Face à un allongement croissant des carrières, les actifs français sont tentés de réaliser leurs projets et envies sans attendre la retraite
Qui, parmi les salariés non-seniors français, peut savoir à quel âge il ou elle pourra bénéficier d’une retraite ? Alors que la réforme des retraites de début 2023 semble déjà inefficace pour remettre le système par répartition à l’équilibre – selon le rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites (Cor) – et que la question d’une nouvelle réforme des retraites commence déjà à être abordée, les salariés les plus jeunes voient la perspective de bénéficier d’une retraite s’éloigner à mesure qu’ils s’en approchent. Plus que jamais, il existe une incertitude concernant la durée des carrières et la possibilité même de s’arrêter de travailler une fois atteint le 3e âge.
Dans une récente étude menée avec OpinionWay, Indeed a interrogé 1165 personnes représentatives de la population active française pour connaître leurs perceptions et ressentis sur ce sujet, et voir si cette incertitude pourrait avoir des conséquences sur la façon d’envisager leur carrière.
Les trois quarts des travailleurs français s’inquiètent concernant l’âge auquel ils pourront partir en retraite
Tout d’abord, les résultats montrent que 75% des actifs français se disent inquiets en ce qui concerne l’âge de départ en retraite, et même les salariés seniors (de 50 ans ou plus) expriment cette inquiétude dans une très large majorité (66%).
Les femmes, les moins de 35 ans et les travailleurs de catégories socio-professionnelles dites “populaires” (CSP-) sont encore plus nombreux à appréhender l’allongement des carrières, avec respectivement 81%, 82% et 79%.
Les femmes sont en effet trop souvent dans des situations plus précaires, avec des montants de pension de retraite inférieurs et devant travailler plus longtemps pour s’en sortir. Les jeunes sont les plus frappés par l’incertitude concernant leur durée de carrière, et les actifs “CSP-” généralement les plus exposés à des métiers à pénibilité plus élevée, plus difficiles à exercer jusqu’à des âges avancés.
78% des actifs français craignent même de décéder avant d’avoir atteint l’âge de la retraite.
L’allongement du temps de travail a aussi des conséquences sur la santé des travailleurs
Travailler plus longtemps, certes, mais dans quel état ?
72% des actifs interrogés dans cette étude s’inquiètent d’une dégradation de leur état de santé durant leurs dernières années de carrière, et 65% doutent de leur capacité à rester motivés dans leur travail jusqu’à leur départ en retraite.
Le vieillissement important de la population apporte avec lui plusieurs difficultés : outre le fait de devoir faire travailler plus longtemps la population active, on anticipe le fait que l’augmentation du nombre de personnes concernées pas des maladies chroniques liées à la vieillesse (déclin cognitif et/ou physique, perte de mobilité, etc) va mécaniquement accroître le nombre de travailleurs “aidants” (c’est-à-dire, qui prennent soin d’un ou plusieurs proches en parallèle de leur vie professionnelle et privée), ce qui aura à son tour un impact sanitaire et économique.
La population active actuelle l’a bien compris, 79% des personnes sondées par Indeed & OpinionWay exprimant des inquiétudes sur le fait de devoir cumuler leur travail et un statut d’aidant. C’est parmi les 35-49 ans que cette appréhension est la plus forte (85% des répondants), et également chez les femmes (82% contre 76% des hommes) – qui sont, souvent, davantage concernées par ces problématiques.
La fin de carrière suscite également des craintes et incertitudes sur le niveau de revenu
La perte d’attractivité des personnes en fin de carrière du point de vue des recruteurs se pose comme un obstacle majeur que la société française va devoir dépasser dans les années à venir, à mesure que la proportion de seniors augmentera dans la pyramide des âges.
Pour l’instant en tout cas, cette problématique soucie les salariés français : 82% craignent de ne plus intéresser les recruteurs à partir d’un certain âge, et 78% s’inquiètent à l’idée de perdre leur emploi dans les dernières années de leur carrière, avant d’avoir atteint leur “retraite à taux plein” – ce qui est souvent synonyme d’un arrêt prématuré de la carrière et de revenus plus précaires pendant toute la retraite.
L’incertitude concernant le niveau de revenu pendant la retraite est également très présente, 85% des actifs redoutant de devoir continuer à travailler même en retraite pour pouvoir s’en sortir financièrement.
Un chiffre qui fait écho au fait qu’il y a un an, 51% des salariés seniors estimaient qu’ils seraient obligés de travailler quand ils seraient en retraite en raison de leur trop faible pension (chiffre recueilli en août 2023 dans une autre étude Indeed / OpinionWay). Sur ce point, l’écart entre les hommes et les femmes est particulièrement important (15 points) : 77% des hommes, contre 92% des femmes, craignent de travailler pendant leur retraite.
Face à une vie active qui s’allonge, pourquoi ne pas prendre de pause volontaire en cours de carrière ?
Faut-il alors se résigner à travailler plus longtemps que les générations précédentes, oubliant l’idée de se reposer et de “se faire plaisir” en échange de longues années de travail ? La population active française ne l’entend pas forcément de cette oreille.
34% des répondants envisagent de faire une pause dans leur carrière professionnelle, que ce soit un congé sabbatique, un congé sans solde longue durée, ou toute pause de carrière effectuée de manière volontaire (hors congés payés).
16% disent même avoir déjà des plans assez précis à ce sujet.
Cette aspiration est encore plus présente au sein des populations actives urbaines, résidant dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants et de l’agglomération parisienne, avec respectivement 39% et 40% de motivés.
Les travailleurs de moins de 35 ans sont également séduits par cette idée : 47% nourrissent ce projet – preuve d’une tendance émergente et d’un changement d’approche vis-à-vis de la carrière.
Parmi ces salariés envisageant de faire une pause dans leur carrière, 89% considèrent qu’il vaut mieux l’envisager à court ou moyen terme pour pouvoir faire de longs voyages, réaliser des projets personnels, etc. car avec l’allongement de la carrière professionnelle, il sera impossible de le faire quand ils arriveront à l’âge de la retraite.
« Le schéma “classique” de la carrière (études, vie professionnelle, retraite) voit ses contours se flouter à mesure que croît l’incertitude concernant la durée et les modalités de cette vie professionnelle – l’impact assez imprévisible de l’IA sur les métiers actuels d’ici quelques années s’ajoute encore à cette incertitude – et cela modifie le rapport des actifs à leur travail. Si la vie professionnelle est amenée à devenir une véritable course de fond, et avec peut-être de forts aléas, comment ajuster son rapport au travail (temps de travail, équilibre vie pro-vie perso, quantité de responsabilités, etc.) afin de pouvoir tenir jusqu’à un âge plus avancé qu’auparavant ? », analyse Eric Gras, spécialiste du marché de l’emploi chez Indeed. « L’allongement des carrières interroge aussi sur une autre grande problématique de ce début de siècle, celle de l’explosion de burn-out professionnels : le monde du travail doit résoudre l’équation de salariés plus âgés et travaillant plus longuement, tout en réduisant les facteurs d’épuisement physique et moral au travail, qui au contraire ont tendance à impacter la carrière de plus en plus fréquemment. »