soirées d’entreprise. Les salariés souffrant d’alcoolisme peuvent être sujets à l’absentéisme régulier ou à des retards fréquents. Un salarié dépendant de l’alcool peut voir ses capacités de réflexion, d’organisation et d’exécution de tâches complexes diminuer, ce qui entraîne une baisse de la productivité. L’alcoolisme accroît considérablement les risques d’accidents sur le lieu de travail, surtout dans des secteurs à risques comme l’industrie, la construction ou le transport. Le manque de coordination et de vigilance peut être fatal. L’alcoolisme peut altérer le comportement, rendant la personne plus irritable, moins collaborative, voire agressive, entraînant des tensions avec les collègues et les supérieurs hiérarchiques. Certains salariés consomment de l’alcool en cachette, ce qui peut échapper à la vigilance des collègues et des employeurs. Ils dissimulent souvent cette dépendance en essayant de ne pas montrer de signes extérieurs de consommation.

  • Drogues et médicaments

Une étude menée par l’INPES (Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé) en 2017 a révélé que 3 % des salariés français déclaraient avoir consommé des drogues au moins une fois au travail. L’usage de drogues est plus fréquent dans certains secteurs, notamment ceux où les conditions de travail sont stressantes ou physiquement éprouvantes, comme le BTP, les transports, ou l’hôtellerie- restauration. Aussi, bien que le vapotage soit souvent perçu comme moins nuisible que le tabagisme, il peut encore générer une perception négative parmi les collègues et même si le vapotage est généralement considéré comme moins nocif que la cigarette, des études ont montré que certaines substances présentes dans les e-liquides peuvent avoir des effets nocifs sur la santé (irritations pulmonaires, problèmes respiratoires). Un employé qui vapote intensivement pourrait être exposé à des problèmes de santé, entraînant des absences répétées ou des arrêts maladie. Une étude de Public Health England (2018) indique que bien que le vapotage soit moins dangereux que la cigarette, environ 20 % des vapoteurs réguliers peuvent développer une dépendance à la nicotine comparable à celle des fumeurs traditionnels. En 2021 , aux États-Unis, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a publié un rapport indiquant que le vapotage était particulièrement répandu parmi les jeunes adultes (18-24 ans), un groupe qui entre souvent sur le marché du travail. enquête de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives (MILDECA), le taux de consommation de cocaïne est plus élevé dans ces secteurs que dans la moyenne nationale. Certains salariés consomment des drogues, telles que le cannabis ou des stimulants (cocaïne, ecstasy), lors de soirées ou le weekend. Bien que cette consommation puisse sembler séparée de la vie professionnelle, elle peut avoir un impact sur les performances au travail, notamment en cas de fatigue, de gueule de bois ou de manque de concentration. L’usage de drogues avant ou pendant le travail est autrement plus problématique. Il concerne souvent des substances comme la cocaïne, les amphétamines (speed), ou même certains médicaments détournés (Ritaline, tranquillisants). Ces drogues sont parfois consommées pour « tenir le coup », booster la productivité ou pour réduire le stress. Toutefois, elles entraînent des effets négatifs à long terme, comme une dépendance accrue, une baisse de la vigilance et des comportements inadaptés. La question de la performance est en jeu : dans des environnements de travail compétitifs, certains salariés consomment des stimulants ou des nootropiques pour améliorer leurs performances cognitives, leur concentration ou leur endurance. Les amphétamines, par exemple, sont utilisées dans ce cadre. Si cela peut procurer un avantage à court terme, cela engendre rapidement des problèmes de santé, de dépendance et une perte d’efficacité. Le recours à des médicaments tels que les anxiolytiques, les antidépresseurs ou les opioïdes peut également conduire à une forme d’addiction. Ces substances, souvent prescrites pour traiter des symptômes de stress ou de douleur, peuvent être utilisées en excès, créant une dépendance qui affecte les capacités du salarié à fonctionner normalement au travail. La consommation de drogues peut altérer l’humeur, entraîner de l’irritabilité, de l’agressivité ou des comportements imprévisibles.

