DANIEL BAAL, PRÉSIDENT DU GROUPE CRÉDIT MUTUEL

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Le Crédit Mutuel se caractérise par un modèle valorisant la solidarité, la proximité et l’engagement envers ses collaborateurs, ses sociétaires-clients et ses élus. Le Président du groupe revient sur les principes de cette gouvernance coopérative et sur l’influence des valeurs mutualistes dans les décisions stratégiques, l’engagement des collaborateurs et le choix des clients.

Par Anne-Cécile Huprelle

Le grand public connait le Crédit Mutuel par cette signature, par ailleurs très efficace, « Une banque qui appartient à ses clients ça change tout ». Quelle est la singularité du modèle mutualiste du Crédit Mutuel ?

Ce n’est pas qu’une signature. Nos caisses de Crédit Mutuel appartiennent aux 8,9 millions de sociétaires. C’est un modèle coopératif pur, chaque caisse locale est une coopérative de crédit. Et chaque caisse est affiliée à une fédération régionale, elle-même adhérente de la Confédération nationale. Le mouvement a été créé par Frédéric-Guillaume Raiffeisen, en Rhénanie, en 1849. L’idée était de favoriser l’entraide mutuelle entre épargnants et emprunteurs, dans une structure où chacun aurait le même pouvoir, quels que soient son statut et son envergure. Nous continuons à être très attachés à cette dimension coopérative. Moi-même, c’est parce que je suis sociétaire que je suis Président du Crédit Mutuel, avec la responsabilité de la bonne conduite stratégique du groupe, et Président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, qui regroupe 14 des 18 fédérations, et 77 000 salariés. J’ai été élu par les représentants des sociétaires.

En tant que sociétaire, comment vous sentiez-vous partie prenante du projet collaboratif ?

Le sociétaire délègue très largement la construction du projet à ses représentants qu’il élit. Chaque Caisse de Crédit Mutuel tient une fois par an une assemblée générale qui permet d’élire les membres du conseil d’administration des caisses. On est dans une démocratie représentative. Les représentants élus des sociétaires sont pleinement associés à la direction opérationnelle et à la conduite des projets.

Concrètement, comment faites-vous cohabiter mutualisme et finance ? Quelles sont les limites ?

Notre métier est de faire rencontrer les ressources des épargnants avec les besoins de financement d’autres sociétaires-clients. Ce que l’on a bien fait au Crédit Mutuel, c’est d’avoir construit une vraie organisation où les structures mises en commun permettent d’apporter le meilleur service aux sociétaires- clients. Chaque caisse locale est autonome, elle s’appuie sur la puissance d’un groupe qui met des outils à disposition. Les résultats n’ont jamais été distribués, fait rare et important, en comparaison avec une banque capitaliste. Les résultats sont maintenus en fonds propres. C’est un formidable levier pour continuer à nous développer. Lorsque nous prenons nos décisions, notre sujet n’est pas l’évolution du cours de la bourse mais la façon dont nous allons pouvoir nous développer, de manière saine et pérenne. Ce qui permet au Crédit Mutuel aujourd’hui d’être la banque française ayant le plus fort ratio de solvabilité, la plus solide par ses fonds propres, et l’une des banques européennes les plus fortes. À la question : quelles sont les limites de notre système ? Très franchement, je n’en vois pas. Là où il pourrait y en avoir, c’est si nous devions avoir des projets de croissance externe démesurée. Dans ce cas-là, nous devrions faire appel à la bourse. Mais comme ce n’est pas notre projet, il n’y a aucun sujet.

Au sein du groupe, vous avez deux enseignes, le Crédit Mutuel et le CIC. Le CIC n’est pas une banque mutualiste. Comment faites-vous concilier les deux modèles ?

Nous tenons à ce que le CIC conserve sa spécificité, sa culture d’entreprise orientée vers les entreprises justement. Le choix de devenir propriétaire du CIC en 1998 permettait au groupe de se conforter, de développer son modèle d’affaires. Le client du CIC n’est pas sociétaire, il n’est pas copropriétaire de sa banque. Mais, dans les deux entités, nous veillons à avoir le même respect du client.

Les salariés et les clients de ces deux marques bénéficient-ils tous d’une « expérience mutualiste » ?

Bien sûr et nous avons d’ailleurs des collaborateurs et dirigeants qui passent de l’un à l’autre. Nous avons surtout un plan stratégique au sein du Crédit Mutuel Alliance Fédérale qui s’applique à l’un et à l’autre avec, bien sûr, des spécificités. Aujourd’hui, nous avons une grande cohérence.

Vous avez été la première banque à adopter le statut d’Entreprise à mission. Qu’est-ce que cela apporte de plus ?

