Nous faisons tous un travail pour une raison. Par habitude, par nécessité, par hasard, parce que la vie nous a poussés là, parce qu’on a suivi ce qu’on nous a dit… Cette réalité fait partie de notre vie, et nous avons à l’habiter du mieux possible. La clé pour cela est toujours le sens, le sens que l’on donne à ce travail qui occupe tant de notre vie. Si ce sens est toujours très personnel, il est alimenté par plusieurs sources, et la société n’est pas d’une moindre influence. Après-guerre, le sens donné au travail était de faire repartir l’économie du pays. Dans les années 1980, c’était de gagner de l’argent. Aujourd’hui le but, et parfois même l’injonction, c’est que le travail ait du sens.
Ce qui introduit une question : qu’est-ce qui dit que cela a un sens ou non ? Quels sont les critères du sens ? Avec le Covid, où presque toute l’activité s’est arrêtée, cela nous a démontré et fait vivre dans notre quotidien que certaines choses étaient utiles, vraiment utiles, et d’autres pas, voire pas du tout. Cela nous a confrontés à cette réalité : tout travail ne produit pas nécessairement quelque chose d’utile. Il y a encore deux cents ans, si avoir un métier inutile était rare, la société d’hyperconsommation orientée sur les loisirs en est truffée. Et cela peut donner le vertige. Car les critères de sens pris « à l’extérieur » ne tiennent plus, n’ont plus la même cohérence et n’assurent plus à l’être le même soutien.
Où chercher ce soutien ? Ce sens (re)trouvé dans son travail qui en fait une source de satisfaction, car il est une expression de soi ?
La réponse est à l’intérieur. Quand l’extérieur ne donne plus de réponse parce qu’il bouge trop, c’est une occasion en or d’aller chercher de la stabilité en soi. De nous poser la question de nos piliers intérieurs conscients et non conscients sur lesquels nous nous sommes construits.
Ce qu’est le travail pour soi part toujours du cadre de référence dans lequel on a grandi. Qu’on le veuille ou non, quand nous apprenons à parler, nous prenons par mimétisme l’accent de nos parents, de notre entourage. Il en est de même pour ce qui est pour nous un « bon travail » ou un « mauvais travail ». Cette vision du monde est présente en chacun de nous, par construction, et on ne peut échapper à cette situation de départ. Pour autant il est possible d’en faire évoluer le cadre, de l’ajuster en fonction de soi aujourd’hui, et ce, en prenant conscience de la conception du travail avec et dans laquelle on a grandi. Quels étaient les métiers autorisés dans la famille, et ceux dévalorisés ou dont on ne parlait pas ? Quelles ont été les injonctions reçues, de manière non verbale, non explicite ? De quoi ne parlait-on pas ? Dans certaines familles, faire des études supérieures n’est jamais envisagé, dans d’autres, ne pas faire d’études supérieures n’est pas une possibilité. Et cela n’a rien à voir avec le bonheur dans le travail, cela a à voir avec les stratégies mises en place et valorisées de manière consciente et inconsciente dans notre famille pour être heureux.
Cette notion d’utilité du travail est aussi largement influencée par notre cadre de référence familial. Pour certaines familles, un travail utile est un travail qui aide les gens, pour d’autres, ce sera celui qui fera tourner l’économie, et pour d’autres encore, ce sera un travail manuel parce qu’à la fin de la journée « quelque chose a été produit ». Aucune de ces manières de voir n’est parole d’Évangile, et chacune est vraie à un certain niveau. La question est d’identifier celles dont vous avez hérité. Les sources de cet « héritage » sont nombreuses : la famille bien sûr, les études, et aussi les rencontres, le milieu professionnel dans lequel on évolue, etc. Le travail est un formidable lieu d’expression de qui l’on est, et cela, indépendamment du contenu. Ainsi on peut très bien être gestionnaire dans un métier dit créatif et créatif dans un métier dit de gestion.
Je ne suis pas mon travail, pourtant mon travail c’est moi
Même si un jardin ressemble toujours à son jardinier, le jardinier n’est pas le jardin. Ni le jardinage. Quand je regarde mon travail, mon jardin, je vois alors l’expression de qui je suis aujourd’hui. Ce travail que je fais, visible et extérieur à moi, me donne l’occasion de voir en miroir qui je suis, et me confronte aussi aux choix que je fais pour nourrir qui je suis.
De fait, le travail est un lieu privilégié d’expression de soi, de son identité. Cette identité est mouvante, et nous pouvons la choisir, l’alimenter de manière consciente. Si je suis gestionnaire, comment puis-je mettre plus de gestion dans mon activité ? Si je veux être utile, comment puis-je mettre plus d’utilité dans ma vie, que cela passe ou non par le travail rémunéré ?
Quand je mets de la conscience et de l’énergie à faire qu’il y ait plus de moi dans mon travail, alors je reçois un double cadeau : travailler devient à la fois un lieu d’expression de qui je suis, et source d’énergie et de satisfaction, car cela est en phase avec mon identité.
C’est cette rencontre, et cette attention à permettre, à nourrir cette rencontre qui va nous motiver, et nous donner l’élan de travailler. Parce que cet élan aura été regardé, choisi et alimenté. Quand le travail devient un lieu d’expression de mon identité, alors le faire n’est plus sujet au vertige d’une (in)utilité dictée par l’extérieur ou par notre héritage culturel.
Travailler devient un lieu d’expression de soi, de sa puissance. Notre job à chacun d’entre nous est non pas de trouver LE travail qui répond à toutes nos attentes, mais d’habiter et de choisir notre travail en conscience afin qu’il alimente qui nous avons envie d’être.