Monoprix : la « pyramide inversée » remet le commerce dans le bon sens
Guillaume Sénéclauze a pris la tête de Monoprix et de Naturalia en mars 2022. Son credo : la proximité. Des commerces au plus près des clients, des managers investis envers leurs équipes. Rencontre.
Pouvez-vous revenir sur votre parcours et votre prise de fonctions ?
J’ai passé vingt années à l’étranger, dans neuf pays et sur trois continents : Amérique latine, États-Unis, Asie et bien sûr Europe. J’ai donc évolué hors de France durant les deux tiers de ma vie professionnelle. J’y ai compris une évidence : le commerce doit être plus humain, et aujourd’hui plus que jamais. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai appris huit langues, au gré de mes postes à l’étranger. J’avais besoin de comprendre les attentes exprimées au plus près des clients ou des équipes. On ne cesse de nous expliquer que la machine peut remplacer l’homme – cf. les progrès constants de l’IA générative. C’est vrai que le constat est alarmant : on voit bien que des centres-villes s’appauvrissent, des boutiques ferment et que même des enseignes de service public s’automatisent. Les centres-villes, censés être des endroits de convivialité, se déshumanisent. Mais le commerce doit rester synonyme de lien, d’humanité, de rencontre entre clients, équipes, fournisseurs, comme une sorte de hub dynamique. Ce qui m’anime, c’est de transformer les enseignes en marques.
Quelle est la différence ?
La marque est un repère. Au-delà de la valeur transactionnelle, elle porte une valeur émotionnelle. Le transactionnel, c’est le commerce : le choix, le prix, la qualité du produit, le service. La valeur émotionnelle représente autre chose, elle est intangible. C’est ce qui fait la différence, c’est ce qui fait que les gens disent : « Je vais à mon Monop » et pas « à Monoprix ». C’est une marque que l’on aime et que l’on apprécie de retrouver. Ce lien émotionnel que Monoprix entretient avec ses clients, dans le monde alimentaire, est très rare. Mon travail consiste à donner des raisons aux clients de se rendre à Monoprix.
La responsabilité sociale du monde commerçant est essentielle en ces temps de crise et de pouvoir d’achat. Quel est l’impact de Monoprix sur la société qui l’entoure ?
70 % de nos produits textiles ont un critère social et environnemental, tous labellisés Gots (Global Organic Textile Standard) ou OCS (Organic Content Standard). Nous avons largement fait évoluer nos approvisionnements. Nous travaillons avec le « made in proche ». Nous sommes également tous familiers avec le Nutri-score, ce système d’étiquetage nutritionnel à cinq niveaux, allant de A à E et du vert au rouge. Le Planet-score, c’est la même chose, c’est un thermomètre des pratiques les plus vertueuses pour la planète. À partir du moment où l’on mesure son impact sur l’environnement, on commence à agir. Sur 280 produits, Monoprix est donc « scoré » Planet-score pour influencer l’ensemble des acteurs de la chaîne. Et sur l’aspect RSE, nous avons un fort lien avec les filières agricoles. Nous sommes engagés avec 47 fournisseurs sur un cahier des charges qui garantit la qualité des produits, en minimisant ce qui est mauvais pour la santé et en assurant une rémunération minimale aux agriculteurs.
Le marché du bio a du plomb dans l’aile. Quelles premières leçons peut-on tirer de cette conjoncture ?
J’invite à prendre un peu de distance sur l’offre telle qu’elle est comprise par le consommateur. Il y a une confusion entre le bio et le local. Pour un client, si l’œuf est pondu à côté de Paris, il est local, durable, comme le bio. Sauf qu’une production locale n’est pas garante de l’absence de pesticides. Notre approche par rapport au bio est de défendre cette filière. Derrière, il y a beaucoup d’agriculteurs qui travaillent et s’investissent. Il faut en moyenne trois années pour convertir un champ traditionnel à la culture biologique. On ne peut pas laisser tomber les agriculteurs au gré des tendances de court terme. Par exemple, avec Naturalia, nous travaillons sur l’accessibilité, le prix, tout en élargissant notre offre à des produits bons et garantis sans pesticides, qu’ils aient ou non le label « bio ».
En interne, le management de proximité doit être soutenu et optimisé : c’est même l’une de vos priorités… Un alignement des planètes : les collaborateurs ont soif de cette relation.
Parce qu’on est avant tout dans l’humain. Soigner ses collaborateurs, c’est la meilleure condition pour soigner ses clients. 92 % des collaborateurs du groupe Monoprix sont en contact avec le client. S’ils ont un peu plus le sourire et l’âme heureuse quand ils vont au travail, il y a plus de chance qu’ils transmettent cet enthousiasme au client.
Est-ce cela aussi la responsabilité sociale d’une entreprise : d’être au plus proche de ses collaborateurs, de ses attentes, de ses besoins… ?
Certainement. Protéger l’emploi est aussi une responsabilité. Même dans des situations économiques compliquées. Ensuite, au sein même de l’entreprise, l’environnement doit être, au minimum, respectueux et, au maximum, épanouissant. Par ailleurs, nous avons tous les avantages additionnels : les bénéfices sociaux, les aménagements du temps de travail. Enfin, je tiens beaucoup à la « pyramide inversée », c’est-à-dire, au fait de redonner du pouvoir au terrain, à ceux qui sont au contact avec le client. Je consacre une partie de mon temps, au minimum un jour par semaine, au terrain, pour écouter, comprendre les freins au bon fonctionnement du magasin, observer avec les équipes ce que nous pouvons changer. C’est aussi une façon de soutenir les équipes. Les collaborateurs qui sont au contact du client sont au-devant de la scène. Toute l’organisation dans les coulisses se doit de les aider au mieux à servir le client. Nous avons encore du chemin à faire, mais cette collaboration est en marche, autour de nos trois valeurs : faire ensemble (en gagnant la confiance), faire mieux (en visant l’excellence) et faire autrement (en osant l’audace).