JÉRÔME SADDIER, PRÉSIDENT DU CRÉDIT COOPÉRATIF

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Face aux fractures sociales, territoriales et environnementales, Jérôme Saddier, Président du Crédit Coopératif, défend un modèle d’entreprise fondé sur la coopération, l’inclusion et la responsabilité. Il explore les forces et les défis de l’économie sociale et solidaire (ESS) et appelle à un changement d’état d’esprit pour concilier performance économique et impact social et environnemental.

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Est-ce trop schématique d’affirmer que les modèles mutualiste et coopératif représentent l’alternative la plus forte au modèle capitaliste dominant ?

Les modèles mutualistes et coopératifs ne sont sans doute pas des alternatives globales au modèle capitaliste qui domine à l’échelle de la planète, mais ils constituent indéniablement des alternatives viables et pertinentes dans certains secteurs, ce que confirme l’essor de ces modèles dans le monde.

Par exemple, dans la banque de détail en France, les banques coopératives sont majoritaires, contrôlant 54% du marché grâce à des institutions comme le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole, les Banques Populaires, les Caisses d’Épargne ou encore le Crédit Coopératif. Cela s’explique par le fait que ces modèles ont, historiquement, créé le marché qu’elles dominent aujourd’hui, au plus près des besoins des personnes, des entreprises et des territoires. Le statut coopératif présente l’avantage de la proximité en même temps qu’il est assez préservé des soubresauts des marchés financiers.

Il faut cependant constater que la finance souffre parfois d’une mauvaise image, notamment lorsqu’elles abusent des activités spéculatives qui sont rémunératrices mais très risquées. Ce ne sont pas les pratiques des banques coopératives et cela constitue une différence essentielle : là où certaines institutions bancaires classiques alimentent une opinion négative par leurs dérives, les coopératives restent fidèles à leur vocation première, centrée sur le service aux sociétaires et non sur les profits.

Au-delà du monde bancaire, je pense que nous sommes entrés dans un monde qui opposera durablement et violemment d’un côté la compétition sans limites et de l’autre côté le principe de coopération (qui ne se limite pas aux coopératives mais qui s’étend à toutes les activités qui reposent d’abord sur la promotion de ce qui est collectif). Un état d’esprit coopératif est nécessaire pour contrer la compétition effrénée qui caractérise le capitalisme moderne, et qui risque d’intensifier les tensions autour de l’accès à l’eau et aux sources d’énergie, ou encore autour de l’appropriation des métaux rares et précieux. Dans ce contexte, la coopération devient une réponse non seulement plus douce, mais aussi plus juste et durable.

 

Les jeunes et plus globalement les actifs en quête d’impact et de sens ont-ils assez connaissance des solutions proposées par les acteurs de l’ESS ?  

Les jeunes générations perçoivent l’économie sociale et solidaire (ESS) de manière très positive. Selon les enquêtes, 80 à 90 % des jeunes expriment une opinion favorable à l’égard de ce modèle. Cependant, cette adhésion repose parfois davantage sur l’imaginaire positif véhiculé par l’ESS – un modèle juste et inclusif – que sur une compréhension détaillée de ce qu’elle englobe. Cela dit, cet engouement ne se traduit pas toujours par des engagements concrets, parce que chacun fait des choix de vie professionnelle qui peuvent nous éloigner de notre idéal, ou parce qu’entreprendre n’est pas toujours simple, a fortiori dans l’ESS où la question du financement est parfois complexe. Néanmoins, l’intérêt des jeunes pour l’ESS reste une opportunité majeure pour construire un monde économique plus équilibré.

 

Vous mettez en avant l’entreprise comme un lieu d’inclusion et de mixité. Pourriez-vous partager des exemples concrets qui illustrent cette vision ?

Les entreprises de l’ESS, comme le Crédit Coopératif, vont souvent au-delà des obligations légales en matière d’inclusion. Prenons l’exemple des personnes en situation de handicap : tout en respectant leurs obligations d’emploi, ces entreprises mettent souvent en œuvre des actions proactives, notamment pour permettre une évolution des compétences et des parcours professionnels. Parmi les initiatives concrètes, on trouve des acteurs comme Tenzing, un cabinet de conseil associatif qui recrute des jeunes issus de quartiers populaires ou ayant un parcours atypique. Ces jeunes, souvent exclus des « grandes écoles », sont formés pour devenir des consultants de haut niveau. Un autre exemple est Mozaïk RH, cabinet de recrutement qui facilite l’embauche de talents issus de la diversité dans des métiers où ils ne répondent pas forcément aux codes culturels traditionnels des recruteurs.

 

En tant que dirigeant, comment encourager un dialogue constructif entre salariés et partenaires pour créer un environnement réellement inclusif ?

