Safety at Work : entretien avec Olga Renda Blanche
DRH dans de grands groupes industriels et de services, Olga Renda Blanche place l’humain au cœur de la performance. De l’industrie aéronautique et spatiale à l’hôtellerie, elle a toujours défendu une vision du travail humaine ancrée dans l’écoute, la prévention et la reconnaissance. Elle revient ici, sans détour, sur son parcours, ses convictions profondes, et les défis liés à la santé mentale en entreprise.
Comment définissez-vous votre engagement personnel sur le sujet de la santé mentale en entreprise ?
C’est un engagement personnel qui remonte à loin. Il est nourri par mon histoire, par des expériences vécues à la fois dans la sphère personnelle et professionnelle. Je me suis très tôt forgé une conviction profonde sur le sujet pour avoir été le témoin de nombreuses situations de souffrance au travail.
A titre privée, J’ai été confrontée à des moments de vulnérabilité, en tant que maman solo de deux filles, tout en construisant une carrière exigeante dans un univers d’hommes. Cela m’a forcée à apprendre mes limites, à comprendre mes besoins et à écouter mes envies. Cette attention portée à ma propre santé notamment mentale est devenue un levier de performance et d’équilibre.
Votre propre cheminement a-t-il influencé votre manière de diriger les équipes RH ?
Bien sûr ! Mon vécu, mes apprentissages ont coloré mon style de management. J’ai osé être moi-même et cela m’a libérée. Rester alignée avec ses propres valeurs peut être un challenge dans certains environnements de travail très codés. Moi, j’ai choisi d’assumer et de manager en sincérité. Cette liberté d’être authentique m’a permis de mieux comprendre les autres, d’être plus empathique dans les relations interpersonnelles et d’ouvrir un espace pour que les collaborateurs se sentent entendus et respectés pour ce qu’ils sont.
Le maître mot est vraiment « alignement » pour se sentir bien et à sa place : Alignement avec soi-même prioritairement et alignement avec les valeurs de l’entreprise, celles réellement incarnées et retranscrites dans les comportements de tous.
À quel moment cette dimension humaine est-elle devenue centrale dans votre parcours ?
Mon parcours a débuté dans le monde du M&A, domaine de forte expertise. J’ai changé de trajectoire pour rejoindre le métier fascinant de DRH il y a plus de vingt ans.
Tous mes postes m’ont confronté à des situations individuelles ou collectives critiques parfois très douloureuses. J’ai appris à les identifier et surtout à vite agir, que ce soit en pilotage de sujets HSE (Hygiène, santé, environnement) ou de projets de transformation organisationnel ou culturel. L’impact des décisions sur l’Humain doit être anticipé en garantissant la sécurité psychologique et l’engagement des troupes dans le déploiement des projets.
En tant que DRH, je porte une vision centrée sur l’humain au service de la performance collective, ce qui s’illustre notamment par la création d’un environnement de travail sain et engageant et une ligne managériale responsabilisée.
Le métier de DRH a une dimension stratégique qui s’exerce sur le terrain, au plus proche des réalités. L’écoute et la connexion avec les équipes est incontournable notamment pour prévenir et agir en cas de situations de souffrance. Le pire serait d’être « hors sol » et donc perçu comme inopérant.
Comment fait-on pour individualiser l’accompagnement dans un grand groupe ?
Quatre générations se côtoient dans nos organisations avec des attentes et des modes de fonctionnement différents. Les mettre en mouvement vers un cap commun est un exercice enthousiasmant et complexe. Le subtil « combo » démarche collective / accompagnement individualisé est à privilégier.
Les défis de fidélisation et d’attractivité des talents nous amène à enrichir l’expérience collaborateur en individualisant davantage les approches et en proposant des services RH à la « carte ».
Les échanges avec les salariés, et pas seulement avec la GenZ, confirment que l’entreprise est attendue des mesures « à la carte » et adaptées à chacun des moments de vie : en tant que salarié mais aussi en tant que parent, aidant familial ou citoyen. Les attentes sur la qualité de vie au travail sont prépondérantes et en particulier en matière de santé.
Il faut en tenir compte et promouvoir en environnement de travail qui respecte chaque salarié, le fait grandir, l’épanouit, le soutient dans ses épreuves de vie pro ou perso et lui permet de travailler jusqu’à la retraite en bonne santé physique et mentale. L’entreprise devient un « lieu refuge ».
Toutefois, pour des raisons d’équité et d’harmonie de groupe, il est important de doser l’individualisation et de construire un socle de référence RH commun au niveau groupe. L’un n’empêche pas l’autre.
Vous accordez beaucoup de place aux managers de proximité dans ce processus.
En effet, je considère que cette première ligne managériale est un maillon essentiel.
Au plus près des équipes, leur influence sur la qualité de vie au travail est quotidienne et immédiate. Ce sont les premiers capteurs de situations impactant la santé physique et mentale des collaborateurs. Sans leur demander de devenir des thérapeutes, ils doivent savoir les détecter et faire face en responsabilité.
