Francois Thuilleur, PDG de GPO – Fédérer pour performer : la stratégie d’un Phénix
De la survie à l’ambition européenne, François Thuilleur a fait de GPO, numéro 1 français de l’hygiène professionnelle, dont le siège est basé dans la région lyonnaise, un symbole de renaissance industrielle et de cohésion collective. Quand la co-construction nourrit autant la performance économique que l’attractivité de la marque employeur.
Vous parlez souvent d’« aventure collective ». En quoi cette vision guide-t-elle votre culture managériale et votre promesse employeur ?
Une ETI, c’est un hors-bord : plus maniable qu’un grand paquebot du CAC40 et plus outillée qu’une PME. On peut réellement pivoter. En 2017, nous étions au bord du dépôt de bilan ; nous avons lancé le Plan « Défi 2022 » pour redevenir la référence de notre marché de l’hygiène professionnelle. Objectif atteint, puis le Plan « GPO n°1 » pour devenir leader en France … fait également ! Désormais, cap sur le Top 3 européen d’ici huit ans, avec un chiffre d’affaires long terme visé autour d’un milliard (443 M€ aujourd’hui). Ce cap ambitieux, concret, partagé avec toutes les parties prenantes, est plus mobilisateur qu’un +3 % annuel sans horizon.
Comment préservez-vous la culture d’entreprise tout en ouvrant ce nouveau cycle de croissance ?
D’abord en allant au contact. Mes deux premières années : 33 visites terrain sur 9 sites. J’ai croisé des équipes qui connaissaient finement les clients ; nous avons marié ces forces internes avec des compétences neuves (digital, supply, RH, finance). L’objectif commun, « devenir la référence », a fédéré et donné du sens aux efforts.


L’ouverture du capital aux salariés est un marqueur fort. Quel impact sur l’engagement ?
En 2021, j’ai remis physiquement une carte d’actionnaire aux 400 collaborateurs répartis partout en France. C’était symbolique… et structurant. Nous ne sommes pas cotés ; la valeur de nos parts de FCPE est expertisée par nos CAC. Tant que l’EBITDA progresse plus que la dette nette, la valeur suit. Des collaborateurs ont investi pour financer des projets personnels ; certains ont déjà vu l’action passer d’environ 200 € à plus de 500 €. Surtout, le message est clair : on est dans le même bateau.
Vous avez co-construit les plans avec les équipes. Qu’avez-vous appris de cette démarche ?
En 2018, 33 personnes (France/Italie, profils variés) ont travaillé six mois, franc-parler obligatoire ! 90 % des idées ont été retenues : c’est devenu « Défi 2022 ». L’adhésion a été exceptionnelle. Pour « GPO n°1 », plus de 100 personnes ont travaillé au 15 équipes transverses (RSE, marché de la santé, en- gagement des collaborateurs…), produisant environ 200 pages de stratégie sans cabinet de consulting. Quand ça vient des équipes, l’exécution est plus fluide. Mon rôle : fixer l’ambition et challenger et m’assurer ensuite avec mon équipe proche du Comex de la bonne exécution du Plan.
RSE, Made in France : est-ce décisif pour attirer les talents, notamment les plus jeunes ?
Oui, et pas seulement pour attirer : pour être fiers de ce qu’on construit. Le profit est important pour la survie d’une ETI mais ce n’est pas une fin en soi et il ne doit pas s’opposer à l’éthique. On cherche l’équilibre entre actionnaires, collaborateurs, clients, fournisseurs, territoires, environnement. Concrètement : toitures photovoltaïques (Rennes), participation à une ferme solaire près de Lyon pour alimenter l’usine, site toscan largement autonome en énergie. Économiquement, le ROI peut paraître long, mais c’est cohérent avec l’héritage que nous voulons laisser.
Vous évoquez parfois une dimension spirituelle de votre leadership. Quel rôle joue-t-elle ?
Je ne parle pas de religion en interne, car comme la politique, c’est un sujet qui peut diviser. Le rôle d’un PDG est certes de challenger mais en même temps de fédérer autour d’un projet. Ce qui m’importe, c’est l’éthique : ce voyant rouge interne qui s’allume quand quelque chose n’est pas « clean ». L’éthique se voit surtout dans les moments difficiles, par exemple lors d’une fin de collaboration : je crois aux deuxièmes chances, et quand la rupture s’impose, on accompagne correctement. C’est là que se jugent nos principes.
Comment travaillez-vous l’attractivité des métiers industriels que vous recrutez ?
Nous recrutons dans un bassin lyonnais en quasi-plein emploi, avec des tensions fortes sur la maintenance et la conduite de ligne. La France a longtemps survalorisé les filières générales au détriment de l’apprentissage. Or ces métiers offrent de vraies carrières et de niveaux de rémunération meilleurs que dans le service. Notre réponse : investir, former et montrer des usines qui innovent, même quand le contexte est complexe économiquement.
Justement, la formation : comment organisez-vous la montée en compétences ?
Nous avons créé la GPO Academy dédiée à la formation. Après l’acquisition d’ORAPI, notre première décision sous l’impulsion de notre nouvelle DRH fut de former près de 200 managers via le GPO Leadership Program pour homogénéiser les pratiques et sécuriser la montée en puissance. C’est un pilier de notre marque employeur.
Dans le contexte macro (réglementaire, politique), quel état d’esprit adoptez-vous ?
Fédérer est un effort quotidien, surtout en période agitée où l’on doit prendre en responsabilité des décisions difficiles pour préserver le collectif. Plutôt que de ruminer ce qu’on ne maîtrise pas, on se concentre sur nos leviers d’action : gagner des parts dans un marché français de l’hygiène en recul, investir 12 M€ sur trois ans dans nos usines, innover, exporter davantage et aussi économiser, ce mot n’est pas tabou. L’objectif reste le même : construire une performance durable, collective et digne.

