Speechwriter : Lumière sur un métier de l’ombre
La « plume » du dirigeant est essentielle dans le monde de la communication d’entreprise. Géraud de Vaublanc et Victor Demiaux, respectivement Speechwriters de Jean-Dominique Senard et de Luca de Meo incarnent cette fonction méconnue. Leur présence en coulisses peut sembler discrète, mais leur impact est significatif quant à l’articulation et « la mise en onde » du discours du dirigeant.
Quelles différences entre le métier de Directeur de la communication et celui de Speechwriter ?
Géraud de Vaublanc : Ce sont deux rôles très différents. Le Directeur de la communication conçoit, fait valider et déploie l’ensemble des actions de communication et messages portés aux parties prenantes internes et externes. La mission du Speechwriter s’insère dans une stratégie de communication globale. Tout doit être cohérent : nous travaillons pour des dirigeants qui, d’un côté, valident la stratégie de communication de l’entreprise, et de l’autre valident leur stratégie de communication en tant que dirigeant. Le tout doit bien sûr être harmonieux.
Un dirigeant parle-t-il de la même manière en interne et en externe ?
Victor Demiaux : Oui et non, car on adapte les messages, tout comme on le fait d’ailleurs pour différents publics externes. Parler à des concessionnaires n’est pas parler à des clients, les mots changent selon que l’on parle à des actionnaires, des politiques ou des citoyens. Je ne ferais pas passer une frontière particulière entre l’interne et l’externe, plus qu’entre tous ces différents publics. En même temps, pour que la parole soit vraie, il faut aussi qu’elle garde une trame identique, quel que soit le public.
Géraud de Vaublanc : Nous avons un impératif de cohérence, surtout aujourd’hui. Il y a une telle porosité des messages – un mail, par exemple, peut facilement se retrouver dans la presse ! Bien sûr, nous utilisons un jargon financier lorsque l’on s’adresse à des analystes, un vocabulaire plus technique quand il s’agit de concessionnaires : la parole du dirigeant a davantage d’impact si elle s’adapte à l’univers métier et intellectuel de son audience. C’est l’effort qui doit être fourni, nous devons avoir une sorte de « plasticité » pour s’adresser à tous.
La différence entre les supports de communication est-elle à prendre en compte ?
GDV : Le multi-format en matière de canaux (intervention publique, participation à un débat, rencontre avec des journalistes, tribune dans la presse…) ou de modalités de travail (préparation très en amont ou travail dans l’urgence), est à prendre en compte. C’est ce qui fait le suc et l’épaisseur de ce métier, qui est très dense. On ne fait jamais la même chose : ni dans la préparation, ni dans la livraison du produit.
VD : Je pense qu’il faut être plastique sans être caoutchouteux. Il y a autant de prises de paroles que de circonstances. Mais la mélodie de fond doit être la même. C’est peut-être plus encore fort dans l’automobile qu’ailleurs car il y a une porosité entre chaque industrie et la manière dont on y parle. L’automobile, c’est produire un objet complexe à des millions d’exemplaires, toujours à un haut niveau de qualité. De ce point de vue, se répéter d’un discours à l’autre n’est pas un défaut, au contraire. Il existe une capacité à se répéter dans le bon sens du terme, sans chercher l’originalité pour l’originalité mais en visant une forme de standardisation qui est une manière de donner de la robustesse au discours.
Quelle est la place du conseil dans votre métier, pouvez-vous influencer le discours du dirigeant ?
GDV : Cela s’instaure avec la confiance. Il se trouve que je suis le speechwriter de Jean-Dominique Senard qui possède une hauteur de vue et un sens stratégique hors du commun, notamment dans les crises. Il n’a donc pas besoin de conseils ! En revanche, nous pouvons « tester » des idées. Notre métier est d’accompagner un discours en fonction de l’actualité de l’entreprise qui évolue, et d’adapter ce discours aux flux sociaux, politiques, législatifs, en proposant des idées, des formules, des mots. Et le dirigeant y est réceptif… ou pas !
VD : Le discours du dirigeant évolue de manière incrémentale avec, parfois, des effets de seuil. A l’occasion de la préparation d’un discours, parce qu’on a de nouveaux ingrédients, ou simplement parce que la réflexion a évolué. Mais il faut rester modeste, le Speechwriter apporte sa pierre, mais nous servons des dirigeants qui rempliraient bien mieux ce rôle s’ils en avaient le temps. J’ai d’ailleurs du mal à imaginer qu’un grand dirigeant ne sache pas aussi écrire, c’est-à-dire formaliser une pensée, clarifier une stratégie, et donc agir.
La capacité de « comprendre » au sens étymologique du terme, littéralement « saisir par l’intelligence, embrasser par la pensée », n’est-elle pas l’une des grandes qualités d’un Speechwriter ?
GDV : Victor écrit des discours en ayant complètement intégré la manière d’être de Luca qui ne parle pas du tout de la même manière que Jean-Dominique. Ce dernier a un style très particulier. Et les premières propositions que je lui ai faites n’étaient pas à la hauteur. Il a eu la gentillesse de ne pas me le dire !
VD : Parfois, nous soutenons leurs discours et parfois nous les aidons à connecter deux idées, deux syllabes pour apporter une brique de cohérence.
C’est aussi un métier où l’on fait « briller » une autre personne que soi-même…
VD : C’est vrai, notre ego n’est pas flatté tous les jours. Mais nous ne sommes pas là pour exprimer nos idées. Nous avons réussi notre mission quand nous sommes capables d’entrer dans la voix du dirigeant et de nous y fondre.
GDV : Il faut entrer dans une écoute de pensée structurée, en apportant des conseils d’articulation. Bien souvent, nous disposons d’un brief très rapide et puis… à nous de jouer ! Il faut aimer écouter, apprendre, être curieux, écrire et servir.
S’attache-t-on à la personne que l’on sert ?
GDV : Cela aide ! J’ai un respect et une admiration immenses pour Jean-Dominique Senard, qui est en plus un homme profondément humain. J’ai conscience de servir un très grand capitaine d’industrie, mais aussi un homme très engagé – le père de la Raison d’être, le chantre du capitalisme responsable et de l’urgence de la responsabilisation – qui fait avancer la société, avec une vision des interactions entre l’économie, la géopolitique, la politique et le social absolument unique !
VD : Disons que faire ce métier implique de chercher à coller à un style, à des manières d’enchaîner les idées. Il faut être à l’écoute, quasiment maniaque, des tonalités, du rythme. Ce qui peut être passionnant dans ce métier, c’est d’entrer dans la chimie personnelle d’un personnage et, surtout dans une réflexion et une expérience.