  • Vapotage

Bien qu’elle soit un phénomène relativement récent cette addiction présente des caractéristiques similaires aux autres dépendances liées à la nicotine. D’une part, la majorité des liquides de cigarettes électroniques contiennent de la nicotine, une substance hautement addictive. Comme avec les cigarettes traditionnelles, les utilisateurs réguliers peuvent développer une tolérance, un besoin croissant et une dépendance psychologique et physique à la nicotine. Le vapotage étant souvent perçu comme plus discret que la cigarette classique (absence de fumée et d’odeur forte), certaines personnes peuvent vapoter fréquemment, même dans des environnements où il est socialement ou professionnellement inapproprié. Enfin, comme pour toute addiction à la nicotine, l’arrêt du vapotage peut entraîner des symptômes de sevrage tels que l’irritabilité, la difficulté à se concentrer, l’anxiété, et une envie impérieuse de vapoter. Impact spécifique : de nombreuses entreprises ont des politiques strictes concernant le vapotage et le tabagisme sur le lieu de travail, notamment à l’intérieur des locaux.  Aussi, bien que le vapotage soit souvent perçu comme moins nuisible que le tabagisme, il peut encore générer une perception négative parmi les collègues et même si le vapotage est généralement considéré comme moins nocif que la cigarette, des études ont montré que certaines substances présentes dans les e-liquides peuvent avoir des effets nocifs sur la santé (irritations pulmonaires, problèmes respiratoires). Un employé qui vapote intensivement pourrait être exposé à des problèmes de santé, entraînant des absences répétées ou des arrêts maladie. Une étude de Public Health England (2018) indique que bien que le vapotage soit moins dangereux que la cigarette, environ 20 % des vapoteurs réguliers peuvent développer une dépendance à la nicotine comparable à celle des fumeurs traditionnels. En 2021 , aux États-Unis, le CDC (Centers for Disease Control and Prevention) a publié un rapport indiquant que le vapotage était particulièrement répandu parmi les jeunes adultes (18-24 ans), un groupe qui entre souvent sur le marché du travail.

Addictions comportementales

  • Sport

Une étude publiée dans Sports Medicine en 2019 indique que l’addiction au sport, appelée bigorexie concerne environ 3 à 7 % des personnes pratiquant une activité physique régulière. Dans un cadre d’entreprise, cette forme d’addiction pourrait avoir un impact sur les performances, la santé mentale des employés, et même sur la dynamique de travail. Certains salariés peuvent prolonger leurs séances d’entraînement au point de perturber leur emploi du temps professionnel ou d’empiéter sur leurs responsabilités professionnelles. L’addiction au sport peut mener à un surentraînement, entraînant des problèmes de santé (blessures répétitives, fatigue chronique) qui entraînent la productivité et l’absentéisme. Les personnes atteintes de bigorexie peuvent développer une obsession pour le sport, négligeant les interactions avec leurs collègues, voire devenant irritables ou anxieuses s’il leur est impossible de faire du sport. Certaines entreprises proposent des salles de sport ou des abonnements à des installations sportives. Dans ces cas, certains employés peuvent en faire une utilisation excessive.

  • Achat

La facilité d’accès aux sites de commerce électronique incite certains employés à faire du shopping, même pendant leur temps de travail, affectant leur concentration et leur productivité. Le désir d’acheter peut relever de l’obsession (oniomanie): les salariés peuvent être constamment préoccupés par l’idée d’acheter de nouveaux articles, ce qui nuit à leur capacité de se concentrer sur les tâches professionnelles. Cela peut aussi engendrer des comportements d’anxiété ou d’irritabilité s’ils ne parviennent pas à satisfaire cette impulsion. L’utilisation inappropriée des ressources de l’entreprise peut être relevée : dans certains cas, les employés peuvent utiliser les ressources professionnelles (ordinateurs, réseaux, voire fonds d’entreprise) pour faciliter ou financer leurs achats personnels, ce qui pourrait entraîner des sanctions disciplinaires ou juridiques. Plusieurs études montrent que les émotions négatives comme l’anxiété, la dépression et le stress sont des facteurs importants dans le développement de cette addiction. Une étude du Journal of Behavioral Addictions a constaté que l’oniomanie est souvent utilisée pour compenser des émotions négatives, notamment dans le contexte du travail. Enfin, selon une étude du RescueTime (2019), environ 30 à 50 % des employés utilisent régulièrement Internet à des fins personnelles pendant leurs heures de travail, dont une partie significative pour des activités de shopping en ligne.

