L’engagement actionnarial : vecteur de gouvernance pérenne ?

4 min de lecture

La démocratie actionnariale requiert des grandes entreprises cotées qu’elles associent davantage les actionnaires minoritaires et même leurs parties prenantes à la stratégie mais aussi à la politique RSE.

Par VIVIANE DE BEAUFORT , PROFESSEURE À L’ESSEC BS, DIRECTRICE DU CENTRE EUROPÉEN DE DROIT ET ECONOMIE, CHAIRE JEAN MONNET

 Pour comprendre ce qu’on entend par le mot gouvernance responsable, avoir en tête que les jeux de pouvoirs et les mécanismes de responsabilisation, tant dans le champ public que celui de l’entreprise, puisent tous deux leurs racines dans la culture est utile. Un Etat s’est construit à partir de son histoire, une entreprise à partir de sa structure de capital. En découlent des équilibres subtils de pouvoir et contre-pouvoirs : c’est ce qu’on appelle la gouvernance (publique ou privée). 

Quelque soient les caractéristiques des organisations actuelles, on constate que des changements fondamentaux sont à l’oeuvre : ne pas les anticiper, les méconnaitre, c’est risquer l’échec. Le citoyen/ l’actionnaire attend des réponses documentées, argumentées et engageantes aux questions qu’il pose. Selon, interviendra une adhésion ou un affrontement. 

Pour revenir à la gouvernance d’entreprise et ses ressorts actuels, l’activisme actionnarial y a la part belle. On le définira comme les efforts des actionnaires minoritaires pour influencer ceux qui gouvernent (les majoritaires) sur les décisions stratégiques de l’entreprise. Né aux USA, il s’est développé plus tardivement en Europe continentale où il montre aujourd’hui un visage engagé autour des enjeux ESG. 

En France, on constatait plutôt un activisme en réaction à une crise intervenant dans une entreprise. Depuis 2017 et, désormais en mode accéléré, s’est développé un mouvement d’engagement, facilité par les exigences en matière de reporting extra-financier et l’assouplissement européen des conditions légales de participation des actionnaires ; même si on reproche à la France des seuils de détention de titres trop élevés pour déposer de résolutions en AG. Ainsi, tant le cadre juridique que l’évolution de la société, favorisent la rupture de l’ancien modèle de gouvernance où seul le dirigeant règne. 

Au-delà des différences d’objectifs entre actionnaires minoritaires : un hedge fund (fonds commun réservé à des investisseurs accrédité) qui se bat sur la valorisation de l’entreprise, un « proxy » qui fait des recommandations de vote sur la mixité du conseil, une association d’actionnaires minoritaires qui se préoccupe du versement des dividendes, etc. Les stratégies d’alliance se mettent en place autour de l’ESG, à minima pour limiter les risques de long terme, à maxima par engagement. Et, lorsque le fonds engagé Phitrust prend position sur le caractère « indécent » de la rémunération d’un grand patron, cela fait levier auprès des autres investisseurs qui rejoignent. Les ONG elles-mêmes, achètent une action pour pouvoir questionner publiquement la stratégie ESG car, en France l’influence passe essentiellement par la question à l’occasion des Assemblées Générales. 

L’art du questionnement est à cet égard à son summum avec le Forum pour l’Investissement Responsable. Pour rappel : les questions écrites et orales font partie du droit sacré de l’actionnaire. Elles portent sur des sujets classiques de gouvernance ou relèvent des engagement ESG. On questionne ainsi sur le variable de la rémunération à partir d’objectifs comme la décarbonation de l’activité de l’entreprise, le recyclage de l’eau ou la mise en place d’un salaire décent pour les collaborateurs du groupe non-protégés par des minima sociaux. 

Les entreprises déjà conscientes des risques encourus en cas de non-conformité aux lois récentes sont de plus en plus interpellées sur leurs ambitions et actions RSE. Au cours des Assemblées générales, le temps consacré au sujet a augmenté de 20% en 2023. La prise de conscience des enjeux environnementaux est brutale autour de l’enjeux climat-biodiversité. 

Les actionnaires minoritaires, largement passifs antérieurement, deviennent actifs et utilisent tous les leviers possibles pour peser. Et si l’on évoque l’activisme actionnarial qui se développe donc en réaction à un dialogue jugé insuffisant avec la direction, le rapprochement avec l’activisme des ONG est assez évident, ces mêmes qui après des dénonciations (name and shame) tentent des contentieux au civil et pénal. 

Les équilibres de gouvernance entre dirigeant – conseil d’administration et AG sont rebattus, au nom de la démocratie, alors même d’autres mécanismes de contre-pouvoirs s’installent : généralisation des administrateurs salariés, montée de l’actionnariat salarié, reconnaissance juridique du Codir… 

La prévention d’une campagne activiste passe essentiellement par l’acceptation du jeu de la démocratie actionnariale avec l’organisation d’une communication régulière entre la direction de la société et ses actionnaires. Mais, lorsque le dirigeant refuse de jouer le jeu, il y a désormais possibilité de « ruer dans les brancards ». On sort même de l’enceinte sacrée de l’entreprise en utilisant des techniques proches de celles des a ctivistes : t ribunes, r apports (Reclaim’Finance), webinars experts, interviews des agences de conseils en vote sont devenus communs, etc. Décidément, l’activisme actionnarial d’engagement s’est réveillé en Europe et particulièrement en France, il oblige l’entreprise à expliquer sa stratégie RSE ou à la revoir.