C’est pourquoi, les leaders et futurs leaders doivent être sélectionnés avec attention et développés via des programmes de management dédiés pour incarner une culture managériale bienveillante et garante de la sécurité psychologique de chacun. Des formations dédiées au premier secours en matière de santé mentale sont d’utiles compléments.
La prévention et l’implication managériale sont les deux leviers d’action prioritaires, au-delà d’une fonction RH consciente et formée.
Dans quel secteur avez-vous vu le plus de progrès sur ces questions ?
Les secteurs de l’aéronautique par exemple ont beaucoup investi sur ce sujet.
Ce sont des business d’excellence où qualité, sécurité et humain sont au cœur de la performance. L’engagement vient du top management avec une stratégie claire et largement communiquée.
Des moyens sont alloués pour que la politique en matière de qualité de vie et de santé au travail ne soit pas pure littérature. On y trouve des dispositifs très avancés pour que les lieux de travail soient inclusifs notamment en matière de lutte contre les stéréotypes et la stigmatisation de certaines populations. Des experts RH et médicaux sont à l’écoute, sous des formats variés pour une prise en charge rapide des collaborateurs en toute confidentialité. Le salarié doit se sentir à l’aise pour exposer sa situation sans jugement et surtout trouver soutien et solutions.
La maturité de ces organisations sur le sujet de la santé et la qualité de vie au travail est telle qu’aucun projet de transformation d’envergure n’est mis en œuvre sans une analyse approfondie préalable des impacts potentiels sur les collaborateurs et sans un plan d’accompagnement adapté avec une mobilisation forte des équipes RH de terrain.
Vous avez travaillé dans des environnements très masculins. Ce sujet reste-t-il genré ?
Je ne saurais pas dire… Il est vrai que les codes ou les modes de fonctionnement sont masculins car édictés par des hommes même si d’importants progrès ont été réalisés, notamment dans des fonctions support.
Cela dit, travailler dans des entreprises où la dimension humaine des intégrée très tôt dans la stratégie est une chance et cela fait la différence car j’ai connu des environnements moins sensibles.
Je ne suis pas fan pour parler de leadership féminin. Il faudrait injecter une part de Yin et de Yang dans chaque leader pour garantir une gestion empathique des sujets même quand des positions difficiles sont à tenir. Sans tomber dans les stéréotypes que je combats fortement, les femmes semblent parler plus librement de santé mentale, ça ouvre sans doute d’autres portes dans les conversations.
La Santé mentale, grande cause nationale… Considérant votre parcours, vous devez vous dire … Enfin !
Il n’est jamais trop tard et je me réjouis de cette annonce ! Maintenant dire et faire ne mangeant pas à la même table, il faut agir !
Il faut oser évoquer le sujet dans les entreprises et ne pas en faire un sujet tabou ou bien un motif de stigmatisation ou de mise à l’écart. Un salarié sur cinq souffre psychologiquement. On ne peut plus fermer les yeux. Il faut former, structurer, écouter, mettre en place des environnements de sécurité psychologique. Ce n’est pas qu’un enjeu de bien-être : c’est un sujet stratégique, de performance pour les entreprises.
Une équipe qui va bien, qui se sent en confiance, est une équipe qui performe.
Et les DRH dans tout ça ? Ne sont-ils pas eux-mêmes en souffrance ?
Si, bien sûr. Tout comme certains managers de proximité d’ailleurs car ils sont, pour certains, en première ligne.
Et c’est un vrai sujet. Le métier de RH s’est complexifié et densifié dans les sujets humains à prendre en charge. La fonction RH est sur tous les fronts, ce qui a été très visible pendant le COVID. En plus de cette charge de travail, la charge mentale est aussi pesante en raison d’injonctions parfois contradictoires et un manque de considération du métier.
L’évolution technologique des outils notamment avec l’IA Gen permet de décharger les équipes RH de tâches répétitives sans valeur ajoutée et de valoriser le métier en le recentrant sur l’humain et la réussite du business
Et puis, il est de la responsabilité de chacun de donner l’exemple. Bien s’occuper des autres commence par bien s’occuper de soi. Personnellement, j’ai adopté une routine : sport, méditation, respiration pour prendre du recul. Cela me recentre et me rend plus efficace… Et surtout, le rire, matin, midi et soir sans modération comme principal moteur.
Vous avez élevé vos deux filles, seule, tout en exerçant votre métier de DRH avec passion, j’ai envie de dire… incarnation. En quoi vos deux « rôles » ont finalement été complémentaires ?
J’avais parfois le sentiment de n’être jamais tout à fait là – moitié maman, moitié DRH, moitié tout…Et pourtant, aujourd’hui, quand je vois ce qu’elles me renvoient, je me dis que j’ai finalement fait de mon mieux et que ce n’était pas si mal !
Être mère de deux jeunes femmes de la génération Z m’a aussi permis de mieux comprendre les attentes des nouvelles générations dans l’entreprise : leur quête de sens, leur besoin d’apprendre, leur rapport différent à l’autorité et au travail.
Elles m’ont beaucoup inspiré à travers leur propre quête.
Finalement, oui, la maternité m’a rendue meilleure professionnelle. Elle m’a ancrée, humanisée, recentrée. Et surtout, elle m’a appris à écouter vraiment.