  • Alimentation

Les employés peuvent avoir tendance à grignoter ou manger en grande quantité, souvent en réponse au stress ou à l’ennui. Certains peuvent développer une dépendance à des aliments spécifiques, comme les produits sucrés ou gras, souvent disponibles dans les distributeurs automatiques ou lors des réunions. Cela inclut la recherche constante de nourriture, même lorsqu’il n’y a pas de vraie faim, ou la consommation excessive pendant les pauses. Une addiction alimentaire peut mener à des problèmes de santé, tels que l’obésité, le diabète, et des troubles alimentaires, ce qui peut affecter la performance et la présence au travail. Selon une étude de l’American Psychological Association (APA), le stress au travail peut augmenter les comportements alimentaires compulsifs, avec 40 % des travailleurs se tournant vers la nourriture comme mécanisme de gestion du stress. Une enquête de l’Institut National de Prévention et d’Éducation pour la Santé (INPES) a révélé que les habitudes alimentaires peuvent être influencées par l’environnement de travail et les pauses-café, ainsi que la disponibilité des snacks.

  • Travail

L’addiction au travail, Workaholism, se manifeste par un besoin compulsif de travailler de manière excessive. Les personnes touchées ont souvent du mal à se détacher de leurs tâches pro f e s s ionnelles, sacrifiant leur temps personnel et leur santé pour répondre aux exigences du travail. Cette addiction est souvent liée à un besoin de validation ou à une incapacité à gérer l’anxiété autrement que par le surinvestissement professionnel. En Europe, une étude de l’Agence Européenne pour la Sécurité et la Santé au Travail (EU-OSHA) a révélé que près de 30% des travailleurs européens présentent des signes de surmenage liés à une surcharge de travail, un facteur prédictif du workaholism.

  • Numérique

(Internet, réseaux sociaux, jeux vidéo) La dépendance au numérique se manifeste par une utilisation excessive et compulsive d’Internet, des réseaux sociaux, ou des jeux en ligne, souvent au détriment du travail. Cette addiction peut être liée à un besoin d’évasion ou à un moyen de compenser un manque de satisfaction dans d’autres domaines de la vie. Avec la généralisation du télétravail, cette forme d’addiction devient de plus en plus courante. Une étude de Deloitte a montré que 56% des employés en télétravail ont admis passer du temps sur des activités numériques non liées au travail pendant leurs heures de travail, ce qui peut entraîner une baisse significative de la productivité. Si un employé passe une grande partie de sa journée à vérifier ses réseaux sociaux ou à jouer en ligne, cela nuit à ses responsabilités professionnelles et réduit son efficacité. Ce comportement entraîne un désengagement croissant et une déconnexion progressive des objectifs de l’entreprise.

  • Pouvoir ou réussite

Certains cadres peuvent devenir obsédés par la réussite ou le pouvoir, au point de développer une addiction. Cette obsession peut être un moyen de compenser des insécurités ou un sentiment de vide intérieur. Ces individus peuvent se sentir valorisés uniquement par leurs succès professionnels, ce qui peut conduire à des comportements agressifs ou manipulateurs. Bien que les données précises soient difficiles à obtenir, des études sur le leadership en entreprise montrent que 20% des dirigeants présentent des tendances narcissiques, souvent corrélées avec une addiction au pouvoir. Un dirigeant peut mettre en place des stratégies agressives et risquées pour surpasser ses concurrents, ignorant les risques pour l’entreprise. Cela finit par causer des tensions internes, un turnover élevé, et des pertes financières importantes, sapant la cohésion et la motivation au sein de l’équipe.

