Mettre l’âme au cœur du business
De la formulation de la raison d’être à la réalité vécue par les collaborateurs, il existe un fil rouge : celui de l’alignement entre valeurs, mission et management. Quand cet alignement s’incarne, il devient une force stratégique autant qu’un levier d’engagement.
Dans la préface de Pour un leadership spirituel assumé, éloge de l’authenticité (éditions Eyrolles), Jean-Dominique Senard écrit : « Raison d’être et mission seront de plus en plus le miroir de l’engagement des dirigeants. » Il est clair que la raison d’être nourrit l’envie d’être de chacun. La raison d’être n’est pas un exercice de communication ou de marketing, contrairement au spectacle souvent affligeant de beaucoup d’entreprises à la recherche de la bonne formule. Au moment où tout est com et punchline, la raison d’être devient une vitrine publicitaire, alors même qu’elle est l’âme de l’entreprise, l’élément de transcendance qui permet d’unir vers un même objectif. Cette notion de transcendance est la grande absente des relations humaines en entreprise, où l’on se contente trop souvent de penser au niveau du plancher des vaches pour évoquer le vivre et le faire ensemble. Dans le cadre de la création d’une entreprise, la raison d’être est à la fois la feuille de route, la croyance et l’espérance qui vont nourrir la mission. Dans une entreprise établie, elle s’apparente à l’ADN, censé unir toutes les parties prenantes. Que l’entreprise soit une PME ou une multinationale, la raison d’être est le miroir de l’ambition humaine de l’équipe dirigeante. Ambition humaine à travers la valeur ajoutée des produits et/ou des services proposés, mais aussi de la stratégie de relations humaines internes portée par un management culturel aligné. La raison d’être, qui nourrit la marque et donc la marque employeur, doit être présente dans le dicible et l’indicible de l’entreprise. Pourtant, rares sont les DRH à en faire la colonne vertébrale de leur stratégie RH. Pourquoi ? Face au cloisonnement des grandes organisations, la conception d’une raison d’être est souvent confiée à la communication ou au marketing, et devient une carte de visite corporate plus qu’une boussole. D’une dimension spirituelle, elle se voit cantonnée à la cosmétique institutionnelle. De fait, elle n’offre que rarement une feuille de route RH, alors que c’est exactement sa finalité : au nom de notre raison d’être, qui devons-nous recruter ? La raison d’être dépasse le recrutement par les compétences, au profit d’une adhésion culturelle.
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Au nom de notre raison d’être, comment devons-nous recruter et intégrer, quel est notre modèle de management et de leadership ? Elle inspire les règles managériales, les us et coutumes du vivre-ensemble ;
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Au nom de notre raison d’être, comment encourageons-nous la performance ? Elle qualifie l’éthique de l’entreprise et aligne les paroles sur les actes.
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Au nom de notre raison d’être, quel système de reconnaissance et de rémunération devons-nous mettre en place ? Elle valorise la méritocratie et ceux qui portent fièrement le maillot ;
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Au nom de notre raison d’être, comment gère-t-on la non-performance ? L’exigence est le moteur de la raison d’être, par l’engagement qu’elle réclame et l’authenticité qui la porte.
Une entreprise qui n’a pas une raison d’être structurante aura des équipes qui n’incarneront rien… Tout l’enjeu n’est donc pas tant l’expérience collaborateur, mais la capacité donnée à ce dernier d’incarner pleinement la raison d’être de son entreprise. Si l’entreprise est pleinement alignée, si le management incarne un leadership spirituel nourri de sa raison d’être, si les règles du jeu et les droits et devoirs sont connus et reconnus, alors le collaborateur sera confronté, dans son engagement, à sa propre raison d’être intime, à ses convictions profondes. Les deux parties seront dans un rapport gagnant-gagnant, permettant à l’entreprise de performer et à la personne de se réaliser. Michel Serres écrivait : « Donnez des tâches à des gens, vous en ferez des tâcherons ; donnez-leur des fonctions, vous en ferez des fonctionnaires ; donnez-leur des missions, vous en ferez des missionnaires. »
À force de se plier aux injonctions paradoxales d’une époque qui rêve d’un monde de bisounours, on oublie que la vraie ambition est un subtil équilibre entre ses valeurs intimes et celles que l’on représente en tant que salarié. La vraie expérience collaborateur, alignée sur une raison d’être exclusive, renvoie systématiquement à deux notions fondamentales : l’utilité et la considération. Finalement, loin des théories fumeuses, tout ramène à du bon sens relationnel, cet alignement stratégique entre l’humain et la performance.
Ce bon sens impose de débarrasser l’entreprise de tous les artifices de communication au profit d’une réalité humaine authentique.
La direction, par son exemplarité et son humilité, reste la boussole de l’engagement. Le management n’est pas l’expression des égos, mais bien le don de soi au service du potentiel des autres. Les valeurs et les règles de vie deviennent un contrat moral, véritable pacte à durée indéterminée. La contribution à la performance collective doit être autant valorisée que la performance individuelle. Ce bon sens exclusif gère le quotidien par des rites de vie qui rythment la vie de chacun au sein de l’entreprise-tribu. Ce sont ces rites culturels qui donnent pleinement vie à la raison d’être et font qu’une expérience collaborateur est réussie, ou non.