Témoignage : j’ai posé un congé pour faire Saint-Jacques-de-Compostelle
Le Secrétaire général et DRH de Storengy, filiale d’ENGIE, a mis sa vie en pause pour emprunter le Chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. De son départ de Paris, le 2 octobre, à son arrivée à Saint-Jacques, le 9 décembre 2022, le jacquet a vécu les difficultés et bienfaits de cette marche pas comme les autres. Il en ressort « grandi ». Rencontre.
Pourquoi avoir décidé maintenant de faire le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle ?
Cette prise de décision est intervenue 4 ans après mon arrivée à Storengy. En tant que DRH, ces années ont été très intenses avec la mise en place d’une nouvelle organisation, un repositionnement stratégique, la gestion de la crise Covid. J’ai ressenti le besoin de marquer une pause. J’ai eu cette petite lumière au fond de moi qui me chuchotait que c’était le moment. Il était impératif pour moi de prendre du recul sur les questionnements que j’avais par rapport à ma vie. L’émergence de ces pensées m’a amené à sérieusement envisager d’entreprendre la démarche de partir. Et c’est ma directrice générale qui a fini par me convaincre, en me déculpabilisant : « 3 mois, ce n’est pas plus long qu’un congé maternité ». C’est ainsi que je me suis mis en route.
Quelle a été la réaction de vos équipes quand vous leur avez annoncé la raison de votre congé ?
Dans ce cas précis, je ne parlerais pas de congés, mais plutôt de « projet ». Il a été très bien accueilli par l’ensemble de mes équipes en suscitant un intérêt sincère, voire de l’admiration et parfois de l’envie ! Au moment de partir, nous avons organisé un moment de convivialité entre nous… Mes collègues m’ont fait passer une petite carte avec un mot. Dans l’une d’elles quelqu’un a écrit : « C’est formidable ce que tu fais, car tu nous prouves que c’est possible ».
Vous êtes parti de chez vous, comme le veut la tradition ?
J’habite à Saint-Cloud, et je suis parti de la tour Saint-Jacques, à Paris, le 2 octobre au matin. Je voulais avoir le tampon de la tour Saint-Jacques avec sa coquille, sur ma Crédenciale, le passeport du pèlerin de Compostelle. Puis, je me suis lancé dans ce périple de deux mois et demi jusqu’à Compostelle.
Votre voyage a été fait dans les règles de l’art, avez-vous été au-delà de Saint-Jacques de Compostelle ?
Tout dans les règles de l’art ! Oui en effet, jusqu’au cap Finisterre, l’étape après Saint-Jacques.
Avez-vous fait des rencontres ?
La période en France a été marquée par une marche de 12 jours où j’étais tout seul pendant la journée et le soir lors de mes arrêts dans les hébergements… Malgré tout, mon chemin n’était pas que solitaire, ponctué de rencontres dans les villages traversés. Au fil des jours, je me suis aperçu, en lisant les messages laissés dans les livres d’or des haltes jacquaires, qu’un pèlerin me précédait de deux ou trois jours. Et un soir, à la halte jacquaire de Sainte Maur de Touraine, j’ai eu le plaisir de le retrouver. Ce pèlerin, parisien comme moi était parti quelques jours plus tôt. Nous avons ensuite marché jusqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle ensemble. En Espagne, il y a beaucoup plus de pèlerins, provenant de pays parfois très lointains : des Sud-Coréens, des Taïwanais, des Néerlandais, des Allemands…
Quelles ont été les difficultés de votre voyage ? Votre épreuve était-elle plus physique ou morale ?
Pour ma part, j’ai dû faire face après dix jours de marche à des soucis physiques qui m’ont amené à revoir ma manière de marcher. Plus tard, en Espagne, cela faisait plus d’un mois et demi que je marchais, j’ai connu une période d’épuisement physique et mental. Enfin j’avoue que les jours de mauvais temps le moral en prend un coup ! Mais finalement j’ai su trouver les ressources physiques et morales pour surmonter ces difficultés.