L’inclusion va nécessairement au-delà des obligations légales. Il s’agit avant tout d’initier ou de s’inscrire dans des démarches pro actives, que ce soit en matière de promotion d’égalité de genres, de reconnaissance de la diversité culturelle, de facilitation de l’emploi des personnes en situation de handicap… La société ne s’arrête plus aux portes de l’entreprise, et les sujets à traiter ne sont pas toujours des plus simples, mais les dirigeants doivent savoir créer ou favoriser le dialogue et l’épanouissement de chacun.

 

Vous l’aviez souligné lors de la clôture des Jeux Paralympiques, Paris 2024 a mis en lumière des valeurs d’inclusion et de solidarité. Comment s’assurer que cet élan se prolonge dans la durée, au-delà de l’événement ?

Pour prolonger ces dynamiques, il est crucial de transformer les intentions en actions concrètes, comme développer les compétences des personnes en situation de handicap ou renforcer les achats responsables. Les discours sincères doivent être soutenus par des processus institutionnels durables, à travers des cadres législatifs ou économiques.

 

Comment les entreprises peuvent-elles concilier l’inclusivité et la performance économique sans perturber ni l’un ni l’autre ?

Une solution réside dans l’utilisation des outils d’achats socialement responsables ou des marchés réservés, qui favorisent l’inclusion des personnes. Cependant, ces mécanismes sont encore trop peu utilisés, même parmi les collectivités publiques qui y sont légalement tenues. Ces outils ne relèvent pas uniquement des ressources humaines mais du levier business. Les entreprises doivent reconnaître que leur transformation économique passe par une intégration de ces pratiques inclusives. Les coopératives et les organisations de l’ESS favorisent un dialogue constructif en s’appuyant sur leur proximité avec les territoires et les citoyens. Contrairement aux entreprises traditionnelles, elles ne se limitent pas à une logique marchande ou administrative, mais proposent des solutions adaptées aux besoins locaux, que ce soit en matière de logement, de santé ou d’emploi. Les entreprises traditionnelles gagneraient à intégrer des pratiques issues de l’ESS, telles que la coopération et la mise en valeur des ressources humaines locales. Cela permettrait de concilier performance économique et impact social et environnemental, sans dépendre uniquement de la philanthropie ou des politiques RH.

 

 

Comment le Crédit Coopératif accompagne-t-il les particuliers dans leur transition écologique ?

Nous proposons diverses solutions pour aider les particuliers à réduire leur empreinte carbone. Cela inclut des produits bancaires engagés, des solutions de financement pour des projets d’éco-rénovation ou de mobilité durable, ainsi que des partenariats avec des experts pour optimiser la consommation énergétique. Par exemple, l’application mobile du Crédit Coopératif offre un espace « conseils et solutions durables » pour accompagner les clients dans leurs démarches éco-responsables.

 

 

Concrètement, comment soutenez-vous les projets des associations et des structures de l’économie sociale et solidaire ?

Le Crédit Coopératif a été pionnier dans l’accompagnement de l’ESS, depuis près de 50 ans. Nous proposons des offres groupées de services spécialement adaptées aux besoins des associations et des structures de l’ESS, telles que les formules Esprit Associations et Esprit Associations +. Ces offres incluent des produits et services bancaires essentiels pour gérer les comptes en toute tranquillité, à des tarifs préférentiels. De plus, la banque accompagne ces structures dans leurs projets de développement et de transition écologique, en leur proposant des solutions de financement et des conseils adaptés. Au travers de sa démarche RSE/ESG, la banque accorde ses actes à ses valeurs coopératives afin d’assumer son rôle de banque des transitions. Cette démarche inclut des actions concrètes pour mesurer l’impact sur la société, prônant ainsi la transparence dans ses actions afin d’honorer l’engagement de ses clients. Enfin, le Crédit Coopératif a inventé les produits financiers de partage avec ses clients, grâce auxquels 6,2 millions d’euros ont été versés aux associations partenaires par nos clients et la banque.

 

Les différents gouvernements et ministères du travail mettent-ils assez en avant l’ESS ?

L’ESS ne dépend heureusement pas uniquement de l’État pour se développer : c’est une « économie populaire » qui repose sur un siècle d’initiatives citoyennes et de réseaux solidaires. Mais oui, je regrette les opportunités manquées, comme l’absence d’une approche transversale dans le plan de relance France 2030 qui aurait pu s’appuyer sur l’ESS et son potentiel d’action. Malgré ces défis, ma conviction est forte : l’ESS est un levier clé pour relever les défis contemporains d’une performance économique soutenable, de la transition écologique à l’inclusion sociale… en passant par la promotion de l’esprit démocratique.