Mécanismes et histoires d’adhésion
Depuis 22 ans, Anne Vermès, fondatrice de Traits d’Unions et Partenaire associée de Venhis Partners, accompagne les entreprises grâce à son expertise scientifique et historique. Dans ce vaste univers de connaissances, Salvador Dalí, Nicolas Fouquet et les grands neuroscientifiques se côtoient pour offrir une approche inédite des bonnes pratiques managériales.
Que nous disent les sciences neurocomportementales et neurocognitives sur le sentiment d’engagement ?
Comment nos 1300 grammes qui nous servent de cerveau fonctionnent-ils quand nous sommes dans une dynamique d’engagement ? De la part des managers, il est impératif de comprendre comment fonctionne l’être humain, surtout dans des périodes où les changements s’accélèrent, où l’on a de la plasticité cérébrale, ou de la résistance qui se met en œuvre. En tant que manager, la première question à se poser c’est : combien de pourcentage d’activités agréables devons-nous avoir pour ressentir le flow, cette motivation profonde qui nous permet de supporter des choses moins plaisantes ? Il nous faut 30 % de plaisir pour avoir l’énergie et le temps de faire autre chose. C’est ce que l’on appelle les moteurs de la motivation profonde. La question que doit se poser le dirigeant est la suivante : à quoi carburent mes collaborateurs pour être pleinement heureux et satisfaits ? Pour qu’elles puissent se mouvoir vers un objectif, une personne doit pouvoir calmer ce que l’on appelle « l’aversion à la perte ». On a besoin d’avoir un futur désirable lointain pour accomplir les efforts nécessaires pour l’atteindre. Quels changements mettre en place ? Comment rendre le quotidien des collaborateurs suffisamment désirable pour avoir cette dynamique de motivation qui se met en place ? L’esprit humain est ainsi fait : on ne se mobilise pas pour des « moins ». Il suffit de voir tous les enjeux de transition écologique, quand on cible ce que l’on va perdre, les avions qu’on ne prendra plus, notre cerveau n’est pas programmé pour intégrer la perte ni l’incohérence cognitive. La seconde chose dont nous avons tous besoin : le lien entre le pouvoir et la responsabilité d’entreprise. Est-ce que je suis en capacité de pouvoir agir ? Dans chaque fiche de poste, il est nécessaire de s’interroger : quelle est la situation où la personne peut décider ? D’où la dynamique de motivation qui va se mettre en place.
Cette approche est-elle applicable dans de grandes structures ?
Pour que l’organisation fonctionne, il faut qu’elle soit neuro-compatible avec notre fonctionnement cérébral. Aujourd’hui, comment intégrer les ressorts cérébraux de la motivation, le lien pouvoir-responsabilité, l’autonomie, la sécurité psychologique dans les entreprises pour que le fonctionnement humain soit au cœur de l’organisation, pour qu’il ait la capacité d’innover, d’être engagé ? Prenons un exemple dans l’histoire : Mandela (1918-2013) avait bien compris que pour garder le fonctionnement de son équipe, alors même qu’il était incarcéré, il devait favoriser la sécurité psychologique de ses compagnons. Ainsi, il a rendu chacun acteur, en répartissant des tâches et des rôles. Un homme comme Nicolas Fouquet (1615-1680) avait fait le lien entre la motivation et le défi, il a travaillé sur les leviers d’intelligence collective : la diversité, la vision partagée, l’autonomie et l’interdépendance. Au XVIIe siècle, cet homme était capable de motiver une équipe : à Le Nôtre (1613-1700), il a dit de travailler sur l’alliance entre l’homme, le jardin et l’espace. Il lui a donné des défis en lien avec ce qu’il aimait le plus, en demandant un effort supplémentaire, au service d’un projet collectif.
Quelle est la place de la communication dans les enjeux de motivation ?
Elle est centrale. Notre cerveau détecte assez bien les paroles authentiques, il a besoin de lien entre pensée et verbe. Dans le passé, nous avons eu des orateurs comme Jean Jaurès (1859-1914) qui ont parfaitement compris cela. Ce qui n’est pas supportable, c’est l’incohérence. L’approche neuro demande au manager en quoi son discours est-il en cohérence avec ses objectifs et ce qu’il demande à ses collaborateurs. Cette cohérence communicationnelle apaise la personne pour la mettre sous un angle de curiosité, d’adaptabilité et d’intérêt.
Ce management par les leviers de motivation paraît si simple. Rassurez-nous, ce n’est pas l’apanage de grands leaders ? Nous n’avons pas décroché de cette réalité ?
Dans notre fonctionnement cérébral, nous avons la puissance créative et des biais cognitifs qui viennent simplifier les décisions pour gagner du temps. À chaque fois que la situation est compliquée, l’humain a les ressources pour réagir collectivement. Ce qui nous manque vraiment en ce moment, c’est l’incarnation. Les bâtisseurs de cathédrales l’avaient bien compris : une pensée bien construite se traduit par une dynamique émotionnelle particulière et par l’action. C’est pour cela qu’ils ont aligné les tours, la rosace et les piliers. Jean-Baptiste Godin (1817-1888) est parti explorer toutes les motivations des individus. Et une fois qu’il avait trouvé, il a construit un collectif de gens très engagés. 160 ans plus tard, c’est intéressant : comment la logique individuelle peut-elle mener à l’échelle collective ? Ce sont les conditions du leadership et du manager qui vont mener à cela ou au contraire emmener les personnes vers des instincts propres, comme des rapports de force, des logiques de stress. Un des leviers c’est d’accompagner et de former des dirigeants qui sont neuro-adaptatifs, qui comprennent comment notre cerveau fonctionne. Nous devons avoir cette conviction que c’est par le facteur humain qu’on avancera pour créer un monde viable avec tous les enjeux de transition que nous avons devant nous.