Comment est né Danone Communities et en quoi cette entité est-elle en lien avec l’ADN social de Danone ?
Tout commence avec la rencontre en 2005 entre Franck Riboud, le PDG de Danone à l’époque, et Muhammad Yunus, fondateur de la Grameen Bank, qui sera Prix Nobel de la paix l’année suivante. Lors de cette rencontre, tous deux décident de joindre leurs savoir-faire dans un projet original, Grameen Danone Food, pour produire des yaourts fortifiés au Bangladesh, de façon à avoir un impact tout au long de la chaîne de valeur : auprès des éleveurs laitiers, en leur assurant un revenu, en créant une usine en 2006 et donc des emplois ; et auprès de la population, car ce yaourt fortifié améliore la santé des enfants. À partir de là, Danone a voulu amplifier cette idée de soutenir des entreprises qui ont un impact social, et le fonds Danone Communities a été créé. Il est complètement inscrit dans ce qu’on appelle le double projet de Danone. Tout d’abord un projet économique et social ancré dans le discours qu’Antoine Riboud a prononcé à Marseille en 1972, où il défendait le fait qu’une entreprise était responsable de ses résultats économiques mais aussi de ses résultats sociaux. Et en même temps dans la mission de Danone, qui est d’apporter la santé au plus grand nombre à travers l’alimentation, notamment aux populations vulnérables.
Quelles sont les principales missions de Danone Communities et quels sont les domaines dans lesquels elle s’investit le plus ?
Danone Communities est là pour démontrer qu’il est possible d’avoir un impact social en s’appuyant sur des mécanismes économiques. Nous soutenons à la fois en financement et en compétences des entreprises qui ont été créées pour résoudre un problème social à travers un business économique, et nous nous focalisons uniquement sur deux secteurs : l’accès à l’eau potable et l’accès à une nutrition équilibrée, où les besoins sont énormes. Deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, et autant ne disposent pas de suffisamment de micronutriments pour bien grandir et se développer. Ce sont aussi deux secteurs dans lesquels Danone a des compétences.
À quel moment de l’existence des entreprises intervenez-vous ?
Ce sont des entreprises déjà dotées d’un modèle économique mais qui sont encore petites. Nous intervenons après l’incubation pour les aider à atteindre la rentabilité, ce qui est important pour assurer la pérennité de l’impact. Quand elles ont atteint la rentabilité depuis quelques années, nous en sortons et allons investir dans d’autres entreprises. Nous investissons entre 300 000 euros et 1 million d’euros, cela dépend des besoins. Nous sommes toujours actionnaires minoritaires, donc nous investissons avec des partenaires et demandons à avoir un siège au conseil d’administration. C’est important pour nous, parce que nous pensons pouvoir apporter de l’expertise dans le développement de ces entreprises.
Danone Communities soutient actuellement 18 entreprises dans 25 pays différents…
Au total, c’est plus de 11 millions de personnes qui, tous les jours, ont à présent accès soit à l’eau potable soit à une nutrition équilibrée. Nous avons des entreprises un peu partout dans le monde, de Haïti jusqu’au Vietnam, en passant par le continent africain.
Ces entreprises ont-elles aussi un fort impact environnemental ?
Toutes les entreprises d’accès à l’eau potable ont un impact intéressant sur l’environnement, sur deux aspects. Le premier concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre, parce que les populations vont acheter de l’eau potable plutôt que de faire bouillir l’eau locale, ce qui limite aussi la déforestation et l’émission de CO2. D’ailleurs certaines entreprises du portefeuille sont éligibles à des crédits carbone, et c’est l’un de leurs moyens de financement. L’autre élément important est qu’elles vendent leur eau dans des jerricans de 20 litres, réutilisables et approximativement trois fois moins polluants au litre qu’une bouteille de 1,5 l. Cela a aussi un impact sur la santé : moins sujets aux diarrhées, les enfants vont pouvoir être plus assidus à l’école, notamment les petites filles, parce que ce sont souvent les femmes qui malheureusement sont chargées d’aller chercher de l’eau.
Avez-vous des exemples d’entreprises à nous donner ?
Je pense à deux entreprises. La première est Drinkwell, au Bangladesh, dont le modèle économique est celui d’un partenariat avec Daka Wasa, le Veolia local. Drinkwell s’est rendu compte qu’il n’allait pas dans les zones les plus défavorisées et s’est associé avec un entrepreneur, Minhaj Chowdhrury, qui a développé une technologie capable de filtrer l’arsenic, très présent dans l’eau au Bangladesh, rendant ainsi celle-ci potable. Dans ce partenariat public-privé, Dake Wasa donne l’accès aux points d’eau à Drinkwell, qui installe des kiosques à eau équipés de ces filtres. Une fois filtrée, l’eau rendue potable est vendue à très faible prix à la population locale. Aujourd’hui, ce sont 1 million de personnes qui ont accès à l’eau potable.
