Cause des addictions : le multifactoriel comme approche

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Aborder la problématique des addictions au travail comme relevant d’une cause unique serait une erreur.

Par F rederique Jacquemin

Si les exigences de productivité, les responsabilités élevées, les horaires atypiques, le harcèlement moral ou un environnement toxique peuvent générer une pression et un stress des plus importants, les raisons susceptibles de pousser certains employés à se tourner vers des substances addictives sont souvent multiples. Les difficultés professionnelles peuvent ainsi être couplées à des épisodes de vie personnelle où le collaborateur est ébranlé par un deuil, une séparation, de la maltraitance, des difficultés financières… A un contexte sociétal perçu et vécu comme anxiogène sur de nombreux aspects (crises sanitaires, guerres planétaires, périodes d’inflation et de pouvoir d’achat en berne…). Ou encore à des prédispositions psychologiques (génétiques, traumas familiaux) susceptibles d’inciter plus facilement certains profils à chercher du réconfort dans des substances psychoactives telles que le tabac, l’alcool, le cannabis, la cocaïne, ou encore les médicaments psychotropes (anxiolytiques), soit les addictions les plus courantes observées dans le monde du travail. Le travail, protecteur ou incitateur ? Les conduites ou les maladies addictives dans le monde de l’entreprise ne doivent donc pas être considérées sous le prisme de la cause unique, mais bien comme un grand Tout multifactoriel. Et si nombre de dépendances peuvent effectivement trouver leurs racines dans le cercle de la vie privée, les problèmes rencontrés dans la vie professionnelle sont susceptibles de venir les aggraver. C’est ce que pensent 73,2 % des professionnels de santé au travail interrogés en novembre 2021 par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) dans le cadre d’une étude.

Quand la majorité des sondages s’accorde à démontrer qu’en matière d’addictions, le travail se révèle protecteur plutôt qu’incitateur, les spécialistes établissent bien l’existence d’un lien entre travail et consommation de substances psychoactives. L’entreprise, reflet des tendances addictives de la société Ce lien doit sans doute aussi se penser à un niveau plus global, en observant les tendances sociétales. Selon une étude publiée en juin dernier par l’Observatoire des drogues et des conduites addictives (OFDT), le nombre de Français (18 à 75 ans) qui recourt à un usage quotidien ou occasionnel de produits psychoactifs est en très nette augmentation. Établi à 42% en 2017, il passait le cap des 50% en 2023, « quelle que soit la substance psychoactive, et notamment pour les stimulants ». Un Français sur deux consommerait (ou aurait déjà consommé) du cannabis, quand la prise de cocaïne toucherait près d’un adulte sur dix (particulièrement les 25-44 ans), une drogue dure dont la consommation a tout simplement doublé en l’espace d’une poignée d’années pour concerner 10% de la population. Des phénomènes qui s’expliquent notamment par la banalisation des usages, particulièrement chez les jeunes, une disponibilité aisée des produits, des « prix cassés », et une santé mentale des Français qui ne fait globalement que se dégrader, à en juger les baromètres successifs édités par Santé Publique France. +45% d’addictions en entreprise chaque année Le monde de l’entreprise, en tant que microcosme sociétal, ne fait donc pas exception à cette trame de fond, s’en faisant le reflet. Selon la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA), l’usage de substances psychoactives et les pratiques addictives chez les salariés, comme chez les agents de la fonction publique, se répand chaque année un peu plus. 45 % de la population active (tous métiers confondus, ceux baignant dans la relation avec le public étant les plus à risque) seraient concernés à ce jour. Une progression qui s’observe particulièrement depuis le confinement de 2020, marqué par la distanciation sociale, le travail isolé et le télétravail. Des facteurs qui favorisent particulièrement la consommation de substances illicites, selon une étude menée sur le sujet par l’INRS en novembre 2021, aux côtés des risques psychosociaux (RPS), des horaires atypiques, des pots en entreprise et des séminaires. Du « workaholisme » au « blurring » Aux côtés du tabac, de l’alcool, du cannabis et de la cocaïne, d’autres addictions, plus sournoises, peuvent également toucher les actifs. La dépendance au travail ou « workaholisme », que l’INRS décrit comme « un investissement excessif d’un sujet dans son travail et une négligence de sa vie extraprofessionnelle ». Une « drogue » dont l’une des causes est à trouver du côté de la recherche de performance, de l’obligation de répondre à des exigences de productivité ou encore de s’inscrire dans un climat de compétition entre salariés. Une addiction qui peut être renforcée par le « blurring » ou l’utilisation abusive d’outils numériques, en « floutant » les frontières entre temps privé et temps professionnel. Deux pratiques psychostimulantes en soient que les 85% de dirigeants (4) d’entreprises qui se disent préoccupés par les questions de toxicomanies et leurs impacts au travail vont certainement être amenés à appréhender dans le cadre de leur politique de santé au travail.l