L’INSEP : dans les coulisses de la fabrique à champions français

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Marie-José Pérec, Teddy Riner, Laura Flessel, Tony Estanguet : bon nombre des plus grands noms du sport français sont
« sortis » de l’INSEP. À la veille des JO de Paris 2024, la pression est grande pour cet Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance. Emmanuel Macron a fixé aux athlètes tricolores comme objectif de figurer dans le top 5 des nations les plus titrées. Cette fabrique à champions devra fournir 50 % des médailles. Et seul l’or compte à l’arrivée…

Par Nicolas Pigasse

Ici, au cœur d’un poumon vert insoupçonné, caché de tous les regards, éloigné de toutes les tentations parisiennes, on forme les plus grands noms du sport national depuis 1975 à l’initiative du général de Gaulle. En 1960, ce dernier avait tapé du poing sur la table après le « fiasco » des JO de 1960, plus faible cru historique en médailles (5) et en titres (0) ! Il a fallu attendre la fusion de plusieurs entités pour aboutir à cette création officielle qu’il n’aura donc pas connue. Tony Estanguet – triple champion olympique à Sydney (2000), Athènes (2004) et Londres (2012), devenu le grand patron incontesté des JO de Paris 2024 est passé par là tout comme Laura Flessel, ex-ministre des sports et double championne olympique d’épée à Atlanta en 1996. Teddy Riner, en quête à 36 ans d’un quatrième sacre olympique historique, est chez lui depuis toujours ici. L’INSEP est sa deuxième maison. Il doit beaucoup à cet établissement public qui forme, soutient et encadre les sportifs de haut niveau. L’INSEP est unique et en concurrence avec « L’armée des Champions », le Centre National des Sports de la Défense (CNSD) qui a été créé en 2006 et qui est situé au Camp Guynemer, à Fontainebleau. Ex-bataillon de Joinville, la star de l’escrime Enzo Lefort ou du judo, Clarisse Agbegnenou, double championne olympique à Tokyo (dont on ignore souvent qu’elle est adjudant de gendarmerie), en sont les figures emblématiques. Notons que les champions de sports très médiatiques tels que le foot, le golf, le tennis et le rugby sont souvent pris en charge et accompagnés par des structures privées, des grands clubs ou sponsors leur permettant une autre préparation.

L’INSEP n’est pas le parent pauvre des autres sports pour autant : pour 28 disciplines olympiques – athlétisme, judo, lutte, natation, etc. -, c’est le passage quasi obligé de tout sportif de plus de 15 ans qui aspire à réaliser son rêve de champion. 31 centres sont labellisés en France. Les espoirs ont des étoiles dans les yeux quand ils parviennent à intégrer les lieux pour s’y faire un nom, un palmarès et s’y construire un avenir post-sportif. L’INSEP est aussi le centre des athlètes paralympiques qu’il accueille avec le même état d’esprit. Marie-Amélie Le Fur, présidente du Comité Paralympique et Sportif Français, neuf fois médaillée aux JO – et qui a fait résonner à trois reprises la Marseillaise – est une ambassadrice emblématique des lieux.

Cette fabrique à champions est sans aucun doute l’endroit le mieux doté en infrastructures sportives de pointe : terrains et salles de sport, gymnases, salles de musculation, salles d’escrime, salles de combat, terrains de tennis, terrains de handball, piscine olympique couverte, pistes d’athlétisme… Les sportifs disposent des équipements dernier cri pour gagner de précieuses secondes, régler des détails, affiner les préparations. Ils sont suivis à tous les niveaux dans leur préparation : mental, alimentation, soins : rien n’est laissé au hasard. Les athlètes bénéficient de salles de récupération et de rééducation. 80 personnes travaillent au pôle médical pour optimiser les performances ou « réparer des corps cassés ». 

L’INSEP, c’est aussi un corps enseignant très présent. Du bac à des études supérieures, les talents sont encouragés et poussés. Une trentaine de formations spécifiques sont proposées sur site ou en partenariat avec des universités ou instituts de formation dans de nombreux domaines : sportifs, coaching, métiers de la santé, de la communication. La journaliste Céline Géraud – vice-championne du monde de judo en 1986 en moins de 61 kg – a été formée à Sportcom au sein de l’INSEP grâce à un cursus alors mis en place avec le CFJ. Tous les athlètes n’évoluent pas dans une discipline médiatique garante d’un avenir tout tracé. Âgée de 19 ans, la lutteuse Koumba Larroque, espoir d’une médaille d’or à Paris, suit en parallèle de ses entraînements des études pour se former au métier de kinésithérapeute. Elle sait qu’elle ne fera pas fortune avec son sport. De nouveaux partenariats sont attendus pour la rentrée 2024 avec l’ESSEC, CentraleSupélec et Sciences-Po. Ces trois grandes écoles travailleront main dans la main avec l’INSEP pour être associées et offrir aux sportifs une formation diplômante d’excellence, accessible et aménagée. 

Fabien Canu, le patron des lieux, en connaît bien tous les rouages. Cet ancien judoka – deux fois champion du monde en 1987 et 1989 – a succédé en 2021 au lutteur Ghani Yalouz – médaillé d’argent à Atlanta en 1996 – qui était lui-même issu de maison. « Je n’ai jamais oublié les heures et les heures d’entraînement, de sueur, au dojo, dans la salle de musculation ou à la halle Maigrot, mais aussi tous ces moments d’échange et de partage pendant les 14 années que j’ai passées à l’INSEP qui m’ont aidé à me construire en tant que sportif mais aussi en tant qu’homme. » Aujourd’hui, il en est le chef d’orchestre. Et de vanter son « bel outil » : « On a des installations sportives uniques, avec un grand stade couvert assez rare dans le monde. » Fabien Canu le sait, il est attendu au tournant s’il ne remplit pas son contrat après les résultats jugés comme décevants obtenus à Tokyo en 2020 par la délégation française entraînée à l’INSEP : « L’objectif pour les équipes de France olympiques est de prendre la 5e place au tableau des médailles. Ça veut dire, pour les valides, décrocher entre 18 et 20 médailles d’or. L’INSEP devrait couvrir à 50 % ce nombre de médailles. » Et côté paralympique, un tiers des médailles est attendu. La pression de l’exploit, le culte de la performance et des résultats…

Relancer la culture sportive du sport en France, tel est aussi l’objectif de Paris 2024. Et renforcer encore les prérogatives de l’INSEP. Les sponsors qui accompagnent cet institut d’excellence ne s’y sont pas trompés. Cet organisme public qui fonctionne avec un budget annuel de 38 millions d’euros a aussi besoin d’être soutenu par des grandes marques. Et il l’est. Si l’INSEP organise peu d’événements sportifs en son sein, il développe depuis 2019 un vaste programme de fundraising comportant un volet mécénat et un volet sponsoring. Le campus est propice aux séminaires et à la recherche, notamment à travers ses deux laboratoires de pointe : Sport, Expertise et Performance (SEP) et l’Institut de Recherche bio-Médicale et d’Épidémiologie du Sport (IRMES). La fabrique à champions a toujours su évoluer avec son temps, et se fixer de nouveaux enjeux. l