Est-ce que vous attendiez des choses particulières à travers ce périple ? Ou vous n’attendiez rien et c’est le cheminement qui vous a amené des réponses ?
J’ai 54 ans et je suis au mitant de ma vie. J’avais donc ce besoin de me retrouver seul avec moi-même et de prendre le temps de cette introspection. J’attendais aussi ce petit quelque chose d’excitant qu’est l’aventure. Enfin, j’avais envie de me prouver que j’étais capable de me surpasser. Et ces objectifs-là, je les ai atteints. Il y a plein de choses que je ramène du voyage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Je reviens transformé. J’ai appris durant ce cheminement à mieux écouter les réactions de mon corps et mon esprit. Quand vous marchez, vous avez mal aux pieds et aux jambes, aux genoux et au dos. J’ai pu constater qu’à certains moments, je ne me sentais pas bien, j’étais fatigué, je commençais à m’épuiser. Cette capacité à s’écouter n’était pas quelque chose que je faisais spontanément. Et d’un point de vue professionnel, eh bien je me suis aperçu que les équipes avaient su s’organiser et que mon organisation était suffisamment résiliente pour faire face à mon absence. J’ai pu ainsi décrocher, remettre les choses à plats et dans le bon ordre. À mon retour au bureau, j’ai recommencé doucement, en évitant les sur-sollicitations.
Au bureau, votre rapport aux autres, votre gestion du personnel a-t-elle évolué ?
Je constate que mon aventure est perçue comme le signe que dans mon entreprise, il est possible de vivre une passion ! J’espère que cela donnera envie à des collègues d’oser prendre un temps de pause dans leur parcours professionnel pour réaliser un projet qui leur tient à cœur. Je reviens de Saint Jacques de Compostelle avec un rapport au temps et aux autres transformé.
Quelle part de vous-même avez-vous laissé / gardé sur le chemin ?
J’espère avoir laissé sur le chemin un peu de mes peurs, de ce qui m’empêche d’oser, d’aller vers l’inconnu. Je sais que je suis capable de me dépasser et que je peux avoir confiance dans ma capacité à réussir. Je voudrais conserver une certaine capacité à prendre du recul, à observer et à écouter. Peut être même à vivre plus lentement ?
A votre retour, vous avez eu envie de témoigner de votre expérience sur LinkedIn. Un post qui a beaucoup fait réagir…
J’ai eu envie de partager ma joie d’avoir réussi à marcher plus deux mois et près de 2 000 kilomètres. J’avais envie également de témoigner du support que j’avais trouvé auprès de mes collègues et de ma direction. Sans eux je n’aurais pas pu partir aussi longtemps. J’ai eu des réactions d’admiration mais également, je crois que mon témoignage a pu contribuer à encourager certains à envisager de vivre une aventure ou de réaliser un rêve. Cela dit je reste modeste car je n’ai pas le sentiment d’avoir réalisé un exploit comparable à une traversée de l’Atlantique en solitaire !
Quelques mois après votre retour, êtes-vous dans un état d’esprit similaire à celui de Compostelle, ou les choses ont-elles évolué ?
Le retour est un moment délicat et intéressant à observer. Je suis passé par différentes phases. Quand je suis rentré, j’étais très heureux de retrouver les miens, mais en même temps, j’étais nostalgique. C’est comme quand vous quittez un endroit que vous avez aimé. J’étais un peu stressé et inquiet du retour, de la réadaptation. Il faut fournir un effort pour se réintéresser aux sujets professionnels et personnels. Aujourd’hui, je suis dans un autre état d’esprit qu’il y a encore quelques semaines. Je me pose des questions plus profondes sur ce chemin, au-delà des beaux paysages, des personnes que j’ai rencontrées et des souvenirs. C’est un chemin que je commence et qui va m’occuper pendant un petit moment !