B Corp : la communauté de l’exigence
Le label américain promeut depuis plus de 15 ans les entreprises à impact et anime une communauté de sociétés œuvrant pour une économie plus inclusive, équitable et régénératrice. Le directeur général de B Lab France, Augustin Boulot, nous explique ses valeurs et ses principes, qui séduisent de plus en plus d’entreprises dans le pays.
Être non pas les meilleures entreprises au monde, mais les meilleures entreprises pour le monde, les personnes qui y vivent et l’environnement. Voilà le leitmotiv de l’organisation à but non lucratif B Corp (pour Benefict Corporation), fondée en 2006 par trois entrepreneurs américains convaincus que l’ultra-financiarisation de l’économie n’était ni durable, ni souhaitable. Ils ont ainsi souhaité certifier les entreprises intégrant des objectifs sociaux, sociétaux et environnementaux dans leur mission et leur modèle économique, mais aussi dans leurs effectifs, produits et services. Leur but : constituer une communauté d’organisations qui pourront échanger, partager et collaborer, tout en se faisant les ambassadrices d’une nouvelle économie, bénéfique pour le bien commun et toutes les parties prenantes, et non pas seulement pour les actionnaires.
Ce modèle n’a pas tardé à s’exporter en dehors des États-Unis, et l’ONG est désormais implantée dans près de 80 pays, avec aujourd’hui plus de 4 000 entreprises certifiées. La première entreprise française à avoir été labellisée, dès 2014, est le cabinet de conseil Utopies, qui a porté le mouvement jusqu’en 2019, date de la fondation de B Lab France, l’association de loi 1901 chargée d’animer la communauté dans le pays. Pour Augustin Boulot, son directeur général, « la prise de conscience est là », et le constat est clair : « Aujourd’hui, toute entreprise qui pense pouvoir s’affranchir de ces défis-là et ne pas travailler sérieusement sur son impact social et environnemental et la valeur qu’elle est capable de créer, non pas seulement pour ses actionnaires mais pour l’ensemble de ses parties prenantes, ne survivra pas. B Corp permet de donner beaucoup plus de résilience aux entreprises parce qu’elles prennent soin de leurs parties prenantes et de leurs écosystèmes, pour les renforcer et les rendre beaucoup plus résilients face aux crises. »
Un questionnaire et un audit très rigoureux
Si chaque antenne nationale de B Corp conserve son indépendance et ses particularités locales, elles restent liées par un référentiel commun, le BIA (pour Business Impact Assessment). Accessible gratuitement en ligne, ce questionnaire permet aux entreprises d’auto-diagnostiquer en profondeur leur organisation à travers un minimum de 200 questions. « C’est vraiment un 360 sur tout le fonctionnement de l’entreprise », précise Augustin Boulot. Mis à jour tous les 3 à 4 ans pour conserver un très haut niveau d’exigence, le BIA est organisé autour de 5 grandes familles de parties prenantes ; la gouvernance, les collaborateurs, la communauté, l’environnement et les clients. Mais ne devient pas B Corp qui veut : avec une note moyenne de 55 et une note minimale de 80 pour pouvoir demander la certification, seules 5 % des entreprises répondant au questionnaire obtiennent le précieux sésame.
C’est la raison pour laquelle les candidates préparent leur BIA pendant de longs mois. Un travail « collaboratif » pour le DG de B Lab France : « Les plus grandes entreprises mettent souvent en place un collectif et procèdent avec des référents par métier, par service, par grande famille de partie prenantes. Il y a beaucoup d’engouement autour de ce genre de projets. Pas mal d’entreprises s’appuient aussi sur un peu d’aide externe, pour les aider à structurer le projet, mais aussi pour apporter un regard de challenge, pour les pousser à aller plus loin et à ne pas lâcher. » En plus des cabinets de conseil labellisés B Corp, il est possible de faire appel à des B Leaders, des consultants indépendants formés au questionnaire et aux valeurs du label.
Après l’obtention de la note minimale, vient le temps de l’audit, mené par des membres de B Lab Global. Ces auditeurs vérifient tous les documents devant être présentés par les entreprises pour justifier leurs réponses. Ils s’intéressent aux questions opérationnelles, mais aussi au modèle d’affaires de l’organisation. Celui-ci est au cœur du projet B Corp, comme l’explique Augustin Boulot : « Le message que l’on veut faire passer c’est que les sujets d’impact sociaux et environnementaux ne passent pas que par des politiques RSE très ambitieuses. La RSE c’est bien, mais c’est aujourd’hui largement insuffisant. Il faut que les entreprises fassent un travail de réflexion profonde sur leur business model. » De même, B Corp attend que l’entreprise entérine cette volonté de transformation en amendant ses statuts juridiques.
