TRIBUNE : Resacraliser le vivant

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«Nous faisons partie de la nature, mais nous l’avons oublié »

Par Rezlaine Zaher, executive coach, membre du conseil d’administration du Medef 92, du comex 40 du Medef et de 1 % for The Planet.

Nous vivons aujourd’hui une période de transition sans précédent pour l’humanité, une véritable « ère de sens ». Car le modèle d’entreprise hérité des dernières décennies – dicté uniquement par le profit – est à bout de souffle : il épuise autant les hommes que la planète. Or, c’est un fait : nous avons désormais besoin des entreprises pour résoudre les crises sociales et environnementales de notre époque. Les entreprises sont appelées à réinventer leur modèle économique, leur management, leur mission… pour agir concrètement.

Nous – décideurs d’entreprise – sommes appelés à une (r)évolution intérieure personnelle et profonde. Pour nous reconnecter à l’essentiel et lancer la transformation de nos entreprises.

Nous avons besoin d’écouter nos cœurs et d’ouvrir de nouveaux possibles… pour enfin prendre soin de la vie en nous et autour de nous.

Prenons soin de la vie… pour renouer avec le vivant

Prendre soin de la vie passe tout d’abord par notre capacité à ressentir, et qu’il est aujourd’hui urgent de développer, notamment dans nos organisations.

Au niveau individuel, cela signifie prendre soin de son corps, mais aussi de tout ce qui est vivant en nous, de tout ce qui fait que nous sommes en vie : notre corps, mais aussi nos émotions, notre capacité à ressentir. Le souci, c’est que bien souvent nous sommes déconnectés de notre corps. Descartes a sacralisé l’homme pensant, Homo sapiens : « Cogito ergo sum », (je pense donc je suis). L’homme pensant, qui grâce à son intelligence rationnelle a domestiqué la nature, en est devenu le maître, allant jusqu’à oublier qu’il en faisait partie. Ainsi, petit à petit, nous nous sommes déconnectés de notre corps et de nos émotions, des autres et de notre environnement, ne devenant que des femmes et des hommes pensant et agissant uniquement par notre intellect.

Prendre soin de la vie, c’est donc réapprendre à prendre soin de nous, des autres, de notre environnement, et de la planète.

Pour y parvenir, il faut revenir à ce dont nous nous sommes coupés : notre capacité à ressentir.

Il est grand temps de nous réapproprier cette faculté de ressentir, et ce pour de multiples raisons…

Dans un monde de plus en plus complexe et incertain, l’intelligence rationnelle ne suffit plus. Il nous faut développer d’autres formes d’intelligence, et notamment une intelligence plus sensible, plus intuitive, qui nous permette d’avancer dans l’incertitude, reliée à nos ressentis corporels et émotionnels.

Dans une logique d’efficacité, où tout va toujours plus vite et où nous sommes toujours plus dans le faire et l’avoir, nous nous sommes également petit à petit coupés des autres. Coupés de cette part sensible qui nous permet d’être véritablement en relation avec les autres, dans une posture d’écoute ouverte et authentique. Ce sont alors nos relations personnelles et/ou professionnelles qui en pâtissent. C’est insidieux, car les conséquences ne sont pas toujours visibles immédiatement. Mais priver les autres de cette écoute profonde et authentique, cela les amène à leur tour à se couper de leur part sensible. Et donc à se couper de leur intelligence émotionnelle et intuitive. Compétences dont les organisations ont cruellement besoin pour avancer dans l’incertitude. Autre conséquence : en se coupant de ses ressentis, on se coupe de ce qui est vivant dans les organisations. On se retrouve avec des organisations sans vie, sans « en-vie », sans joie, sans motivation. Il est donc urgent de renouer avec notre intelligence émotionnelle et notre capacité d’empathie, non seulement pour instaurer de meilleures relations avec les autres, mais également pour développer ces autres formes d’intelligence dont nos organisations ont et auront de plus en plus besoin.

Enfin, nous nous sommes coupés de notre environnement, de la nature dont nous faisons partie et dont nous avons besoin pour continuer à exister. C’est en effet la nature qui fournit les ressources dont nous avons besoin pour développer nos entreprises, pour construire nos maisons, pour nous fournir en énergie, pour cultiver ce que nous mangeons. Nous avons perdu notre capacité à ressentir l’environnement dans lequel nous vivons et, de ce fait, nous n’en prenons plus soin et le détruisons. Nous scions la branche de l’arbre sur laquelle nous sommes assis. C’est une autre raison pour laquelle il est urgent de renouer avec notre capacité à ressentir. Sentir et ressentir la nature, sentir que nous en faisons partie et que, prendre soin de nous, de la pérennité de notre entreprise et des générations futures, passe par le fait d’en prendre soin.

Comment faire ?

Voici quelques pistes très simples…

  1. Commencer par soi : prendre soin de soi et développer sa propre capacité à ressentir. Comment peut-on prendre soin du vivant, qu’il s’agisse des femmes et des hommes de nos organisations ou de notre environnement, si l’on ne prend pas déjà soin de soi-même ?
  2. Ralentir : pour « réintégrer» son corps et se mettre à l’écoute de ce qui se passe en soi.
  3. Avoir des pratiques qui nous ramènent à notre corps et à nos sens, à notre capacité à ressentir: par exemple, cuisiner, jardiner, marcher dans la nature, pratiquer le yoga ou la méditation de pleine conscience.
  4. Dans notre quotidien professionnel :

– prendre des temps entre pairs où ces moments d’écoute profonds et authentiques sont pratiqués : pratiques du codéveloppement ou des cercles de résonance, entre autres ;

– sautoriser des temps de pause : formations de développement personnel, retraites…

Bien sûr, tout cela est précieux pour tous, et pas uniquement pour les managers ou les dirigeants. Mais cela commence par là, car ce sont eux qui impulsent le mouvement, qui montrent la voie. Sans managers ou dirigeants reliés à cette intelligence émotionnelle et intuitive, l’organisation dans son ensemble ne peut pas développer ces capacités.

C’est là un enjeu clé pour avancer dans ce monde de plus en plus complexe et incertain. Et au-delà de la période que nous traversons, c’est un enjeu clé pour l’avenir de l’humanité.

Car je l’affirme à nouveau : pour transformer notre rapport à notre planète, nous devons véritablement redécouvrir qui nous sommes. Nous avons besoin de retrouver notre dimension humaine et spirituelle. Ce sont des cœurs dont l’entreprise a besoin. Des femmes et des hommes neufs, capables d’empathie et de vision à long terme. Des femmes et des hommes pleins de bon sens et d’humanité, conscients de leur responsabilité sur la Terre, des êtres sensibles, ouverts, capables d’écouter l’autre attentivement, capables de sortir des relations convenues de l’entreprise, de s’appuyer sur l’intelligence du cœur et de la conscience pour bâtir ce nouveau monde auquel nous aspirons tous. Nous pouvons réellement passer d’une société de prédation à une société de régénération portant en son sein le souci du bien commun. La clé pour l’avènement de ce nouveau monde réside en chacun d’entre nous, dans notre capacité à nous élever vers la plus belle part de nous-même et en développant la conscience de l’interdépendance entre tout ce qui est… nous, la nature et le cosmos.

Je conclurai avec cette magnifique citation de Pierre Rabhi :

« Il nous faudra bien répondre à notre véritable vocation, qui nest pas de produire et de consommer sans fin, mais daimer, dadmirer et de prendre soin de la vie sous toutes ses formes. »