Le Grand Entretien : Bertrand Dumazy, PDG d’Edenred

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Connu pour ses tickets restaurant, Edenred accompagne aujourd’hui plus de 60 millions d’utilisateurs avec des solutions digitales pour les avantages aux salariés, la motivation, la mobilité professionnelle et les paiements interentreprises.
 À sa tête depuis 2015, Bertrand Dumazy a su transformer le groupe, jusqu’à le faire entrer au CAC 40, il y a un an.  

Par Anne-Cécile Huprelle

Quels sont les principaux défis à surmonter quand une entreprise entre au CAC 40 ?

L’entrée au CAC 40 n’était pas une fin en soi, mais elle a été une reconnaissance de la transformation profonde opérée au cours des huit dernières années. Edenred est désormais une plateforme digitale utilisée par plus de 60 millions de personnes dans 45 pays et par laquelle transite 100 milliards d’euros. A titre de comparaison, l’application Uber Eats est utilisée par 80 millions de personnes. 

Intégrer le CAC 40 expose cependant l’entreprise à de nouveaux défis : une plus grande visibilité médiatique, une volatilité boursière accrue, nécessitant de maintenir des résultats solides trimestre après trimestre. 

Sur cette idée de discrétion, en tant que dirigeant, est-ce une contrainte pour vous ou est-ce devenu un goût ? 

La discrétion est une préférence personnelle. Cependant, les dirigeants sont souvent sollicités pour s’exprimer publiquement puisqu’ils représentent l’entreprise. Je suis au service d’Edenred donc je le fais volontiers. Avec une limite cependant : il me semble préférable de rester neutre sur les débats idéologiques ou politiques afin de respecter la diversité des points de vue et des sensibilités des 13 000 collaborateurs d’Edenred.

Comment accompagne-t-on les collaborateurs dans une entreprise
en si grande croissance ?

Le premier trimestre 2024 marque le huitième trimestre consécutif d’une croissance organique supérieure à 20 %. Dans ce contexte, il est essentiel d’accompagner les collaborateurs. Cela passe par un recrutement rigoureux, la fourniture de repères aux nouveaux collaborateurs, et la formation continue des employés déjà présents afin que leur développement accompagne celui de l’entreprise. 

Ainsi, les collaborateurs d’Edenred sont guidés par plusieurs principes directeurs. Premièrement, la raison d’être de l’entreprise : Enrich connections. For good, c’est-à-dire, Renforcer les liens. Pour le bien. Pour de bon. 

Deuxièmement, les cinq valeurs du Groupe sont passion du client, respect, imagination, simplicité et esprit entrepreneurial. 

Enfin, la culture d’entreprise est complétée par les engagements que les managers sont appelés à prendre pour former une Dream Team alliant performance et attitude.

Fort de ces trois éléments, chacun est autonomisé dans un contexte de forte croissance et d’une présence dans 45 pays où chaque leader local se doit d’agir en entrepreneur. 

C’est comme si vous aviez installé
des repères solides, une boussole,
un chemin à suivre… 

En effet, ces repères donnent confiance. Sans confiance, rien n’est possible. La confiance permet d’être un entrepreneur local libre et audacieux. 

Mais pas sans
co-responsabilité … 

La confiance est un élément clé dans la relation entre l’entreprise et ses collaborateurs. Cependant, cette confiance n’exclut pas le contrôle et la capacité à reconnaître lorsque les choses ne fonctionnent pas. Il est important d’encourager une culture d’amélioration continue tout en maintenant un socle solide permettant aux collaborateurs de s’investir pleinement. 

Les raisons d’être, valeurs, états d’esprit adéquats sont mises en avant par les entreprises pour trouver des candidats « compatibles ». Cette exigence est claire mais ambitieuse à une époque où on a du mal à recruter…

Oui, toutes les entreprises font face aux défis d’attirer, de retenir et d’engager les talents. D’ailleurs, les solutions digitales commercialisées par Edenred permettent de répondre à ces défis.

Quelles que soient les difficultés, nous avons un devoir de vérité. Il est préférable de définir nos attentes en amont. Je crois en une culture d’évolution permanente, tout en s’assurant que les employés actuels conservent leurs repères. Chez Edenred, on peut vivre une aventure individuelle tout en cultivant un fort esprit collectif.