Nous sommes une entreprise à mission depuis 2021. Nous avons choisi une Raison d’Être : « Ensemble, écouter et agir ». Être entreprise à mission est un engagement : c’est changer les statuts, c’est mettre en oeuvre les missions et les contrôler, via un organisme tiers indépendant qui vérifie, tous les deux ans, si nous respectons le cadre de nos missions. Ce choix n’est pas celui de la communication, il est fondamental car il a permis à notre banque coopérative et mutualiste d’aller plus loin et notamment, d’être dans la preuve. Cela nous a permis de passer d’un mutualisme incantatoire à un mutualisme concret et de la preuve. Quelle est la première mission de notre entreprise ? Rendre le meilleur service possible à ses clients et à ses sociétaires. Mais aussi : veiller au développement et à la solidité de l’entreprise et de l’emploi de nos 77 000 salariés. C’est aussi contribuer au bien commun.

Le bien commun est au coeur du lancement du dividende sociétal. Qu’est-ce que cela change pour vos collaborateurs, vos clients, vos sociétaires ?

Lorsque l’on a travaillé sur le plan stratégique 2024, on souhaitait trouver « l’aboutissement » de cette notion de respect du bien commun de l’entreprise à mission. Et c’est là que nous sommes tombés sur cette idée de dividende sociétal. Chaque année, nous nous sommes engagés à affecter 15% du résultat net consolidé au dividende sociétal. Cela nous permet de travailler dans la durée. Ce dividende sociétal a trois axes : le premier nous permet l’investissement dans les entreprises ou projets à impact sociétal et environnemental fort. Le deuxième axe est d’avoir des pratiques commerciales disruptives. On sort du marché pour accompagner nos sociétaires- clients du point de vue de la solidarité. J’en veux pour preuve notre décision de supprimer pour nos sociétaires-clients fidèles le questionnaire de santé pour les demandes de prêt pour acquérir une résidence principale, des prêts jusqu’à 500 000 euros par emprunteur (1 million d’euros à deux). Chez nous, il n’y a plus de discrimination par rapport à l’état de santé dans l’accession à la propriété. De même, quand on met en place un prêt vélo à 0 %, on encourage nos sociétaires et clients à opter pour un nouveau mode de déplacement. La solidarité c’est aussi les prêts étudiants à 0 % pour ne pas renoncer à des études supérieures en raison du coût de la scolarité. Enfin, le troisième volet concerne le mécénat et l’accompagnement de la vie associative qui est essentielle dans notre société. C’est un endroit d’inclusion, de cohésion sur les territoires. On veille à être présents en proximité et au niveau national.

Avez-vous le sentiment qu’avec ces actions vos collaborateurs savent pour qui ils travaillent ?

Bien sûr, c’est une vraie source de satisfaction de voir que leur entreprise, au-delà d’être performante, fait ce partage de la valeur avec la société. Le dividende sociétal a été lancé le 5 janvier 2023. Quelques jours après, il y avait les voeux. De nombreuses personnes sont venues spontanément vers moi avec enthousiasme.

Vos conseillers bancaires et leurs managers n’ont pas de part variable. Quel impact sur la performance, l’expérience collaborateur, l’expérience client ?

Pour dire la vérité, il n’y avait plus de part variable depuis longtemps. Il y en avait au CIC. On l’a supprimé il y a une dizaine d’années. Cela s’est fait sans heurt et cela n’a pas nui à la qualité de la relation et sans impact sur la performance. Chaque client doit aujourd’hui avoir un conseiller dédié et non commissionné.

Cela n’a pas été un inconvénient pour les nouvelles recrues ?

Au contraire. Lorsque je discute avec nos équipes RH. Ce sont des éléments qui donnent envie. Le fait que nous soyons une banque engagée a un effet très positif. Le fait de ne pas avoir de variable n’est absolument pas un frein.

Le Crédit Mutuel est donc la seule entreprise à ne pas avoir de difficultés de recrutement ?

Nous en avons comme tout le monde. Certains métiers sont en tension : ingénieurs, informaticiens, contrôleurs, spécialistes de la conformité… Mais dans ce contexte de recrutement difficile, nous avons des atouts. Lorsque les salariés viennent chez nous, ils nous disent que nos valeurs et engagements comptent.

Quelle est votre politique en matière de formation continue, de développement professionnel de vos collaborateurs ?

