DOMINIQUE SCHELCHER PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL
Ne l’appelez plus « Système U » … depuis quelques mois, « Coopérative U » se fait un nom. Son Président-Directeur général, Dominique Schelcher, nous dévoile les grandes lignes de la transition stratégique de son groupe et partage sa vision d’un modèle coopératif adapté à un monde en pleine mutation.
Le passage à « Coopérative U » en 2024 est-il davantage symbolique ou marque-t-il un changement stratégique profond dans le fonctionnement du groupe ?
C’est un changement symbolique accompagné d’un nouveau projet stratégique, mais nous restons fidèles à ce que nous sommes. Coopérative U est une coopérative depuis sa création en 1894, mais nous ne l’avions jamais explicitement nommé ainsi. Depuis les années 1980, nous utilisions le nom de Système U, qui chapeautait nos différentes enseignes et formats. Cependant, avec le temps, le mot « système » est devenu synonyme de méfiance. Il nous semblait évident de revenir à notre essence : une coopérative. Ce « coming out » nous permet d’affirmer pleinement notre identité, en cohérence avec notre nouveau projet stratégique à horizon 2030.
Resituer le nom sur l’idée de coopération et de collectif, est-ce pertinent dans le contexte actuel ?
Absolument. Tout cela reflète l’air du temps. Nous vivons probablement la fin d’un cycle économique et sociétal. Le nouveau cycle qui s’amorce est celui du « co » : coopération, collaboration, coordination. Le monde de demain sera « co ». Ce n’est pas seulement un symbole, mais aussi un message : notre époque a besoin de ces valeurs relationnelles. Nous souhaitons fonctionner de cette manière, en particulier avec nos partenaires agricoles.
Les spécificités de votre modèle coopératif ont-elles évolué au fil des époques ?
Nos principes de fonctionnement sont restés les mêmes depuis 130 ans. Nos deux piliers fondamentaux sont l’indépendance et l’association. Chaque patron de Coopérative U est indépendant sur son territoire et gère son entreprise comme il l’entend. Nous sommes indépendants, mais associés pour acheter ensemble. Notre histoire a commencé en 1894, près de Nantes, quand de petits épiciers se sont regroupés pour acheter à moindre coût. Ce socle demeure. La coopérative s’est enrichie au fil du temps avec de nouveaux services, mais l’esprit reste intact. Aujourd’hui, nous continuons d’acheter ensemble tout en proposant des services à nos associés, comme l’aide à l’implantation et au développement des magasins.
Quels défis majeurs Coopérative U doit-elle relever pour maintenir son modèle économique face à la concurrence des grandes enseignes intégrées ?
Notre secteur connaît de grands bouleversements depuis 2 ou 3 ans. Certains acteurs, comme Casino, ont dû vendre une partie de leurs activités et se recentrer sur la proximité. Auchan traverse également une transformation profonde, avec la mise en place d’un plan social. Parallèlement, des acteurs du non alimentaire sont en difficulté. Chez nous, l’activité va bien, mais cela demande de la persévérance et de la rigueur. Dans le commerce alimentaire, proposer des prix accessibles reste crucial. C’est une des clés de notre succès. Nous devons aussi maintenir des magasins modernes ce qui demande des investissements réguliers, répondre aux attentes, notamment en e-commerce, et offrir des services pratiques. Par exemple, 5 à 10 % de nos clients commandent en ligne, et les courses sont préparées gratuitement. Nous marions tradition et innovation : nous sommes des « vieux commerçants » qui adoptons de nouveaux modes de vente.
La gouvernance démocratique d’une coopérative peut-elle freiner la prise de décisions dans un environnement compétitif ?
C’est une excellente question. Je répondrais oui et non. Oui, car nous consultons beaucoup, ce qui peut ralentir le processus. Mais lorsque la décision est prise, elle est plus solide et s’exécute plus rapidement. Ce mode de fonctionnement nous demandent d’être résilients et connectés à nos parties prenantes.
Comment conjuguer digitalisation et préservation de la dimension humaine, essentielle dans votre modèle ?
C’est un enjeu majeur. Le socle de notre commerce reste l’humain : 90 % du commerce alimentaire se fait encore en magasin. Les gens ont besoin de contact. Dans les petites villes et campagnes, nous sommes souvent le lieu de vie principal. Ce lien ne peut être remplacé par une interface digitale. Toutefois, pour répondre aux besoins des familles souvent prises par le temps, nous avons développé des services en ligne. Nous ne voyons pas le commerce physique et digital comme opposés, mais comme parfaitement complémentaires.
Et qu’en est-il des hôtesses de caisse ?
Elles conservent un lien essentiel avec nos clients et le digital ne vient pas le remettre en cause. Les systèmes d’encaissement en libre-service ne concernent que les petits paniers. Tous les caddies continuent de passer devant les hôtesses de caisse. Chez nous, certains clients retrouvent chaque semaine les mêmes visages à l’accueil. C’est ça, un commerce de proximité, à visage humain.
Comment valorisez-vous les métiers en contact client dans un contexte sociétal tendu ?
Depuis la crise sanitaire, la société a changé, tout comme les attentes des individus. Nos équipes, au contact direct des clients, le ressentent. Nous valorisons ces métiers en mettant en avant leur sens : nourrir les gens. Nous avons renforcé notre marque employeur pour montrer qu’il est possible d’évoluer chez nous, depuis des postes de base jusqu’à des fonctions managériales. Nos magasins offrent une ambiance familiale, des avantages aux salariés comme le 13e mois et des réductions toute l’année. Nous brisons les idées reçues : il est possible de s’épanouir et de progresser professionnellement dans la grande distribution.
Ce positivisme attire-t-il vos candidats ?
Depuis cinq ans, nous constatons un regain d’intérêt. Les candidats découvrent souvent avec surprise notre nature coopérative, plus humaine que d’autres modèles. Cela explique pourquoi nous n’avons pas souffert de ce que l’on a appelé la « grande démission ». Bien sûr, comme ailleurs, certains métiers sont en tension, mais notre modèle reste attractif et fidélisant. Beaucoup de nos collaborateurs sont là depuis des décennies.
Avec des points de vente dans 11 pays, comment adaptez-vous le modèle coopératif français aux marchés internationaux ?
Notre concept est adaptable car il est simple et universel. La marque U bénéficie d’une forte reconnaissance à l’étranger, notamment grâce à la qualité de nos produits français.
Quels sont vos objectifs prioritaires pour Coopérative U dans les prochaines années ?
Nous changeons de cycle. En France, tout est trop centralisé. Notre structure décentralisée est une force, et je tiens à la préserver. Nous devons aussi harmoniser les performances de nos magasins et investir dans la modernisation. Nous consacrons un milliard d’euros à l’innovation et à la logistique pour rester en phase avec les attentes de nos clients.
Quelles sont les responsabilités et joies de votre fonction ?
Ma plus grande responsabilité est de porter le projet collectif auprès des patrons de magasins, car ce sont eux qui décident. La confiance est la base de tout. Cela n’empêche pas les satisfactions : mener un projet en croissance, c’est une grande fierté. Et je continue ma double vie : PDG de 75 000 personnes et entrepreneur local dans mon magasin U à Fessenheim en Alsace. J’y trouve un véritable équilibre et un réel épanouissement.