Edenred entend stimuler l’imagination et l’esprit entrepreneurial de ses salariés : c’est-à-dire ? 

Le monde est ce que l’on veut qu’il soit.  Nous avons besoin de femmes et d’hommes partageant leur pouvoir d’imagination pour stimuler l’innovation collective. Il est important de se rappeler un peu de ses rêves d’enfance chaque soir. L’imagination est le carburant de l’innovation. Nous souhaitons donc une imagination partagée qui inspire chacun en retour.

Et vous-même, vous offrez-vous le temps de repenser à vos rêves d’enfant ? 

Oui, souvent. Il m’arrive de prendre le temps de réfléchir à mes rêves d’enfant. Je rêvais alors d’aider les autres et de faire une différence positive dans leur vie. Je rêvais et rêve encore d’action. C’est l’action concrète qui unit les hommes entre eux. 

De plus, il m’arrive également souvent, le soir, d’effectuer une relecture de ma journée, en me demandant si j’ai bien agi, bien parlé à mon équipe, si je leur ai donné le goût de l’action. Il m’arrive de contacter un collaborateur pour revenir sur une discussion si tel ne fut pas le cas. 

Le poste de manager ne fait plus forcément rêver : observez-vous cette tendance chez Edenred ? 

En huit ans, je n’ai constaté aucun refus de prise de poste managérial, excepté pour des raisons de mobilité géographique. Toutefois, je reconnais la difficulté d’être manager aujourd’hui. La qualité de vie au travail exige une approche différenciée, rendant le métier plus exigeant. Il faut attirer et retenir les collaborateurs, les engager en les formant, les autonomiser en leur donnant confiance. Tout un programme ! 

En résumé, il faut aimer ses collaborateurs. Les mots tolérance, bienveillance, inclusion sont de pâles substituts de l’amour. Mon ambition n’est pas de tolérer mes collaborateurs, mais bien de les aimer. Le mot amour – qui fait peur en entreprise – n’empêche pas l’exigence, la volonté farouche de performance économique, la prise de décision rapide et parfois difficile. Au contraire, l’amour humanise la prise de décision. 

Est-ce un leadership spirituel
que vous prônez ? 

Il s’agit d’être un leader authentique, aligné entre ce que je pense, dis et fait. Dans les moments intenses ou contraignants, les leaders et leurs équipes doivent savoir rester authentiques donc alignés intérieurement.

Depuis 2018, Edenred s’est engagé dans la course au large – je crois que vous n’y êtes pas pour rien … Qu’appréciez-vous le plus dans la voile ? 

Il s’agit, en premier lieu, d’un effort collectif des techniciens et préparateurs au service d’un marin ou d’un équipage qui va mettre sa vie en danger sur l’eau. 

En deuxième lieu, naviguer rend humble. L’homme n’est pas plus fort que les éléments, au contraire. Il faut anticiper, être prêt en cas de coup dur. La course au large incarne à la fois cette ambition collective et cette humilité individuelle présentes chez Edenred.

Enfin, la terre n’est jamais aussi belle que vue depuis la mer. Changer de perspective, éloigner son regard, permet de ressentir la fragilité humaine et la solidité de nos ressources collectives. 

Quand on est dirigeant, où se situe la vulnérabilité ? 

Malgré notre forte croissance et notre situation financière saine, nos collaborateurs sont régulièrement exposés à des risques géopolitiques, économiques ou encore climatiques car nous sommes présents dans 45 pays. 

J’ai d’ailleurs une pensée pour nos 1 000 collaborateurs brésiliens du Rio Grande do Sul qui ont récemment souffert de graves inondations.

Pour ma part, j’ai conscience de beaucoup dépendre de mes équipes. Le succès d’Edenred repose sur la compétence de ses collaborateurs, leur envie de faire mieux chaque jour, et la confiance de ses parties prenantes. Cette vulnérabilité n’engendre pas chez moi une paralysie, mais au contraire, une volonté de mouvement et d’amélioration continue : avec les autres et pour les autres.  

Je ne peux que le répéter : le monde est ce que l’on veut qu’il soit.