Vous avez dit Vulnérabilité ?
Cet automne, les Rencontres « Vulnérabilités en Entreprise » organisées par le Cercle Vulnérabilités & Société ont rassemblé des dirigeants, DRH, experts, chercheurs et acteurs de terrain autour d’une question encore peu explorée dans le monde économique : et si les vulnérabilités individuelles et collectives pouvaient devenir l’un des plus puissants moteurs de collectif et de performance ?
L’équipe du Cercle Vulnérabilités & Société a invité les participants à déplacer leur regard : la vulnérabilité n’est pas un risque à maîtriser ni un défaut à corriger, mais une force à révéler. Parce qu’elle oblige à l’adaptation, qu’elle suscite l’entraide et qu’elle nourrit des savoirs expérientiels uniques, la vulnérabilité peut devenir, selon eux, un véritable levier d’innovation, de cohésion et de résilience organisationnelle. Dans un monde en mutation rapide, marqué par l’incertitude et la complexité, cette capacité à transformer les épreuves en apprentissages devient une ressource stratégique.
La table ronde centrale de la matinée, intitulée :
« Comment vaincre les résistances pour faire des vulnérabilités une force pour les entreprises ? », a donné chair à cette conviction.
Bernadette Dumont Jabberi (TF1) (voir notre interview ci-après), Jean-François Dufresne (Vivre et Travailler Autrement), Alexandre Fayeulle (Advens), Thibaut Guilluy (France Travail), Christian Ploton (Agefiph), Anne-Laure Thomas (L’Oréal France)
Tous ont partagé leurs expériences et convictions. Ils ont souligné que reconnaître les vulnérabilités des collaborateurs, loin de menacer la performance, peut renforcer la cohésion, fidéliser les talents et libérer la créativité.
« Nous avons longtemps cru que la performance reposait sur la force brute, a résumé l’un des intervenants. Pourtant, ce sont nos fragilités qui nous révèlent, qui nous rassemblent et qui nous poussent à innover. »
Cette réflexion s’est prolongée dans trois ateliers-laboratoires qui ont permis de passer des principes aux pratiques.
Le premier atelier portait sur la santé mentale, désormais considérée comme un prérequis des organisations durables. Avec Sandrine Broutin (Fondation Falret) et Éric Bardin (Malakoff Humanis), les participants ont exploré les moyens d’intégrer le bien-être psychique dans tous les temps du parcours collaborateur, du recrutement au management quotidien.
Le second atelier, animé par Myriam Hanifi (PairFormHand Expertises) et Christine Hamot (Total Energies), était consacré à la pair-aidance et à son potentiel managérial : comment identifier, former et légitimer des pairs aidants pour renforcer la cohésion et la performance collective. Enfin, un troisième atelier, mené par Fanny Barbier (Emeis) et Claude Monnier (Industries culturelles), interrogeait les conditions dans lesquelles l’entreprise peut accueillir les vulnérabilités de ses équipes sans fragiliser l’équilibre des collectifs, et comment outiller les managers pour repérer, accompagner et valoriser ces singularités.
5 question à Bernadette Dumont-Jabberi Cheffe de projet Transformation & Gouvernance Direction des technologies à TF1
Vous avez raconté avoir essuyé plus d’une centaine d’entretiens infructueux avant de retrouver un poste. Comment cette expérience a-t-elle changé votre regard sur la vulnérabilité et la manière dont les entreprises perçoivent le handicap ?
J’ai effectivement passé énormément d’entretiens, dont une grande majorité s’est soldée par des refus liés à la discrimination. Cette expérience a renforcé mon regard sur la vulnérabilité plutôt que de le changer. Elle m’a permis de mesurer à quel point les mécanismes d’exclusion peuvent être insidieux, même dans des environnements qui se disent inclusifs. On se rend compte qu’au moment où la personne découvre la réalité du handicap, le regard bascule : on n’est plus perçue comme une professionnelle, mais réduite à une étiquette. Cela m’a donné une approche plus humaine, plus équitable du monde du travail. Ce que j’ai vécu a été une claque, bien sûr, mais aussi une source de force. Une force nouvelle pour porter la voix des personnes en situation de handicapet encourager un autre regard sur nos compétences.
Selon-vous, qu’est ce-que qui explique encore aujourd’hui la peur d’embaucher une personne en situation de handicap, et comment faire évoluer faire évoluer durablement ces représentation ?
Je pense qu’il s’agit avant tout d’une peur de l’inconnu. Beaucoup d’adultes n’ont jamais côtoyé de personnes handicapées et se sentent maladroits. Pourtant, à un moment donné, on choisit aussi d’être un être humain avec un grand H, d’accueillir l’autre avec intégrité et respect. Il faut déconstruire cette peur à travers l’éducation et la sensibilisation. Tant que l’accessibilité ne sera pas réelle, qu’il s’agisse d’un trottoir, d’un cinéma ou d’un lieu de travail, on continuera de renvoyer les personnes handicapées à une position « hors de la société ». Les Jeux Olympiques et Paralympiques ont permis d’ouvrir un peu les esprits, de montrer des modèles, mais sur le terrain, les rampes et les ascenseurs restent souvent inaccessibles. Le changement durable passera par la conscience, pas seulement par la communication.
« Tant que l’accessibilité ne sera pas réelle, on continuera de renvoyer les personnes handicapées à une position hors de la société ».
En tant qu’Ambassadrice Diversité et Handicap, comment transformez-vous votre vécu personnel en levier d’action pour favoriser une inclusion réelle et non simplement déclarative ?
Je me suis engagée assez tard, vers 2022-2023, après avoir pris de plein fouet la réalité de la discrimination à 40 ans, malgré vingt ans de carrière. J’ai eu un déclic : puisque j’avais surmonté tout cela, autant mettre cette énergie au service des autres. Mon engagement repose sur la sensibilisation, pas sur la punition. Je ne cherche pas à faire « tomber » un restaurateurou un employeur mal informé, mais à lui faire comprendre, à le faire évoluer. Parce que sinon, il en tirera une généralisation négative sur « les personnes handicapées ». Je crois profondément à l’éducation, à la parole, aux conférences, à la transmission. C’est ainsi qu’on construit une culture inclusive durable, pas avec des sanctions.
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux dirigeants qui pensent encore que la vulnérabilité fragilise la performance plutôt que de la nourrir ?
Je leur dirais que la vulnérabilité n’est pas un frein, mais un accélérateur de performance. Une équipe où chacun peut être pleinement soi‑même est plus loyale, plus soudée, plus efficace. Accepter la vulnérabilité, c’est donner la possibilité à l’humain de s’exprimer, et donc à l’intelligence collective de se déployer. Ce n’est pas un signe de faiblesse, c’est une formidable opportunité de progrès.