C’est complètement notre ADN. Mes prédécesseurs ont créé un centre de formation en 1971, un lieu emblématique du groupe à 30 km à l’est de Strasbourg. Depuis toujours, la formation est une clé dans la vie des collaborateurs car, chez nous, un salarié peut passer de conseiller accueil à directeur. C’est aussi pour nous une manière d’accompagner au mieux nos clients. Et nous ne nous limitons pas à former nos salariés. Nous avons également des actions de formation de nos élus mutualistes, avec une université mutualiste. Nous avons un diplôme d’administrateur bancaire mutualiste, délivré par l’université de Strasbourg. Et j’aimerais revenir sur la fonction de directeur de caisse de Crédit Mutuel et directeur d’agence du CIC : avant d’accéder à cette fonction, il y a six mois de formation. L’apprenant est sorti de son quotidien pour partir en immersion dans sa formation. C’est une opportunité exceptionnelle qui apporte d’importants taux de satisfaction. Vous savez, les formés d’aujourd’hui sont les cadres de demain, c’est important de s’en souvenir.

Les employés bénéficient-ils de programmes de bien-être attractifs, reflétant la nature mutualiste de l’entreprise ? Nous avons la conviction que vies professionnelle et personnelle ne sont pas contradictoires. Nous avons eu un directeur général de la confédération nationale du Crédit Mutuel, qui, lorsqu’il a eu une naissance dans son foyer a pris 6 mois de congés. Ce fut exemplaire. La valeur symbolique est très forte. De la même manière, nous veillons à ce que les collaborateurs qui ont un engagement associatif puissent l’exercer au mieux. En 2024, nous avons été l’un des acteurs de la grande cause nationale pour l’activité physique et sportive. Nous l’avons décliné sur notre intranet, pour inciter nos collaborateurs à maintenir une activité physique et sportive.

L’attention à l’égard des collaborateurs et à l’égard des clients fonctionne-t-elle en miroir ?

J’espère ! J’ai récemment rencontré un panel de clients, la première chose que l’on m’ait dite c’est que l’attention de leur chargé de clientèle était optimale. C’est logique : l’ensemble des outils dont dispose le chargé de clientèle est orienté relation client. Grâce à l’Intelligence Artificielle, je peux vous dire qu’un chargé de clientèle est mieux préparé à recevoir son client qu’il y a 20 ans. L’expérience client s’exprime par une très forte digitalisation de la relation mais aussi dans la relation physique. Une approche multicanale est proposée et c’est le client qui choisit.

En tant qu’acteur mutualiste, comment le Crédit Mutuel soutient-il les petites entreprises, les artisans et les agriculteurs dans les régions françaises ?

Notre savoir-faire est de les accompagner au mieux, avant que les soucis arrivent… Chaque entreprise, chaque agriculteur doit être traité en fonction de ses spécificités. Les chargés d’agriculture connaissent bien leurs clients, ils sont sur le terrain. Plus de 90 % des décisions de crédit dans une caisse de Crédit Mutuel se font sur place. Sans avoir à remonter au niveau national.

Présider une entreprise mutualiste : quelle est la valeur ajoutée ? Peut-on parler de supplément d’âme dans la fonction ?

J’ai été élu Président en avril 2024 avec un engagement fort envers le Crédit Mutuel, ses valeurs et sa stratégie. Au Crédit Mutuel Alliance Fédérale, nous avons un plan stratégique qui a une dénomination en trois mots : Ensemble, Performant, Solidaire.

Donc, votre Raison d’être personnelle colle parfaitement avec celle de votre Groupe … Mais si vous pouviez nommer votre mission de vie autrement qu’avec les termes de communication du Crédit Mutuel ?

Pour moi c’est l’engagement. Dans toutes mes activités. On doit se donner pour l’entreprise et pour les autres. Je suis rentré au Crédit Mutuel lorsque j’étais très jeune et c’était un engagement et je continuerai à m’engager au-delà de mes fonctions au Crédit Mutuel. Récemment, j’étais au forum national des associations et j’ai rencontré des partenaires du Crédit Mutuel, ils m’ont dit qu’ils ont du mal à trouver des bénévoles parmi les seniors. J’ai songé à une chose : que l’on mette en relation les futurs retraités avec des organisations comme France Bénévolat.

Dans sa forme la plus élémentaire, le mutualisme est né au XIXe siècle, avec, déjà, l’accent sur des valeurs telles que la solidarité, la coopération et l’entraide, un environnement de travail souvent plus éthique. C’est ce que demandent aujourd’hui les collaborateurs de 2024… Avez-vous le sentiment, d’être du bon côté de l’Histoire ?

J’en suis certain et notamment grâce aux mesures que l’on a prises. Le mutualisme par la preuve, comme j’aime le nommer est l’avenir. Le fait d’être devenu entreprise à mission, d’avoir pris des engagements a été déterminant. Nous avons transformé le mutualisme en un outil moderne et innovant.