Grands leaders de l’histoire : Gustave Eiffel, construire malgré un contexte incertain

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Ingénieur visionnaire, Gustave Eiffel a créé une tour novatrice au cœur de Paris, devenue l’emblème de la ville, icône de la France, monument le plus connu au monde. Il serait aisé de croire qu’une telle réussite a été saluée en son temps. Or rarement un entrepreneur a dû faire face à tant de difficultés et d’oppositions. Quels secrets peut-il nous livrer pour relever les challenges les plus audacieux malgré un contexte incertain ?

Par Anne Vermès et Yann Harlaut , du cabinet de conseil Traits d’Unions

L’audace et l’ambition comme ADN dans un siècle tumultueux

Eiffel est né en 1832 dans un pays tourmenté. Depuis le début du XIXe siècle, la France traverse une période de profonds changements et d’instabilités politiques : deux empires, trois monarchies, deux républiques… En 1870, la France a subi une cuisante défaite contre l’Allemagne et la IIIe République tente de relancer son économie par une politique de grands travaux d’infrastructures ferroviaires, fluviales et maritimes. À ce développement interne se conjugue un accroissement des échanges internationaux notamment avec les États-Unis et les colonies françaises. En 1884, le ministre du Commerce et de l’Industrie Édouard Lockroy souhaite créer un événement moteur au rayonnement international : une Exposition universelle, célébrant le centenaire de la Révolution française. Son cahier des charges est clair, il veut du neuf, de l’innovation, de l’audace, de l’ambition, du « autrement » !

Le projet est présenté à plusieurs interlocuteurs en trois points. Premièrement, il doit être futuriste et innovant, symbolisant une France moderne et lancée dans la concurrence des grandes nations. Parallèlement, il faut reconquérir l’opinion française au travers d’un projet « populaire ». Enfin, le futur monument devra être la porte d’entrée de l’Exposition universelle, véritable plateforme commerciale pour les industries et entreprises françaises. Mais qui sera ce chef de projet capable de combiner rigueur, efficacité et une réelle aptitude à savoir gérer incertitude et le risque ? Un homme sort de ce brainstorming, un entrepreneur et ingénieur, réputé pour ses travaux à forts enjeux techniques : Gustave Eiffel.

Eiffel est un aventurier qui prend tous ses chantiers à cœur. Parti de rien, il crée son entreprise en 1862 et fait l’acquisition d’ateliers de constructions métalliques à Levallois-Perret. Rapidement il emporte d’importantes commandes, constructions de viaducs et de bâtiments à structure ou à charpente métalliques : la galerie des machines pour l’Exposition universelle de Paris en 1867, la gare de Pest en Hongrie en 1875, la charpente du grand magasin Le Bon Marché en 1876 et la structure de la Statue de la Liberté. Couvert de distinctions, d’honneurs et de décorations. Gustave Eiffel est reconnu pour ses audaces architecturales et ses projets prestigieux. Il sait conjuguer rigueur et humanité, s’attachant fidèlement des talents et des compétences. À 52 ans, il n’a plus rien à prouver mais il a encore la flamme d’entreprendre.

Un rêve qui suscite l’adhésion

Avec ses deux chefs d’équipes Maurice Koechlin et Émile Nouguier, Eiffel fait une sorte de « rêve éveillé » : élever une tour de 1 000 pieds, soit 300 mètres. Le premier croquis, daté du 6 juin 1884, ressemble à un grand pylône, formé de quatre poutres en treillis. Avec une œuvre aussi austère, le projet va susciter de vives oppositions. Eiffel adjoint à son équipe projet l’architecte Stephen Sauvestre. Sous son crayon, le pylône prend des formes plus rondes aux nombreuses dentelles de fer. Définitivement convaincu, Eiffel va dorénavant déployer toute son énergie pour faire aboutir ce qui est maintenant « son idée ».

L’entrepreneur prépare un mémoire détaillé sur son projet sans oublier de mettre en évidence les faiblesses de ses adversaires. Alors que les concurrents communiquent sur l’esthétisme de tel ou tel projet, Eiffel apporte rigueur et minutie. Le 12 juin 1886, la commission chargé d’analyser toutes les propositions déclare à l’unanimité « que la tour de l’Exposition universelle de 1889 doit apparaître comme un chef-d’œuvre original d’industrie métallique et que la tour Eiffel semble seule à répondre à ce but » ! Ce premier succès lance une véritable course contre la montre pour achever la construction dans les temps. Il reste à peine vingt-six mois jusqu’au jour de l’inauguration de l’Exposition.