L’autre entreprise s’appelle Nazava, en Indonésie, et propose un système de filtres à eau à domicile. Et ce qui est intéressant, c’est qu’elle s’est associée avec les réseaux de microfinance pour pénétrer les zones rurales et vendre ses filtres à eau en échelonnant le prix d’achat. Cela permet aux populations concernées, grâce au microcrédit, d’avoir accès à des biens dont les prix sont élevés en premier achat. Et elles font des économies avec l’utilisation du filtre tout au long de l’année, dont la longévité est de trois ans.
Pouvez-vous nous décrire la manière dont Danone Communities promeut les bonnes pratiques à travers ses Learning Expeditions ?
C’est quelque chose d’extraordinaire que ces Learning Expeditions. On rassemble des acteurs de l’accès à l’eau potable – des entreprises dans lesquelles nous avons investi ou d’autres déjà présentes dans notre écosystème – pendant une semaine dans un pays où il y a un business d’accès à l’eau potable pour partager les bonnes pratiques. Nous avons dans notre portefeuille une dizaine d’entreprises du secteur, et cela fait plus de dix ans que nous les accompagnons, donc de nombreuses bonnes pratiques ont émergé et nous les avons formatées. Mais l’important est que ce sont les entrepreneurs eux-mêmes qui les portent, qui partagent avec les autres ce qu’ils ont appris. Nous les aidons à formaliser pour que ce soit pertinent et applicable par les autres, mais in fine c’est leur savoir-faire. Et puis on parle d’échec aussi, parce que c’est intéressant d’apprendre des échecs des autres. L’idée est de grandir plus vite, pour avoir encore plus d’impact.
Si l’idée de départ vient de la direction, Danone Communities a été adopté par les équipes de Danone, notamment à travers le mécénat de compétences, qui a déjà attiré plus de 2 000 collaborateurs. Pouvez-vous nous parler du programme Impact 3 ?
Danone Communities, au-delà de son impact social, a un impact sur les employés et sur leur engagement par rapport à Danone. Pour ces personnes, c’est une façon de vivre le double projet. Impact 3, c’est un programme qui a trois impacts. Le premier concerne l’entreprise du portefeuille de Danone Communities que l’employé va aider, en lui apportant sa compétence et en lui permettant de résoudre un problème à un moment donné. Pour les entrepreneurs du portefeuille c’est une valeur extraordinaire. Cela a aussi un impact sur le salarié, parce que cela le transforme : en mission, il se retrouve confronté à un environnement qu’il ne connaît pas, un environnement de start-up, dans des pays en voie de développement, avec très peu de moyens et des contextes extrêmement changeants, fragiles. Il sort de sa zone de confort et revient grandi de cette expérience. Enfin cela a un impact sur Danone, puisque cet employé va restituer ce qu’il a appris sur le terrain : un côté plus entrepreneurial, de l’agilité, et ça, il le redonne au jour le jour dans son job. Ce qui est intéressant, c’est que tous les employés de Danone se rendent compte de l’impact qu’ils peuvent avoir. Cela a une valeur énorme de se dire qu’on a un impact, en plus avec un enjeu social. Donc c’est très valorisant, réconfortant, c’est fort pour les employés. Cela fait un lien direct avec la mission de Danone et son ADN économique et social : il y a une vérité derrière la mission et l’ADN de Danone
Les collaborateurs de Danone détiennent aussi près de 40 % du fonds commun de placement de Danone Communities. Qu’attendent-ils de cet investissement ?
Effectivement, la spécificité de ce fonds est qu’il est ouvert aux salariés. Ils peuvent chaque année placer tout ou partie de leurs intéressements et participations – en France, puisque le placement dans le fonds n’est ouvert qu’aux salariés français –, et c’est vrai que chaque année de nombreux salariés font des placements. Aujourd’hui, j’ai l’habitude de dire que ce fonds appartient aux salariés, puisque in fine ils en sont les plus gros actionnaires.
Quand on discute avec eux, ils investissent d’abord « pour l’impact », en lien avec leur engagement sur des projets qui ont un impact social. Concernant le retour sur investissement, ils nous disent qu’au minimum ils ne veulent pas perdre d’argent, et que, s’ils peuvent faire 1 ou 2 %, c’est tant mieux… Pour certains salariés, c’est extrêmement important parce que c’est un placement qui a du sens, un placement de cœur, et que c’est leur contribution à ces projets. Ils représentent aujourd’hui près de 40 % du fonds, mais, mon rêve, c’est que ce soit plus de 50 %.