« Les addictions sont une maladie à part entière »
Face aux risques de comportements addictifs, les entreprises sont appelées à jouer un rôle de premier plan dans la
prévention et l’accompagnement. Quelles stratégies peuvent-elles mettre en place pour prévenir les addictions tout en renforçant un environnement de travail sain et inclusif ? Éléments de réponses avec Laurence Breton-Kueny, DRH AFNOR et Vice-Présidente de l’ANDRH.
Pensez-vous que les addictions doivent être traitées comme des risques psychosociaux (RPS) classiques ?
Les addictions, sans répondre nécessairement à la définition de RPS relèvent néanmoins de la santé mentale. Aujourd’hui, on sait que les addictions, quelles qu’elles soient, ont un impact direct sur la santé mentale ou sont la résultante de problèmes de santé mentale. Nous avons intégré cette dimension dans nos formations et nos actions. Les addictions sont une maladie à part entière, avec des conséquences sur la santé physique, mentale et sociale sans compter l’impact sur la sécurité au travail. Nous avons intensifié notre sensibilisation sur ce sujet, surtout depuis la pandémie, qui a aggravé les addictions.
Les pratiques addictives semblent donc être en augmentation, en particulier en télétravail. Quelle en est, selon vous, la raison ?
Le télétravail, surtout à temps plein, accentue certaines fragilités. Le manque d’interactions sociales, l’isolement familial ou amical, peuvent être des facteurs aggravants. Les études montrent une hausse de l’absentéisme au-delà de deux jours de télétravail par semaine. D’ailleurs à l’ANDRH (association nationale des DRH), nous avons toujours recommandé un maximum de deux jours de télétravail par semaine. Il est important de maintenir un équilibre entre télétravail et présentiel pour préserver le collectif de travail et limiter ces dérives.
Le télétravail fait son retour dans le débat public. Cela vous surprend-il ?
Pas vraiment. Le problème vient souvent du manque de règles précises. Certaines entreprises ont laissé les salariés décider seuls de leur rythme de télétravail, ce qui a généré des dérives. Dans notre entreprise, c’est le manager qui valide les demandes de travail occasionnel à distance vues en amont avec ses collaborateurs. Pour rappel, le télétravail doit être structuré, surtout pour préserver la cohésion d’équipe. Il y a eu des erreurs d’appréciation du sujet dans certaines structures, mais le retour en présentiel, même partiel, est crucial pour maintenir un collectif solide.
Peut-on dire que les contraintes de l’entreprise conduisent parfois à des comportements addictifs ?
Les raisons des addictions sont souvent multifactorielles. Elles ne sont pas uniquement liées au travail, même si ce dernier peut y contribuer dans certains cas. Notre rôle est de détecter collectivement les signaux faibles des personnes souffrant d’addictons afin de les orienter vers les personnes qui sauront les prendre en charge. Ce n’est pas toujours facile, car ces troubles peuvent être subtils, mais notre responsabilité est d’agir.
Certaines entreprises semblent encore réticentes à aborder frontalement le sujet des addictions. Pourquoi, selon vous ?
Ce n’est pas vraiment un tabou, mais c’est un sujet délicat. Il est essentiel de mettre en place des politiques de prévention primaire pour sensibiliser les équipes. Chaque individu peut être concerné, que ce soit par l’alcool, les écrans, ou d’autres formes d’addiction. L’essentiel est de ne pas fermer les yeux et d’agir en amont.
Une addiction particulière : le workaholisme. Comment l’entreprise peut-elle gérer ce type de comportement ?
C’est effectivement une addiction particulière. Elle est souvent encouragée par des contextes de surcharges de travail. En France, nous avons la chance d’avoir un cadre légal avec le droit à la déconnexion qui a donné lieu à l’écriture de chartes au sein des organisations. Cela permet de limiter les excès. Il faut savoir faire la diffé rence entre un moment de surcroît d’activité et une obsession permanente. Un bon management est essentiel pour détecter ces situations. Le manager doit savoir dire stop quand cela est nécessaire. Il est important de réguler ces comportements pour éviter que les personnes ne s’épuisent.