Entreprise saine, gage d’un esprit sain ?

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A l’image du burn-out, la dépression n’est pas reconnue comme un trouble professionnel en soi. Pourtant, elle concernerait 15% des français au cours de leur carrière. Si la santé mentale ne peut s’évaluer en fonction du seul prisme professionnel, le travail représente bien un facteur qui peut l’affecter, de façon positive comme négative.

Par Frédérique Jacquemin

Quoi de plus complexe que la santé mentale ? Si ses contours sont encore flous et que nombre de ses mécanismes restent incompris, tout au moins les spécialistes du genre s’ac- cordent-ils à reconnaître qu’être en bonne santé mentale, c’est « se sentir bien et s’accomplir ». Soit, se trouver dans un état de bien-être indispensable à la bonne santé (selon l’OMS, il n’y a pas de santé sans santé mentale) qui offre la capacité de surmonter les difficultés de la vie quotidienne, de relationner avec les autres, de contribuer à la vie sociétale, ou encore d’étudier et de travailler. A ce titre, le travail est d’ailleurs souvent per- çu comme un élément favorable à l’équilibre psychique, procurant un statut social, stimulant la confiance en soi et les sentiments d’utilité et d’accomplissement. Offrant, aus- si, un cadre structurant et le moyen de sub- venir à ses besoins par la rémunération qu’il procure. Suscitant, encore, un sentiment d’appartenance à une communauté. Quand il se révèle positif, il peut même contribuer au rétablissement et à l’inclusion de per- sonnes en situation de santé mentale fragile, à revaloriser leur estime d’elles-mêmes et à les réintroduire socialement. Pour autant, le monde de l’entreprise n’est pas synonyme d’un havre de paix : situations stressantes, relations humaines difficiles voir toxiques, charges et rythmes excessifs, manque de re- connaissance ou placardisation… sont sou- vent légion. Et représentent autant de fac- teurs qui peuvent conduire au « mal être au travail », burn out en tête, ou accentuer les états dépressifs et anxieux existants.

Un cadre de travail sûr et sain
Disposer d’un cadre de travail sûr et sain est considéré comme un droit fondamental de- puis 2022, suite à son intégration par l’Orga- nisation internationale du travail (OIT) aux principes et droits fondamentaux au travail. Tout employeur y est légalement tenu en tant que responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés. Une obligation qui trouve gé- néralement sa place dans les risques psycho- sociaux et la qualité de vie et les conditions de travail (QVCT), mais aussi dans les valeurs morales portées par l’entreprise. La prise en compte des aspects psychologiques du bien-être des collaborateurs, comme la ges- tion du stress, la prévention du harcèlement et la promotion d’une culture de respect et d’inclusion, en font pleinement partie. Dans l’intérêt de l’employé, mais aussi de l’em- ployeur : un collaborateur dont la santé men- tale est préservée est gage du maintien de la motivation, de performance et de producti- vité, mais aussi de relations entre collègues et hiérarchie harmonieuses. Selon une étude de 2008 menée par le Département de poli- tique de soins de santé à la Harvard Medical School (1), la dépression constitue un prédic- teur puissant, si ce n’est le plus important, de perte de performance professionnelle. Quand ses signes sont radicalement différents de ceux du burn-out, ce dernier peut déclencher une forme de dépression particulière dans la durée, dite dépression d’épuisement.

Un classement français préoccupant

Intervenant du Forum européen de bioéthique de Strasbourg en ce début d’année, Patrick Légeron, psychiatre spécialiste du stress au travail, par ailleurs auteur du rapport remis à Xavier Bertrand lors des suicides à France Télécom, avance que « la France est mal placée dans tous les aspects de la préven- tion des maladies cardiaques et de la santé mentale. » Selon lui, « on nie les suicides qui ont pour cause le travail » et le rôle que celui-ci joue dans le champ de la santé men- tale, enquête de l’Agence européenne de san- té et sécurité au travail à l’appui : parmi les 27 pays de l’Union, le score le plus haut sur le stress au travail est obtenu par la France. A la question “le manager est-il une source de stress ?” Les Français ont répondu oui à

60 % contre 10 % seulement en Norvège. A l’interrogation “l’entreprise se soucie-t-elle de la santé mentale ?”, 38 % des salariés français ont répondu par la négation, contre 19 % en Allemagne. Un classement français que l’expert juge préoccupant, réclamant la reconnaissance du burn-out et de la dépres- sion comme maladies professionnelles, mais aussi la « responsabilisation des entreprises dans les dégâts qu’elles commettent en ins- taurant un principe similaire à celui du pol- lueur-payeur ».

Les troubles mentaux, premiers risques pour les travailleurs

Impliquer les entreprises dans la prise en charge de l’indemnité assurée par la Sécurité sociale, en cas de burn-out mais aussi de dé- pression, fait partie des pistes d’amélioration de la santé mentale au travail avancées par Patrick Légeron. « Le coût pour l’entreprise n’est pas important, alors que les troubles mentaux constituent la première cause d’arrêt de travail, le premier risque pour la santé du travailleur, devant le risque physique. Et il n’est pas financé par les employeurs », dé- nonce celui qui déplore qu’«aucune maladie mentale n’est reconnue dans la liste des ma- ladies professionnelles. Si on dépense un euro pour promouvoir la santé mentale cela évite au final d’en perdre trois. C’est au gouverne- ment de mettre tout cela en place. » Comme, selon lui, il incombe aux pouvoirs publics de mettre en avant les entreprises qui s’intéressent à l’humain, et à l’inverse, d’adopter l’approche anglo-saxonne du “Name and shame” (montrer du doigt et provoquer la honte, ndlr) à l’égard des entreprises dou- teuses : « Si l’on peut prouver qu’un ma- nager fait du harcèlement, que la charge de travail est trop importante, la dépression doit être reconnue comme une maladie professionnelle. Or cette démarche n’est même pas lancée, il existe un blocage au niveau du patronat ». De façon moins radicale, Patrick

Légeron encourage à former les managers à la compréhension du fonctionnement psy- chologique des salariés et invite à en finir avec les dirigeants « flics ou surveillants » au profit d’une gouvernance aidante. La pre- mière étape pour faire face aux troubles an- xieux et dépressifs étant avant tout de savoir les reconnaître. Effets comparatifs et interactifs de la dé- pression par rapport à d’autres problèmes de santé sur le rendement au travail dans l’effectif d’un grand employeur l