Les addictions sont-elles des RPS comme les autres ?

Le terme « risques psychosociaux » (au travail) englobe l’ensemble des risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental. En toute rigueur, une addiction ne devrait donc être considérée comme un RPS d’origine professionnelle que si un lien avec le travail peut être établi. Or, dans un certain nombre de cas, l’addiction préexiste au travail, et prend sa source à l’extérieur — par analogie, c’est donc plutôt le paradigme du trouble mental ou de la maladie chronique qui devrait être mobilisé.

Les addictions sont-elles des RPS comme les autres ?

La réponse, clairement négative, requiert un triple niveau d’analyse : 1) les enjeux, sécuritaires, de l’addiction préexistante au travail sur le lieu de travail, 2) le travail comme source d’addiction, et 3) le travail comme addiction. Cette double caractéristique explique que l’addiction, problème de santé publique fréquent, questionne le contexte de travail à la fois sous l’angle sécuritaire et sous l’angle sanitaire.

Le processus addictif

Le mot « addiction » désigne l’ensemble des relations de dépendance à une substance psychoactive (drogue, alcool, tabac, médicaments…) ou à une pratique (jeux d’argent, internet et jeux vidéo, achats incontrôlés répétés, activité sexuelle, activité sportive, dépendance au travail…). On retiendra du processus addictif deux points-clés, nécessairement simplificateurs mais utiles à la suite de notre propos :

• sa finalité : l’addiction vise à produire du plaisir et/ou à soulager un malaise intérieur.

• la répétitivité et la perte de contrôle qui, dès lors que l’état de manque se fait sentir, peuvent conduire à des comportements irascibles, agressifs ou agités. Cette double caractéristique explique que l’addiction, problème de santé publique fréquent, questionne le contexte de travail à la fois sous l’angle sécuritaire et sous l’angle sanitaire. Addictions et travail : impacts sécuritaires L’addiction pose, en contexte professionnel, de multiples questions de sécurité, dont certaines se doublent d’une dimension psychosociale.

• L’addiction modifie la perception de la réalité et altère les réflexes et la prise de décision, qu’il s’agisse d’amoindrir la vigilance (cannabis, alcool…) ou d’induire une agitation improductive (cocaïne…). L’addiction est, par ailleurs, parfois associée à des modes de vie susceptibles de conduire aux mêmes effets : l’addiction aux écrans ou aux jeux vidéo peut conduire à une vie nocturne induisant rapidement une dette de sommeil, avec une fatigue qui, au travail, produit les mêmes conséquences cognitives, émotionnelles et comportementales. Le risque d’accident s’en trouve accru, chez les conducteurs de machines ou de véhicules par exemple.

• L’addiction suppose des moyens financiers. Le caractère incoercible du besoin et la levée des interdits moraux qu’il induit peuvent pousser à des larcins, commis au détriment de l’entreprise ou de ses usagers, surtout s’ils sont vulnérables (personnes âgées…). Les métiers ayant accès à des valeurs (convoyeurs de fonds, commerçants…) ou à des substances psychoactives (médecins, pharmaciens…) sont davantage exposés à un risque de violences du fait d’un tiers décidé à les leur subtiliser.

• L’addiction accroît donc le risque d’atteinte non seulement aux biens, mais aux personnes. La difficulté à garder le contrôle, l’agitation et l’irritabilité sont des facteurs de violences sur les collègues et les tiers, que ces violences soient verbales, physiques, ou sexistes et sexuelles. L’on voit ainsi comment, de problématique de santé individuelle et extérieure au travail, l’addiction se mue en problème organisationnel, l’addiction d’un salarié devenant un facteur de RPS pour les autres.