L’interdépendance en action
Une fois certifiée B Corp pour une durée de 3 ans, l’organisation peut rejoindre la communauté d’entreprises qui portent le mouvement en France. Elles sont aujourd’hui 240 dans le pays, de toutes tailles et de tous secteurs, et forment une association basée sur l’« interdépendance ». « L’interdépendance, c’est se tirer les uns les autres vers le haut, affirme le DG de B Lab France. Ça peut avoir des implications très business, avec des partenariats fournisseurs-clients, ou pour répondre à des appels d’offres en commun. On est parfois étonnés de retrouver au sein du mouvement des entreprises qui sont soit disant en compétition et qui trouvent le moyen de travailler ensemble. Il y a aussi le sentiment de venir partager ce qu’on fait, s’inspirer les uns les autres. Il y a beaucoup de groupes de travail sur différentes thématiques, une sorte d’émulation qui existe dans cette communauté grâce à l’interdépendance. »
L’un des plus grands acteurs de cette « famille d’entreprises » n’est autre que Danone, qui a peu à peu fait certifier ses diverses entités françaises (Les Prairies Bio, Blédina, Volvic, Evian, etc.) pour devenir, en France, 100 % B Corp. « Une chose que j’aime beaucoup dans ce mouvement, même si c’est l’élément le plus difficile à conserver, c’est de réunir un acteur comme Danone et des acteurs comme « La Ruche qui dit oui ». C’est pas toujours évident, on a parfois des discussions difficiles, mais c’est comme ça aussi qu’on arrive à avancer. » Augustin Boulot souligne au passage l’implication d’Emmanuel Faber, ancien DG de Danone, « qui a montré que même pour les grosses entreprises, c’était possible d’aller sur ces sujets là. Si on a des grandes entreprises qui viennent et qui se plient à nos exigences, c’est qu’on est en train d’aller dans la bonne direction. »
Une certification victime de son succès ?
Les avantages que tirent les entreprises d’une telle démarche sont nombreux. Label reconnu sur de grands marchés étrangers, B Corp est un passeport permettant de s’exporter et de se développer à l’international. Il permet également de mieux s’adresser aux consommateurs, mais aussi aux investisseurs : « Tous ces sujets sont de plus en plus regardés par les fonds d’investissement, et B Corp est un énorme gain de temps parce qu’il suffit de démontrer qu’on a obtenu le label pour s’éviter des mois de diligence par les fonds d’investissement, de plus en plus nombreux à exiger que les entreprises aient obtenu une sorte de distinction sur ces sujet, précise Augustin Boulot. Ils sont aujourd’hui de plus en plus prêts à accepter des rendements moins élevés mais qui vont être beaucoup plus sûrs, beaucoup plus durables, et le label est gage de cela.»
Du côté de la marque employeur, le label B Corp a aussi un fort impact, tant sur la fidélisation des collaborateurs que sur l’attrait de nouveaux talents : « De plus en plus d’entreprises nous disent que c’est un vrai avantage dans le recrutement. De temps en temps, on reçoit des sollicitations de jeunes diplômés qui nous demandent la liste des 240 B Corp en France ; ça va être leur liste de prospection pour leur futur métier. »
Enfin, les demandes de certification ont fortement augmenté depuis 2019[i] et ne se sont pas taries avec la crise sanitaire. Bien au contraire, « le Covid a été un énorme accélérateur, selon le DG de B Lab France, parce que les entreprises se sont rendues compte qu’elles n’étaient pas infaillibles, et que les marchés dans lesquels elles opéraient n’étaient pas infaillibles. » Le revers de cette accélération des candidatures est l’allongement de la file d’attente pour passer l’audit, estimé à plus d’un an, une situation à laquelle B Corp tente de remédier en formant plus d’auditeurs en interne et en externalisant, toujours avec des société B Corp, certaines parties du parcours d’audit. S’il comprend que la situation est « frustrante » pour les entreprises, Augustin Boulot tient à préserver ce qui fait la réussite de B Corp : « Il n’est pas question de brader la certification. Il faut que le niveau d’exigence reste le même, malgré le succès. »
[i] Augmentation de 66% de BIA créés dans la première moitié de l’année entre 2020 et 2022 et augmentation de 166% de certifications attribuées dans la première moitié de l’année entre 2020 et 2022.