Où sont les femmes en entreprises ? Back to the future !
La montée en puissance des femmes en entreprise ne s’est pas faite en un jour. Chaque génération a dû faire face à des défis nouveaux. À travers trois portraits de femmes d’époques différentes, Emmanuelle Duez et Rose Ollivier reviennent sur une longue épopée semée d’embûches…
The Boson Project est une société de conseil et de prospective. À ce poste d’observation avancé, nous avons pu constater que l’entreprise était un incroyable miroir et un catalyseur des phénomènes de société, un laboratoire pour les sujets de diversité et d’inclusion en général. Y cohabitent plusieurs générations de femmes, avec chacune ses revendications, ses aspirations, ses rêves, ses valeurs. Tour d’horizon.
Marianne, 60 ans
Elle s’est battue comme une lionne pour décrocher un poste de directrice générale à la tête d’une grande société. Elle est un grand témoin des combats féministes menés au sein des organisations ces dernières décennies, a participé à tous les réseaux de femmes, toutes les conférences, tous les programmes, appelé de ses vœux à une convergence des luttes féministes corporate et dû, par le passé, se plier à l’exercice – aujourd’hui inconcevable – de la démonstration du lien entre performance économique et mixité en entreprise. Et les efforts ont porté… La mobilisation de quelques grands patrons pionniers – comme l’iconique Michel Landel, ex-CEO de Sodexo –, la création du Women’s Forum, par une poignée de femmes, ont mis l’enjeu en pleine lumière.
Marianne a alors observé le passage des mots aux faits, de l’incantation à l’action. Témoin des transformations profondes qui traversent aujourd’hui l’entreprise, elle mesure les avancées sur le sujet de l’égalité des genres en entreprise. La loi Copé-Zimmermann, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance, fête cette année ses 10 ans. En une décennie, le quota légal de femmes aux conseils d’administration a été atteint et même dépassé : à 44 % pour le CAC 40 et 46 % au SBF 120. Marianne a vu l’exception d’une présence féminine aux postes de direction devenir la norme. Des verrous culturels et idéologiques ont sauté : la France est aujourd’hui à la première place européenne en matière de féminisation des conseils d’administration de ses grandes entreprises.[1] Et Marianne pose un regard empreint d’une pointe de fierté sur ces victoires.
Sarah, 27 ans
À l’opposé du spectre générationnel, elle regarde moins les acquis du passé que le chemin qu’il reste à parcourir. En pleine construction personnelle, elle a développé un rapport identitaire et communautaire au féminin – celui de la sororité girl power. L’âge de Sarah est pourtant au-dessous de l’âge médian du plafond de verre – le fameux décrochage entre les carrières masculines et féminines qu’on positionne à l’arrivée des premiers enfants. Sarah n’est pas encore concernée par les défis de la cooptation, qui sèment la zizanie dans les carrières au féminin. Et pourtant, elle est plus que jamais concernée et impliquée : 53 % de femmes de 25 à 34 ans se déclarent féministes en 2014, Sarah fait partie des 62 % en 2016 et des 76 % en 2018.[2] Elle a une approche fraîche, radicale, moins teintée de l’héritage des combats passés mais plus revendicatrice encore. Elle s’indigne de la trop faible présence de femmes dans les secteurs clés et à la tête des groupes du CAC 40. L’exemplarité en étendard, elle pointe les 20 % de dirigeantes au sein des PME, les 17 % de femmes présentes dans les comités de direction des grandes entreprises et l’inertie du côté de l’égalité salariale[3]. Plus absolue que ses aînées, entendant traiter le sujet de l’inclusion dans sa globalité : derrière l’« intersectionnalité » qu’elle brandit haut et fort, il y a le maillage de toutes les formes de diversité et, en creux, dans les yeux de cette jeune génération, le rejet de toute forme de discrimination. Ses exigences vis-à-vis de l’entreprise sont immenses : celles de l’inclusion, c’est-à-dire de la non-exclusion, et du sans-faute. Nous l’avons vu quand nous avons réalisé une enquête sur la génération Z[4], il y a chez la jeunesse en train de débarquer sur le marché du travail un idéal de respect au sens large.
Amel, 40 ans
Elle incarne une génération d’apparence plus silencieuse, plus discrète, mais c’est une erreur d’analyse. Ayant bénéficié des avancées idéologiques et des portes enfoncées par ses aînées, elle a pu saisir des opportunités d’évolution professionnelle et accède massivement à des postes de direction. Dépositaire d’un peu de la sagesse de ses aînées et de la responsabilité qu’elle a à l’égard des générations à venir, elle est dans l’instant présent. Moins militante que la génération d’avant et que celle d’après, moins exposée aussi, plus sereine peut-être, elle est en pleine possession de ses moyens et de l’époque. Issue de cette génération d’entre-deux, Amel est aujourd’hui en train de faire évoluer lentement mais sûrement la fabrique à leaders : avec sa vision singulière et nuancée du management, elle transforme petit à petit la matrice du leadership à la française. Contrairement à ses aînées, elle ne revendique pas forcément une pratique féminine du leadership et regarde avec distance l’approche communautariste de la jeunesse. Elle a souvent du mal avec le mot « féministe ». Elle affirme cependant la volonté d’être entièrement dans sa posture managériale, avec toutes ses failles, sa puissance et sa sensibilité. Et elle est en cela une belle leçon d’empowerment qui sera source d’inspiration pour toute la relève.
À travers ces portraits de femmes, émerge une constante indéniable. Être femme est un rapport au monde, marqué par le temps long, la capacité à s’extraire de soi et de l’instant pour permettre demain. En cette époque de transitions majeures, économique, écologique et sociétale, gageons que toutes les Marianne, Sarah et Amel sauront mettre ce qu’elles sont au service de la durabilité des entreprises.
[1] Loi Copé-Zimmermann : 10 ans après, ça marche, Les Échos, 24/02/21
[2] Qui se dit féministe aujourd’hui ? – Vraiment, Harris Interactive, avril 2018
[3]https://www.novethic.fr/actualite/social/diversite/isr-rse/parite-la-france-prend-la-voie-des-quotas-dans-les-comites-de-direction-des-grandes-entreprises-149417.html
[4] Youth Forever, The Boson Project, mars 2020