Le travail comme source d’activation : les effets du contexte

Mais le travail peut aussi constituer la porte d’entrée vers l’addiction. D’abord, parce qu’il peut fournir l’occasion d’être en contact avec des produits addictogènes. Tel est le cas des professions de santé ayant accès à des substances psychoactives, ou des salariés de l’hôtellerie- restauration, en contact avec un stock de boissons alcooliques. Ensuite, parce que, comme tout lieu de socialisation, le travail peut favoriser l’apprentissage inadapté d’une consommation ou d’une pratique, ou au contraire protéger des addictions en encourageant des pratiques saines. Le besoin d’intégration ou d’appartenance à un groupe et, a contrario, la crainte d’y être marginalisé, peuvent être associés à une initiation, généralement à l’alcool ou au tabac, parfois au cannabis ou à la cocaïne. Les repas d’affaires et les multiples occasions de convivialité qu’offre la vie en entreprise (du pot de départ à la convention nationale) confrontent eux aussi à divers toxiques (alcool, tabac…). Par ailleurs, le travail est un lieu où règne la recherche de performance. Par émulation ou concurrence au sein du collectif, ou par souci de se démarquer et de progresser dans la hiérarchie, un salarié peut être tenté par diverses stratégies de dopage. Si les plus banales ne sont guère associées à l’addiction alors qu’elles en partagent pourtant nombre de caractéristiques (café, sodas, boissons énergisantes, produits sucrés…), la consommation de tabac est corrélée à l’intensité de la tâche perçue, et la cocaïne et les amphétamines font partie des psychostimulants fréquemment utilisés pour booster la performance. Enfin, le travail peut être la cause de souffrances psychiques de natures et d’intensités diverses, allant du stress à l’ennui, ou liées aux difficultés managériales ou relationnelles ; il peut aussi être le lieu de conditions de travail pénibles (travail de nuit, exposition à la chaleur…) ou répétitives. Ces différentes sources de souffrance au travail peuvent elles aussi ainsi conduire à consommer de l’alcool ou des drogues, à des fins anxiolytiques, pour anesthésier la douleur. Le travail comme addiction : le workaholism Impossible d’explorer les liens entre addiction et travail sans évoquer le cas de figure où le support de l’addiction est le travail lui-même. Le workaholism constitue de fait une addiction pernicieuse, qui peut longtemps rester inaperçue et même être socialement valorisée, en passant pour de l’engagement au travail. Mais le travailleur engagé se distingue du workaholic par une caractéristique fondamentale : l’absence de compulsion au travail, pour lui, le travail est plaisir, et non pulsion irrésistible.

Obsédé par son travail dont il ne parvient pas à « débrancher » même lorsqu’il en est éloigné par les vacances ou le week-end, le workaholic laisse libre cours à un perfectionnisme parfois maladif, allant jusqu’à se créer de la tâche, complexifiant artificiellement un projet, s’imposant des contraintes de temps inutiles ou refusant de déléguer la moindre parcelle de dossier. L’absence de plaisir au travail est manifeste : le workaholic manifeste d’ailleurs globalement un faible niveau de bien-être et n’apparaît généralement pas satisfait ni de son salaire ni des relations avec ses collègues. Conséquence : le workaholism est un facteur de risque avéré pour le burn-out, tandis que l’engagement semble au contraire en protéger. Signe et source de souffrance pour le sujet lui-même, le workaholism s’avère nocif également pour son entourage professionnel et l’organisation qui l’emploie. Les relations aux collègues apparaissent généralement dégradées, et la performance n’est pas nécessairement au rendez-vous. Enfin, l’obsessionnalité et le temps de travail excessif engendrent immanquablement un déséquilibre marqué entre vie professionnelle et vie personnelle, à l’origine de conflits familiaux plus fréquents. Au travail, l’addiction constitue au final un risque psychosocial à part, où le salarié — en souffrance dans tous les cas de figure — et l’employeur apparaissent tous les deux comme victime et bourreau. Le salarié, parce qu’il peut tout aussi bien sombrer dans l’addiction à cause du travail qu’être l’auteur de faits délictueux. L’employeur, parce qu’il est contraint de gérer une situation à laquelle il est possiblement totalement étranger mais qui le contraint à sanctionner un salarié pour protéger le reste des collaborateurs, ou dont il est au contraire pleinement responsable juridiquement et éthiquement.