Le 1er juillet 1887, les travaux débutent sous la direction de Gustave Eiffel. Au siège de l’entreprise à Levallois-Perret, il dirige 50 ingénieurs qui exécutent pendant deux ans 5 300 dessins d’ensemble ou de détails. Chacune des 18 038 pièces en fer de la Tour est dessinée et calculée avant d’être tracée au dixième de millimètre et assemblée par éléments de cinq mètres environ. Sur le site, entre 150 et 300 ouvriers, encadrés par une équipe spécialisée dans le montage des grands viaducs métalliques, s’occupent de ce gigantesque meccano.

Analyse et anticipation pour juguler l’incertitude

Même si la future tour est relativement légère (7 341 214 kilos selon les calculs d’Eiffel), son assise doit être la plus stable possible. Bien avant d’avoir remporté l’appel d’offres, l’équipe d’Eiffel a entrepris d’analyser le sol du « Champs de Mars ». Les deux premières piles creusées côté « École militaire » ne posent pas de problèmes. L’affaire est moins aisée pour les deux piles côté Seine. Il faut réaliser les fondations à 5 mètres en dessous du niveau du fleuve et l’eau affleure rapidement. Un procédé novateur est lancé. À l’intérieur d’un caisson étanche, l’air est comprimé grâce à une pompe actionnée par une locomotive de 15 chevaux. La pression ainsi exercée empêche les infiltrations. Les ouvriers accèdent au caisson par une cloche métallique puis une échelle jusqu’au niveau du sol. Là, ils creusent le sol à la pioche et à la pelle et évacuent les matériaux. Le caisson lesté de béton s’enfonce alors jusqu’à la couche stable sur laquelle il repose ensuite.

Malgré un souci constant de communiquer et d’inscrire son œuvre au cœur du patrimoine parisien, Gustave Eiffel est critiqué par de nombreux artistes de l’époque , fustigeant « l’inutile et monstrueuse tour Eiffel ». Les pamphlétaires s’emparent de l’affaire, affublant la tour du sobriquet de « Notre-Dame-de-la-Chaudronnerie ». De son côté, Eiffel se contente d’opposer quelques principes de bon sens : « Je crois, pour ma part, que la Tour aura sa beauté propre. Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos constructions et qu’en même temps que nous faisons solide et durable, nous ne nous efforçons pas de faire élégant ? »

Le chantier avance à une cadence spectaculaire. Jour après jour, avec une surprenante régularité, les Parisiens voient s’ériger devant leurs yeux ébahies une tour monumentale. Il n’a fallu que cinq mois pour construire les fondations et vingt et un mois pour réaliser le montage de la partie métallique. Ce montage d’une haute technicité est réalisé en une vitesse record, fruit d’une logistique et d’un management de projet sans faille. Inaugurée le 31 mars 1889, la Tour Eiffel est la vedette de l’Exposition Universelle, vitrine du savoir-faire technologique français. Gustave Eiffel et son équipe ont relevé le défi qu’ils s’étaient fixés, maîtrisant tous les aléas par l’anticipation, l’analyse et l’audace.

Les conseils et questionnements du coach Gustave Eiffel

  • Comme Eiffel, appliquez la règle des 3A pour mener un projet dans un contexte compliqué : Anticipation, Analyse et Audace
    • Comment détectez-vous le risque majeur du projet et anticipez-vous les solutions ?
    • Comment analysez-vous les points forts de chaque projet et introduisez-vous des innovations « à la marge » ?
    • Comment accompagnez-vous les idées audacieuses, tant d’un point de vue technique que managérial ?
    • Que pouvez-vous rendre plus AAA ?
  • Évitez de faire à la place de X ou Y et orientez votre équipe projet vers un mindset « Solving Problem »
    • Qu’est-ce qui, dans votre métier, vous permet de « faire différemment » ? Comment mobilisez-vous vos ressources mentales adaptatives ?
    • Comment favoriser l’indépendance d’esprit, la diversité des analyses et la confrontation d’idées ?
    • Sur quoi, quels projets, quelles tâches, votre collaborateur a les 3F (Force affective, Force comportementale, Force cognitive) ?
  • Pour permettre et renouveler l’adhésion au projet, adoptez une communication performante en quatre points qui répondent aux questions suivantes :
    • Enjeux stratégiques. Pour quoi ce projet ? Vers où allons-nous avec ce projet ?
    • Faits et chiffres. De quoi parlons-nous précisément ? Combien de temps ? Combien d’étapes dans ce projet ?
    • Mode d’emploi. Quand allons-nous démarrer ? Comment allons-nous nous y prendre ?
    • Équipe et valeurs humaines. Pour qui ? Quels bénéfices humains ? Avec qui ?