Tous les secteurs d’activité peuvent-ils trouver une « raison d’être » ?
L’entreprise à mission, dotée d’une « raison d’être » impactant positivement la société ou l’environnement, va bien au teint de certaines activités, mais semble plus difficile à harmoniser avec d’autres industries.
Les secteurs polluants ou les sociétés commercialisant des produits clairement identifiés comme nocifs pour la santé sont-ils écartés d’office du dispositif proposé par la loi Pacte ? Sur le plan légal, rien n’empêche un industriel du tabac, de la pétrochimie ou de la mode, deuxième secteur le plus polluant au monde, de devenir une entreprise à mission.
Ce qui fait l’entreprise à mission, ce n’est pas la « morale » du produit, c’est la démarche qui place une « raison d’être » et des objectifs au cœur de la stratégie. Cette démarche est hautement « challengeante », ne serait-ce que parce qu’elle est adossée à des relations parties prenantes, internes et externes, qui ne sont pas là pour avoir leur langue dans la poche… Et qui veillent, avec l’organisme tiers indépendant (OTI), à ce que la « mission » soit bien remplie, que l’action quotidienne de l’entreprise soit cohérente avec sa raison d’être et qu’on ne verse pas dans le mission washing. Il y a donc un risque à s’engager dans ce projet : celui de ne pas pouvoir tenir ses engagements ! Mais il y a aussi une formidable opportunité : celle de se transformer.
De ce fait, la démarche peut assurément attirer des industriels exerçant actuellement une activité polluante ou bien dont l’impact social ou sanitaire est critiqué car elle peut les amener à se redévelopper sur des produits et services d’avenir, en considération des défis de la durabilité et en résonance avec les attentes de la clientèle d’aujourd’hui et de demain.
On ne saurait donc qu’encourager les entreprises les moins attendues sur une « raison d’être » à s’en doter pour s’obliger à innover dans le sens de l’histoire. Il y va de la durabilité dans tous les sens du terme et, pour commencer, au sens premier : durer. On pourrait effectivement imaginer qu’un effet de « kodakisation » affecte un certain nombre d’organisations qui rateraient le tournant disruptif de la mission à impact positif. Souvenons-nous : le célèbre producteur d’appareils et pellicules photo ne s’est pas désintéressé du numérique, mais il l’a considéré à la marge de son activité… Un peu comme de trop nombreuses entreprises considèrent encore aujourd’hui la RSE comme une cerise sur le gâteau de la performance ! Mais si, demain, entretenir des relations durables et équitables avec son écosystème devient l’ingrédient principal de la performance, il est déjà grand temps que les secteurs qui produisent massivement des externalités négatives se recentrent autour de l’objectif premier de leur activité.
On ne produit pas des voitures pour polluer, mais pour proposer des solutions de mobilité. On ne produit pas des médicaments pour rejeter des composants chimiques dans l’air et dans l’eau, mais pour soigner. On ne produit pas du prêt-à-porter pour contribuer à l’esclavagisme « moderne » qui touche 40 millions de travailleurs et travailleuses aujourd’hui, mais pour permettre à des gens de se vêtir et de se parer. Devenir une entreprise à mission, cela commence ici : se souvenir de pourquoi on fait ce que l’on fait et, à partir de là, (re)bâtir une chaîne de valeur centrée sur la mission et écartant tout ce qui la corrompt.